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Décisions

CJCE, 23 octobre 1997, n° C-157/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume des Pays-Bas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Gulmann, Ragnemalm, Wathelet

Avocat général :

M. Cosmas.

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Edward (rapporteur), Puissochet, Hirsch, Jann, Sevón

CJCE n° C-157/94

23 octobre 1997

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 13 juin 1994, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en accordant des droits exclusifs d'importation pour l'électricité destinée à la distribution publique, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 30 et 37 du traité CE.

2. Aux Pays-Bas, l'article 34 de l'"Elektriciteitswet" du 16 novembre 1989 (loi portant réglementation de la production, de l'importation, du transport et de la vente d'électricité, Staatsblad 535, ci-après l'"EW") dispose :

"1. Seule la société désignée à cet effet est autorisée à importer de l'électricité destinée à la distribution publique.

2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas à l'importation d'électricité d'une tension inférieure à 500 V."

3. La NV Samenwerkende Elektriciteitsproduktiebedrijven (ci-après la "SEP") a été désignée à cet effet, par arrêté ministériel du 20 mars 1990 (Staatscourant du 22 mars 1990).

4. Aux termes de l'article 37, paragraphe 1, de l'EW, il est interdit de livrer à autrui de l'électricité importée par tout autre que la SEP. Il résulte d'une lecture combinée de cette disposition avec l'article 34, paragraphe 1, que les consommateurs finals ont le droit d'importer de l'électricité, à condition que ce soit pour leurs propres besoins.

5. Considérant que la législation néerlandaise conférait ainsi à la SEP des droits exclusifs d'importation pour l'électricité destinée à la distribution publique (dès lors qu'il s'agissait d'électricité d'une tension supérieure à 500 V) et était, à ce titre, contraire aux articles 30 et 37 du traité, la Commission a, par lettre du 9 août 1991 et conformément à l'article 169 du traité, mis le Gouvernement néerlandais en demeure de lui présenter ses observations sur le manquement reproché dans un délai de deux mois.

6. Par lettre du 12 novembre 1991, le Gouvernement néerlandais a contesté l'existence du manquement et a invoqué un certain nombre d'arguments susceptibles de justifier le maintien des droits exclusifs d'importation de la SEP au titre des articles 36 et 90, paragraphe 2, du traité CE.

7. Le 26 novembre 1992, la Commission a notifié un avis motivé au Royaume des Pays-Bas, dans lequel elle a rejeté les arguments avancés par le Gouvernement néerlandais et a notamment soutenu que les exceptions prévues aux articles 36 et 90, paragraphe 2, du traité n'étaient pas applicables dans le cas d'espèce.

8. Le Gouvernement néerlandais ayant maintenu, par lettre du 26 mars 1993, sa position, la Commission a introduit le présent recours.

9. Par deux ordonnances du 6 décembre 1994, le président de la Cour a admis la République française et l'Irlande à intervenir à l'appui des conclusions du Royaume des Pays-Bas; par ordonnance du même jour, il a admis le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.

Sur la conformité des droits exclusifs d'importation avec les articles 30 et 37 du traité

10. La Commission relève que l'existence d'un monopole national d'importation dans le chef de la SEP empêche, d'une part, les producteurs des autres États membres de vendre leur production sur le territoire néerlandais à des clients autres que ce monopole et, d'autre part, les clients potentiels se trouvant sur le territoire néerlandais de choisir librement leurs sources d'approvisionnement en électricité en provenance des autres États membres.

11. Les droits exclusifs d'importation de la SEP seraient dès lors susceptibles de restreindre les échanges entre États membres et, en tant que mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation, contraires à l'article 30 du traité. Ces droits constitueraient en même temps une discrimination au sens de l'article 37 du traité non seulement à l'égard des exportateurs établis dans d'autres États membres, mais également à l'égard des utilisateurs établis dans l'État membre concerné.

12. Il convient d'examiner d'abord les arguments relatifs à l'article 37.

Sur l'article 37 du traité

13. Selon l'article 37, paragraphe 1, les États membres aménagent progressivement les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, de telle façon qu'à l'expiration de la période de transition soit assurée, dans les conditions d'approvisionnement et de débouchés, l'exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres. Cette obligation vaut pour tout organisme par lequel un État membre, de jure ou de facto, contrôle, dirige ou influence sensiblement, directement ou indirectement, les importations ou les exportations entre les États membres, et s'applique également aux monopoles d'État délégués. Par ailleurs, l'article 37, paragraphe 2, impose aux États membres de s'abstenir notamment de toute mesure nouvelle contraire aux principes énoncés au paragraphe 1.

14. Dès lors, sans exiger l'abolition desdits monopoles, cette disposition prescrit impérativement leur aménagement de façon à assurer à l'expiration de la période de transition l'entière disparition des discriminations visées (arrêt du 3 février 1976, Manghera e.a., 59-75, Rec. p. 91, point 5). En outre, dès avant l'expiration de la période transitoire, elle interdisait aux États membres d'introduire de nouvelles discriminations du type de celles visées à son paragraphe 1.

15. Or, comme la Cour l'a déjà constaté dans ses arrêts Manghera e.a. précité (point 12), et du 13 décembre 1990, Commission/Grèce (C-347-88, Rec. p. I-4747, point 44), des droits exclusifs d'importation entraînent, à l'encontre des exportateurs établis dans d'autres États membres, une discrimination prohibée par l'article 37, paragraphe 1. En effet, de tels droits sont de nature à affecter directement les conditions de débouchés des seuls opérateurs ou vendeurs des autres États membres.

16. Le Gouvernement néerlandais conteste toutefois le fait qu'il s'agisse en l'espèce de droits exclusifs entraînant une discrimination au sens de l'article 37, paragraphe 1, du traité, puisque les consommateurs finals seraient libres d'importer de l'électricité pour leurs propres besoins et que les exportateurs établis dans d'autres États membres auraient dès lors le droit de fournir de l'électricité à qui que ce soit aux Pays-Bas.

17. Il n'est cependant pas contesté que, en vertu de la législation néerlandaise, la SEP est seule autorisée à importer de l'électricité destinée à la distribution publique. Il en résulte que les exportateurs établis dans d'autres États membres ne peuvent fournir de l'électricité qu'à une catégorie limitée de consommateurs finals et qu'ils sont ainsi discriminés dans leurs conditions de débouchés par rapport à la SEP qui est seule autorisée à importer de l'électricité en vue de la distribuer ou de la vendre notamment à des sociétés de distribution.

18. En outre, il y a lieu de relever que, pour que l'interdiction de toute discrimination entre les ressortissants des États membres prévue à l'article 37, paragraphe 1, soit applicable, il ne faut pas nécessairement que les droits exclusifs d'importer un produit déterminé portent sur la totalité des importations, mais il suffit que ces droits portent sur une proportion telle qu'ils permettent au monopole d'influencer sensiblement les importations (voir, en ce sens, arrêt Commission/Grèce, précité, point 41). Il n'est pas contesté que tel est le cas des droits exclusifs d'importation détenus par la SEP pour l'électricité destinée à la distribution publique.

19. Le Gouvernement néerlandais conteste également que la SEP puisse être considérée comme un monopole présentant un caractère commercial au sens de l'article 37 du traité, dans la mesure où elle aurait pour mission principale la planification, la mise en œuvre d'unités de production et la mise en commun des frais de production et de transport au niveau national et n'exercerait dès lors pas d'activités commerciales proprement dites.

20. Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour que l'article 37 du traité suppose une situation où les autorités nationales sont à même de contrôler ou de diriger les échanges entre les États membres, ou encore de les influencer sensiblement, par la voie d'un organisme institué à cet effet ou d'un monopole délégué (arrêt du 14 décembre 1995, Banchero, C-387-3, Rec. p. I-4663, point 26, et jurisprudence citée), ce qui est, par nature, le cas de droits exclusifs d'importation.

21. Le Gouvernement néerlandais soutient enfin que seul l'exercice discriminatoire de droits exclusifs, et non déjà leur détention, est interdit par l'article 37 du traité. Or, selon ce Gouvernement, l'exercice des droits d'importation de la SEP ne serait pas discriminatoire, toute l'électricité destinée à la distribution publique, qu'elle soit d'origine nationale ou importée, passant par la SEP et les utilisateurs finals aux Pays-Bas étant tous pourvus en électricité dans des conditions identiques. Il fait valoir, à cet égard, que la SEP doit tenir compte des importations dans sa planification et qu'elle est même obligée d'importer lorsque l'importation est plus avantageuse que l'approvisionnement auprès des sociétés de production néerlandaises.

22. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a constaté dans l'arrêt Manghera e.a. précité (points 9 et 10), que l'objectif de l'article 37, paragraphe 1, du traité ne serait pas atteint si n'était pas assurée, dans un État membre dans lequel existe un monopole commercial, la libre circulation, en provenance des autres États membres, de marchandises analogues à celles concernées par le monopole national.

23. Or, cette libre circulation se trouve entravée par l'existence même de droits exclusifs d'importation dans un État membre, dès lors que celle-ci prive les opérateurs économiques des autres États membres de la possibilité d'offrir leurs produits aux clients de leur choix dans l'État membre concerné. Par ailleurs, dans le cas d'espèce, toute importation doit s'intégrer dans le cadre de la planification établie par la SEP.

Sur les articles 30 et 36 du traité

24. Les droits exclusifs d'importation de la SEP étant ainsi contraires à l'article 37 du traité, il n'est plus nécessaire d'examiner s'ils sont contraires à l'article 30 ni, par conséquent, s'ils peuvent éventuellement être justifiés au titre de l'article 36 du traité.

25. Toutefois, il y a lieu encore de vérifier si les droits exclusifs litigieux ne peuvent pas être justifiés, ainsi que le prétend le Gouvernement néerlandais, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

Sur les justifications tirées de l'article 90, paragraphe 2, du traité

26. Il convient, tout d'abord, d'examiner l'argument avancé à titre principal par la Commission, selon lequel l'article 90, paragraphe 2, du traité ne peut pas être invoqué pour justifier des mesures étatiques incompatibles avec les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises.

Quant à l'applicabilité de l'article 90, paragraphe 2, du traité à des mesures étatiques contraires aux règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises

27. L'article 90, paragraphe 1, du traité interdit de manière générale aux États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, d'édicter ou de maintenir des mesures contraires aux règles du traité CE, notamment à celles prévues aux articles 6 et 85 à 94. Cette disposition implique nécessairement que les États membres peuvent accorder à certaines entreprises des droits exclusifs et leur conférer ainsi un monopole.

28. L'article 90, paragraphe 2, prévoit que les entreprises qui sont chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles du traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, sous la réserve cependant que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

29. Dans l'arrêt du 6 juillet 1982, France, Italie et Royaume-Uni/Commission (188-80, 189-80 et 190-80, Rec. p. 2545, point 12), la Cour a constaté que l'article 90 ne concerne que les entreprises pour le comportement desquelles les États doivent assumer une responsabilité particulière en raison de l'influence qu'ils peuvent exercer sur ce comportement et que cette disposition, d'une part, souligne que lesdites entreprises, sous réserve des précisions apportées par son paragraphe 2, sont soumises à l'ensemble des règles du traité et, d'autre part, enjoint aux États membres de respecter ces règles dans leurs rapports avec ces entreprises.

30. A la lumière de ces constatations, l'article 90, paragraphe 1, doit être interprété en ce sens qu'il vise à éviter que les États membres profitent de leurs rapports avec ces entreprises pour contourner les interdictions d'autres règles du traité qui s'adressent directement à eux, telles celles des articles 30, 34 et 37, en obligeant ou en amenant ces entreprises à avoir des comportements qui, dans le chef des États membres, seraient contraires auxdites règles.

31. C'est dans ce contexte que le paragraphe 2 de cette disposition fixe les conditions dans lesquelles les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général peuvent exceptionnellement échapper aux règles du traité.

32. Il résulte de la combinaison des paragraphes 1 et 2 de l'article 90, telle que leur portée vient d'être définie, que le paragraphe 2 peut être invoqué pour justifier l'octroi, par un État membre, à une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général, de droits exclusifs contraires notamment à l'article 37 du traité, dans la mesure où l'accomplissement de la mission particulière qui lui a été impartie ne peut être assuré que par l'octroi de tels droits et pour autant que le développement des échanges n'est pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

33. Dans ces conditions, il convient également de vérifier si, comme le soutient la Commission à titre subsidiaire, ces conditions ne sont pas en l'espèce remplies.

Quant à la nécessité des droits exclusifs litigieux pour l'accomplissement de la mission de la SEP

34. La Commission ne conteste pas que la SEP peut être considérée comme une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Elle fait toutefois valoir que le Gouvernement néerlandais n'a avancé aucun argument de nature à prouver que les autres conditions d'application de cette disposition sont remplies en l'espèce, et notamment que l'application des règles du traité ferait directement ou indirectement échec à l'accomplissement de la mission particulière de la SEP.

35. Dans ce contexte, la Commission rappelle qu'il résulte notamment des arrêts du 19 mai 1993, Corbeau (C-320-91, Rec. p. I-2533, point 16), et du 27 avril 1994, Almelo e.a. (C-393-92, Rec. p. I-1477, point 49), que l'article 90, paragraphe 2, du traité n'autorise les mesures contraires au traité que dans la mesure où celles-ci sont nécessaires pour permettre à l'entreprise concernée de remplir sa mission d'intérêt économique général dans des conditions économiques acceptables et, dès lors, que si elles sont nécessaires à l'équilibre financier de l'entreprise elle-même. Aussi, elle soutient qu'il aurait appartenu au Gouvernement néerlandais d'établir qu'il existerait, en cas de suppression des droits exclusifs d'importation litigieux, un risque d'écrémage de la part des importateurs d'électricité qui se concentreraient sur les activités les plus lucratives en laissant les moins lucratives à la SEP, qu'un tel risque serait de nature à compromettre la viabilité économique de celle-ci et qu'il n'existerait pas d'autres mesures moins entravantes pour les échanges, qui permettraient également d'assurer le respect des obligations de service public en cause, telle notamment une péréquation des coûts liés aux obligations de service public entre, d'un côté, la SEP et, de l'autre côté, les importateurs.

36. Il convient d'examiner successivement, d'une part, si l'interprétation restrictive du champ d'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité, soutenue par la Commission, est correcte et, d'autre part, si les exigences en matière de preuve qu'elle fait valoir à l'encontre du Gouvernement défendeur sont en l'espèce fondées.

37. En tant que disposition permettant de déroger aux règles du traité, l'article 90, paragraphe 2, est d'interprétation stricte.

38. Toutefois, le libellé même de l'article 90, paragraphe 2, montre que des dérogations aux règles du traité sont permises dès qu'elles sont nécessaires à l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général.

39. Par ailleurs, dans l'arrêt du 19 mars 1991, France/Commission (C-202-88, Rec. p. I-1223, point 12), la Cour a constaté que, en permettant, sous certaines conditions, des dérogations aux règles générales du traité, l'article 90, paragraphe 2, vise à concilier l'intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises, notamment du secteur public, en tant qu'instrument de politique économique ou fiscale avec l'intérêt de la Communauté au respect des règles de concurrence et à la préservation de l'unité du marché commun.

40. Compte tenu de l'intérêt ainsi défini des États membres, il ne saurait leur être interdit de tenir compte, lorsqu'ils définissent les services d'intérêt économique général dont ils chargent certaines entreprises, d'objectifs propres à leur politique nationale et d'essayer de réaliser ceux-ci au moyen d'obligations et contraintes qu'ils imposent auxdites entreprises.

41. Il y a lieu de rappeler, en outre, que, dans l'arrêt Almelo e.a., précité (point 48), la Cour a admis, en ce qui concerne une entreprise régionale chargée de la distribution d'électricité, que relève d'une mission d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, la fourniture ininterrompue d'énergie électrique, sur l'intégralité du territoire concédé, à tous les consommateurs, distributeurs locaux ou utilisateurs finals, dans les quantités demandées à tout moment, à des tarifs uniformes et à des conditions qui ne peuvent varier que selon des critères objectifs applicables à tous les clients.

42. De même, la Commission, dans sa décision 91-50/CEE, du 16 janvier 1991, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE [IV/32.732 - IJsselcentrale (IJC) et autres] (JO L 28, p. 32), a déjà reconnu qu'une entreprise qui a pour mission essentielle de veiller au fonctionnement fiable et efficace de la distribution publique d'électricité sur le territoire national à des coûts aussi bas que possible et de manière raisonnable pour la société fournit des services d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2.

43. Il y a donc lieu de conclure que, pour que les règles du traité ne soient pas applicables à une entreprise chargée d'un service d'intérêt économique général en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité, il suffit que l'application de ces règles fasse échec à l'accomplissement, en droit ou en fait, des obligations particulières qui incombent à cette entreprise. Il n'est pas nécessaire que la survie de l'entreprise soit elle-même menacée.

44. Quant à la question de savoir si, en l'espèce, le Gouvernement néerlandais a démontré, à suffisance de droit, que les droits exclusifs d'importation de la SEP sont nécessaires pour lui permettre de remplir la mission particulière qui lui a été impartie, il y a lieu de relever que, dans sa lettre de mise en demeure, la Commission s'est essentiellement contentée d'affirmer que le Royaume des Pays-Bas ne pouvait plus maintenir, à l'égard des autres États membres, des droits exclusifs d'importation dans le domaine de l'électricité, qui étaient, selon elle, incompatibles avec les articles 30 et 37 du traité.

45. Dans sa réponse, le Gouvernement néerlandais a présenté une description détaillée du fonctionnement du système national d'approvisionnement en électricité, tel qu'il se présentait après l'adoption de l'EW, et a rappelé en particulier que, aux termes de l'article 2 de celle-ci, la mission confiée à la SEP consiste à veiller, ensemble avec les entreprises productrices d'électricité, "au bon fonctionnement de l'approvisionnement public national en électricité à des coûts aussi faibles que possible et de manière responsable vis-à-vis de la collectivité". Après avoir notamment regretté que la Commission n'eût pas discuté, dans sa lettre de mise en demeure, de l'application éventuelle de l'article 90, paragraphe 2, du traité, bien qu'elle eût reconnu, dans sa décision 91-50, précitée, que la SEP relevait de cette disposition, le Gouvernement néerlandais a expliqué les raisons pour lesquelles, selon lui, en cas de suppression des droits exclusifs d'importation de la SEP, tout le système d'approvisionnement public en électricité serait sérieusement ébranlé.

46. Dans son avis motivé, la Commission n'a guère engagé la discussion sur ce point, mais s'est plutôt penchée sur les considérations juridiques selon lesquelles elle persistait à estimer que le maintien des droits exclusifs litigieux était incompatible avec les articles 30 et 37 du traité. Quant à l'article 90, paragraphe 2, elle s'est contentée d'affirmer que cette disposition ne s'appliquait pas à des mesures étatiques contraires à ces articles et que, en tout état de cause, le Gouvernement néerlandais n'avait pas démontré que les mesures incriminées étaient proportionnées aux objectifs poursuivis.

47. Dans sa note d'observations relative à l'avis motivé, le Gouvernement néerlandais a décrit de manière encore plus précise le système national d'approvisionnement en électricité et a critiqué le fait que la Commission n'attachait pas assez d'importance à la question de savoir si un tel système pouvait fonctionner efficacement s'il était soumis aux seules forces libres du marché. Il a insisté en particulier sur les liens indissolubles existant entre les différents éléments du système néerlandais et notamment entre les droits d'importation et l'obligation de maintenir les coûts de l'approvisionnement public en électricité à un niveau aussi bas que possible, conformément à ce que prévoit l'article 2 de l'EW.

48. Quant à la Commission, elle a continué, dans sa requête, à se limiter, pour l'essentiel, à rappeler ses arguments juridiques, tels qu'ils ressortent notamment des points 34 et 35 du présent arrêt. Tout au plus a-t-elle ajouté que rien ne laisse penser que la suppression des droits exclusifs litigieux exercerait sur les résultats financiers positifs que la SEP a connus notamment en 1993 une pression telle que celle-ci ne serait plus en mesure d'accomplir les missions qui lui ont été imparties. Elle ne s'est toutefois pas engagée dans une analyse des divers facteurs mis en exergue par le Gouvernement néerlandais.

49. Devant la Cour, le Gouvernement néerlandais a réitéré son analyse selon laquelle la SEP ne pourrait s'acquitter des tâches qui lui ont été confiées que dans la mesure où les importations d'électricité destinée à la distribution publique sont canalisées par elle. Il a une nouvelle fois insisté sur le fait que le régime d'importation constitue un élément indissociable de l'intégralité du système national d'approvisionnement en électricité, qui ne saurait être apprécié isolément, mais devrait s'accorder avec le système global de planification mis en place par l'EW et géré par la SEP. A cet égard, il a notamment fait valoir que le régime d'importation a été élaboré pour éviter que ce système de planification ne soit contrecarré par des importations indépendantes faites par des sociétés de production et de distribution et que son abolition priverait ce système de sa raison d'être et de son efficacité.

50. Dans son mémoire en réplique, la Commission a continué à affirmer que le Gouvernement néerlandais n'avait pas démontré que le maintien des droits exclusifs litigieux crée les recettes indispensables pour l'accomplissement des tâches confiées à la SEP. Elle a ajouté que non seulement le Gouvernement néerlandais n'avait apporté aucun élément permettant de chiffrer l'importance financière du monopole d'importation de la SEP, mais qu'il n'avait pas non plus démontré l'existence d'un lien de causalité entre la suppression des droits exclusifs et l'accomplissement par la SEP de ses obligations de service public.

51. Il convient, certes, de rappeler que, s'agissant d'une dérogation aux règles fondamentales du traité, il incombe à l'État membre qui invoque l'article 90, paragraphe 2, du traité de démontrer que les conditions d'application de cette disposition sont réunies.

52. Toutefois, comme la Cour l'a constaté aux points 37 à 43 du présent arrêt, contrairement à la thèse de la Commission, il n'est pas nécessaire, pour que les conditions d'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité soient remplies, que l'équilibre financier ou la viabilité économique de l'entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général soit menacée. Il suffit que, en l'absence des droits litigieux, il soit fait échec à l'accomplissement des missions particulières imparties à l'entreprise, telles qu'elles sont précisées par les obligations et contraintes pesant sur elle.

53. En outre, il résulte de l'arrêt Corbeau, précité (points 14 à 16), que les conditions d'application de l'article 90, paragraphe 2, sont notamment remplies si le maintien de ces droits est nécessaire pour permettre à leur titulaire d'accomplir les missions d'intérêt économique général qui lui ont été imparties dans des conditions économiquement acceptables.

54. Or, il est incontestable que, en cas de suppression des droits exclusifs d'importation de la SEP, non seulement certains consommateurs, mais également les sociétés de distribution, iraient s'approvisionner sur les marchés étrangers lorsque les prix y pratiqués sont plus bas que ceux pratiqués par la SEP. En effet, cette possibilité serait l'un des objets principaux de l'ouverture du marché.

55. Compte tenu des caractéristiques inhérentes à l'électricité et des modalités de sa production, de son transport et de sa distribution, telles qu'elles existent aux Pays-Bas, il est tout aussi évident qu'une telle ouverture du marché entraînerait des modifications substantielles de la gestion du système national d'approvisionnement, notamment en ce qui concerne l'obligation impartie à la SEP de contribuer, moyennant la planification dont elle a la charge, au bon fonctionnement dudit système à des coûts aussi faibles que possible et de manière responsable à l'égard de la collectivité.

56. La Commission n'a d'ailleurs pas contesté cette évidence, mais s'est contentée d'énumérer, en des termes généraux, certains moyens de remplacement des droits litigieux qui auraient pu être adoptés, telle une péréquation des coûts liés aux obligations de service public entre, d'un côté, la SEP et, de l'autre côté, les importateurs.

57. Force est toutefois de constater que, en renvoyant ainsi, en des termes généraux, à certains moyens de remplacement des droits litigieux, la Commission n'a ni tenu compte des particularités du système national d'approvisionnement en électricité mises en exergue par le Gouvernement néerlandais ni examiné concrètement si ces moyens permettraient à la SEP d'accomplir la mission d'intérêt économique général dont elle est chargée dans le respect des obligations et contraintes qui lui sont imposées et dont la Commission n'a contesté ni la légitimité ni la légalité.

58. Or, s'il est vrai qu'il incombe à l'État membre invoquant l'article 90, paragraphe 2, de démontrer que les conditions prévues par cette disposition sont réunies, cette charge de la preuve ne saurait aller jusqu'à exiger de cet État membre, lorsqu'il expose de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles, en cas de suppression des mesures incriminées, l'accomplissement, dans des conditions économiquement acceptables, des missions d'intérêt économique général dont il a chargé une entreprise, serait, à ses yeux, mis en cause, d'aller encore plus loin pour démontrer, de manière positive, qu'aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne puisse permettre d'assurer l'accomplissement desdites missions dans les mêmes conditions.

59. En effet, dans le cadre d'une procédure en manquement en vertu de l'article 169 du traité, il incombe à la Commission d'établir l'existence du manquement allégué et d'apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l'existence de ce manquement (voir arrêt du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96-81, Rec. p. 1791, point 6).

60. A cet égard, il y a lieu de rappeler que le but de la procédure précontentieuse prévue à l'article 169 du traité est de permettre à l'État membre de se conformer volontairement aux exigences du traité ou, le cas échéant, de lui donner l'occasion de justifier sa position (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 1986, Commission/Belgique, 85-85, Rec. p. 1149, point 11). C'est précisément ce que le Gouvernement néerlandais a fait en invoquant, dès sa réponse à la lettre de mise en demeure de la Commission, un certain nombre d'arguments susceptibles de justifier le maintien des droits exclusifs litigieux au titre, notamment, de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

61. L'avis motivé doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons qui ont amené la Commission à la conviction que l'État intéressé a manqué à l'une des obligations qui lui incombent en vertu du traité (voir, notamment, arrêt du 17 septembre 1996, Commission/Italie, C-289-94, Rec. p. I-4405, point 16). En l'espèce, les raisons avancées par la Commission à cet égard étaient essentiellement des considérations juridiques en vertu desquelles les justifications avancées par le Gouvernement néerlandais n'étaient pas pertinentes.

62. L'objet de la requête éventuelle de la Commission est de préciser, en fonction de la procédure précontentieuse, les griefs sur lesquels la Commission invite la Cour à se prononcer, ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés (voir, notamment, arrêt Commission/Grèce, précité, point 28). En l'espèce, la Commission s'est encore limitée essentiellement à une argumentation de pur droit.

63. Or, le cadre du litige ayant été ainsi défini, la Cour doit se tenir à un jugement sur le bien-fondé des moyens juridiques que la Commission a avancés. Il n'appartient certainement pas à la Cour, sur la base d'observations d'ordre général faites au stade du mémoire en réplique, de se livrer à une appréciation, comportant nécessairement une appréciation d'éléments économiques, financiers et sociaux, des moyens qu'un État membre pourrait adopter afin d'assurer l'approvisionnement du pays en électricité à des coûts aussi bas que possible et de manière responsable à l'égard de la collectivité.

64. Compte tenu de ce qui précède et, notamment, de ce que la Cour n'a pas retenu l'approche juridique sur laquelle étaient fondés tant l'avis motivé que la requête de la Commission, la Cour n'est pas en mesure de procéder, dans le cadre de la présente affaire, à un examen de la question de savoir si, en accordant des droits exclusifs d'importation à la SEP, le Royaume des Pays-Bas a effectivement dépassé les limites de ce qui est nécessaire pour permettre à cet établissement d'accomplir, dans des conditions économiquement acceptables, les missions d'intérêt économique général qui lui ont été imparties.

65. Il convient, cependant, de rappeler que, pour que les droits exclusifs d'importation de la SEP puissent échapper à l'application des règles du traité au titre de l'article 90, paragraphe 2, de celui-ci, il faut encore que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

Quant à l'affectation du développement des échanges intracommunautaires

66. Au cours de la phase précontentieuse comme devant la Cour, le Gouvernement néerlandais a expliqué, sans être contredit par la Commission, que les importations d'électricité effectuées par la SEP ont représenté, au cours des dernières années, environ 15 % de la demande intérieure totale d'électricité et que, dans l'Union européenne, seule l'Italie présente un pourcentage d'importations comparable. Le Gouvernement néerlandais a également précisé que la capacité disponible des lignes transfrontalières est ainsi atteinte, compte tenu d'une capacité de réserve nécessaire pour les urgences.

67. Quant à la Commission, elle s'est simplement contentée de rappeler que, pour que certaines mesures puissent échapper à l'application des règles du traité au titre de l'article 90, paragraphe 2, il faut non seulement que cette application fasse directement ou indirectement échec à l'accomplissement de la mission particulière impartie, mais également que l'intérêt de la Communauté ne soit pas affecté, sans pour autant fournir une quelconque explication destinée à démontrer que, à cause des droits exclusifs d'importation de la SEP, les échanges intracommunautaires d'électricité se sont développés et continuent à se développer dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

68. Or, en l'espèce, elle aurait dû procéder à une telle démonstration.

69. En effet, eu égard aux explications du Gouvernement néerlandais, il appartenait à la Commission, pour prouver l'existence du manquement allégué, de définir, sous le contrôle de la Cour, l'intérêt de la Communauté au regard duquel il y a lieu d'évaluer le développement des échanges. Il convient, à cet égard, de rappeler que l'article 90, paragraphe 3, du traité charge expressément la Commission de veiller à l'application dudit article et d'adresser, en tant que de besoin, des directives ou des décisions appropriées aux États membres.

70. En l'occurrence, une telle définition s'imposait d'autant plus que le seul acte communautaire directement relatif aux échanges d'électricité, à savoir la directive 90-547-CEE du Conseil, du 29 octobre 1990, relative au transit d'électricité sur les grands réseaux (JO L 313, p. 30), constate expressément, à son sixième considérant, qu'il existe entre les grands réseaux électriques à haute tension des pays européens des échanges d'énergie électrique dont l'importance croît d'année en année.

71. La Commission ayant pris expressément soin de préciser que son recours concerne uniquement les droits exclusifs d'importation de la SEP et non d'autres droits existant notamment en matière de transport et de distribution, il lui incombait dès lors en particulier de démontrer comment, en l'absence de politique commune dans le domaine concerné, un développement des échanges directs entre producteurs et consommateurs, parallèlement à celui des échanges entre grands réseaux, aurait été possible compte tenu notamment des capacités et des modalités de transport et de distribution existantes.

72. Il résulte de l'ensemble de ces considérations que le recours de la Commission doit être rejeté.

Sur les dépens

73. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Aux termes de l'article 69, paragraphe 4, de ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.

3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, la République française ainsi que l'Irlande, parties intervenantes, supportent leurs propres dépens.