CJCE, 6e ch., 12 mars 1998, n° C-319/94
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Jules Dethier Équipement SA
Défendeur :
Dassy, Sovam SPRL
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Ragnemalm
Juges :
MM. Mancini (rapporteur), Murray
LA COUR,
1 Par arrêt du 1er décembre 1994, parvenu à la Cour le 8 décembre suivant, la Cour du travail de Liège a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, des questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L 61, p. 26, ci-après la "directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Jules Dethier Équipement SA (ci-après "Dethier") à M. Dassy et à Sovam SPRL (ci-après "Sovam"), en liquidation, à propos du versement d'une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d'autres indemnités.
3 En vertu de son article 1er, paragraphe 1, la directive est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.
4 Aux termes de son article 3, paragraphe 1, premier alinéa, les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire.
5 L'article 4, paragraphe 1, de la directive dispose que le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement ne constitue pas, en lui-même, un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait toutefois pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi.
6 Les dispositions de la directive ont été mises en œuvre en droit belge dans le deuxième chapitre de la convention collective n° 32 bis, du 7 juin 1985, concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d'employeur du fait d'un transfert conventionnel d'entreprise et réglant les droits des travailleurs repris en cas de reprise de l'actif après faillite ou concordat judiciaire pour abandon d'actif, rendue obligatoire par l'arrêté royal du 25 juillet 1985 (Moniteur belge du 9 août 1985, p. 11527), modifiée par la convention collective n° 32 quater, du 19 décembre 1989, rendue obligatoire par l'arrêté royal du 6 mars 1990.
7 La procédure de liquidation des sociétés en droit belge fait l'objet des articles 178 à 188 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales (ci-après les "lois coordonnées"). Elle s'applique après la dissolution d'une société commerciale et vise à permettre à cette dernière de terminer les opérations commencées sans toutefois pouvoir accomplir, en principe, de nouvelles opérations. L'article 178 des lois coordonnées prévoit que les sociétés commerciales, après leur dissolution, sont réputées exister pour les besoins de leur liquidation, même si elles ont déjà cessé toutes leurs activités.
8 La dissolution met fin de plein droit aux fonctions de tous les organes sociaux, auxquels sont substitués un ou plusieurs liquidateurs. Le liquidateur, qui représente la société à l'égard des tiers, peut être déjà désigné par les statuts de la société. A défaut de convention contraire, les liquidateurs sont nommés par l'assemblée générale des associés ou, si la majorité prévue par la loi n'est pas atteinte, par le tribunal : dans le premier cas, la liquidation est dite "volontaire", tandis que, dans le second, elle est qualifiée de "judiciaire".
9 Même si le juge national indique que les objectifs poursuivis par la liquidation, qu'elle soit volontaire ou judiciaire, sont fort proches de ceux de la faillite, à savoir la réalisation de l'actif de la société, il relève dans l'arrêt de renvoi plusieurs points de divergence entre les deux procédures, qui peuvent être résumés comme suit :
- la décision de procéder à la liquidation, la nomination des liquidateurs et la détermination de leurs pouvoirs sont du ressort de l'assemblée générale de la société ; ce n'est que lorsque la majorité requise n'est pas réunie entre les associés que la société doit s'adresser au juge pour que la liquidation soit prononcée, le juge désignant les liquidateurs conformément aux statuts de la société ou à la décision de l'assemblée générale sauf s'il apparaît certain que la mésentente entre les associés empêchera l'assemblée générale de se prononcer, auquel cas le juge désigne un liquidateur judiciaire. En matière de faillite, la société peut faire aveu de faillite, mais elle peut aussi être déclarée en faillite à la suite de l'action d'un créancier ou du travail de la commission de dépistage, le tribunal désignant le curateur dont les pouvoirs sont fixés par la loi ;
- la personnalité de la société commerciale survit pour les besoins de la liquidation (article 178 des lois coordonnées), ce qui n'est pas le cas de la société faillie ;
- la société conserve son caractère commercial pendant toute la durée de la liquidation ; par conséquent, en cas de cessation ultérieure de paiement et d'ébranlement du crédit, elle pourrait être déclarée en état de faillite ; dans ce cas, la liquidation est une procédure préalable à la faillite ;
- si, en matière de faillite, il existe une procédure spéciale d'établissement du passif sous le contrôle du tribunal, il n'en est pas de même en matière de liquidation, qu'elle soit volontaire ou judiciaire, le liquidateur pouvant reconnaître l'existence d'une dette sans en référer à quiconque, sous sa propre responsabilité et sans que cette décision soit consacrée par un jugement ;
- si , dans le cadre d'une faillite, le créancier peut seulement faire inscrire le montant de sa créance au passif de sa société, il en va différemment dans le cadre d'une liquidation où le créancier peut obtenir la condamnation de la société ;
- dans le cas d'une liquidation, le créancier peut procéder à l'exécution de sa créance contre la société et le liquidateur ne peut s'y opposer que si cette démarche a pour effet de léser les droits des autres créanciers, alors que, en matière de faillite, de tels actes d'exécution sont prohibés, la loi organisant la gestion et la liquidation des biens affectés au désintéressement des créanciers ;
- l'assemblée générale peut révoquer le mandat qu'elle a conféré au liquidateur, tandis que seul le tribunal peut révoquer le mandat donné à un liquidateur judiciaire ou au curateur d'une faillite ; de ce point de vue, une distinction doit donc être établie entre la liquidation volontaire, d'une part, et la liquidation judiciaire ainsi que la faillite, d'autre part ;
- le liquidateur est l'organe de la société pendant sa liquidation alors que le curateur est un tiers. Le curateur représente, outre la société, les créanciers, tandis que le liquidateur ne représente que la société, même s'il doit veiller à la sauvegarde des intérêts des créanciers ;
- contrairement au curateur d'une faillite, le liquidateur ne peut remettre certains paiements en question en l'absence d'une "période suspecte" préalable à la mise en liquidation et il ne peut introduire une action en comblement du passif ou en responsabilité des fondateurs ;
- le curateur procède à la vente de l'actif sous la surveillance du juge commissaire et avec l'autorisation du tribunal dans certains cas, alors que le liquidateur accomplit cette mission sous la tutelle de l'assemblée générale, de telle sorte que le transfert de l'entreprise n'est pas soumis à l'aval du juge ;
- en conclusion, la mise en faillite d'une société donne aux créanciers des garanties plus grandes que la procédure de liquidation, consistant dans le contrôle du tribunal sur le curateur et une représentation plus directe des créanciers.
10 Depuis 1974, M. Dassy était employé par Sovam. Le 15 mai 1991, le Tribunal de commerce de Huy a prononcé la liquidation judiciaire de cette société et a nommé un liquidateur. Le 5 juin suivant, celui-ci a licencié M. Dassy.
11 Le 27 juin 1991, le liquidateur a cédé l'actif de Sovam à Dethier en vertu d'une convention homologuée par le tribunal de commerce le 10 juillet 1991.
12 Le 22 mai 1992, M. Dassy a saisi le Tribunal du travail de Huy pour obtenir la condamnation solidaire de Sovam et de Dethier au paiement des sommes qui lui étaient dues à titre d'indemnité compensatoire de préavis, de congés payés et de primes de fin d'année. Il a fait valoir que le transfert d'entreprise était conventionnel et que Dethier était donc solidairement responsable de ce paiement.
13 Par jugement du 17 décembre 1993, le Tribunal du travail de Huy a condamné solidairement Sovam en liquidation et Dethier à verser à M. Dassy la somme de 1 643 726 BFR. Il a notamment considéré qu'il convenait d'appliquer le deuxième chapitre de la convention collective de travail n° 32 bis, la liquidation judiciaire ne pouvant être assimilée à la faillite lorsque, comme en l'espèce, la cession résultait d'un schéma de reprise antérieur à la mise en liquidation. Il a en outre estimé que la solidarité devait jouer même lorsque la rupture du contrat est antérieure à la date de la cession, car, selon la jurisprudence de la Cour, le personnel irrégulièrement licencié avant la cession doit être considéré comme étant toujours au service de l'entreprise à la date du transfert.
14 Dethier a interjeté appel de ce jugement devant la Cour du travail de Liège en faisant valoir que la liquidation de Sovam était assimilable à une faillite. En outre, la solidarité éventuelle du cessionnaire ne pourrait jouer qu'au profit des seuls travailleurs repris par le cessionnaire et non de ceux qui avaient été licenciés avant la cession.
15 Après avoir considéré que, en l'espèce, l'entité constituée par l'actif de Sovam avait conservé son identité au-delà de sa reprise conformément à l'arrêt du 18 mars 1986, Spijkers (24-85, Rec. p. 1119), et que, partant, il y avait eu un transfert d'entreprise au sens de la directive, la juridiction de renvoi s'est demandé si ce transfert pouvait être qualifié de conventionnel et, en particulier, si la liquidation d'une société constituait une procédure analogue à celle de la faillite, laquelle échapperait alors au champ d'application de la directive.
16 Quant au licenciement de M. Dassy, la juridiction nationale s'interroge sur l'interprétation de l'article 4 de la directive dans le cas d'un travailleur licencié par le liquidateur peu avant le transfert et non repris ultérieurement par le cessionnaire.
17 La Cour du travail de Liège a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :
"1°) La directive 77-187 du Conseil s'applique-t-elle lorsque le transfert est réalisé par une société en liquidation volontaire, procédure dont l'objectif, en l'absence de toute poursuite d'activité, est la liquidation des biens par la réalisation de l'actif ? La réponse est-elle identique lorsque le cédant est une société en liquidation judiciaire ?
2°) Lorsque les contrats de travail de l'ensemble du personnel ont été résiliés par le liquidateur et que seuls quelques membres de ce personnel ont été réengagés pour les besoins de la liquidation, les licenciements de membres du personnel non repris ultérieurement par le cessionnaire peuvent- ils être considérés comme intervenus pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la directive ? Faut-il, au contraire, laisser le pouvoir de licencier pour de telles raisons au seul cessionnaire ?
Les membres du personnel non repris par le cessionnaire peuvent-ils, par le seul fait qu'une entité économique a bien été transférée peu de temps après leur licenciement intervenu pour des raisons d'ordre économique, technique ou d'organisation, se prévaloir, vis-à-vis du cessionnaire, de l'irrégularité de la mesure prise à leur égard par le cédant si la convention de cession ne prévoit pas leur réengagement ?"
Sur la première question
18 Par sa première question , le juge de renvoi cherche, en substance, à savoir si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que celle-ci s'applique en cas de transfert d'une entreprise en état de liquidation judiciaire ou de liquidation volontaire.
19 Il convient de rappeler à titre liminaire que, selon une jurisprudence constante, la Cour estime ne pas pouvoir statuer dans le cadre d'une procédure préjudicielle lorsque les questions qui lui sont posées ne présentent aucun rapport avec la réalité et l'objet de la procédure au principal et ne répondent donc pas à un besoin objectif pour la solution du litige au principal (voir, notamment, arrêts du 16 juin 1981, Salonia, 126-80, Rec. p. 1563, point 6 ; du 16 juillet 1992, Lourenço Dias, C-343-90, Rec. p. I-4673, point 20 ; du 17 mai 1994, Corsica Ferries, C-18-93, Rec. p. I- 1783, point 14, et du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto, C-96-94, Rec. p. I-2883, point 45).
20 Dès lors que l'affaire au principal porte sur le transfert d'une entreprise en état de liquidation judiciaire, il n'y a pas lieu pour la Cour d'interpréter la directive au regard du transfert d'une entreprise en liquidation volontaire, hypothèse qui est étrangère à l'objet de l'affaire au principal, quelles que soient par ailleurs les similitudes entre les procédures de liquidation judiciaire et et de liquidation volontaire.
21 Il y a lieu de relever ensuite que, ainsi que la Cour l'a dit pour droit dans l'arrêt du 7 février 1985, Abels (135-83, Rec. p. 469), la directive ne s'applique pas au transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement dans le cadre d'une procédure de faillite.
22 En revanche, il résulte du même arrêt, points 28 et 29, que la directive est applicable à une procédure telle qu'une "surseance van betaling" (sursis de paiement), bien qu'elle présente certaines caractéristiques communes avec la procédure de faillite. La Cour a, en effet, estimé que les raisons qui justifiaient l'inapplicabilité de la directive dans le cas des procédures de faillite n'étaient pas valables lorsque la procédure en cause comportait un contrôle du juge d'une portée plus restreinte qu'en cas de faillite et lorsqu'elle tendait en premier lieu à la sauvegarde de la masse et, le cas échéant, à la poursuite de l'activité de l'entreprise au moyen d'un sursis collectif de paiement, en vue de trouver un règlement permettant d'assurer l'activité de l'entreprise à l'avenir.
23 De même, dans l'arrêt du 25 juillet 1991, D'Urso e.a. (C-362-89, Rec. p. I-4105), la Cour a considéré que la directive n'était pas applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements intervenus dans le cadre d'une procédure de concours de créanciers du type de celle prévue par la législation italienne sur la liquidation administrative forcée, dont les effets sont assimilables à ceux de la faillite (points 28, 31 et 34). A l'inverse, elle est applicable lorsque, dans le cadre d'un ensemble législatif du type de celui de l'administration extraordinaire des grandes entreprises en crise, la poursuite de l'activité de l'entreprise a été décidée et aussi longtemps que cette dernière décision demeure en vigueur. En pareille hypothèse, l'objectif de la procédure d'administration extraordinaire est, en premier lieu, de donner à l'entreprise un équilibre permettant d'assurer son activité pour l'avenir. L'objectif économique et social ainsi poursuivi ne saurait expliquer ni justifier que, lorsque l'entreprise concernée fait l'objet d'un transfert total ou partiel, ses travailleurs soient privés des droits que leur reconnaît la directive dans les conditions qu'elle précise (points 29 et 32 à 34 ).
24 Plus récemment, dans l'arrêt du 7 décembre 1995, Spano e.a. (C-472-93, Rec. p. I-4321), la Cour a considéré que la directive s'applique au transfert d'une entreprise telle qu'une entreprise dont la situation de crise a été reconnue conformément à la loi italienne n° 675 du 12 août 1977. Elle a notamment observé que l'acte par lequel une entreprise est déclarée en état de crise est destiné à permettre le rétablissement de la situation économique et financière de l'entreprise et surtout le maintien de l'emploi, que la procédure en question tend donc à favoriser le maintien de son activité en vue d'une reprise ultérieure et que, contrairement aux procédures de faillite, elle ne comporte aucun contrôle judiciaire ni aucune mesure d'administration du patrimoine de l'entreprise et ne prévoit aucun sursis de paiement (points 26, 28 et 29).
25 Il résulte de cette jurisprudence que, pour apprécier si la directive s'applique au transfert d'une entreprise qui fait l'objet d'une procédure administrative ou judiciaire, le critère déterminant à prendre en considération est celui de l'objectif poursuivi par la procédure en cause (arrêts précités D'Urso e.a., point 26, et Spano e.a., point 24). Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général aux points 31, 41 et 45 de ses conclusions, il convient toutefois de tenir également compte des modalités de la procédure en cause, notamment en ce qu'elles impliquent que l'activité de l'entreprise se poursuive ou qu'elle cesse, ainsi que des finalités de la directive.
26 En l'espèce, il ressort des indications fournies par la juridiction nationale que la procédure belge de liquidation judiciaire vise à la liquidation des biens par la réalisation de l'actif au profit de la société elle-même et, subsidiairement, de ses créanciers, s'il y en a. La mise en liquidation n'exige pas, à titre de condition, que le passif dépasse l'actif. S'il est vrai que la liquidation peut constituer une étape précédant la faillite, elle peut également intervenir, comme l'indique le Gouvernement belge, lorsque les associés ne veulent plus collaborer.
27 Il s'ensuit que, si les finalités de la liquidation judiciaire peuvent parfois s'apparenter à celle de la faillite, il n'en va pas nécessairement ainsi, cette procédure pouvant être utilisée dans tous les cas où l'on souhaite mettre fin à l'activité d'une société et quelles que soient les raisons d'un tel choix.
28 Le critère tenant à l'objectif poursuivi par la procédure de liquidation judiciaire n'apparaissant pas concluant, il y a lieu de procéder à l'examen des modalités de ladite procédure.
29 A ce propos, il ressort de la décision de renvoi que, dans le cas de la liquidation, le liquidateur, bien que nommé par le juge, est un organe de la société qui procède à la vente de l'actif sous la tutelle de l'assemblée générale, qu'il n'existe pas une procédure spéciale d'établissement du passif sous le contrôle du tribunal, et qu'un créancier peut en principe procéder à l'exécution de sa créance contre la société et en obtenir la condamnation. En revanche, dans le cas de la faillite, le curateur, en tant qu'il représente les créanciers, est un tiers par rapport à la société et procède à la réalisation de l'actif sous la surveillance du juge, le passif de la société est établi selon une procédure spéciale, et les actes individuels d'exécution sont prohibés.
30 Il apparaît ainsi que la situation d'une entreprise en liquidation judiciaire présente des différences considérables par rapport à celle d'une entreprise en faillite et que les raisons qui ont conduit la Cour à exclure l'application de la directive en cette dernière hypothèse peuvent faire défaut dans le cas d'une entreprise en liquidation judiciaire.
31 Tel est le cas si, comme en l'espèce au principal, l'activité de l'entreprise se poursuit au cours de la liquidation judiciaire. En pareille hypothèse, la continuité de l'exploitation est assurée lorsque l'entreprise fait l'objet du transfert. Par conséquent, rien ne justifie que les travailleurs soient privés des droits que leur garantit la directive dans les conditions qu'elle précise.
32 Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que celle-ci s'applique en cas de transfert d'une entreprise en état de liquidation judiciaire lorsque l'activité de l'entreprise est poursuivie.
Sur la seconde question
33 Par la première partie de sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 4, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que le pouvoir de licencier pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation appartient au seul cessionnaire ou si, au contraire, il doit également être reconnu au cédant.
34 A cet égard, il y a lieu d'observer que l'article 4, paragraphe 1, assure la protection des droits des travailleurs contre le licenciement justifié par le seul motif du transfert tant vis-à-vis du cédant que vis-à-vis du cessionnaire.
35 D'ailleurs, la Cour a déjà estimé que les travailleurs dont le contrat ou la relation de travail ont pris fin avec effet à une date antérieure à celle du transfert, en violation de l'article 4, paragraphe 1, doivent être considérés comme étant toujours employés de l'entreprise à la date du transfert avec la conséquence, notamment, que les obligations de l'employeur à leur égard sont transférées de plein droit du cédant au cessionnaire (arrêt du 15 juin 1988, Bork International e.a., 101-87, Rec. p. 3057, point 18).
36 Il s'ensuit que l'article 4, paragraphe 1, de la directive, en tant qu'il s'oppose à ce que le licenciement intervienne du seul fait du transfert, ne limite pas davantage le pouvoir du cédant que celui du cessionnaire de procéder à des licenciements pour les raisons qu'il admet.
37 Il convient donc de répondre à la première partie de la seconde question préjudicielle que l'article 4, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que le pouvoir de licencier pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation appartient tant au cédant qu'au cessionnaire.
38 Par la seconde partie de la seconde question, le juge national vise à savoir, en substance, si les travailleurs irrégulièrement licenciés par le cédant peu de temps avant le transfert de l'entreprise et non repris par le cessionnaire peuvent se prévaloir vis-à-vis de ce dernier de l'irrégularité dudit licenciement.
39 D'une part, il résulte de l'arrêt Bork International e.a., précité, que les travailleurs licenciés avant le transfert d'entreprise en violation de l'article 4, paragraphe 1, doivent être considérés comme étant toujours employés de l'entreprise à la date du transfert.
40 D'autre part, il est de jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 10 février 1988, Daddy's Dance Hall, 324-86, Rec. p. 739, point 14) que les règles de la directive, et notamment celles relatives à la protection des travailleurs contre le licenciement en raison du transfert, doivent être considérées comme impératives, en ce sens qu'il n'est pas permis d'y déroger dans un sens défavorable aux travailleurs.
41 Par conséquent, le contrat de travail de la personne licenciée irrégulièrement peu de temps avant le transfert doit être considéré comme encore existant vis-à-vis du cessionnaire, même si le travailleur licencié n'a pas été repris par ce dernier après le transfert d'entreprise.
42 Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la seconde partie de la seconde question préjudicielle que les travailleurs irrégulièrement licenciés par le cédant peu de temps avant le transfert de l'entreprise et non repris par le cessionnaire peuvent se prévaloir vis-à-vis de ce dernier de l'irrégularité dudit licenciement.
Sur les dépens
43 Les frais exposés par le Gouvernement belge et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par la Cour du travail de Liège, par arrêt du 1er décembre 1994, dit pour droit :
1°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que celle-ci s'applique en cas de transfert d'une entreprise en état de liquidation judiciaire lorsque l'activité de l'entreprise se poursuit.
2°) L'article 4, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens que le pouvoir de licencier pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation appartient tant au cédant qu'au cessionnaire. Les travailleurs irrégulièrement licenciés par le cédant peu de temps avant le transfert de l'entreprise et non repris par le cessionnaire peuvent se prévaloir vis-à-vis de ce dernier de l'irrégularité de ce licenciement.