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Décisions

CJCE, 6e ch., 28 octobre 1999, n° C-81/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alcatel Austria AG, Siemens AG Österreich, Sag-Schrack Anlagentechnik AG

Défendeur :

Bundesministerium für Wissenschaft und Verkehr

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kapteyn

Avocat général :

M. Mischo

Juges :

MM. Hirsch, Ragnemalm

Avocats :

Mes Köck, Oder, Breitenfeld, Roniger

CJCE n° C-81/98

28 octobre 1999

LA COUR (sixième chambre),

1 Par ordonnance du 3 mars 1998, parvenue à la Cour le 25 mars suivant, le Bundesvergabeamt a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre, d'une part, Alcatel Austria AG e.a., Siemens AG Österreich et Sag-Schrack Anlagentechnik AG et, d'autre part, le Bundesministerium für Wissenschaft und Verkehr (ministère fédéral de la Science et du Transport, ci-après le "Bundesministerium") à propos de l'attribution d'un marché public de fournitures et de travaux.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3 L'article 1er de la directive 89-665 dispose:

"1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71-305-CEE et 77-62-CEE, les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

2. Les États membres veillent à ce qu'il n'y ait, entre les entreprises susceptibles de faire valoir un préjudice dans le cadre d'une procédure d'attribution de marchés aucune discrimination du fait de la distinction opérée par la présente directive entre les règles nationales transposant le droit communautaire et les autres règles nationales.

3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d'introduire un recours."

4 L'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-665 prévoit:

"Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant:

a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher d'autres dommages d'être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l'exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;

b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;

c) ..."

5 L'article 2, paragraphe 6, de la directive 89-665 dispose:

"Les effets de l'exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l'attribution d'un marché sont déterminés par le droit national.

En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation."

Le droit autrichien

6 En Autriche, l'attribution des marchés publics est régi, en ce qui concerne l'État fédéral, par le Bundesvergabegesetz (loi fédérale sur l'attribution des marchés publics, BGBl. n° 462-1993, ci-après le "BVergG"), applicable à l'époque des faits dans sa version antérieure à la modification de 1997 (BGBl. n° 776-1996).

7 Selon l'article 9, point 14, du BVergG, l'attribution du marché est la déclaration faite au soumissionnaire que son offre est acceptée.

8 L'article 41, paragraphe 1, du BVergG prévoit que, pendant le délai d'attribution du marché, la relation contractuelle entre le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire naît au moment où le soumissionnaire reçoit l'information que son offre est acceptée.

9 Selon l'article 91, paragraphe 2, du BVergG, le Bundesvergabeamt est compétent jusqu'à la date de l'adjudication pour rendre des ordonnances de référé et annuler des décisions illégales du service d'adjudication du pouvoir adjudicateur afin d'éliminer des violations du BVergG et des arrêtés pris en exécution de ce dernier.

10 Il ressort de l'article 91, paragraphe 3, du BVergG que, après l'attribution du marché, le Bundesvergabeamt est compétent pour constater que le marché n'a pas été attribué au soumissionnaire qui a fait la meilleure offre, en raison d'une violation du BVergG ou de ses arrêtés d'exécution.

11 L'article 94 du BVergG dispose, notamment:

"1. Le Bundesvergabeamt doit annuler une décision du pouvoir adjudicateur intervenue dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché, par voie de décision, en tenant compte de l'avis de la commission de conciliation intervenu dans la même affaire, lorsque cette décision

1) est contraire aux dispositions de la présente loi fédérale ou de ses arrêtés d'exécution et

2) est déterminante pour l'issue de la procédure de passation du marché.

..."

Les faits

12 En vue de l'installation sur les autoroutes autrichiennes d'un système électronique permettant la transmission automatique de certaines données, le Bundesministerium a publié, le 23 mai 1996, un appel d'offres portant sur la livraison, l'installation et la mise en exploitation de tous les composants d'un système hardware et software.

13 L'appel d'offres a fait l'objet d'une procédure ouverte au sens de la directive 93-36-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1).

14 Le marché en cause a été attribué le 5 septembre 1996 à la société Kapsch AG et le contrat a été conclu le même jour avec cette dernière. Les autres soumissionnaires, qui ont eu connaissance de ce contrat par voie de presse, ont introduit, entre le 10 et le 22 septembre 1996, des demandes de recours auprès du Bundesvergabeamt.

15 Le 18 septembre 1996, ce dernier a rejeté les demandes en référé visant à obtenir la suspension de l'exécution du contrat conclu au motif que, conformément à l'article 91, paragraphe 2, du BVergG, il n'est plus compétent, après la date de l'adjudication, pour rendre des ordonnances en référé. Un recours a été introduit à l'encontre de cette décision devant le Verfassungsgerichtshof.

16 Conformément à l'article 91, paragraphe 3, du BVergG, le Bundesvergabeamt a ensuite, par décision du 4 avril 1997, constaté diverses infractions au BVergG et a mis fin à la procédure pendante devant lui.

17 La décision du Bundesvergabeamt du 18 septembre 1996 a été annulée par le Verfassungsgerichtshof.

18 Compte tenu de ce dernier arrêt, le Bundesvergabeamt a repris au fond la procédure terminée le 4 avril 1997 et a rendu le 18 août 1997 une décision par laquelle il interdisait, à titre provisoire, au pouvoir adjudicateur l'exécution ultérieure du contrat conclu le 5 septembre 1996.

19 Sur recours formé contre cette décision par la république d'Autriche auprès du Verfassungsgerichtshof, celui-ci a reconnu, par ordonnance du 10 octobre 1997, un effet suspensif à ce recours, ce qui avait pour conséquence que l'ordonnance de référé prononcée par le Bundesvergabeamt le 18 août 1997 était provisoirement dépourvue d'effet.

20 Dans son ordonnance de renvoi, le Bundesvergabeamt constate que le BVergG ne distingue pas, dans la procédure de passation du marché, une partie de droit public et une partie de droit privé. Dans la procédure d'adjudication, le pouvoir adjudicateur apparaît au contraire exclusivement comme un titulaire de droits privés, ce qui signifie que l'État, en tant que pouvoir adjudicateur, utilise les règles, les formes et les moyens du droit civil. Conformément à l'article 41, paragraphe 1, du BVergG, pendant le délai d'attribution du marché, la relation contractuelle entre le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire naît au moment où le soumissionnaire reçoit l'information que son offre est acceptée.

21 Par conséquent, la juridiction de renvoi indique que, en règle générale, l'attribution du marché et la conclusion du contrat ne coïncident pas du point de vue formel en Autriche. La décision du pouvoir adjudicateur quant à la personne avec laquelle il veut contracter est généralement déjà prise avant la mise par écrit de cette décision et celle-ci ne fonde pas encore en soi la conclusion du contrat, parce que le soumissionnaire doit à tout le moins en avoir connaissance, mais, dans la pratique, la décision du pouvoir adjudicateur quant à la personne à laquelle il attribue le marché est une décision prise au sein de son système d'organisation interne, qui, selon le droit autrichien, n'apparaît pas à l'égard des tiers. Dès lors, pour le tiers, la déclaration d'attribution du marché et la conclusion du contrat sont concomitantes, parce qu'il n'a généralement pas connaissance ni pu avoir connaissance, du moins par voie légale, de la décision prise dans le domaine interne du pouvoir adjudicateur. La décision d'attribuer le marché en tant que telle, c'est-à-dire la décision du pouvoir adjudicateur relative à la personne avec laquelle il veut contracter, n'est pas attaquable. Le moment de l'adjudication du marché est déterminant pour le déroulement de la procédure de recours devant le Bundesvergabeamt.

22 Toujours selon la juridiction de renvoi, conformément à l'article 91, paragraphe 2, du BVergG, le Bundesvergabeamt est compétent, jusqu'à la date de l'adjudication, pour rendre des ordonnances de référé et annuler des décisions illégales du service d'adjudication du pouvoir adjudicateur afin d'éliminer des violations du BVergG et des arrêtés pris en exécution de celle-ci. Après que l'adjudication a eu lieu, le Bundesvergabeamt est seulement compétent pour constater que le marché n'a pas été attribué au soumissionnaire qui a fait la meilleure offre, en raison d'une violation du BVergG ou de ses arrêtés d'exécution. Conformément à l'article 98, paragraphe 1, du BVergG, en cas de violation fautive de ce dernier par les organes d'un service d'adjudication, le pouvoir adjudicateur auquel le comportement des organes de ce service peut être imputé doit indemniser le candidat ou soumissionnaire évincé.

23 Enfin, la juridiction de renvoi note que, conformément à l'article 102, paragraphe 2, du BVergG, une action en indemnisation devant les juridictions ordinaires n'est, dans un tel cas, recevable que s'il y a eu auparavant une constatation du Bundesvergabeamt au sens de l'article 91, paragraphe 3. Sans préjudice de cette disposition, la juridiction et les parties à la procédure devant le Bundesvergabeamt sont liées par cette constatation. Il résulte de cette structure de la procédure de recours que le législateur fédéral autrichien a utilisé pour le champ d'application du BVergG la possibilité d'opter pour l'allocation de dommages-intérêts que lui reconnaît l'article 2, paragraphe 6, de la directive 89-665.

Les questions préjudicielles

24 C'est dans ces conditions que le Bundesvergabeamt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Lorsqu'ils transposent la directive 89-665-CEE, les États membres sont-ils, en vertu de l'article 2, paragraphe 6, de celle-ci, tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle ce pouvoir choisit, sur la base des résultats de la procédure de passation, le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat (c'est-à-dire la décision d'attribution du marché), de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d'obtenir, nonobstant la possibilité après la conclusion du contrat de limiter les effets juridiques de cette procédure à l'octroi de dommages-intérêts, l'annulation de la décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies ?

2) Dans la seule hypothèse où la Cour de justice répondrait par l'affirmative à la première question, la question suivante est déférée à la Cour:

L'obligation décrite à la première question est-elle suffisamment concrétisée et précise pour que le particulier dispose déjà sur cette base du droit de mettre en œuvre, conformément aux exigences de l'article 1er de la directive 89-665-CEE, une procédure de recours dans laquelle la juridiction nationale doit en tout état de cause avoir la possibilité de rendre des ordonnances de référé au sens de l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive et d'annuler la décision du pouvoir adjudicateur d'attribuer le marché et le particulier peut-il opposer avec succès cette obligation à l'État membre dans une procédure ?

3) Dans la seule hypothèse où la Cour répondrait par l'affirmative à la deuxième question, la question suivante est encore déférée à la Cour:

L'obligation décrite à la première question est-elle également suffisamment concrétisée et précise pour que la juridiction nationale doive écarter, dans le cadre de la procédure, des dispositions de droit national qui y sont contraires, dont le respect l'empêcherait de satisfaire à cette obligation et pour que la juridiction nationale doive remplir directement cette obligation en tant qu'élément de l'ordre juridique communautaire, même si le droit national ne confère pas de base légale à une action de cette nature ?"

Sur la recevabilité

25 Le Bundesministerium ainsi que le Gouvernement autrichien prétendent que, dans la mesure où le contrat à déjà été entièrement exécuté, il n'y a plus réellement de litige au principal. Dès lors, la réponse aux questions posées n'aurait plus aucun intérêt puisque les demanderesses au principal ne pourraient obtenir, à ce stade, que des dommages-intérêts, dont l'attribution est, en tout état de cause, prévue par le BVergG.

26 Bien que la Commission ait exprimé des doutes quant à la recevabilité des questions posées, elle estime toutefois que l'arrêt de la Cour est susceptible d'avoir une incidence sur les développements ultérieurs de l'affaire au principal, dans la mesure, notamment, où l'étendue d'éventuels dommages-intérêts dus aux demanderesses au principal pourrait être affectée par la réponse aux questions posées et que la réponse à la première question pourrait entraîner la nullité du contrat ou de la décision d'attribution, ce qui rendrait alors nécessaire de trancher les deuxième et troisième questions.

27 Dans son ordonnance de renvoi, le juge national a précisé que, en droit interne, se posait la question de savoir s'il était en droit, voire tenu, d'après le droit communautaire, d'annuler sa décision du 4 avril 1997, par laquelle il a mis fin à la première procédure d'adjudication par la constatation que le marché n'avait pas été attribué au soumissionnaire qui avait fait la meilleure offre. Au regard de cette question de procédure, les questions préjudicielles demeureraient pertinentes même si la procédure d'adjudication en cause au principal avait été, depuis lors, réglée.

28 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la réponse aux questions posées est susceptible d'avoir des conséquences sur l'issue du litige au principal, en sorte que ces questions sont recevables.

Sur la première question

29 Par sa première question, la juridiction nationale demande en substance si les dispositions combinées de l'article 2, paragraphes 1, sous a) et b), et 6, second alinéa, de la directive 89-665 doivent être interprétées en ce sens que les États membres sont tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle celui-ci choisit le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat, de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d'obtenir l'annulation de la décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies, indépendamment de la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts lorsque le contrat a été conclu.

30 L'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-665 énumère les mesures qui doivent être prises dans le cadre des procédures de recours que les États membres sont tenus de prévoir dans leur droit national. Selon le point a) de cette disposition, il s'agit de l'adoption de mesures provisoires par voie de référé. Le point b) de celle-ci prévoit la possibilité d'annuler ou de faire annuler des décisions illégales et le point c) concerne l'attribution de dommages-intérêts.

31 Il est constant que l'article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665 ne définit pas les décisions illégales dont l'annulation peut être demandée. En effet, le législateur communautaire s'est contenté de prévoir que les décisions illégales au sens du point b) comprennent notamment des décisions concernant des spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents se rapportant à la procédure de passation du marché en cause.

32 Or, il ne saurait être déduit du libellé de l'article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665 qu'une décision illégale d'attribution d'un marché public ne serait pas comprise dans les décisions illégales pouvant faire l'objet d'un recours en annulation.

33 En effet, ainsi qu'il ressort de ses premier et deuxième considérants, la directive 89-665 vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l'application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées (voir arrêt du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C-433-93, Rec. p. I-2303, point 23).

34 À cet égard, l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 89-665 impose aux États membres de mettre en place des recours efficaces et aussi rapides que possible pour que soit assuré le respect des directives communautaires en matière de marchés publics.

35 S'agissant de ces recours, il ressort de ladite disposition que ceux-ci ont pour objet les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit, sans que cette disposition prévoie une restriction en ce qui concerne la nature et le contenu de ces décisions.

36 Le Bundesministerium et le Gouvernement autrichien font valoir, en substance, que l'organisation de la procédure devant le Bundesvergabeamt de manière telle que, après la conclusion d'un contrat, la décision d'un pouvoir adjudicateur ne peut plus être attaquée que dans la mesure où l'illégalité de cette décision a causé un préjudice à la partie demanderesse dans une procédure nationale de recours et que la procédure doit se limiter à faciliter les conditions préalables à l'octroi de dommages-intérêts par les juridictions ordinaires serait conforme à l'article 2, paragraphe 6, de la directive 89-665.

37 À cet égard, il convient de constater que, comme l'a relevé M. l'avocat général aux points 36 et 37 de ses conclusions, il ressort déjà du libellé même de l'article 2, paragraphe 6, de la directive 89-665 que la limitation des procédures de recours y prévue ne concerne que la situation qui existe après la conclusion du contrat qui suit la décision de l'attribution d'un marché. Ainsi, la directive 89-665 opère une distinction entre le stade antérieur à la conclusion du contrat, auquel l'article 2, paragraphe 1, est applicable, et le stade postérieur à la conclusion de celui-ci, à l'égard duquel un État membre peut prévoir, selon l'article 2, paragraphe 6, second alinéa, que les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.

38 En outre, l'interprétation proposée par le Bundesministerium et le Gouvernement autrichien pourrait avoir comme conséquence que la décision la plus importante du pouvoir adjudicateur, à savoir l'attribution du marché, échappe de façon systématique aux mesures qui, selon l'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-665, doivent être prises aux fins des recours visés à l'article 1er. Ainsi, l'objectif de la directive 89-665, rappelé au point 34 du présent arrêt, de mettre en place des recours efficaces et rapides ayant pour objet les décisions illégales du pouvoir adjudicateur à un stade où les violations peuvent encore être corrigées serait compromis.

39 Le Gouvernement autrichien fait encore valoir que, si la directive 89-665 devait être interprétée comme faisant une distinction entre la décision d'attribution d'un marché et la conclusion du contrat y relative, celle-ci ne préciserait nullement le délai devant séparer les deux stades. À cet égard, le Gouvernement du Royaume-Uni a indiqué lors de l'audience qu'un seul délai ne devrait pas être fixé puisqu'il existe différents types de procédures d'adjudication.

40 L'argument tiré de l'absence de délai entre la décision d'attribution d'un marché et la conclusion du contrat n'est pas pertinent. En effet, l'absence d'une disposition expresse à cet égard ne saurait justifier une interprétation de la directive 89-665 selon laquelle les décisions d'attribution des marchés publics échapperaient de façon systématique aux mesures qui, selon l'article 2, paragraphe 1, de la directive 89-665, doivent être prises aux fins des recours visés à l'article 1er.

41 S'agissant du délai entre la décision d'attribution d'un marché et la conclusion d'un contrat, le Gouvernement du Royaume-Uni fait encore valoir qu'un tel délai n'est pas prévu par la directive 93-36 et que cette dernière, ainsi qu'il ressortirait de ses articles 7, 9 et 10, serait exhaustive.

42 À cet égard, il suffit de constater, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 70 et 71 de ses conclusions, que lesdites dispositions correspondent aux dispositions équivalentes figurant dans les directives antérieures à la directive 89-665, dont le premier considérant rappelle que celles-ci "ne contiennent pas de dispositions spécifiques permettant d'en garantir l'application effective".

43 Il résulte des considérations qui précèdent que les dispositions combinées de l'article 2, paragraphes 1, sous a) et b), et 6, second alinéa, de la directive 89-665 doivent être interprétées en ce sens que les États membres sont tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle celui-ci choisit le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat, de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d'obtenir l'annulation de cette décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies, indépendamment de la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts lorsque le contrat a été conclu.

Sur les deuxième et troisième questions

44 Par ses deuxième et troisième questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89-665 doit être interprété en ce sens que, en l'absence de transposition complète de cette disposition en droit national, les instances de recours des États membres compétentes en matière de procédures de passation de marchés publics sont également habilitées à connaître des recours dans les conditions énoncées à cette disposition.

45 À cet égard, il convient de constater que l'article 91, paragraphe 2, du BVergG prévoit que le Bundesvergabeamt est compétent pour examiner la légalité des procédures et des décisions d'adjudication dans le champ d'application du BVergG et que, dès lors, le législateur national s'est déjà acquitté de son obligation d'établir une instance de recours, ainsi que l'a observé M. l'avocat général au point 90 de ses conclusions.

46 Toutefois, ainsi que l'a révélé le juge de renvoi dans son ordonnance (voir points 20 à 22 du présent arrêt), la décision du pouvoir adjudicateur quant à la personne à laquelle il attribue le marché est une décision prise au sein du système d'organisation interne, qui, selon le droit autrichien, n'apparaît pas à l'égard des tiers.

47 En effet, il résulte des explications données par le juge de renvoi que l'État, en tant que pouvoir adjudicateur, utilise les règles, les formes et les moyens du droit civil dans la procédure d'adjudication de sorte que l'attribution du marché public s'effectue par la conclusion d'un contrat entre ce pouvoir et le soumissionnaire.

48 La déclaration d'attribution du marché et la conclusion du contrat étant, dans la pratique, concomitantes, il manque, dans un tel système un acte de droit administratif dont les intéressés peuvent prendre connaissance et qui pourrait faire l'objet d'un recours en annulation, tel que prévu par l'article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 89-665.

49 Dans de telles circonstances, lorsqu'il est douteux que la juridiction nationale soit en mesure de reconnaître aux justiciables un droit de recours en matière de passation de marchés publics dans les conditions énoncées à la directive 89-665, notamment à son article 2, paragraphe 1, sous a) et b), il y a lieu de rappeler que, si les dispositions nationales ne peuvent pas être interprétées de manière conforme à la directive 89-665, les intéressés peuvent demander, selon les procédures appropriées du droit national, la réparation des dommages subis en raison de l'absence de transposition de la directive dans le délai prescrit (voir, notamment, arrêt du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C-178-94, C-179-94 et C-188-94 à C-190-94, Rec. p. I-4845).

50 Il convient par conséquent de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89-665 ne saurait être interprété en ce sens que, nonobstant l'absence d'une décision d'attribution d'un marché qui pourrait faire l'objet d'un recours en annulation, les instances de recours des États membres compétentes en matière de procédures de passation de marchés publics sont habilitées à connaître des recours dans les conditions énoncées à cette disposition.

Sur les dépens

51 Les frais exposées par les Gouvernements autrichien, allemand et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission et l'Autorité de surveillance de l'AELE, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesvergabeamt, par ordonnance du 3 mars 1998, dit pour droit:

1) Les dispositions combinées de l'article 2, paragraphes 1, sous a) et b), et 6, second alinéa, de la directive 89-665-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, doivent être interprétées en ce sens que les États membres sont tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle celui-ci choisit le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat, de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d'obtenir l'annulation de cette décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies, indépendamment de la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts lorsque le contrat a été conclu.

2) L'article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89-665 ne saurait être interprété en ce sens que, nonobstant l'absence d'une décision d'attribution d'un marché qui pourrait faire l'objet d'un recours en annulation, les instances de recours des États membres compétentes en matière de procédures de passation de marchés publics sont habilitées à connaître des recours dans les conditions énoncées à cette disposition.