CJCE, 6e ch., 19 mai 1999, n° C-225/97
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Kapteyn
Avocat général :
M. La Pergola
Juges :
MM. Hirsch, Mancini
LA COUR (sixième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 juin 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en n'adoptant pas l'ensemble des mesures nécessaires pour se conformer à la directive 92-13-CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 76, p. 14), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er, paragraphe 2, et 2, paragraphes 1, sous c), et 5, ainsi qu'en vertu des chapitres 2 et 4 de ladite directive.
Le droit communautaire
2 L'article 13 de la directive 92-13 prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer à cette directive avant le 1er janvier 1993 et qu'ils en informent immédiatement la Commission.
L'astreinte
3 Le chapitre 1 de la directive 92-13 (articles 1er et 2) porte sur le recours au niveau national.
4 L'article 1er dispose:
"1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les entités adjudicatrices peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 8, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de passation des marchés ou les règles nationales transposant ce droit en ce qui concerne:
a) les procédures de passation des marchés relevant de la directive 90-531-CEE
et
b) le respect de l'article 3 paragraphe 2 point a) de ladite directive, dans le cas des entités adjudicatrices auxquelles cette disposition s'applique.
2. Les États membres veillent à ce qu'il n'y ait, entre les entreprises susceptibles de faire valoir un préjudice dans le cadre d'une procédure de passation de marché, aucune discrimination du fait de la distinction opérée par la présente directive entre les règles nationales transposant le droit communautaire et les autres règles nationales.
..."
5 L'article 2 de la directive 92-13 est libellé ainsi:
"1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
soit
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher que d'autres préjudices soient causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché en cause ou l'exécution de toute décision prise par l'entité adjudicatrice
et
b) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans l'avis du marché, l'avis périodique indicatif, l'avis sur l'existence d'un système de qualification, l'invitation à soumissionner, les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation de marché en cause;
soit
c) de prendre, dans les délais les plus brefs, si possible par voie de référé et, si nécessaire, par une procédure définitive quant au fond, d'autres mesures que celles prévues aux points a) et b), ayant pour but de corriger la violation constatée et d'empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts concernés; notamment d'émettre un ordre de paiement d'une somme déterminée dans le cas où l'infraction n'est pas corrigée ou évitée.
Les États membres peuvent effectuer ce choix soit pour l'ensemble des entités adjudicatrices, soit pour des catégories d'entités définies sur la base de critères objectifs, en sauvegardant en tout cas l'efficacité des mesures établies afin d'empêcher qu'un préjudice soit causé aux intérêts concernés;
d) et, dans les deux cas susmentionnés, d'accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par la violation.
Lorsque des dommages-intérêts sont réclamés au motif qu'une décision a été prise illégalement, les États membres peuvent prévoir, si leur système de droit interne le requiert et s'il dispose d'instances ayant la compétence nécessaire à cet effet, que la décision contestée doit d'abord être annulée ou déclarée illégale.
2. Les pouvoirs visés au paragraphe 1 peuvent être conférés à des instances distinctes responsables d'aspects différents des procédures de recours.
3. Les procédures de recours ne doivent pas nécessairement avoir, par elles-mêmes, des effets suspensifs automatiques sur les procédures de passation des marchés auxquelles elles se rapportent.
4. Les États membres peuvent prévoir que, lorsque l'instance responsable examine s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires, celle-ci peut tenir compte des conséquences probables de ces mesures pour tous les intérêts susceptibles d'être lésés, ainsi que de l'intérêt public, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque leurs conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages. La décision de ne pas accorder des mesures provisoires ne porte pas atteinte aux autres droits revendiqués par la personne requérant ces mesures.
5. La somme à verser conformément au paragraphe 1 point c) doit être fixée à un niveau suffisamment élevé pour dissuader l'entité adjudicatrice de commettre une infraction ou de persévérer dans une infraction. Le paiement de cette somme peut être subordonné à une décision finale établissant que la violation a bien été commise.
..."
L'attestation
6 Le chapitre 2 de la directive 92-13 (articles 3 à 7) porte sur le système d'attestation.
7 L'article 3 prévoit que les États membres donnent la possibilité aux entités adjudicatrices de recourir à un système d'attestation conforme aux articles 4 à 7.
8 L'article 4 est libellé ainsi:
"Les entités adjudicatrices peuvent faire examiner périodiquement les procédures de passation des marchés relevant du champ d'application de la directive 90-531-CEE, ainsi que leur mise en œuvre pratique, en vue d'obtenir une attestation constatant que, à ce moment, celles-ci sont conformes au droit communautaire en matière de passation des marchés et aux règles nationales transposant ce droit."
9 L'article 7 de la directive 92-13 prévoit que les dispositions des articles 4, 5 et 6 sont à considérer comme des exigences essentielles pour l'élaboration de normes européennes concernant l'attestation.
La procédure de conciliation
10 Le chapitre 4 de la directive 92-13 (articles 9 à 11) porte sur la procédure de conciliation.
11 L'article 9 dispose:
"1. Toute personne qui a ou a eu un intérêt à obtenir un marché entrant dans le champ d'application de la directive 90-531-CEE et qui, dans le cadre de la procédure de passation de ce marché, s'estime lésée ou risquant d'être lésée par suite du non-respect du droit communautaire en matière de passation des marchés ou des règles nationales transposant ce droit peut demander l'application de la procédure de conciliation prévue aux articles 10 et 11.
2. La demande visée au paragraphe 1 est adressée par écrit à la Commission ou aux autorités nationales énumérées à l'annexe. Ces autorités la transmettent dans les meilleurs délais à la Commission."
Le droit français
12 Par lettre du 14 janvier 1994, les autorités françaises ont communiqué à la Commission le texte de la loi n° 93-1416, du 29 décembre 1993, relative aux recours en matière de passation de certains contrats de fournitures et de travaux dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JORF du 1er janvier 1994, p. 10).
13 L'article 1er de cette loi dispose:
"Après l'article 7 de la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, sont insérés les articles 7-1 et 7-2 ainsi rédigés:
`Article 7-1. - En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des contrats définis à l'article 1er et relevant du droit privé, le juge ne peut statuer, avant la conclusion du contrat, que dans les conditions définies ci-après.
Sur demande de toute personne ayant intérêt à conclure le contrat et susceptible d'être lésée par un manquement, le président de la juridiction de l'ordre judiciaire compétente ou son délégué peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations. Il détermine les délais dans lesquels l'auteur du manquement doit s'exécuter. Il peut aussi prononcer une astreinte provisoire courant à compter de l'expiration des délais impartis. Il peut toutefois prendre en considération les conséquences probables de cette dernière mesure pour tous les intérêts susceptibles d'être atteints, notamment l'intérêt public, et décider de ne pas l'accorder lorsque ses conséquences négatives pourraient dépasser ses avantages.
La demande peut également être présentée par le ministère public lorsque la Commission des Communautés européennes a notifié à l'État les raisons pour lesquelles elle estime qu'une violation claire et manifeste des obligations mentionnées au premier alinéa a été commise.
Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Le président de la juridiction de l'ordre judiciaire compétente ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés.
Si, à la liquidation de l'astreinte provisoire, le manquement constaté n'a pas été corrigé, le juge peut prononcer une astreinte définitive. Dans ce cas, il statue en la forme des référés, appel pouvant être fait comme en matière de référé.
L'astreinte, qu'elle soit provisoire ou définitive, est indépendante des dommages-intérêts. L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout en partie, d'une cause étrangère.
Article 7-2. - En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des contrats définis à l'article 1er et relevant du droit public, toute personne qui a intérêt à conclure le contrat et qui est susceptible d'être lésée par ce manquement peut demander au juge de prendre, avant la conclusion du contrat, les mesures prévues à l'article L. 23 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.'"
14 L'article 4 de la loi n° 93-1416 est libellé ainsi:
"L'article L. 23 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est ainsi rédigé:
`Article L. 23. - Le président du tribunal administratif, ou son délégué, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité ou de mise en concurrence auxquelles sont soumis les contrats visés à l'article 7-2 de la loi n° 92-1282 du 11 décembre 1992 relative aux procédures de passation de certains contrats dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications. Le juge ne peut statuer, avant la conclusion du contrat, que dans les conditions définies ci-après.
Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement.
Le président du tribunal administratif, ou son délégué, peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations. Il détermine les délais dans lesquels l'auteur du manquement doit s'exécuter. Il peut aussi prononcer une astreinte provisoire courant à l'expiration des délais impartis. Il peut toutefois prendre en considération les conséquences probables de cette dernière mesure pour tous les intérêts susceptibles d'être atteints, notamment l'intérêt public, et décider de ne pas l'accorder lorsque ses conséquences négatives pourraient dépasser ses avantages.
Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Sauf si la demande porte sur des marchés ou contrats passés par l'État, elle peut également être présentée par celui-ci lorsque la Commission des Communautés européennes lui a notifié les raisons pour lesquelles elle estime qu'une violation claire et manifeste des obligations mentionnées ci-dessus a été commise.
Le président du tribunal administratif, ou son délégué, statue en premier et dernier ressort en la forme des référés.
Si, à la liquidation de l'astreinte provisoire, le manquement constaté n'a pas été corrigé, le juge peut prononcer une astreinte définitive. Dans ce cas, il statue en la forme des référés, appel pouvant être fait comme en matière de référé.
L'astreinte, qu'elle soit provisoire ou définitive, est indépendante des dommages-intérêts. L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.'"
La procédure précontentieuse
15 Par lettre de mise en demeure du 8 septembre 1995, la Commission a informé les autorités françaises que le régime de l'astreinte prévu à la directive 92-13 avait fait l'objet d'une transposition inappropriée, tandis que les dispositions de cette même directive relatives au système d'attestation et à la procédure de conciliation n'avaient pas été transposées. Conformément à l'article 169 du traité, la Commission a invité le Gouvernement français à lui faire connaître ses observations dans un délai de deux mois et à adopter les amendements nécessaires.
16 Les autorités françaises ont répondu le 13 novembre 1995 en apportant quelques précisions sur le fonctionnement du mécanisme de l'astreinte et au sujet des dispositions de la directive 92-13 relatives à procédure de la conciliation qui n'ont pas fait l'objet d'une transposition dans la loi n° 93-1416.
17 La Commission a néanmoins maintenu, dans son avis motivé du 8 novembre 1996, ses griefs relatifs au mécanisme de l'astreinte et à la non-transposition des chapitres 2 et 4 de ladite directive.
18 Les autorités françaises ont indiqué, dans leur réponse du 20 février 1997, qu'elles considéraient que le dispositif de la loi n° 93-1416 répondait de manière satisfaisante aux exigences de la directive 92-13, qu'elles se proposaient de publier prochainement une circulaire pour assurer l'information des particuliers sur le fonctionnement de la procédure de conciliation et que les administrations concernées étudiaient les mesures qui pourraient être prises pour assurer la mise en place effective du dispositif d'attestation.
19 Estimant que la réponse du Gouvernement français n'était pas satisfaisante, la Commission a introduit le présent recours.
Sur l'astreinte
20 A titre liminaire, il convient de relever qu'il est constant que la Commission ne conteste pas le choix effectué par la République française en faveur de l'option prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 92-13.
21 Toutefois, s'agissant de cette option, la Commission soutient, tout d'abord, que la transposition de l'article 2, paragraphe 5, de la directive 92-13, selon lequel la somme à verser conformément au paragraphe 1, sous c), de cette disposition doit être fixée à un niveau suffisamment élevé pour dissuader l'entité adjudicatrice de commettre une infraction ou de persévérer dans une infraction, exige une disposition spécifique relative au montant de l'astreinte, ayant pour objet soit de préciser que celui-ci est de nature à avoir l'effet dissuasif exigé, soit de limiter le pouvoir d'appréciation accordé au juge pour déterminer ce montant. Selon la Commission, l'absence d'une telle disposition est susceptible de susciter des doutes de la part du juge compétent.
22 Le Gouvernement français rétorque, d'une part, que la directive 92-13 ne comporte aucune disposition explicite obligeant les États membres à déterminer le montant de l'astreinte et, d'autre part, que, en raison de la diversité des situations, il importe de permettre au juge de fixer l'astreinte en fonction de l'appréciation qu'il porte sur la situation d'espèce, ce montant devant être suffisant pour que les objectifs de la directive 92-13 soient atteints.
23 A cet égard, il y a lieu de constater qu'il ressort du libellé même de l'article 2, paragraphe 5, de la directive 92-13 que cette disposition prévoit que la somme à verser conformément au paragraphe 1, sous c), doit être fixée à un niveau suffisamment élevé pour dissuader l'entité adjudicatrice concernée de commettre une infraction ou de persévérer dans celle-ci, sans indiquer si c'est au législateur ou au juge compétent qu'il appartient de fixer le montant de la somme à verser.
24 Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé, au point 13 de ses conclusions, une astreinte, qui est une mesure coercitive dont l'objectif principal est de garantir le respect des décisions du juge saisi, possède par elle-même un caractère dissuasif, en raison de sa nature propre. Partant, une disposition précisant que la somme à verser conformément à l'article 2, paragraphe 1, de la directive 92-13 doit avoir un caractère dissuasif ne serait pas susceptible, en tant que telle, de modifier ou de renforcer celui-ci.
25 En outre, le Gouvernement défendeur soutient, sans être utilement contredit par la Commission, qu'en droit français l'astreinte est par nature un moyen de coercition et un instrument efficace pour faire obstacle au non-respect des injonctions des juges.
26 La Commission fait grief ensuite au Gouvernement français d'avoir prévu, aux articles 1er et 4 de la loi n° 93-1416, non seulement que l'astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'au moment de la liquidation de l'astreinte provisoire, mais également que le montant de celle-ci est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Selon elle, la marge de manœuvre ainsi accordée au juge est fonction de phénomènes subjectifs définis de manière trop incertaine pour assurer le bon fonctionnement du système.
27 A cet égard, il convient de relever en premier lieu que l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 92-13 se borne à faire obligation aux États membres qui ont choisi cette option d'introduire des mesures permettant, par des procédures appropriées, d'émettre un ordre de paiement d'une somme déterminée dans le cas où l'infraction n'est pas corrigée ou évitée. Selon le paragraphe 5 de la même disposition, cette somme doit être fixée à un niveau suffisamment élevé pour dissuader l'entité adjudicatrice de commettre une infraction ou de persévérer dans celle-ci, sans toutefois préciser la nature définitive ou provisoire de cette mesure. Contrairement à ce que soutient la Commission, ladite disposition n'indique pas que, afin d'éviter ou de corriger une infraction, le juge est tenu de ne prononcer que des astreintes ayant un caractère définitif.
28 S'agissant en second lieu de l'argument de la Commission selon lequel les articles 1er et 4 de la loi n° 93-1416 établissent, à tort selon elle, un lien entre l'astreinte et le comportement de celui à qui l'injonction a été adressée, il y a lieu de relever qu'il est inhérent au principe du droit à un procès équitable que le juge, dans une procédure telle que celle prévue à l'article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 92-13, ne puisse faire abstraction du comportement du destinataire de l'injonction et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
29 La Commission fait valoir enfin que la loi n° 93-1416, en ne garantissant pas réellement l'effet dissuasif de l'astreinte, a établi une procédure spécifique et moins contraignante que celle prévue en droit civil, ce qui est contraire à l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 92-13. A cet égard, la Commission soutient qu'il y a une différence entre les dispositions sur l'astreinte de la loi n° 93-1416 et celles contenues dans la loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution (JORF du 14 juillet 1991, p. 9228). Cette différence témoigne, selon elle, de la volonté du législateur français de rendre moins contraignantes les règles spécifiques de la loi n° 93-1416 que celles du régime général de la loi n° 91-650.
30 A cet égard, il suffit de constater que, ainsi que le Gouvernement français l'a soutenu sans être utilement contredit par la Commission, l'objet de la loi n° 93-1416 est différent de celui de la loi n° 91-650. En effet, celle-ci, qui vise à donner à un créancier muni d'un titre exécutoire les moyens de poursuivre l'exécution forcée de ce titre sur les biens du débiteur, dans le cadre du règlement d'une créance préalablement reconnue liquide et exigible, ne confère au juge aucun pouvoir pour intervenir dans la procédure de conclusion de marchés par une entité adjudicatrice.
31 Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 17 de ses conclusions, la loi n° 91-650, alors même qu'elle instaurait une procédure d'astreinte, ne pouvait cependant servir de base pour la transposition de la directive 92-13.
32 Partant, le grief de la Commission selon lequel le législateur français aurait eu l'intention d'instituer une procédure spécifique par rapport au règles de droit civil en vigueur, ne comportant pas les garanties prévues à la directive 92-13, n'est pas fondé.
33 Il résulte des considérations qui précèdent que le grief de la Commission tiré de la transposition inappropriée de l'article 2, paragraphes 1, sous c), et 5, de la directive 92-13 ne saurait être retenu.
Sur l'attestation
34 Selon la Commission, le système d'attestation prévu par le chapitre 2 de la directive 92-13 n'a pas été transposé en droit français.
35 Le Gouvernement français soutient que, bien que les États membres soient obligés de transposer l'article 3 de la directive 92-13, ils peuvent respecter cette obligation soit, comme le prévoit l'article 6, paragraphe 2, de la directive, en désignant directement les attestateurs, soit, comme le permet indirectement l'article 7 de celle-ci, en chargeant un organisme spécialisé d'accréditer des attestateurs. Il prétend que la première modalité n'implique pas obligatoirement l'adoption d'une mesure de transposition, mais nécessite seulement que les entités adjudicatrices soient informées de la possibilité que leur donne le droit communautaire. Le Gouvernement français ajoute qu'il a donné la publicité nécessaire à la directive 92-13.
36 A cet égard, il convient de relever qu'il ressort du libellé même de l'article 3 de la directive 92-13 que les États membres sont tenus de donner la possibilité aux entités adjudicatrices de recourir à un système d'attestation conforme aux articles 4 à 7 de celle-ci. Ainsi que la Commission l'a souligné, à juste titre, la possibilité offerte par la directive 92-13 aux organismes relevant du champ d'application de celle-ci de recourir à un système d'attestation ne signifie nullement que la transposition d'un tel système dans le droit interne soit facultative.
37 En ce qui concerne la publicité donnée par le Gouvernement français à la directive 92-13, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les dispositions d'une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises afin que soit satisfaite l'exigence de la sécurité juridique (voir arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C-59-89, Rec. p. I-2607, point 24).
38 Dès lors, il y a lieu de constater que le système d'attestation prévu par le chapitre 2 de la directive 92-13 n'a pas été transposé en droit français dans le délai prescrit.
Sur la procédure de conciliation
39 Enfin, la Commission fait grief à la République française de n'avoir pas transposé en droit national les articles 9 à 11 de la directive 92-13 concernant la procédure de conciliation.
40 Selon le Gouvernement français, la procédure de conciliation prévue à l'article 9, paragraphe 2, de la directive 92-13, qui n'impose aux États membres d'autre obligation que celle de transmettre dans les meilleurs délais à la Commission la demande de conciliation formulée par toute personne intéressée, n'implique par elle-même l'adoption d'aucune mesure législative ou réglementaire de transposition. Il ajoute que, afin de faciliter la mise en œuvre de cette procédure de conciliation, il a porté à la connaissance des entreprises intéressées le contenu de la directive 92-13 en la publiant dans le numéro d'avril-mai de la revue Marchés Publics, qui est la revue de référence pour tous les professionnels.
41 A cet égard, il suffit de constater que l'article 9, paragraphe 1, de la directive 92-13 prévoit que toute personne qui a ou a eu un intérêt à obtenir un marché entrant dans le champ d'application de la directive 90-531-CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 297, p. 1), et qui, dans le cadre de la procédure de passation de ce marché, s'estime lésée ou risquant d'être lésée par suite du non-respect du droit communautaire en matière de passation des marchés ou des règles nationales transposant ce droit peut demander l'application de la procédure de conciliation prévue aux articles 10 et 11 de la directive 92-13. Il s'ensuit qu'une transposition en droit national est nécessaire afin de permettre aux intéressés de connaître l'existence d'une telle procédure et de leur assurer ainsi la possibilité d'y avoir recours.
42 Dès lors, il y a lieu de conclure que les articles 9 à 11 de la directive 92-13 concernant la procédure de conciliation n'ont pas été transposés dans le délai prescrit.
43 Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il convient de constater que, en n'adoptant pas, dans le délai prescrit, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des chapitres 2 et 4 de la directive 92-13, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13, paragraphe 1, de cette directive.
Sur les dépens
44 Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission et la République française ayant succombé partiellement en leur moyens, il y a lieu de les condamner à supporter leur propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Déclare et arrête:
1) En n'adoptant pas, dans le délai prescrit, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions des chapitres 2 et 4 de la directive 92-13-CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13, paragraphe 1, de cette directive.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chacune des parties supportera ses propres dépens.