CJCE, 6e ch., 24 janvier 2002, n° C-51/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Temco Service Industries SA
Défendeur :
Imzilyen, Belfarh, Afia-Aroussi, Lakhdar
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Macken
Avocat général :
M. Geelhoed
Juges :
MM. Gulmann, Puissochet (rapporteur), Schintgen, Cunha Rodrigues
Avocats :
Mes Votquenne, Milde, Jourdan, Desterbecq, Fervaille, Carlier, Bouquelle
LA COUR,
1 Par arrêt du 14 février 2000, parvenu à la Cour le 17 février suivant, la Cour du travail de Bruxelles a posé, en application de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 1er, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (JO L. 61, p. 26, ci-après la "directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Temco Service Industries SA (ci-après "Temco"), entreprise de nettoyage, titulaire d'un contrat de nettoyage des installations industrielles de Volkswagen Bruxelles SA (ci-après "Volkswagen"), à MM. Imzilyen, Belfarh, Afia-Aroussi et Lakhdar, salariés de General Maintenance Contractors SPRL (ci-après "GMC"), entreprise chargée, immédiatement avant, en qualité de sous-traitant de Buyle-Medros-Vaes Associates SA (ci-après "BMV"), des mêmes prestations en vertu d'un contrat antérieur qui a été dénoncé. Temco conteste que les contrats de travail de ces quatre salariés lui aient été automatiquement transférés en application de la directive.
Le cadre juridique
La directive
3 Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive est applicable aux transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements à un autre chef d'entreprise, résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion.
4 L'article 3, paragraphe 1, de la directive dispose :
"Les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert au sens de l'article 1er paragraphe 1 sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire."
5 L'article 4, paragraphe 1, de la directive précise :
"Le transfert d'une entreprise, d'un établissement ou d'une partie d'établissement ne constitue pas en lui-même un motif de licenciement pour le cédant ou le cessionnaire. Cette disposition ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d'organisation impliquant des changements sur le plan de l'emploi."
La réglementation nationale
6 Les dispositions de la directive ont été mises en œuvre en droit belge par la convention collective de travail n° 32 bis, du 7 juin 1985, conclue au sein du Conseil national du travail, concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d'employeur du fait d'un transfert conventionnel d'entreprise et réglant les droits des travailleurs repris en cas de reprise de l'actif après faillite ou concordat judiciaire par abandon d'actif, rendue obligatoire par l'arrêté royal du 25 juillet 1985 (Moniteur belge du 9 août 1985, p. 11527), telle que modifiée par la convention collective de travail n° 32 quater, du 19 décembre 1989 (ci-après la "CCT n° 32 bis"), à son tour rendue obligatoire par l'arrêté royal du 6 mars 1990 (Moniteur belge du 21 mars 1990, p. 5114).
7 La convention collective de travail du 5 mai 1993, conclue au sein de la commission paritaire pour les entreprises de nettoyage et de désinfection, concernant la reprise du personnel en cas de transfert de contrat d'entretien journalier (ci-après la "CCT du 5 mai 1993"), dispose, à ses articles 1er, 4 et 5 :
"[Article 1er] Dans la situation de transfert de contrat d'entretien journalier faisant suite à une réadjudication ou suite à la décision du client, l'employeur tentera - dans la mesure du possible - de réaliser la continuité des contrats de travail au sein de son entreprise, par le transfert des ouvriers ou par une réorganisation. Ceci vaut en tout cas pour les ouvriers dits "protégés" [délégués syndicaux, candidats et élus aux élections sociales (voir législation)]. [...]
[...]
[Article 4] L'entreprise qui obtient le contrat a l'obligation - endéans les deux semaines de l'obtention et en tout cas au moins une semaine avant la reprise du chantier - de présenter, par écrit, au moins 75 % des postes de travail existant sur le chantier après transfert, à des ouvriers qu'elle sélectionnera elle-même, faisant partie de l'équipe de l'entreprise qui perd le contrat, pour autant que ces ouvriers aient au moins six mois d'expérience sur ledit chantier. [...]
[Article 5] Les ouvriers qui sont repris selon les modalités de l'article 4 obtiennent un nouveau contrat de travail sans période d'essai et avec maintien de leur ancienneté."
Le litige au principal
8 Volkswagen a confié le nettoyage de certaines de ses installations industrielles à BMV à compter du 2 mai 1993 et jusqu'au mois de décembre 1994, date à laquelle elle a résilié le contrat. BMV sous-traitait les travaux de nettoyage à sa filiale GMC.
9 Par contrat signé le 14 décembre 1994 et prenant effet le 9 janvier 1995, Volkswagen a chargé Temco d'assurer les mêmes prestations.
10 GMC, dont le chantier Volkswagen constituait alors l'unique activité, a licencié l'ensemble de son personnel, à l'exception de MM. Imzilyen, Belfarh, Afia-Aroussi et Lakhdar, quatre salariés protégés qu'elle a conservés en application de l'article 1er de la CCT du 5 mai 1993. Après la perte de ce chantier, GMC est restée inactive, sans cependant disparaître.
11 Conformément aux dispositions de la CCT du 5 mai 1993, qui oblige le repreneur de l'activité à s'enquérir auprès de son prédécesseur de l'effectif des salariés affecté à l'activité transférée et à reprendre 75 % du personnel, Temco a, par lettre du 15 décembre 1994, fait connaître à BMV qu'elle avait emporté le marché de nettoyage de Volkswagen et l'a invitée à lui communiquer la liste du personnel affecté à ce marché. GMC lui ayant communiqué cette liste, Temco a réembauché une partie du personnel de GMC.
12 GMC a, dans le même temps, tenté de licencier les quatre salariés protégés en suivant la procédure prévue par la législation nationale ; elle a demandé à la commission paritaire compétente la reconnaissance de motifs économiques ou techniques lui permettant de les licencier. Cette demande a été rejetée.
13 Le Tribunal du travail de Bruxelles, saisi d'une demande de réformation de cette décision, s'est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande. Par un arrêt du 23 novembre 1995, la Cour du travail de Bruxelles a confirmé ce jugement.
14 Jusqu'en décembre 1995, ces quatre salariés ont été placés, par GMC, en chômage partiel, alors même, semble-t-il, que ladite société avait déjà affirmé à l'occasion d'un échange de courrier que les contrats de ces quatre personnes avaient été automatiquement transférés à Temco à la date à laquelle cette dernière société avait repris l'activité de nettoyage des installations de Volkswagen, soit le 9 janvier 1995, en application de la CCT n° 32 bis transposant la directive. À partir du mois de décembre 1995, GMC ayant cessé de les payer, les quatre salariés ont assigné GMC, BMV et Temco devant le Tribunal du travail de Bruxelles.
15 Par jugement du 12 mars 1998, le Tribunal a jugé que l'activité de nettoyage des installations de Volkswagen avait été transférée de GMC à Temco par un jeu de relations contractuelles et qu'ainsi il y avait eu transfert d'entreprise entre ces deux sociétés au sens de la CCT n° 32 bis et donc de la directive. Il a considéré, en outre, que la CCT du 5 mai 1993 était illégale en tant qu'elle n'obligeait qu'à reprendre 75 % du personnel. En conséquence, le Tribunal a jugé que les quatre salariés étaient passés de plein droit au service de Temco le 9 janvier 1995.
16 Temco a fait appel du jugement devant la Cour du travail de Bruxelles. Cette dernière s'interroge sur l'application de la directive eu égard à deux circonstances particulières du litige pendant devant elle.
17 D'une part, GMC, entreprise cédant l'activité transférée n'était que le sous-traitant de BMV qui était, avant Temco, titulaire du marché de nettoyage en cause, de sorte que GMC n'a jamais été en relation contractuelle avec Volkswagen, donneur d'ordre.
18 D'autre part, GMC a continué à exister plusieurs années après que le contrat de nettoyage dont était titulaire BMV eut été dénoncé par Volkswagen.
19 La Cour du travail de Bruxelles a, en conséquence, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187 du Conseil, du 14 février 1977, s'applique-t-il lorsqu'une entreprise A ayant concédé les travaux de nettoyage de ses installations industrielles à une entreprise B voit celle-ci confier ces travaux à une entreprise C qui, suite à la perte du marché par l'entreprise B, licencie tout son personnel sauf quatre personnes, alors qu'ensuite, une entreprise D se voit attribuer ce chantier par l'entreprise A et engage, en application d'une convention collective de travail, une partie du personnel de l'entreprise C, mais ne recueille aucun élément de l'actif de cette dernière, qui continue à exister et qui persiste dans la poursuite de son objet social ?
2°) La directive précitée fait-elle obstacle, dans l'hypothèse où l'entreprise C serait déclarée cédante, tout en continuant à exister, qu'elle puisse conserver certains travailleurs à son service ?"
Sur la première question
20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation dans laquelle un donneur d'ordre, qui avait confié par contrat le nettoyage de ses locaux à un premier entrepreneur, lequel faisait exécuter ce marché par un sous-traitant, met fin à ce contrat et conclut, en vue de l'exécution des mêmes travaux, un nouveau contrat avec un second entrepreneur, lorsque l'opération ne s'accompagne d'aucune cession d'éléments d'actif, corporels ou incorporels, entre le premier entrepreneur ou le sous-traitant et le second entrepreneur, ledit sous-traitant ayant licencié la quasi-totalité de ses travailleurs mais continuant d'exister et persistant dans la poursuite de son objet social, le second entrepreneur reprenant, en vertu d'une convention collective de travail, une partie du personnel licencié par le sous-traitant.
21 Il ressort des termes mêmes de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive que son application est soumise à trois conditions : le transfert doit opérer un changement d'employeur, il doit porter sur une entreprise, un établissement ou une partie d'établissement et il doit résulter d'une convention. La question posée ne concerne pas le changement d'employeur mais amène à analyser l'objet du transfert et son caractère conventionnel.
Sur l'objet du transfert
22 Temco soutient que, pour qu'il y ait transfert au sens de la directive, il faut que soit transféré un ensemble de moyens organisés de façon autonome. Or, tel ne serait pas le cas lorsque, comme dans l'affaire au principal, un donneur d'ordre met fin à un contrat d'entreprise et passe un nouveau contrat avec une autre entreprise, procédant ainsi à un transfert d'activité sans transfert d'entité économique. Elle soutient au surplus que la seule reprise d'une partie du personnel ne suffit pas à caractériser un tel transfert, surtout quand cette reprise est imposée par une convention collective sectorielle telle la CCT du 5 mai 1993.
23 Il convient, à cet égard, de constater que la directive vise à assurer la continuité des relations de travail existant dans le cadre d'une entité économique, indépendamment d'un changement du propriétaire, de sorte que le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert au sens de la directive est de savoir si l'entité en question garde son identité (voir, notamment, arrêt du 18 mars 1986, Spijkers, 24-85, Rec. p. 1119, point 11). Le transfert doit donc porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l'activité ne se borne pas à l'exécution d'un ouvrage déterminé (voir, notamment, arrêt du 19 septembre 1995, Rygaard, C-48-94, Rec. p. I-2745, point 20). La notion d'entité renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre (arrêt du 11 mars 1997, Süzen, C-13-95, Rec. p. I-1259, point 13).
24 Pour déterminer si les conditions d'un transfert d'une entité sont remplies, il y a lieu de prendre en considération l'ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l'opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d'entreprise ou d'établissement dont il s'agit, le transfert ou non d'éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l'essentiel des effectifs par le nouveau chef d'entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d'une éventuelle suspension de ces activités. Ces éléments ne constituent toutefois que des aspects partiels de l'évaluation d'ensemble qui s'impose et ne sauraient, de ce fait, être appréciés isolément (voir, notamment, arrêts précités Spijkers, point 13, et Süzen, point 14).
25 Dans ses arrêts du 14 avril 1994, Schmidt (C-392-92, Rec. p. I-1311) ; Süzen, précité, et du 10 décembre 1998, Hernández Vidal e.a. (C-127-96, C-229-96 et C-74-97, Rec. p. I-8179), la Cour a déjà eu à connaître de la question du transfert d'une entité économique dans le secteur du nettoyage. Elle a considéré que l'importance respective à accorder aux différents critères de l'existence d'un transfert au sens de la directive varie nécessairement en fonction de l'activité exercée, voire des méthodes de production ou d'exploitation utilisées dans l'entreprise, dans l'établissement ou dans la partie d'établissement en cause. Dès lors, en particulier, qu'une entité économique peut, dans certains secteurs, fonctionner sans éléments d'actif, corporels ou incorporels, significatifs, le maintien de l'identité d'une telle entité par-delà l'opération dont elle fait l'objet ne saurait, par hypothèse, dépendre de la cession de tels éléments (arrêt Süzen, précité, point 18).
26 Ainsi, dans certains secteurs dans lesquels l'activité repose essentiellement sur la main-d'œuvre, une collectivité de travailleurs que réunit durablement une activité commune peut correspondre à une entité économique. Une telle entité est, en conséquence, susceptible de conserver son identité par-delà son transfert quand le nouveau chef d'entreprise ne se contente pas de poursuivre l'activité en cause, mais reprend également une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche (arrêt Süzen, précité, point 21). Concernant une entreprise de nettoyage, un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l'absence d'autres facteurs de production, correspondre à une entité économique (arrêt Hernández Vidal e.a., précité, point 27).
27 Si Temco a soutenu à l'audience que la reprise d'une partie du personnel de GMC lui a été imposée par une convention collective sectorielle (CCT du 5 mai 1993), une telle circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur le fait que le transfert porte sur une entité économique. Il faut, au surplus, souligner que l'objectif poursuivi par la CCT du 5 mai 1993 est le même que celui de la directive et que cette convention collective vise expressément, concernant la reprise d'une partie du personnel, le cas d'une réadjudication telle que celle en cause au principal.
28 De même, la circonstance que le personnel du cédant a été licencié seulement quelques jours avant la date de la reprise du personnel par le cessionnaire, démontrant par là que le motif du licenciement a été le transfert de l'activité, ne peut avoir pour effet de priver les travailleurs de leur droit à ce que leur contrat de travail se poursuive avec le cessionnaire. Dans ces conditions, ce personnel doit être considéré comme étant toujours employé à la date du transfert (arrêt du 15 juin 1988, Bork International e.a., 101-87, Rec. p. 3057, point 18). Dans le même arrêt, la Cour a en effet jugé que, pour déterminer si le licenciement a été motivé par le seul fait du transfert, il convient de prendre en considération les circonstances objectives dans lesquelles le licenciement est intervenu, par exemple le fait qu'il a pris effet à une date rapprochée de celle du transfert et que les travailleurs en cause ont été réembauchés par le cessionnaire. Le personnel de GMC doit, par conséquent, être regardé comme ayant fait partie de cette société jusqu'à sa reprise par Temco.
29 En outre, l'article 1er, paragraphe 1, de la directive prévoit expressément que le transfert peut ne concerner qu'une partie d'établissement. Ainsi, est sans effet sur la qualification du transfert au regard de la directive la circonstance que l'entreprise cédante continue à exister après la reprise d'une de ses activités par une autre entreprise et qu'elle ait conservé une partie du personnel qui était consacré à cette activité, dès lors que l'activité dont elle s'est séparée constitue par elle-même une entité économique (voir notamment, en ce sens, arrêt du 12 novembre 1992, Watson Rask et Christensen, C-209-91, Rec. p. I-5755). En tout état de cause, il ressort du dossier que, même si GMC a continué à avoir une existence juridique après la résiliation du contrat de nettoyage passé entre Volkswagen et BMV, elle a cessé la seule activité qu'elle exerçait et qui a été reprise par Temco.
Sur le caractère conventionnel du transfert
30 La directive est, selon son article 1er, applicable aux transferts qui résultent d'une cession conventionnelle ou d'une fusion. Or, Temco soutient qu'il n'y a pas cession conventionnelle lorsque, comme dans l'affaire au principal, d'une part, il n'existe aucune relation contractuelle entre le cédant et le cessionnaire, d'autre part, le cédant n'avait lui-même aucun rapport contractuel avec le donneur d'ordre qui n'était lié qu'avec l'entreprise qui sous-traitait les travaux de nettoyage au cédant. Selon Temco, l'entreprise qui avait passé le contrat de nettoyage avec le donneur d'ordre n'avait, par hypothèse, aucun personnel transféré puisque le personnel de nettoyage appartenait à l'entreprise sous-traitante.
31 Mais, ainsi que la Cour l'a jugé, l'absence de lien conventionnel entre le cédant et le cessionnaire ne saurait exclure l'hypothèse d'un transfert au sens de la directive. Le transfert peut s'effectuer en deux contrats successifs passés par le cédant et le cessionnaire avec la même personne morale ou privée (voir, à propos d'un changement de locataire-gérant d'un restaurant, arrêt du 10 février 1988, Tellerup, dit "Daddy's Dance Hall", 324-86, Rec. p. 739 ; à propos de la passation par une commune d'un contrat avec une association consécutive à la résiliation d'un précédent contrat avec une autre association pour poursuivre des activités analogues, arrêt du 19 mai 1992, Redmond Stichting, C-29-91, Rec. p. I-3189, et, à propos d'un changement de titulaire d'une concession de vente de véhicules, arrêt du 7 mars 1996, Merckx et Neuhuys, C-171-94 et C-172-94, Rec. p. I-1253). Cette jurisprudence trouve tout naturellement à s'appliquer dans une situation où, comme dans l'affaire au principal, un donneur d'ordre passe deux contrats de nettoyage successifs, le second après avoir résilié le premier, avec deux entreprises différentes (arrêt Süzen, précité, points 11 et 12).
32 La circonstance que l'entreprise cédante ne soit pas celle qui a conclu le premier contrat avec le donneur d'ordre mais seulement la sous-traitante de la cocontractante est sans incidence sur la notion même de transfert conventionnel dès lors qu'il suffit que ledit transfert s'inscrive dans le cadre de relations contractuelles même indirectes. Dans l'affaire au principal, la relation de GMC avec Volkswagen apparaît comme étant de nature contractuelle, au sens de la directive, dans la mesure où BMV s'étant vu confier par Volkswagen, par contrat d'entreprise, le marché en cause a à son tour confié à GMC, par contrat de sous-traitance, l'exécution de ce marché. De tels contrats de sous-traitance créent d'ailleurs des liens directs entre le donneur d'ordre et le sous-traitant, qui peuvent être juridiques, comme le paiement direct, et qui sont en tout état de cause des liens factuels, comme la surveillance et le contrôle quotidien du travail effectué. Ces liens sont d'autant plus importants dans le litige au principal que GMC a été créée, sous forme de filiale, par BMV pour la seule exécution du contrat de nettoyage, passé par cette dernière société, au profit de Volkswagen.
33 Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle que l'article 1er, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation dans laquelle un donneur d'ordre, qui avait confié par contrat le nettoyage de ses locaux à un premier entrepreneur, lequel faisait exécuter ce marché par un sous-traitant, met fin à ce contrat et conclut, en vue de l'exécution des mêmes travaux, un nouveau contrat avec un second entrepreneur, lorsque l'opération ne s'accompagne d'aucune cession d'éléments d'actif, corporels ou incorporels, entre le premier entrepreneur ou le sous-traitant et le nouvel entrepreneur, mais que le nouvel entrepreneur reprend, en vertu d'une convention collective de travail, une partie des effectifs du sous-traitant, à condition que la reprise du personnel porte sur une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que le sous-traitant affectait à l'exécution du marché sous-traité.
Sur la seconde question
34 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 3, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce que le contrat ou la relation de travail d'un travailleur employé par le cédant à la date du transfert d'entreprise, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, se poursuive avec le cédant.
35 L'article 3, paragraphe 1, de la directive énonce le principe du transfert automatique au cessionnaire des droits et obligations qui résultent pour le cédant des contrats de travail existant à la date du transfert d'entreprise. La règle résultant de ces dispositions, selon laquelle le transfert a lieu sans le consentement des partenaires en cause, est impérative ; il n'est pas permis d'y déroger dans un sens défavorable aux travailleurs. Par voie de conséquence, la mise en œuvre des droits conférés aux travailleurs par la directive ne saurait être subordonnée au consentement ni du cédant ou du cessionnaire, ni des représentants des travailleurs ou des travailleurs eux-mêmes (arrêt du 25 juillet 1991, D'Urso e.a., C-362-89, Rec. p. I-4105, point 11).
36 Toutefois, bien que le transfert du contrat de travail s'impose ainsi tant à l'employeur qu'au salarié, la Cour a admis la faculté pour ce dernier de refuser que son contrat de travail soit transféré au cessionnaire (voir, notamment, arrêt du 16 décembre 1992, Katsikas e.a., C-132-91, C-138-91 et C-139-91, Rec. p. I-6577, points 31 à 33). Dans ce cas, la situation du salarié dépend de la législation de chaque État membre : soit le contrat qui lie le salarié à l'entreprise cédante peut être résilié à l'initiative de l'employeur ou à celle du salarié, soit le contrat peut être maintenu avec cette entreprise (voir, notamment, arrêt Katsikas e.a., précité, point 36).
37 Il convient donc de répondre à la seconde question préjudicielle que l'article 3, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce que le contrat ou la relation de travail d'un travailleur employé par le cédant à la date du transfert d'entreprise, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive, se poursuive avec le cédant, lorsque ledit travailleur s'oppose au transfert au cessionnaire de son contrat ou de sa relation de travail.
Sur les dépens
38 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par la Cour du travail de Bruxelles, par arrêt du 14 février 2000, dit pour droit :
1°) L'article 1er, paragraphe 1, de la directive 77-187-CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements, doit être interprété en ce sens que cette dernière s'applique à une situation dans laquelle un donneur d'ordre, qui avait confié par contrat le nettoyage de ses locaux à un premier entrepreneur, lequel faisait exécuter ce marché par un sous-traitant, met fin à ce contrat et conclut, en vue de l'exécution des mêmes travaux, un nouveau contrat avec un second entrepreneur, lorsque l'opération ne s'accompagne d'aucune cession d'éléments d'actif, corporels ou incorporels, entre le premier entrepreneur ou le sous-traitant et le nouvel entrepreneur, mais que le nouvel entrepreneur reprend, en vertu d'une convention collective de travail, une partie des effectifs du sous-traitant, à condition que la reprise du personnel porte sur une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que le sous-traitant affectait à l'exécution du marché sous-traité.
2°) L'article 3, paragraphe 1, de la directive 77-187 doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce que le contrat ou la relation de travail d'un travailleur employé par le cédant à la date du transfert d'entreprise, au sens de l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive, se poursuive avec le cédant, lorsque ledit travailleur s'oppose au transfert au cessionnaire de son contrat ou de sa relation de travail.