CJCE, 6e ch., 12 juillet 2001, n° C-399/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ordine degli Architetti delle province di Milano e Lodi; Piero De Amicis; Consiglio Nazionale degli Architetti; Leopoldo Freyrie
Défendeur :
Comune di Milano; Pirelli SpA; Milano Centrale Servizi SpA; Fondazione Teatro alla Scala
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Gulmann
Avocat général :
M. Léger
Juges :
MM. Skouris, Puissochet, Schintgen, Macken
Avocats :
Mes Mantini, Tizzano, Roversi Monaco, Pittalis, de Tuglie, Radicati di Brozolo, Kronshagen, Sala, Pappalardo, Greco, Sala, Pappalardo, Decio, Barile, Grassi, Gesmundo, Fiorilli
LA COUR (sixième chambre),
1 Par ordonnance du 11 juin 1998, parvenue à la Cour le 9 novembre 1998, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54, ci-après la "directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux recours engagés, l'un, par l'Ordine degli Architetti delle Province di Milano e Lodi (ordre des architectes des provinces de Milan et de Lodi, ci-après l'"Ordine degli Architetti") et M. De Amicis, architecte, l'autre, par le Consiglio Nazionale degli Architetti (Conseil national des architectes, ci-après le "CNA") et M. Freyrie, architecte, à l'encontre de la Ville de Milan. Ont été appelées en intervention les sociétés Pirelli SpA (ci-après "Pirelli") et Milano Centrale Servizi SpA (ci-après "MCS"), ainsi que la Fondazione Teatro alla Scala, anciennement Ente Autonomo Teatro alla Scala (ci-après la "FTS").
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 La directive a été adoptée sur le fondement des articles 57, paragraphe 2, du traité CE (devenu, après modification, article 47, paragraphe 2, CE), 66 du traité CE (devenu article 55 CE) et 100 A du traité CE (devenu, après modification, article 95 CE).
4 Aux termes du deuxième considérant de la directive, "la réalisation simultanée de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services en matière de marchés publics de travaux, conclus dans les États membres pour le compte de l'État, des collectivités territoriales et d'autres organismes de droit public, comporte, parallèlement à l'élimination des restrictions, une coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux".
5 Selon le dixième considérant de la directive, "le développement d'une concurrence effective dans le domaine des marchés publics nécessite une publicité communautaire des avis de marchés établis par les pouvoirs adjudicateurs des États membres".
6 L'article 1er, sous a), b) et c), de la directive prévoit:
"Aux fins de la présente directive:
a) les marchés publics de travaux sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre, d'une part, un entrepreneur et, d'autre part, un pouvoir adjudicateur défini au point b) et ayant pour objet soit l'exécution, soit conjointement l'exécution et la conception des travaux relatifs à une des activités visées à l'annexe II ou d'un ouvrage défini au point c), soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur;
b) sont considérés comme pouvoirs adjudicateurs l'État les collectivités territoriales, les organismes de droit public et les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.
[...]
c) on entend par ouvrage le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique".
7 Les "activités visées à l'annexe II", mentionnées à l'article 1er, sous a), de la directive, sont les activités de bâtiment et de génie civil correspondant à la classe 50 de la nomenclature générale des activités économiques dans les Communautés européennes (ci-après la "NACE"). Au nombre de ces activités figure expressément la catégorie relative à la construction d'immeubles.
8 L'article 3, paragraphe 4, de la directive dispose:
"Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les concessionnaires de travaux publics autres que les pouvoirs adjudicateurs appliquent les règles de publicité définies à l'article 11 paragraphes 4, 6, 7 et 9 à 13 et à l'article 16 dans la passation des marchés de travaux avec des tiers lorsque la valeur de ces marchés égale ou dépasse 5 000 000 d'[euro]. [...]"
9 Les articles 4 et 5 de la directive indiquent les types de marchés auxquels la directive ne s'applique pas. Il s'agit de marchés de travaux régis par la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 297, p. 1), de marchés de travaux lorsqu'ils sont déclarés secrets, lorsque leur exécution doit s'accompagner de mesures particulières de sécurité ou lorsque la protection des intérêts essentiels de l'État membre l'exige, ainsi que de marchés publics régis par des règles de procédure différentes et passés en vertu de certains accords internationaux ou de la procédure spécifique d'une organisation internationale.
10 L'article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit que la directive s'applique aux marchés publics de travaux dont le montant estimé hors TVA égale ou dépasse 5 millions d'euro.
11 En ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics de travaux, l'article 7 de la directive précise, dans ses paragraphes 2 et 3, les cas où les pouvoirs adjudicateurs peuvent recourir à la procédure négociée, laquelle est définie, à l'article 1er, sous g), de la directive, comme la procédure dans laquelle "les pouvoirs adjudicateurs consultent les entrepreneurs de leur choix et négocient les conditions du marché avec un ou plusieurs d'entre eux".
12 En particulier, l'article 7, paragraphe 2, de la directive prévoit trois cas dans lesquels la procédure négociée doit être précédée de la publication d'un avis de marché. L'article 7, paragraphe 3, quant à lui, énumère cinq cas dans lesquels la procédure négociée n'a pas à être précédée d'une telle publication, à savoir, premièrement, le cas où une procédure ouverte ou restreinte s'est révélée vaine, deuxièmement, le cas où il n'existe, en fait ou en droit, qu'un seul entrepreneur en mesure d'exécuter la prestation, troisièmement, le cas de l'urgence impérieuse résultant d'événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs, quatrièmement, le cas de travaux complémentaires à un marché déjà passé et, cinquièmement, le cas de travaux consistant dans la répétition d'ouvrages similaires ayant déjà fait l'objet d'un marché passé à la suite d'une procédure ouverte ou restreinte.
13 L'article 7, paragraphe 4, de la directive précise que, dans tous les autres cas, les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés de travaux en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte.
14 Selon l'article 11, paragraphe 2, de la directive, les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de travaux par procédure ouverte, restreinte ou négociée dans les cas visés à l'article 7, paragraphe 2, font connaître leur intention au moyen d'un avis.
15 Conformément à l'article 11, paragraphe 9, de la directive cet avis doit être publié in extenso au Journal officiel des Communautés européennes.
La législation nationale
La législation italienne en matière d'urbanisme
16 Il ressort du dossier que, en droit italien, l'activité de construction est soumise au contrôle des pouvoirs publics. Conformément à l'article 1er de la legge n° 10, norme per la edificabilità dei suoli (loi n° 10, portant dispositions concernant les terrains constructibles), du 28 janvier 1977 (GURI n° 27, du 29 janvier 1977, ci-après la "loi n° 10-77"), "[t]oute activité comportant une transformation urbanistique et immobilière du territoire communal entraîne une participation aux charges qui s'y rapportent et l'exécution des ouvrages est subordonnée à l'octroi par le maire d'un permis".
17 Aux termes de l'article 3 de la même loi, intitulé "Contribution au titre de l'octroi du permis de construire", "[l]'octroi du permis entraîne le versement d'une contribution proportionnelle à l'ampleur des dépenses d'équipement et aux coûts de la construction" (ci-après la "contribution aux charges d'équipement").
18 La contribution aux charges d'équipement est versée à la commune au moment de l'octroi du permis. Toutefois, conformément à l'article 11, paragraphe 1, de la loi n° 10-77, "le titulaire du permis peut s'engager à réaliser directement les ouvrages d'équipement, selon les modalités et les garanties fixées par la commune, en déduction totale ou partielle du montant dû".
19 Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, de la legge n° 847, autorizzazione ai Comuni e loro consorzi a contrarre mutui per l'acquisizione delle aree ai sensi della legge 18 aprile 1962, n° 167 (loi n° 847, autorisant les communes et les groupements de communes à contracter des prêts pour l'acquisition de terrains conformément à la loi n° 167, du 18 avril 1962), du 29 septembre 1964, telle que modifiée par les articles 44 de la loi n° 865, du 22 janvier 1971, et 17 de la loi n° 67, du 11 mars 1988 (ci-après la "loi n° 847-64"), constituent des ouvrages d'équipement primaire les voies résidentielles, les aires de repos et de stationnement, les égouts, les réseaux hydriques, les réseaux de distribution de l'énergie électrique et du gaz, l'éclairage public, ainsi que les espaces verts équipés.
20 Aux termes de l'article 4, paragraphe 2, de la même loi, constituent des ouvrages d'équipement secondaire les crèches et les écoles maternelles, les écoles obligatoires ainsi que les structures et complexes destinés à l'enseignement supérieur postérieur à l'école obligatoire, les marchés de quartier, les antennes de services municipaux, les églises et les autres édifices religieux, les installations sportives de quartier, les centres sociaux et les équipements culturels et sanitaires, ainsi que les espaces verts de quartier.
21 Des dispositions semblables à celles de l'article 11, paragraphe 1, de la loi n° 10-77, quoique uniquement pour les ouvrages d'équipement primaire, figuraient déjà à l'article 31, paragraphe 4, de la legge urbanistica (loi d'urbanisme) n° 1150, du 17 août 1942 (GURI n° 244, du 17 août 1942), dans sa version résultant de la loi-cadre n° 765, du 6 août 1967 (ci-après la "loi n° 1150-42"), qui dispose que "l'octroi du permis de construire est dans tous les cas subordonné à l'existence des ouvrages d'équipement primaire ou à la prévision, par la commune, de leur réalisation dans les trois années qui suivent ou à l'engagement des particuliers de procéder à l'exécution de ces mêmes ouvrages en même temps que les constructions qui font l'objet du permis".
22 S'agissant, de manière plus spécifique, de la réalisation coordonnée d'un ensemble de travaux par la voie d'un plan de lotissement, hypothèse qui correspond aux faits au principal, l'article 28, paragraphe 5, de la loi n° 1150-42 prévoit à cet égard:
"L'autorisation de la commune est subordonnée à la conclusion d'une convention, qui doit être transcrite à la diligence du propriétaire, prévoyant:
1) [...] la cession à titre gratuit des terrains nécessaires aux ouvrages d'équipement secondaire dans les limites des dispositions du point 2;
2) l'engagement du propriétaire de supporter les charges inhérentes aux ouvrages d'équipement primaire ainsi qu'une quote-part des ouvrages d'équipement secondaire inhérents au lotissement ou des ouvrages qui sont nécessaires en vue du raccordement de la zone aux services publics; le montant de la quote-part est proportionnel à l'importance et aux caractéristiques des ouvrages prévus dans les lotissements;
3) les délais d'achèvement des ouvrages prévus au paragraphe précédent ne peuvent pas dépasser dix ans;
[...]"
23 L'article 28, paragraphe 9, de la même loi dispose que "[l]e délai d'exécution des ouvrages d'équipement mis à charge du propriétaire est fixé à dix ans".
24 Quant à la législation régionale, l'article 8 de la loi régionale de Lombardie n° 60, du 5 décembre 1977 (Bolletino Ufficiale della Regione Lombardia, 2e supplément au n° 49, du 12 décembre 1977, ci-après la "loi régionale de Lombardie n° 60-77"), prévoit que les particuliers peuvent, dans la demande d'octroi d'un permis de construire simple, demander à "être autorisés à réaliser directement un ou plusieurs ouvrages d'équipement primaire ou secondaire en déduction totale ou partielle de la contribution aux charges d'équipement", l'autorisation étant délivrée par le maire "pour autant qu'il considère que cette réalisation directe convient à l'intérêt public".
25 En revanche, la réalisation des ouvrages d'équipement prévus par un plan de lotissement est régie par l'article 12 de la même loi régionale, tel que modifié par la loi régionale n° 31, du 30 juillet 1986 (Bolletino Ufficiale della Regione Lombardia, 2e supplément au n° 31, du 4 août 1986, ci-après la "loi régionale de Lombardie n° 31-86"). Cet article dispose, en son paragraphe 1:
"[...] la convention dont dépend l'octroi des permis de construire afférents aux opérations prévues par les plans de lotissement doit prévoir:
a) [...]
b) la réalisation, à charge des propriétaires, de tous les ouvrages d'équipement primaire et d'une quote-part des ouvrages d'équipement secondaire ou de ceux qui sont nécessaires en vue du raccordement de la zone aux services publics [...]; lorsque la réalisation des ouvrages comporte des charges inférieures à ce qui avait été prévu distinctement pour l'équipement primaire et pour l'équipement secondaire au sens de la présente loi, la différence devra être versée; la commune a en tout cas la possibilité d'exiger, en lieu et place de la réalisation directe des ouvrages, le paiement d'une somme proportionnelle au coût effectif des ouvrages d'équipement inhérents aux lotissements ainsi qu'à l'importance et aux caractéristiques des constructions qui, de toute façon, ne peut pas être inférieure aux charges prévues par la décision municipale prévue à l'article 3 de la présente loi".
26 Par ailleurs, l'article 22, sous b), de la loi régionale de Lombardie n° 51, du 15 avril 1975, établit une liste des ouvrages d'équipement secondaire incluant les équipements culturels.
La législation italienne en matière de procédure administrative
27 Aux termes de l'article 11 de la legge n° 241, nuove norme in materia di procedimento amministrativo e di diritto di accesso ai documenti amministrativi (loi n° 241, portant nouvelles règles en matière de procédure administrative et de droit d'accès aux documents administratifs), du 7 août 1990 (GURI n° 192, du 18 août 1990, ci-après la "loi n° 241-90"), l'administration "peut conclure, sans préjudice des droits des tiers et, de toute façon, à des fins d'intérêt public, des accords avec les intéressés afin de déterminer le contenu discrétionnaire de l'acte final ou, dans les cas prévus par la loi, de substituer ces accords à celui-ci".
Le litige au principal et les questions préjudicielles
28 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, à l'origine de la procédure qui a donné lieu à la présente demande préjudicielle, se trouvent deux recours en annulation formés contre les délibérations n° 82-96, du 12 septembre 1996, et 6-98, des 16 et 17 février 1998, du conseil municipal de Milan (ci-après les "délibérations attaquées").
29 Par sa délibération n° 82-96, le conseil municipal de Milan a approuvé un programme de travaux, comportant différentes opérations, dénommé "projet Scala 2001".
30 Ce projet prévoyait la réalisation des travaux suivants:
- la restauration et l'aménagement de l'édifice historique du théâtre de la Scala, d'une superficie d'environ 30 000 m2;
- l'aménagement des bâtiments municipaux du complexe immobilier Ansaldo;
- la construction, enfin, dans la zone dite "de la Bicocca", d'un nouveau théâtre (communément appelé "Teatro alla Bicocca", officiellement dénommé "Teatro degli Arcimboldi") d'environ 2 300 places, sur un terrain d'une superficie de 25 000 m2 (plus 2 000 m2 d'aire de stationnement), destiné à accueillir, dans un premier temps, les activités du théâtre de la Scala, pour la période nécessaire à l'exécution des travaux relatifs à la restauration et à l'aménagement de ce dernier, puis, dans un deuxième temps, toutes les activités inhérentes aux représentations d'œuvres théâtrales ainsi que d'autres manifestations à caractère culturel.
31 Il ressort du dossier qu'était alors en cours de réalisation dans la zone de la Bicocca un important lotissement d'initiative privée, dit "projet Bicocca", tendant à la reconversion urbanistique de cette ancienne zone industrielle et prévoyant l'aménagement d'un vaste ensemble de constructions, dans le cadre duquel Pirelli agissait, conjointement avec d'autres opérateurs privés, en qualité de propriétaire lotisseur. Cette initiative privée, engagée depuis 1990, était en voie d'achèvement à l'époque des faits. Dans le cadre des mesures urbanistiques envisagées sur les terrains concernés, la Ville de Milan avait déjà prévu la réalisation d'une structure d'intérêt général "de caractère pluricommunal". Elle a décidé que la construction du nouveau théâtre prévue dans le projet "Scala 2001" ferait partie de cette structure.
32 Par sa délibération n° 82-96, le conseil municipal de Milan a également adopté une série d'engagements relatifs à la réalisation des travaux, aux délais et au financement du projet "Scala 2001" en approuvant une convention spécifique conclue par la Ville de Milan avec Pirelli, l'Ente Autonomo Teatro alla Scala et MCS, mandataire des promoteurs du projet "Bicocca". Cette convention, qui a été signée le 18 octobre 1996, prévoyait notamment les modalités d'exécution suivantes pour ce qui concerne le volet "Bicocca" du projet "Scala 2001":
- Pirelli prendrait à sa charge les frais inhérents à la coordination des phases du projet préliminaire, du projet définitif et du projet d'exécution, ainsi que de la phase de réalisation des opérations de restauration du théâtre de la Scala, d'aménagement des bâtiments du complexe immobilier Ansaldo et de construction du théâtre de la Bicocca, les tâches de coordination concrète étant confiées à MCS;
- MCS, en tant que mandataire des promoteurs du projet de lotissement, réaliserait dans la zone concernée par ce lotissement et sur le terrain prévu à cet effet, que les promoteurs avaient pris l'engagement de céder gratuitement à la Ville de Milan, le théâtre de la Bicocca (ainsi que l'aire de stationnement y annexée) en tant qu'ouvrage d'équipement secondaire, en déduction du montant des contributions aux charges d'équipement dues à la Ville de Milan en vertu de la législation italienne, nationale et régionale. Il était précisé que l'engagement de MCS se limitait à la réalisation de l'"enveloppe extérieure" du bâtiment, en pourvoyant à la mise en place de toutes les installations. MCS assumerait, entre autres, l'obligation de livrer l'édifice avant la fin de 1998;
- l'aménagement intérieur du théâtre de la Bicocca resterait, en revanche, à la charge de la Ville de Milan qui recourrait, pour sa réalisation, à une procédure de marché public.
33 L'Ordine degli Architetti et, à titre individuel, M. De Amicis ont attaqué en annulation la délibération n° 82-96 devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia.
34 À la suite de nouvelles orientations prises au début de l'année 1998 par la nouvelle administration communale, qui souhaitait que les dimensions du théâtre de la Bicocca permettent d'accueillir davantage de public qu'au théâtre de la Scala, le conseil municipal de Milan a adopté la délibération n° 6-98, par laquelle il a notamment:
- approuvé l'avant-projet de construction du nouveau théâtre dans la zone de la Bicocca;
- confirmé que la réalisation de cet ouvrage serait effectuée pour partie par exécution directe de la part des lotisseurs, "conformément à leurs obligations contractuelles relatives au plan de lotissement" - le montant des travaux à réaliser par les lotisseurs devant s'élever à 25 milliards de ITL -, et pour partie par procédure d'adjudication à la diligence de la Ville de Milan;
- apporté des modifications à la convention du 18 octobre 1996 en ce qui concerne les délais de réalisation de certaines des mesures prévues; en particulier, la date indiquée pour l'achèvement du théâtre de la Bicocca était désormais fixée au 31 décembre 2000.
35 Le CNA et, à titre individuel, M. Freyrie ont attaqué en annulation la délibération n° 6-98 devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia.
36 Dans les deux recours en annulation introduits devant cette juridiction et joints au principal, les requérants contestent la validité des délibérations attaquées tant au regard du droit italien en matière d'urbanisme et de marchés publics qu'au regard du droit communautaire. Concernant en particulier ce dernier aspect, ils soutiennent que le théâtre de la Bicocca présente les caractéristiques d'un ouvrage public, en sorte que le conseil municipal de Milan aurait dû recourir à la procédure d'appel d'offres communautaire; or, il aurait au contraire, par les délibérations attaquées, attribué le marché de gré à gré, en lésant les intérêts catégoriels de l'Ordine degli Architetti et des architectes demandeurs.
37 Dans son ordonnance de renvoi, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia constate notamment que la Ville de Milan a correctement appliqué la législation italienne, nationale et régionale, en matière d'urbanisme. Éprouvant toutefois des doutes sur la question de savoir si cette législation devrait être laissée inappliquée en tant qu'elle permet la réalisation, sans mise en concurrence préalable, d'un ouvrage d'équipement dont la valeur dépasse le seuil fixé par la directive, il a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les dispositions nationales et régionales qui permettent au constructeur (titulaire d'un permis de construire ou d'un plan de lotissement approuvé) de réaliser directement des ouvrages d'équipement, en déduction de tout ou partie de la contribution due (article 11 de la loi n° 10-77, articles 28 et 31 de la loi n° 1150, du 17 août 1942; articles 8 et 12 de la loi régionale n° 60, du 5 décembre 1977, de la Lombardie), sont-elles contraires à la directive 93-37-CEE, eu égard aux principes de stricte mise en concurrence que l'ordre juridique communautaire impose aux États membres pour tous les marchés publics d'une valeur égale ou supérieure à 5 000 000 [euro] ?
2) Nonobstant les principes de mise en concurrence mentionnés ci-dessus, est-il possible de considérer comme compatibles avec l'ordre juridique communautaire les accords entre pouvoirs publics et particuliers (autorisés de manière générale par l'article 11 de la loi n° 241, du 7 août 1990) dans des domaines qui se caractérisent par le choix, par les pouvoirs publics, d'un interlocuteur privé avec lequel ils conviennent de certaines prestations lorsque ces prestations excèdent le seuil de pertinence prévu par les directives en la matière ?"
Sur la première question préjudicielle
Sur la recevabilité
38 La Ville de Milan et la FTS contestent l'existence d'un rapport entre la première question et l'objet du litige au principal.
39 Elles font observer que, eu égard à la qualité des requérants au principal, qui sont des architectes et des organes professionnels représentant les architectes, la juridiction de renvoi a limité la recevabilité des recours au principal aux seuls aspects relatifs à l'attribution du travail de conception du théâtre de la Bicocca, à l'exclusion de ceux concernant l'exécution des travaux de construction. Un tel travail de conception constituerait une prestation de services. Or, la première question porterait sur l'interprétation de la directive 93-37, qui a pour objet les marchés publics de travaux et non pas de services, lesquels sont régis par la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).
40 En outre, le travail de conception en question ayant été purement et simplement offert à la Ville de Milan, son coût n'entrerait pas dans le coût de construction du théâtre de la Bicocca dont la réalisation directe "en déduction" de la contribution aux charges d'équipement aurait lésé les intérêts des architectes.
41 Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l'article 177 du traité, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, non encore publié au Recueil, point 38). Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire sollicitée n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt PreussenElektra, précité, point 39).
42 En l'espèce, il ressort de l'ordonnance de renvoi que les requérants au principal contestent les délibérations attaquées en ce sens qu'elles auraient permis la réalisation directe d'un ouvrage public, à savoir le théâtre de la Bicocca, sans recourir à une procédure d'appel d'offres communautaire, et auraient ainsi porté atteinte à leurs intérêts. Il ressort encore de cette ordonnance que les recours ainsi formés par les requérants au principal ont été déclarés recevables.
43 Il ne fait pas de doute que, si une procédure d'appel d'offres communautaire devait avoir lieu pour la construction du théâtre de la Bicocca, celle-ci pourrait couvrir le volet relatif au travail de conception. Qu'une telle possibilité existe dans le cadre de la directive est d'ailleurs confirmé par le libellé de son article 1er, sous a), selon lequel, aux fins de la directive, les "marchés publics de travaux" sont des contrats ayant pour objet soit l'exécution, soit conjointement l'exécution et la conception des travaux.
44 Il s'ensuit que l'argument selon lequel la première question, parce qu'elle porte sur l'interprétation de la directive, n'a pas de rapport avec l'objet du litige au principal doit être rejeté.
45 Compte tenu de ces constatations, l'argument tiré du caractère gracieux du travail de conception du théâtre de la Bicocca n'est pas de nature à remettre en cause la pertinence de la première question.
46 Il y a donc lieu de répondre à cette question.
Sur le fond
47 La première question porte sur la compatibilité avec la directive des dispositions nationales et régionales en cause au principal qui permettent la réalisation directe d'un ouvrage d'équipement en déduction de tout ou partie de la contribution due.
48 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre d'une procédure introduite en vertu de l'article 177 du traité, la Cour n'est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d'une mesure nationale avec le droit communautaire. Elle est toutefois compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d'apprécier cette compatibilité pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie (voir, notamment, arrêt du 30 avril 1998, Sodiprem e.a., C-37-96 et C-38-96, Rec. p. I-2039, point 22).
49 Il convient, dès lors, de comprendre la première question comme tendant à savoir si la directive s'oppose à une législation nationale en matière d'urbanisme lorsque celle-ci permet la réalisation directe, par le titulaire d'un permis de construire ou d'un plan de lotissement approuvé, d'un ouvrage d'équipement, en déduction de tout ou partie de la contribution due au titre de l'octroi du permis, et que la valeur de cet ouvrage égale ou dépasse le seuil fixé par ladite directive.
50 En vue de répondre à la question ainsi reformulée, il y a lieu d'examiner si la réalisation directe d'un ouvrage d'équipement, telle que celle en cause au principal, constitue un marché public de travaux au sens de l'article 1er, sous a), de la directive.
51 Selon la définition qui est donnée par cette disposition, pour qu'il y ait marché public de travaux, les éléments suivants doivent être réunis: un contrat, conclu à titre onéreux, par écrit, entre, d'une part, un entrepreneur et, d'autre part, un pouvoir adjudicateur au sens de l'article 1er, sous b), de la directive, et ayant notamment pour objet l'exécution d'un certain type d'ouvrage ou de travaux définis par la directive.
52 L'existence d'un "marché public de travaux" étant une condition pour l'application de la directive, l'article 1er, sous a), doit être interprété de manière à assurer l'effet utile de celle-ci. À cet égard, il importe de relever que la directive vise, ainsi qu'il résulte de son préambule et de ses deuxième et dixième considérants, à éliminer les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services en matière de marchés publics de travaux en vue d'ouvrir ces marchés à une concurrence effective. Le développement de cette concurrence nécessite, ainsi qu'il est précisé au dixième considérant, une publicité communautaire des avis de marchés y afférents.
53 Il y a également lieu de relever que la directive précise elle-même ce qu'il convient d'entendre par "pouvoir adjudicateur" [article 1er, sous b)], par "travaux" [article 1er, sous a), et annexe II] et par "ouvrage" [article 1er, sous c)].
54 La définition ainsi donnée par le législateur communautaire corrobore l'importance que ces éléments revêtent, eu égard à la finalité de la directive. Il s'ensuit que ces éléments doivent jouer un rôle prépondérant lorsqu'il s'agit d'apprécier si l'on se trouve en présence d'un "marché public de travaux" au sens de la directive.
55 Cela signifie que, dans les situations dans lesquelles sont en cause l'exécution ou la conception et l'exécution de travaux ou la réalisation d'un ouvrage destinés à un pouvoir adjudicateur, au sens de la directive, l'appréciation de ces situations au regard des autres éléments mentionnés à l'article 1er, sous a), de la directive doit être effectuée de façon à assurer que l'effet utile de la directive n'est pas compromis, notamment lorsque ces situations présentent des particularités qui découlent des dispositions du droit national qui leur sont applicables.
56 C'est à la lumière de ces critères qu'il y a lieu d'examiner si la réalisation directe d'un ouvrage d'équipement, telle l'enveloppe extérieure d'un théâtre, dans des conditions telles que celles prévues par la législation italienne en matière d'urbanisme, constitue un "marché public de travaux".
Quant à l'élément tenant à la qualité de pouvoir adjudicateur
57 À cet égard, il est constant que la commune en cause au principal constitue une collectivité territoriale au sens de l'article 1er, sous b), de la directive et qu'elle relève donc de la définition du pouvoir adjudicateur que donne cette disposition.
Quant à l'élément tenant à l'exécution de travaux ou à la réalisation d'un ouvrage au sens de l'article 1er, sous a), de la directive
58 Aux termes de l'article 1er, sous a), de la directive, les marchés publics de travaux doivent avoir pour objet:
- soit l'exécution ou conjointement l'exécution et la conception des travaux relatifs à une des activités visées à l'annexe II;
- soit l'exécution ou conjointement l'exécution et la conception d'un ouvrage défini à l'article 1er, sous c), à savoir un ouvrage qui représente le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique;
- soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur.
59 Il convient de constater que des ouvrages d'équipement tels que ceux énumérés à l'article 4 de la loi n° 847-64 constituent des travaux de bâtiment ou de génie civil et relèvent donc des activités visées à l'annexe II de la directive, ou encore qu'ils constituent des ouvrages destinés à remplir par eux-mêmes une fonction économique et technique. Ils satisfont ainsi, à tout le moins, aux critères mentionnés aux premier et deuxième tirets du point précédent.
60 S'agissant, plus particulièrement, de la construction de l'enveloppe extérieure d'un théâtre, comme dans le litige au principal, celle-ci constitue une activité qui relève du groupe 501 de la NACE, intitulé "Construction d'immeubles (d'habitation et autres)", lequel est visé à l'annexe II de la directive.
61 Il s'ensuit que la réalisation d'un ouvrage d'équipement tel que la construction de l'enveloppe extérieure d'un théâtre relève des travaux visés à l'article 1er, sous a), de la directive.
62 Il résulte ainsi des points 57 à 61 du présent arrêt que les deux éléments importants pour conclure à l'existence d'un "marché public de travaux", à savoir celui relatif au pouvoir adjudicateur et celui relatif aux travaux ou ouvrages concernés, sont réunis dans une situation telle que celle en cause au principal.
Quant à l'élément tenant à l'existence d'un contrat
63 La Ville de Milan, Pirelli, MCS et la FTS estiment que cet élément fait défaut, car la réalisation directe des ouvrages d'équipement est prévue, sous forme de règle, par la législation italienne, nationale et régionale, en matière d'urbanisme, dont l'objet, la finalité, les caractéristiques et les intérêts qu'elle vise à sauvegarder sont différents de ceux de la réglementation communautaire en matière de marchés publics.
64 Elles soulignent en outre l'absence, pour l'autorité locale, de la faculté de choisir celui qui sera chargé d'exécuter les ouvrages, cette personne étant désignée par la loi en sa qualité de propriétaire des terrains faisant l'objet du lotissement.
65 Enfin, selon la défenderesse et les intervenantes au principal, même si l'on considérait que la réalisation directe a lieu en vertu des engagements souscrits dans la convention de lotissement, l'élément contractuel ferait encore défaut. En effet, la convention de lotissement étant une convention de droit public, participant de l'exercice de la puissance publique et non pas de l'autonomie privée, il ne saurait être question d'un "contrat" au sens de la directive. La municipalité conserverait les pouvoirs que lui confère la puissance publique en matière de gestion du territoire, "y compris celui de modifier ou de révoquer les plans d'urbanisme en fonction de l'évolution de la situation ou d'adopter de nouveaux critères d'appréciation correspondant mieux auxdits besoins" (arrêt de la Corte suprema di cassazione, chambres réunies, n° 6941, du 25 juillet 1994). Pour la même raison, il manquerait les éléments qui constituent la "causa" contractuelle et qui sont propres au contrat d'entreprise.
66 Il y a lieu de relever d'abord que la circonstance que la disposition de droit national prévoyant la réalisation directe des ouvrages d'équipement fait partie d'un ensemble de règles en matière d'urbanisme ayant des caractéristiques propres et poursuivant une finalité spécifique, distincte de celle de la directive, ne suffit pas pour exclure la réalisation directe du champ d'application de la directive lorsque les éléments requis pour qu'elle en relève se trouvent réunis.
67 À cet égard, ainsi que la juridiction de renvoi l'a indiqué, les ouvrages d'équipement mentionnés à l'article 4 de la loi n° 847-64 sont tout à fait susceptibles de constituer des travaux publics en raison, d'une part, de leurs qualités fonctionnelles propres à satisfaire les exigences d'équipement qui vont au-delà du simple habitat individuel et, d'autre part, du fait que l'administration compétente en a la maîtrise en tant qu'elle dispose d'un titre juridique qui lui en assure la disponibilité dans le but d'en garantir la jouissance à tous les usagers de la zone.
68 Ces éléments sont importants, parce qu'ils confirment l'affectation publique qui est, dès l'origine, assignée aux ouvrages à réaliser.
69 Ensuite, il résulte certes de l'ordonnance de renvoi que l'article 28, paragraphe 5, de la loi n° 1150-42 prévoit la possibilité de réaliser directement les ouvrages d'équipement secondaire dans le cadre d'un lotissement et que, selon l'article 12 de la loi régionale de Lombardie n° 60-77, tel que modifié par l'article 3 de la loi régionale de Lombardie n° 31-86, la réalisation directe constitue la règle. Toutefois, ces dispositions ne sont pas de nature à exclure l'existence de l'élément contractuel prévu à l'article 1er, sous a), de la directive.
70 En effet, d'une part, il résulte de la disposition susmentionnée de la législation régionale de Lombardie que l'administration communale conserve toujours la possibilité d'exiger, en lieu et place de la réalisation directe des ouvrages, le paiement d'une somme proportionnelle à leur coût effectif ainsi qu'à l'importance et aux caractéristiques des constructions. D'autre part, en cas de réalisation directe des ouvrages d'équipement, une convention de lotissement doit, de toute manière, être conclue entre l'administration communale et le(s) propriétaire(s) des terrains à lotir.
71 Il est certes vrai que l'administration communale n'a pas la faculté de choisir son contractant, parce que, conformément à la loi, cette personne est nécessairement celle qui a la propriété des terrains à lotir. Cependant, cette circonstance ne suffit pas à exclure le caractère contractuel du rapport noué entre l'administration communale et le lotisseur, dès lors que c'est la convention de lotissement conclue entre eux qui détermine les ouvrages d'équipement que le lotisseur doit à chaque fois réaliser ainsi que les conditions y afférentes, y compris l'approbation par la commune des projets de ces ouvrages. De surcroît, c'est en vertu des engagements souscrits par le lotisseur dans ladite convention que la commune disposera d'un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des ouvrages ainsi déterminés, en vue de leur affectation publique.
72 Cette constatation est en outre corroborée, dans l'affaire au principal, par la circonstance que, selon les délibérations attaquées, le théâtre de la Bicocca doit être réalisé pour partie par exécution directe de la part des lotisseurs, "conformément à leurs obligations contractuelles relatives au plan de lotissement", et pour partie par procédure d'adjudication à la diligence de la Ville de Milan.
73 Enfin, contrairement à l'argumentation avancée par la défenderesse et les intervenantes au principal, la circonstance que la convention de lotissement relève du droit public et participe de l'exercice de la puissance publique ne s'oppose pas à l'existence de l'élément contractuel prévu à l'article 1er, sous a), de la directive, voire milite en sa faveur. En effet, dans plusieurs États membres, le contrat conclu entre un pouvoir adjudicateur et un entrepreneur est un contrat administratif, relevant en tant que tel du droit public.
74 Eu égard aux considérations qui précèdent, les éléments définis par la convention de lotissement et les accords passés dans le cadre de cette dernière sont suffisants pour que l'élément contractuel requis par l'article 1er, sous a), de la directive soit présent.
75 Il convient d'ajouter que cette interprétation est conforme à l'objectif primordial de la directive qui est, ainsi qu'il a été précisé au point 52 du présent arrêt, la mise en concurrence des marchés publics de travaux. En effet, c'est l'ouverture à la concurrence communautaire selon les procédures prévues par la directive qui garantit l'absence de risque de favoritisme de la part des pouvoirs publics. Le fait que les pouvoirs publics n'ont pas la possibilité de choisir leur contractant ne peut donc pas, en soi, justifier la non-application de la directive, parce qu'une telle éventualité aboutirait à exclure de la concurrence communautaire la réalisation d'un ouvrage auquel cette directive serait autrement applicable.
Quant à l'élément tenant au caractère onéreux du contrat
76 Selon la défenderesse et les intervenantes au principal, ferait en tout état de cause défaut le caractère synallagmatique du contrat, faute de contre-prestation à la charge de la commune. En effet, le paiement de la contribution aux charges d'équipement ou l'exécution directe des ouvrages d'équipement ne feraient pas pendant au droit du lotisseur d'obtenir le permis de construire, et la viabilisation des terrains, qui se situerait dans le cadre du processus de transformation du territoire, ne serait pas fonction du bénéfice que procure celui-ci ou de l'avantage qu'en tire le titulaire de l'autorisation de construire.
77 Il convient de relever à cet égard que le caractère onéreux du contrat se réfère à la contre-prestation à laquelle procède l'autorité publique concernée en raison de la réalisation des ouvrages qui font l'objet du contrat visé à l'article 1er, sous a), de la directive et dont l'autorité publique aura la disponibilité.
78 La question de savoir si le contrat conclu en cas de réalisation directe d'un ouvrage d'équipement a un caractère onéreux pour l'administration communale se présente, dans une situation telle que celle en cause au principal, sous un angle spécifique, en raison des particularités qui caractérisent la législation italienne en matière d'urbanisme.
79 Ainsi, il résulte des articles 28, paragraphe 5, sous 2, de la loi n° 1150-42 et 12, sous b), de la loi régionale de Lombardie n° 60-77, tel que modifié par l'article 3 de la loi régionale de Lombardie n° 31-86, que ce sont les propriétaires des terrains à lotir qui supportent le coût des ouvrages d'équipement primaire ainsi qu'une quote-part du coût des ouvrages d'équipement secondaire inhérents au lotissement ou des travaux qui sont nécessaires en vue du raccordement de la zone concernée aux services publics.
80 Ceci étant, l'article 11, paragraphe 1, de la loi n° 10-77 prévoit que "le titulaire du permis peut s'engager à réaliser directement les ouvrages d'équipement [...] en déduction totale ou partielle du montant dû" au titre de la contribution aux charges d'équipement dont le versement est lié à l'octroi du permis, conformément à l'article 3 de la même loi.
81 Les termes "en déduction" utilisés dans l'article 11, paragraphe 1, de la loi n° 10-77 permettent de considérer que, en acceptant la réalisation directe des ouvrages d'équipement, l'administration communale renonce au recouvrement du montant dû au titre de la contribution prévue à l'article 3 de la même loi.
82 Toutefois, la défenderesse et les intervenantes au principal, ainsi que le Gouvernement italien, soutiennent qu'une telle interprétation n'est pas correcte, notamment parce que le versement de la contribution aux charges d'équipement est prévu comme une alternative à la réalisation directe des ouvrages et que, par conséquent, il serait erroné de considérer qu'il existe une créance pécuniaire de la commune qui serait due en tout état de cause et au recouvrement de laquelle l'administration communale renoncerait en cas de réalisation directe des ouvrages. La réalisation directe des ouvrages aurait pour effet utile de permettre au propriétaire lotisseur le libre exercice de la faculté de construire, en l'exonérant de l'obligation de payer la contribution aux charges d'équipement due au titre de l'octroi du permis. Les termes "en déduction" se référeraient donc à cet effet libérateur de l'exécution des ouvrages et non à une contrepartie ou à un autre avantage quelconque accordé par la commune aux lotisseurs.
83 Ces objections ayant trait à l'interprétation de la législation italienne en matière d'urbanisme et à la manière dont celle-ci conçoit le rapport entre la dette relative à la contribution aux charges d'équipement et la réalisation directe des ouvrages, il convient de se référer à l'appréciation portée à cet égard par la juridiction de renvoi.
84 Celle-ci constate, dans l'ordonnance de renvoi, que, contrairement à l'argumentation avancée par la défenderesse et les intervenantes au principal, le titulaire d'un permis de construire ou d'un plan de lotissement approuvé qui réalise les ouvrages d'équipement n'effectue aucune prestation à titre gratuit puisqu'il s'acquitte d'une dette de même valeur, sauf complément en argent, qui naît au profit de la commune, à savoir la contribution aux charges d'équipement, sans que le caractère alternatif de l'obligation, contribution en espèces ou exécution directe des ouvrages, permette d'en différencier la cause selon celle de ses modalités d'exécution qui est choisie (ou préétablie par le législateur).
85 Cette interprétation de la législation nationale est conforme à l'objectif de la directive, tel que rappelé au point 52 du présent arrêt, et est donc de nature à assurer son effet utile.
86 Il en résulte que l'élément tenant au caractère onéreux du contrat doit être considéré comme réuni.
Quant à l'élément tenant au caractère écrit du contrat
87 Il suffit de relever à cet égard que l'existence de cet élément n'est nullement contestée et que, de fait, la convention de lotissement entre la commune et le(s) propriétaire(s) lotisseur(s) est passée par écrit.
Quant à l'élément tenant à la qualité d'entrepreneur
88 Selon la défenderesse et les intervenantes au principal, ainsi que selon le Gouvernement italien, cet élément fait défaut parce que le lotisseur n'est pas identifié comme entrepreneur ou comme entreprise de construction, mais l'est simplement sur le fondement du titre de propriété des terrains constituant le lotissement. Il ne lui serait pas requis de satisfaire à des conditions particulières concernant la capacité technique, la capacité patrimoniale, etc., sauf l'obligation d'apporter des garanties suffisantes à la municipalité, eu égard aux engagements souscrits en vertu de la convention de lotissement.
89 De plus, il résulterait des réponses apportées à une question posée par la Cour que le soin de choisir les entrepreneurs qui seront chargés de concevoir et de réaliser les ouvrages appartient uniquement au lotisseur titulaire du permis de construire. Ce dernier réaliserait les ouvrages en son nom propre, et non pas pour le compte de la commune à laquelle il s'engage à les céder une fois achevés.
90 Il convient de relever à cet égard que l'article 1er, sous a), de la directive n'exige pas que la personne qui conclut un contrat avec un pouvoir adjudicateur soit en mesure de réaliser directement la prestation convenue avec ses propres ressources pour pouvoir être qualifiée d'entrepreneur; il suffit qu'elle soit à même de faire exécuter la prestation dont il s'agit, en fournissant les garanties nécessaires à cet effet.
91 Ainsi, l'article 20 de la directive énonce que, "[d]ans le cahier des charges, le pouvoir adjudicateur peut demander au soumissionnaire de lui communiquer, dans son offre, la part du marché qu'il a éventuellement l'intention de sous-traiter à des tiers".
92 Dans le même ordre d'idées, la Cour a, au sujet de la directive 92-50, dit pour droit que celle-ci permet à un prestataire, pour établir qu'il satisfait aux conditions économiques, financières et techniques de participation à une procédure d'appel d'offres en vue de conclure un marché public de services, de faire état des capacités d'autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qu'il entretient avec elles, à condition qu'il soit en mesure de prouver qu'il a effectivement la disposition des moyens de ces entités nécessaires à l'exécution du marché (voir arrêt du 2 décembre 1999, Holst Italia, C-176-98, Rec. p. I-8607).
93 Il ressort du dossier que, dans une situation telle que celle en cause au principal, le lotisseur titulaire du permis a, en vertu des engagements souscrits dans le cadre de la convention de lotissement conclue avec l'administration communale, l'obligation d'apporter à cette dernière des garanties suffisantes quant à la réalisation des ouvrages qui seront cédés à la commune et que l'opérateur qui est choisi par lui pour réaliser les ouvrages souscrit aux accords conclus avec l'administration communale. Tel a été le cas dans l'affaire au principal dans la mesure où MCS a souscrit aux accords que la Ville de Milan a conclus avec Pirelli.
94 Dans ces conditions, ni le fait que le lotisseur n'est pas en mesure de réaliser avec ses propres ressources les ouvrages dont il s'agit ni le fait que l'opérateur qui sera chargé de réaliser ces ouvrages est choisi par le lotisseur titulaire du permis de construire et non par l'administration communale ne permettent d'exclure le concours de l'élément susvisé.
95 En outre, le fait que les ouvrages d'équipement sont réalisés par le titulaire du permis en son nom propre, avant qu'il ne les cède à la commune, n'est pas de nature à enlever à cette dernière la qualité de pouvoir adjudicateur par rapport à la réalisation d'un tel ouvrage.
96 Par conséquent, l'élément tenant à la qualité d'entrepreneur doit être également considéré comme réuni.
97 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la réalisation directe d'un ouvrage d'équipement dans les conditions prévues par la législation italienne en matière d'urbanisme constitue un "marché public de travaux" au sens de l'article 1er, sous a), de la directive.
98 Il s'ensuit que, lorsque la valeur estimée hors TVA d'un tel ouvrage égale ou dépasse le seuil fixé à l'article 6, paragraphe 1, de la directive, celle-ci s'applique.
99 Cette constatation implique que l'administration communale a l'obligation de respecter les procédures prévues par ladite directive à chaque fois qu'elle passe un tel marché public de travaux.
100 Cela ne signifie pas que, pour que la directive soit respectée en cas de réalisation d'un ouvrage d'équipement, il faut nécessairement que l'administration communale applique elle-même les procédures de passation prévues par cette directive. L'effet utile de celle-ci serait tout aussi observé si la législation nationale permettait à l'administration communale d'obliger le lotisseur titulaire du permis, par les accords qu'elle conclut avec lui, de réaliser les ouvrages convenus en recourant aux procédures prévues par la directive, et cela pour remplir les obligations qui incombent à cet égard à l'administration communale en vertu de ladite directive. En effet, dans ce cas, le lotisseur doit être regardé, en vertu des accords passés avec la commune qui l'exonèrent de la contribution aux charges d'équipement en contrepartie de la réalisation d'un ouvrage d'équipement public, comme détenteur d'un mandat exprès accordé par la commune pour la construction de cet ouvrage. Une telle possibilité d'application des règles de publicité de la directive par des personnes autres que le pouvoir adjudicateur est d'ailleurs expressément prévue par l'article 3, paragraphe 4, de celle-ci en cas de concession de travaux publics.
101 Concernant les procédures prévues par la directive, il résulte de ses articles 7, paragraphe 4, et 11, paragraphes 2 et 9, lus ensemble, que les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de travaux doivent faire connaître leur intention en publiant un avis au Journal officiel des Communautés européennes, sauf s'il s'agit d'un des cas limitativement énumérés à l'article 7, paragraphe 3, de la directive, dans lesquels ils sont autorisés à recourir à la procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché.
102 En l'occurrence, aucun élément du dossier ne permet de considérer que la réalisation directe d'un ouvrage d'équipement dans les conditions prévues par la législation italienne en matière d'urbanisme est susceptible de relever de l'un des cas mentionnés dans cette dernière disposition.
103 Il y a donc lieu de répondre à la première question que la directive s'oppose à une législation nationale en matière d'urbanisme lorsque celle-ci permet, en dehors des procédures prévues par la directive, la réalisation directe par le titulaire d'un permis de construire ou d'un plan de lotissement approuvé d'un ouvrage d'équipement, en déduction de tout ou partie de la contribution due au titre de l'octroi du permis, et que la valeur de cet ouvrage égale ou dépasse le seuil fixé par ladite directive.
Sur la seconde question préjudicielle
104 Le CNA conteste la pertinence de cette question. Étant donné qu'aucune des conditions prévues par l'article 11 de la loi n° 241-90 ne serait remplie dans le litige au principal et compte tenu du fait que les accords conclus pour la passation de marchés publics en dehors des procédures prévues par les directives en la matière lèseraient certainement les droits des entrepreneurs ou des titulaires d'une profession libérale qui aspirent à se voir confier le marché, l'article 11 de la loi n° 241-90 ne serait pas applicable dans des circonstances telles que celles en cause au principal.
105 Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'argumentation soutenue par le CNA, force est de constater que la juridiction de renvoi ne précise ni les dispositions du droit communautaire dont elle demande l'interprétation ni les aspects précis de la législation italienne concernée dont l'application dans le litige au principal soulèverait des problèmes au regard du droit communautaire.
106 En l'absence de ces indications, il n'est pas possible de délimiter le problème concret d'interprétation de dispositions du droit communautaire qui pourrait être soulevé dans le litige au principal.
107 Dans ces conditions, il convient de constater que la seconde question est irrecevable.
Sur les dépens
108 Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia, par ordonnance du 11 juin 1998, dit pour droit:
La directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, s'oppose à une législation nationale en matière d'urbanisme lorsque celle-ci permet, en dehors des procédures prévues par cette directive, la réalisation directe par le titulaire d'un permis de construire ou d'un plan de lotissement approuvé d'un ouvrage d'équipement, en déduction de tout ou partie de la contribution due au titre de l'octroi du permis, et que la valeur de cet ouvrage égale ou dépasse le seuil fixé par ladite directive.