Livv
Décisions

CA Montpellier, 1re ch. D, 18 septembre 2001, n° 96-02680

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cot

Défendeur :

Quintanilha, Gimenez, Schanewald (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vernette

Conseillers :

MM. Armingaud, Bruyère

Avoués :

SCP Capdevila-Vedel Salles, Me Auche-Hedou

Avocats :

Mes Deplanque, Leblanc

TGI Perpignan, du 5 mars 1996

5 mars 1996

Faits, procédure, prétentions des parties :

Par acte en date du 3 août 1994, Jean Cot a fait assigner Georgette Quintanilha, Joseph Gimenez et Pierre Schanewald par-devant le Tribunal de grande instance de Perpignan, aux fins de voir prononcer l'annulation de la vente des statuettes intervenue entre lui-même et Joseph Gimenez, d'obtenir la condamnation de Pierre Schanewald à lui restituer la somme de 1 400 000 F, avec intérêts de droit à compter du 4 août 1992, et la condamnation solidaire des défendeurs à lui payer la somme de 300 000 F de dommages et intérêts, outre une indemnité de 30 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Jean Cot a fait valoir que durant l'été 1989, il a été victime d'un dol savamment orchestré par les défendeurs, et a acquis dans ces conditions de Pierre Schanewald, un lot de statuettes pour le prix de 1 400 000 F, qu'il croyait revendre à Monsieur Gimenez.

Il a exposé la version des faits suivante :

Durant l'été 1989, son ancienne compagne, Georgette Quintanilha, lui a proposé d'acquérir une statuette au prix de 30 000 F.

Renseigné sur la faible valeur du bien par le commissaire-priseur, Jean Cot a refusé cette offre, mais a accepté de garder l'objet en dépôt.

Quelques jours après, Joseph Gimenez s'est présenté à son domicile, et, enthousiasmé par la statuette, l'a acquise au prix de 30 000 F.

Quelque temps plus tard, Georgette Quintanilha est revenue en compagnie de Pierre Schanewald pour lui proposer d'acquérir une collection de statuettes, à peu près comparables à la première, au prix de 1 600 000 F, Pierre Schanewald ayant affirmé que ces objets avaient été expertisés à la valeur de 6 300 000 F, et lui ayant montré des certificats d'authenticité.

Jean Cot a refusé d'acquérir ces biens, mais accepté de les conserver dans l'attente d'éventuels acquéreurs.

Joseph Gimenez s'est alors présenté à nouveau, a proposé de les acheter à 2 400 000 F et a laissé un acompte de 200 000 F.

Pierre Schanewald et Georgette Quintanilha l'ont alors contacté pour reprendre les statuettes, au prétexte qu'ils avaient trouvé un acquéreur pour le prix de 1 600 000 F.

Monsieur Cot, se sentant liés par les engagements contractés auprès de Joseph Gimenez, a racheté la collection et a versé à Monsieur Schanewald la somme de 1 400 000 F, ainsi que l'acompte de 200 000 F.

Joseph Gimenez n'est jamais revenu.

Jean Cot a précisé que sa plainte avec constitution de partie civile s'est soldée par une ordonnance de non lieu, rendue le 19 août 1993.

Jean Cot a soutenu qu'il a bien versé la somme de 1 600 000 F à Pierre Schanewald, en justifiant d'un retrait de son compte de la somme de 1 100 000 F le 4 août 1989, et de la vente, à cette date, de ses actions ;

Que Georgette Quintanilha a elle-même perçu une commission de 40 000 F les 7 et 8 août 1989 ;

Qu'il résulte des enquêtes de Police que Messieurs Schanewald et Gimenez se connaissent, et mènent un train de vie très élevé, et qu'ils ont déjà été soupçonnés d'avoir commis des escroqueries du même genre ;

Qu'il a été mis en confiance par la présence de Georgette Quintanilha, par les documents produits par Pierre Schanewald sur la valeur des objets, et le comportement enthousiaste de Monsieur Gimenez, et que c'est dans ces conditions qu'il s'est senti contraint d'acquérir les statues dans le seul but de les revendre.

Georgette Quintanilha a conclu au rejet des demandes dirigées contre elle, et réclame reconventionnellement une somme de 30 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité de 10 000 F pour frais irrépétibles.

Elle a contesté avoir joué un rôle actif dans les transactions auxquelles, selon elle, Jean Cot s'est livré en toute connaissance de cause.

Elle a ajouté qu'elle a été utilisée à son insu, ce qui aurait d'ailleurs été admis par Jean Cot au cours de l'enquête pénale.

Joseph Gimenez a soulevé l'irrecevabilité de l'action, en vertu de l'adage " electa une via ", et subsidiairement, en raison de la prescription édictée par l'article 1304 du Code civil.

En tout état de cause, il s'est opposé aux prétentions adverses, faisant valoir que Jean Cot a déjà été dans l'impossibilité de prouver ses actions, lesquelles sont totalement mensongères, et qu'il ne produit aucune pièce au soutien de son action.

Joseph Gimenez a réclamé paiement de la somme de 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pierre Schanewald a soulevé les mêmes moyens d'irrecevabilité et de débouté que Joseph Gimenez et a sollicité la somme de 50 000 F de dommages et intérêts et une indemnité de 15 000 F pour frais irrépétibles.

Par jugement en date du 5 mars 1996, le tribunal a débouté Jean Cot de ses demandes, rejeté les demandes reconventionnelles, condamné Jean Cot aux dépens.

Jean Cot, qui a fait appel le 20 mars 1996, a, par conclusions en date du 5 juin 2001, demandé à la cour :

- d'infirmer le jugement ;

- d'annuler les ventes pour dol ;

- de condamner Monsieur Schanewald à lui restituer la somme de 1 400 000 F ;

Vu l'article 1382 du Code civil,

- de condamner solidairement Pierre Schanewald, Georgette Quintanilha et Joseph Gimenez à lui payer 300 000 F de dommages et intérêts, 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Vu les conclusions prises le 23 mai 2001 par Georgette Quintanilha, qui a demandé à la cour :

Au principal,

- dire et juger que l'action dirigée par Monsieur Cot à l'encontre de Madame Quintanilha est prescrite en application des dispositions de l'article 1304 du Code civil ;

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que cette action est mal fondée en application de l'article 1382 du Code civil et de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Madame Quintanilha n'étant pas visée par l'action principale en annulation de la vente et restitution du prix ;

- ordonner sa mise hors de cause pure et simple en déboutant Monsieur Cot de toutes les demandes formées à son encontre ;

Statuant sur la demande reconventionnelle formée par la concluante,

- condamner Monsieur Cot à lui verser 50 00 F à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive et mal fondée ainsi qu'à une somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les conclusions prises le 13 juin 2001 par Didier Schanewald, héritier de Pierre Schanewald, qui a accepté sa succession sous bénéfice d'inventaire, qui a demandé à la cour :

- de constater que le 15 février 2000, il a fait abandon des biens au profit des créanciers de la succession, conformément aux dispositions de l'article 802-1 du Code civil, ce qui lui donne l'avantage de pouvoir se décharger des dettes de la succession en abandonnant tous les biens de la succession aux créanciers ;

- de le mettre hors de cause.

Vu les conclusions prises le 20 mars 2001 par Joseph Gimenez, qui a demandé à la cour :

- de confirmer ;

- de condamner Monsieur Jean Cot à payer à Monsieur Joseph Gimenez la somme de 30 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- de condamner Monsieur Jean Cot aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Sur ce :

Par voie d'appel incident, Georgette Quintanilha maintient que l'action de Jean Cot serait éteinte par la prescription de 5 ans, puisque la remise de 30 000 F, que lui oppose le demandeur, est intervenue le 28 juillet 1989, alors que l'assignation n'a été délivrée que le 3 août 1994.

Toutefois, le tribunal a justement retenu, pour écarter cette fin de non recevoir, que la vente du lot de statuettes litigieuses, au titre de laquelle Jean Cot réclame la somme de 1 400 000 F, s'est produite vers le 4 août 1989, donc moins de 5 ans avant l'assignation délivrée le 3 août 1994, que Georgette Quintanilha est aussi recherchée, en qualité de coauteur du dol, pour cette vente.

Ce moyen mérite donc rejet.

Par ailleurs, la circonstance que Didier Schanewald héritier de Pierre Schanewald, ait fait abandon des biens de la succession aux créanciers éventuels, ne saurait motiver sa mise hors de cause.

En effet, l'appelant répond justement qu'en qualité d'héritier sous bénéfice d'inventaire, il ne peut désormais renoncer à la succession et rendre cette succession vacante ;

Qu'il ne peut donc être mis hors de cause et doit rester à l'instance, en tout cas, pour représenter la succession et lui rendre la décision à intervenir commune et opposable.

Au fond, Jean Cot maintient, au soutien de son appel, que Georgette Quintanilha, Joseph Gimenez et Pierre Schanewald, qui se connaissaient bien, auraient agi de concert pour le tromper et l'inciter à acheter très cher des statuettes de faible valeur ;

Qu'il aurait été mis en confiance par les circonstances, qu'il connaissait bien Georgette Quintanilha, que Joseph Gimenez s'était présenté comme un acheteur sérieux du lot de statuettes, s'annonçant comme spécialiste, après avoir effectué un précédent achat, par l'intervention de Pierre Schanewald, qui s'est aussi présenté comme ayant de grandes connaissances en la matière, qui lui aurait fait part de documents estimant ces statuettes à 6 500 000 F ;

Que l'enthousiasme de Joseph Gimenez, proposant un prix supérieur à celui demandé par Pierre Schanewald, aurait fini de le convaincre à acheter lui-même la collection, au lieu de la garder en dépôt ;

Que s'étant engagé envers Joseph Gimenez, qui lui avait remis en acompte de 200 000 F, il était obligé d'effectuer cet achat ;

Que Joseph Gimenez connaissait ses propres doutes sur la valeur des statuettes, de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'avoir voulu le tromper ;

Qu'il n'est pas interdit d'acheter pour revendre à un meilleur prix, dès lors que l'acquéreur est un connaisseur qui accepte de prendre un risque.

Toutefois, pour rejeter cette argumentation, le tribunal a justement retenu que le dol suppose de la part du cocontractant la réalisation de manœuvres qui ont induit l'autre partie en erreur et l'ont déterminé à contracter ;

Que Jean Cot ne peut sérieusement prétendre avoir été induit en erreur sur la valeur réelle du lot de statuettes, qui lui ont été remises par Pierre Schanewald, alors que, dans sa plainte avec constitution de partie civile, déposée le 29 décembre 1990, il a admis que " connaissant la valeur dérisoire de ces objets, pour avoir fait expertises initialement la première statuette, j'indiquai à mon interlocuteur que je n'entendais pas me porter acquéreur " ;

Que ce refus de Jean Cot de se porter acquéreur de ce lot est intervenu, bien que Monsieur Schanewald lui ait montré, selon ses dires, des certificats d'authenticité, ce qui démontre bien que la production de ces documents n'a eu aucune influence sur Jean Cot ;

Que Jean Cot fait valoir, qu'en réalité, les manœuvres dolosives ont consisté à lui laisser croire que Joseph gimenez allait encore se porter acquéreur des statuettes, à une valeur bien supérieure, qui varie cependant au gré des écritures ou déclarations du demandeur (dans sa plainte initiale, il est fait état d'une proposition d'achat de 3 200 000 F, dans son audition par le juge d'instruction de 2 800 000 F, dans son assignation de 2 400 000 F) ;

Que Jean Cot prétend en outre s'être senti lié par un engagement envers Monsieur Gimenez et avoir donc été contraint d'acheter ;

Que ce dernier argument n'est pas davantage pertinent ;

Qu'en effet, il ressort des déclarations faites par Jean Cot au juge d'instruction le 6 juin 1991, qu'après avoir proposé d'acheter la collection, Joseph Gimenez l'a fait patienter plusieurs semaines, avant de lui verser un acompte de 200 000 F ;

Que pourtant, toujours selon ses déclarations, Jean Cot était informé par Monsieur Schanewald qu'une autre personne était intéressée ;

Que c'est donc en toute connaissance de cause que Jean Cot a accepté un acompte de Monsieur Gimenez, dans l'espoir de concrétiser l'affaire pour une deuxième fois ;

Qu'il est donc constant que Jean Cot s'est décidé d'acquérir les statues, parce que, bien que connaissant l'absence de valeur de ces objets, il pensait pouvoir les revendre à Joseph Gimenez à un prix bien supérieur, qui ne correspondait en aucune façon à leur valeur, dont le caractère dérisoire était connu de lui ;

Qu'il s'agit là d'un comportement frauduleux, signe de cupidité, qui justifie que soit opposée au demandeur la règle " nemo auditur qui propriam turpitu dinem allegans ", nul ne pouvant invoquer sa propre fraude.

Cette motivation pertinente mérite adoption.

En effet, même si les intimés se connaissaient, même s'il peut être admis l'existence d'une manœuvre commise de concert par ces trois personnes, pour inciter Jean Cot à acheter, pour une somme importante, une lot e statuettes d'une valeur vile et, en tout cas, hors de proportion par rapport au prix, la somme de 140 000 F reconnue étant disproportionnée, il reste que ce qui a déterminé Jean Cot à acheter, ce n'est pas une erreur sur la valeur réelle des statuettes, mais sa croyance erronée dans la chance de les revendre à un prix alléchant, à un acheteur enthousiaste, déjà client, cette revente revêtant nécessairement de sa part un comportement illicite, les statuettes n'ayant aucune valeur, ainsi qu'il le savait nécessairement, cette vente étant nécessairement frustratoire, même si l'acquéreur " enthousiaste " s'était donné l'apparence d'être un connaisseur, le comportement apparent de Joseph Gimenez n'enlevant rien à l'absence de valeur des statuettes, donc à la turpitude du vendeur, Jean Cot.

C'est donc à bon droit que le tribunal a opposé à Jean Cot sa propre turpitude et l'a débouté de ses demandes.

Succombant, il supportera les dépens d'instance et d'appel.

En revanche, les intimés seront déboutés de leurs propres demandes, seule la turpitude de Jean Cot ayant tenu en échec ses demandes.

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré, Reçoit l'appel ; Dit n'y avoir lieu à mise hors de cause de Didier Schanewald ; Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription ; Au fond, Confirme le jugement ; Déboute Jean Cot de ses demandes ; Déboute les intimés de leurs demandes de dommages et intérêts et de celles au titre des frais irrépétibles ; Condamne l'appelant aux dépens d'instance et d'appel ; Accorde à Maître Auche-Hedou, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.