CA Paris, 5e ch. A, 15 juin 2005, n° 03-07062
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dache; Sudre (ès qual.)
Défendeur :
Volkswagen France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Roche, Kermina, Avoués : SCP Baufume-Galland
Avocats :
Mes Carbonnier, Henry.
Le 25 mai 1994 la société Dache automobiles signait avec la société Seat France, importateur exclusif en France des véhicules de marque Seat et qui devait être ultérieurement absorbée par la société VAG France, aux droits de laquelle se trouve présentement la société Groupe Volkswagen France (ci-après désignée GVF), "un contrat de concession" lui confiant l'importation exclusive "des véhicules neufs de marque Seat ainsi que des pièces de rechange destinées à équiper ces véhicules".
Après que ce concessionnaire eût connu plusieurs mois de difficultés financières la société GVF lui adressa le 14 décembre 1995 un courrier lui faisant part de sa décision de geler provisoirement le recouvrement d'impayés jusqu'au 15 mars 1996, délai pendant lequel il devait être procédé à une régularisation de la situation.
Par lettre en date du 3 avril 1996, la société GVF prenait cependant acte qu'aucune régularisation n'avait été opérée, que les impayés n'étaient pas réglés, et prononçait, en conséquence, la résiliation du contrat de concession avec effet immédiat.
C'est dans ces conditions que, par acte du 6 mai 1999, Me Sudre, ès qualités de liquidateur de la société Dache automobiles, et M. Dache à titre personnel assignaient la société GVF devant le Tribunal de grande instance de Paris pour rupture abusive du contrat de concession Seat dont était titulaire la société Dache automobiles et sollicitaient de ce chef l'octroi de différents dommages et intérêts.
Par jugement du 16 novembre 2000 le tribunal saisi a débouté les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions en estimant que l'existence d'impayés d'un montant de 800 000 F autorisait la société GVF à prononcer " la résiliation du contrat sans préavis conformément aux stipulations de l'article XV-3 de la convention des parties " ;
Régulièrement appelants, Me Sudre, ès qualités, et M. Flache ont, par conclusions enregistrées le 22 février 2005, prié la cour de :
- Réformer le jugement et constater que la résiliation du contrat de concession a revêtu un caractère abusif,
- Constater que la société Dache automobiles ne présentait pas d'impayés, en conséquence,
- condamner la société GVF à verser à la liquidation judiciaire de celle-ci la somme de 1 173 857,43 euro au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ainsi que celle de 55 563,09 euro au titre des frais occasionnés lors du licenciement de son personnel,
- Condamner la société GVF à verser à M. Dache la somme de 975 673,71 euro au titre du manque à gagner sur la vente du fonds de commerce ainsi que celle de 80 000 euro au titre de son préjudice moral,
- Condamner la société GVF à verser à M. Dache la somme en principal de 492 493,61 euro outre les intérêts à compter du 1er mai 2000 au titre de la mise en œuvre de ses différentes cautions personnelles,
- Condamner la société GVF aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement à chacun des appelants de la somme de 7 500 euro au titre des frais hors dépens.
Par conclusions enregistrées le 22 mars 2005 la société GVF a demandé à la cour de:
À titre principal
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement,
- Dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute et que la résiliation extraordinaire a été opérée conformément aux dispositions du contrat de concession,
À titre subsidiaire
- Constater que les préjudices dont l'indemnisation est réclamée par Me Sudre ès-qualités et M. Dache ne sont pas justifiés,
- Les débouter en conséquence de leurs demandes de ce chef;
À titre très subsidiaire
- Ordonner la compensation de toute somme qui serait mise à sa charge avec le montant de sa créance envers la société Dache automobiles telle qu'admise par le juge-commissaire chargé de la procédure,
En tout état de cause
- condamner solidairement Me Sudre ès qualités et M. Dache aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros au titre des frais hors dépens.
Sur ce
Considérant qu'à l'appui de leur demande tendant à faire reconnaître le caractère abusif de la résiliation susmentionnée et à solliciter de ce chef l'octroi de dommages et intérêts les appelants font, tout d'abord, valoir que la société GVF aurait désigné la société Dache automobiles en qualité de concessionnaire Seat alors qu'elle ne remplissait pas la condition de fonds de roulement posée par la lettre de nomination sous conditions suspensives du 28 mars 1994 ; qu'ils estiment que l'absence d'un tel fonds serait à l'origine des difficultés financières de la société Dache automobiles et, par là même, de la résiliation litigieuse ;
Considérant, toutefois, que si les appelants excipent à cet effet du rapport économique et social rédigé par l'administrateur judiciaire de la société Dache automobiles et faisant état au jour de nomination de cette dernière comme concessionnaire d'un fonds de roulement de seulement 412 000 F, il ressort de l'instruction que, dans les semaines qui suivirent la signature du contrat, l'intégralité des prêts nécessaires pour constituer ledit fonds furent obtenus auprès des sociétés Repsol et Cofica ; que, par suite, la condition exigée par la lettre sus-rappelée doit être regardée comme remplie, fût-ce avec quelque retard ; qu'aucune faute ou négligence ne saurait, dès lors, être imputée à ce titre à la société intimée ;
Considérant, en deuxième lieu, que les appelants reprochent aussi à la société (GVF d'avoir "...clairement soutenu Dache automobiles en lui octroyant régulièrement des autorisations de dépassement de I'encours et ceci même après le courrier du 14 décembre 1995 où il était précisé que l'encours de fonctionnement VN PRA ne pourra dépasser 3960KF" ; qu'en l'occurrence s'il est constant que l'intimée a effectivement accepté, dans un esprit de partenariat, l'existence de dépassements d'encours pendant la période de lancement de la concession et si la société Dache automobiles a alors bénéficié également d'une aide publicitaire ainsi que d'une prime commerciale liée aux deux premières années d'exploitation, lesdits dépassements n'ont cessé de décroître à compter du 25 octobre 1995 pour disparaître complètement à compter du 14 décembre suivant ainsi que cela ressort de l'examen même du tableau chiffré figurant dans les écritures des appelants; que, parallèlement, les dépassements observés entre les 26 mars et 3 avril 1996 sont purement conjoncturels et résultent du temps d'ajustement nécessaire à la mise eu œuvre de la décision prise le 26 mars 1996 de procéder à baisse du plafond d'encours de 3 960 à 1 320 KF ; que si les appelants prétendent sur ce point qu'une telle baisse "ne pouvait qu'engendrer une situation économique désastreuse que la concession Dache automobile ne pouvait résoudre seule", il sera relevé qu'ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé le délai accordé par le concédant pour le règlement des sommes impayées par son concessionnaire expirait le 15 (sic) 1996 et que la résiliation litigieuse est, de toute façon, intervenue à la suite d'impayés antérieurs à la réduction d'encours critiquée ; que, par suite, la mesure en cause et l'appréciation qui en est faite sont sans influence sur le présent litige ;
Considérant, en troisième lieu, que les appelants contestent la résiliation du contrat de concession au motif que la société GVF se serait engagée à leur octroyer un prêt de 1,6 millions puis serait revenue sur cette promesse qui, si elle avait été respectée, aurait empêché la présence d'impayés d'un montant de 300 000 F à l'origine de la rupture entre les parties ; que si les appelants affirment ainsi qu'il y aurait eu un " engagement " de la part de la société GVF d'octroyer" à son concessionnaire le 19 octobre 1995 "un prêt de restructuration de trésorerie qualifié d'étalement de créance", il convient de souligner que le courrier auquel il est fait expressément référence formule la promesse litigieuse de la manière suivante :
"Nous serions donc disposés à vous accorder un étalement de créance d'un montant maximum de 1,6 millions de francs (...) Cet étalement pourrait vous être accordé sur une durée à déterminer ne pouvant excéder une période de sept ans et portera intérêt au taux normal du marché monétaire + 0,5.." ; qu'il est, par suite, constant qu'il s'agit d'un simple projet comme en attestent tant l'emploi du conditionnel que l'absence de toute précision sur les modalités concrètes et obligées de la mesure que constituent sa durée ou les conditions particulières d'étalement de celle-ci; que le courrier du 26 octobre 1995 par laquelle la société Dache automobiles déclare "accepter" cette proposition non finalisée ne saurait, sauf à méconnaître directement les dispositions des articles 1134 et, 1135 du Code civil, transformer celle-ci on un engagement contraignant tenant lieu de loi pour l'intimée ; que, surtout, il ressort des échanges successifs de courriers entre les parties au cours des mois d'octobre et novembre 1995 que l'offre d'aide à son concessionnaire faite par la société GVF s'inscrivait nécessairement dans une restructuration de l'économie d'ensemble de la concession à l'effet de pallier son absence initiale de fonds propres et impliquait, de façon nécessaire, l'octroi de prêts bancaires, lesquels ne sont pas intervenus ; que, par suite, à ce titre également, aucune faute ou attitude dolosive ne peut être imputée à la société GVF ; qu'en revanche, les impayés d'un montant de 800 000 F ayant justifié la décision de résiliation entreprise ont été déclarés par la société intimée au passif de la société Dache automobiles après que celle-ci eut été mise en redressement judiciaire ; que la créance correspondante a été admise par ordonnance du juge-commissaire compétent en date du 19 mars 1997, et, en l'absence de tout recours interjeté à son encontre, est désormais revêtue de l'autorité de la chose jugée ; que, dès lors, sont inopérantes les contestations formées par les appelants quant au mode de calcul desdits impayés et quant à l'absence de prise en compte dans l'appréciation de leur montant de primes et de remises particulières dont, au demeurant, ils ne justifient pas; qu'en prononçant la résiliation sans préavis du contrat de concession compte tenu de l'importance sus rappelée des impayés ainsi que de l'annulation par l'organisme la lui ayant consentie de la caution de garantie fournie par la société Dache automobiles, faits représentant, tous deux, la violation directe d'engagements contractuels essentiels, la société GVF n'a fait que mettre en œuvre les stipulations de l'article XV de ladite convention aux termes duquel "le présent contrat sera en outre résilié de plein droit avec effet immédiat et sans préavis, ni notification préalable, lorsque cette sanction est déjà expressement prévue par une des dispositions contractuelles qui précédent : ainsi que dans l'un quelconque des cas ci-après énumérés:
- Protêts des effets ou chèques impayés, non règlement de tout autre moyen de paiement accepté par le concessionnaire, ou non-respect d'une échéance quelconque.
- Expiration, non-renouvellement ou dénonciation d'un cautionnement ou plus généralement de tout événement affectant son existence ou sa valeur, comme par exemple pour cette dernière, la constitution volontaire ou non de sûretés ou la cession d'une partie de son patrimoine par la caution" ; que, toutefois, si une telle résiliation peut révéler un caractère abusif en raison des circonstances l'accompagnant et révélant un manquement à la bonne foi contractuelle exigée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil aucune des pièces du dossier n'établit, au-delà des affirmations générales et non corroborées des appelants, une semblable méconnaissance par le concédant de son obligation de loyauté commerciale ; qu'enfin, la résiliation sus analysée ne saurait davantage être considérée comme fautive du fait de la prétendue "dépendance économique" de la société Dache automobiles à l'égard de la société GVF dès lors que n'est caractérisé ni ledit état de dépendance, le concessionnaire disposant de possibilités effectives de reconversion en raison de la multiplicité des constructeurs et de la concurrence les opposant, ni, en tout état de cause, l'abus de celui-ci;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'en l'absence de toute faute imputable à la société GVF et susceptible d'engager sa responsabilité, les appelants ne peuvent qu'être déboutés de leurs prétentions indemnitaires et ce, sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité du préjudice dont il est fait état; qu'il y a lieu, en conséquence de confirmer, par les motifs sus-exposés, le jugement déféré en toutes ses dispositions;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter la demande formée par l'intimée sur le fondement de l'article susvisé;
Par ces motifs, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, le rejetant, Confirme le jugement, Déboute les appelants de l'ensemble de leurs prétentions, Les condamne in solidum aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Monin-d'Auriac de Brons, avoué, Rejette la demande formée par la société GVF sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.