CJCE, 3e ch., 18 décembre 1997, n° C-5/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ballast Nedam Groep NV
Défendeur :
Belgische Staat
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moitinho de Almeida (faisant fonction)
Avocat général :
M. La Pergola
Juges :
MM. Puissochet (rapporteur), Sevón
Avocat :
Me Senelle
LA COUR (troisième chambre),
1 Par arrêt du 18 décembre 1996, parvenu à la Cour le 13 janvier 1997, le Raad van State van België a, en application de l'article 177 du traité CE, posé une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'arrêt de la Cour du 14 avril 1994, Ballast Nedam Groep (C-389-92, Rec. p. I-1289, ci-après l'"arrêt BNG I").
2 Cette question a été posée dans le cadre d'un litige qui oppose la société de droit néerlandais Ballast Nedam Groep (ci-après "BNG") à l'État belge au sujet du non-renouvellement de l'agréation accordée à cette société et qui a déjà donné lieu à une précédente question préjudicielle portant sur l'interprétation de la directive 71-304-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales (JO L 185, p. 1), et de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5).
3 La question posée par le Raad van State dans son premier renvoi préjudiciel était la suivante :
"La directive 71-304-CEE, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales, et la directive 71-305-CEE, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, en particulier ses articles 1er, 6, 21, 23 et 26, permettent-elles que, lors de l'application de la réglementation belge, relative à l'agréation des entrepreneurs, à la personne morale dominante d'un 'groupe' constitué selon le droit néerlandais, les critères auxquels l'entrepreneur doit satisfaire, entre autres en ce qui concerne la capacité technique, ne soient appréciés qu'en ne tenant compte que de l'entité juridique de cette personne morale dominante et non des 'sociétés du groupe' qui, chacune en tant que personne morale distincte, font partie de ce 'groupe' ?"
4 Dans l'arrêt BNG I, précité, la Cour a répondu à cette question que les directives 71-304 et 71-305 doivent être interprétées en ce sens qu'elles permettent, pour l'appréciation des critères auxquels doit satisfaire un entrepreneur lors de l'examen d'une demande d'agréation présentée par une personne morale dominante d'un groupe, de tenir compte des sociétés qui appartiennent à ce groupe, pour autant que la personne morale en cause établit qu'elle a effectivement la disposition des moyens de ces sociétés qui sont nécessaires à l'exécution des marchés. La Cour a ajouté qu'il appartenait au juge national d'apprécier si une telle justification était apportée en l'espèce au principal.
5 Les parties au litige ne s'accordant pas sur la portée à donner à cet arrêt, le Raad van State a décidé de poser à la Cour une nouvelle question préjudicielle, libellée comme suit:
"Le terme 'permettent', utilisé dans la locution 'permettent ... de tenir compte de ...', figurant dans le dispositif de l'arrêt rendu le 14 avril 1994 dans l'affaire C-389-92, doit-il être compris comme signifiant 'obligent' ?
Si le terme 'permettent' figurant dans la locution précitée ne doit pas être compris comme équivalant au terme 'obligent', cela signifie-t-il que l'État membre concerné dispose en la matière d'un pouvoir discrétionnaire, même lorsqu'il est satisfait à la condition énoncée par la Cour ?
Dans quels cas et pour quels motifs convient-il alors de tenir compte des sociétés qui appartiennent à une personne morale dominante d'un groupe ?"
6 Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, s'il résulte de l'arrêt BNG I que les directives 71-304 et 71-305 doivent être interprétées en ce sens que l'autorité compétente pour statuer sur une demande d'agréation présentée par une personne morale dominante d'un groupe est dans l'obligation, lorsqu'il est établi que cette personne morale a effectivement la disposition des moyens des sociétés appartenant au groupe qui sont nécessaires à l'exécution des marchés, de tenir compte desdites sociétés.
7 BNG et la Commission estiment que cette question appelle une réponse affirmative. Selon elles, lorsque la preuve est apportée que la personne morale dominante d'un groupe dispose effectivement des moyens des sociétés qui appartiennent à ce groupe, l'autorité compétente doit nécessairement tenir compte de ces sociétés.
8 Le Gouvernement belge soutient, de son côté, en se référant à l'arrêt du 9 juillet 1987, CEI e.a. (27-86, 28-96 et 29-86, Rec. p. 3347), que les États membres disposent d'une compétence discrétionnaire lorsqu'ils apprécient les critères de classification auxquels un entrepreneur doit satisfaire lors de l'examen d'une demande d'agréation déposée par une personne morale dominante d'un groupe, même si la condition établie par la Cour est remplie.
9 Cette dernière référence n'est pas pertinente. Si, comme la Cour l'a relevé au point 22 de l'arrêt CEI e.a., précité, les critères de classification dans les différentes listes officielles d'entrepreneurs agréés prévues par l'article 28 de la directive 71-305 ne sont pas harmonisés, il n'en est pas de même de certains des critères de sélection qualitative fixés par les articles 23 à 28, notamment des références probantes de la capacité économique et financière et des capacités techniques des entrepreneurs prévues aux articles 25 et 26. Or, il ressort clairement de l'arrêt BNG I que la condition énoncée par la Cour dans cet arrêt porte précisément sur les références destinées à démontrer les capacités techniques, financières et économiques d'une société désireuse d'obtenir son inscription sur une liste officielle d'entrepreneurs agréés.
10 En effet, dans cet arrêt, la Cour a d'abord affirmé qu'une société holding qui n'exécute pas elle-même des travaux ne peut pas, pour le seul motif que ses filiales qui exécutent les travaux sont des personnes morales distinctes, être écartée des procédures de participation aux marchés publics de travaux (point 15).
11 Elle a ensuite indiqué qu'il appartient aux pouvoirs adjudicateurs, ainsi que le précise l'article 20 de la directive 71-305, de procéder à la vérification de l'aptitude des entrepreneurs conformément aux critères mentionnés aux articles 25 à 28 de la même directive (point 16).
12 La Cour a enfin précisé que, lorsque, pour démontrer ses capacités techniques, financières et économiques, une société fait état des références de ses filiales, elle doit établir que, quelle que soit la nature du lien juridique qui l'unit à ces filiales, elle a effectivement la disposition des moyens de ces dernières qui sont nécessaires à l'exécution des marchés. Il appartient au juge national d'apprécier, au vu des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, si une telle justification est apportée en l'espèce au principal (point 17).
13 Il résulte de l'ensemble de ces considérations qu'une société holding qui n'exécute pas elle-même des travaux ne peut pas être écartée des procédures de participation aux marchés publics de travaux, et donc de l'inscription sur une liste officielle d'entrepreneurs agréés, si elle démontre qu'elle a effectivement la disposition des moyens de ses filiales qui sont nécessaires à l'exécution des marchés, à moins que les références de ces filiales ne répondent pas elles-mêmes aux critères de sélection qualitative mentionnés aux articles 23 à 28 de la directive 71-305.
14 Il y a donc lieu de répondre à la question posée que les directives 71-304 et 71-305 doivent être interprétées en ce sens que l'autorité compétente pour statuer sur une demande d'agréation présentée par une personne morale dominante d'un groupe est dans l'obligation, lorsqu'il est établi que cette personne a effectivement la disposition des moyens des sociétés appartenant au groupe qui sont nécessaires à l'exécution des marchés, de tenir compte des références desdites sociétés pour apprécier l'aptitude de la personne morale concernée conformément aux critères mentionnés aux articles 23 à 28 de la directive 71-305.
Sur les dépens
15 Les frais exposés par le Gouvernement belge et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Raad van State van België, par arrêt du 18 décembre 1996, dit pour droit:
La directive 71-304-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l'attribution de marchés publics de travaux par l'intermédiaire d'agences ou de succursales, et la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, doivent être interprétées en ce sens que l'autorité compétente pour statuer sur une demande d'agréation présentée par une personne morale dominante d'un groupe est dans l'obligation, lorsqu'il est établi que cette personne a effectivement la disposition des moyens des sociétés appartenant au groupe qui sont nécessaires à l'exécution des marchés, de tenir compte des références desdites sociétés pour apprécier l'aptitude de la personne morale concernée, conformément aux critères mentionnés aux articles 23 à 28 de la directive 71-305.