CJCE, 25 février 2003, n° C-59/01
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Puissochet, Wathelet, Timmermans
Avocat général :
M. Alber
Juges :
MM. Edward, Jann, von Bahr, Cunha Rodrigues (rapporteur), Rosas, Mmes Macken, Colneric
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 février 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en ayant institué et maintenu en vigueur un système de blocage des prix, applicable à tous les contrats d'assurance responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs couvrant un risque situé sur le territoire italien, sans distinction entre les compagnies d'assurances ayant leur siège en Italie et celles y exerçant leurs activités par l'intermédiaire de succursales ou en régime de libre prestation des services, en violation :
a) du principe de la liberté tarifaire et de la suppression des contrôles préalables ou systématiques sur les tarifs et les contrats, visé aux articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE (troisième directive "assurance non-vie") (JO L. 228, p. 1) ;
b) des dispositions énoncées à l'article 44 de cette directive, relatives au régime en matière de collecte d'informations sur le montant des primes, des sinistres et des commissions, sur la fréquence et le coût moyen des sinistres, ainsi que sur les échanges entre les autorités de contrôle de l'Etat membre d'origine et celles de l'Etat membre d'accueil,
la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 Aux termes de l'article 1er de la directive 92-49 :
"Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
c) Etat membre d'origine : l'Etat membre dans lequel est situé le siège social de l'entreprise d'assurance qui couvre le risque ;
[...]"
3 Sous le titre II, intitulé "Accès à l'activité d'assurance", l'article 6 de la directive 92-49 dispose :
"L'article 8 de la directive 73-239-CEE est remplacé par le texte suivant.
Article 8
[...]
3. La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres maintiennent ou introduisent des dispositions législatives, réglementaires ou administratives qui prévoient l'approbation des statuts et la communication de tout document nécessaire à l'exercice normal du contrôle.
Toutefois, les Etats membres ne prévoient pas de dispositions exigeant l'approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés que l'entreprise a l'intention d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance.
Les Etats membres ne peuvent maintenir ou introduire la notification préalable ou l'approbation des majorations de tarifs proposées qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix.
[...]"
4 Aux termes de l'article 28 de la directive 92-49, qui figure sous le titre III de celle-ci, intitulé "Harmonisation des conditions d'exercice" :
"L'Etat membre où le risque est situé ne peut empêcher le preneur d'assurance de souscrire un contrat conclu avec une entreprise d'assurance agréée dans les conditions énoncées à l'article 6 de la directive 73-239-CEE pour autant qu'il ne soit pas en opposition avec les dispositions légales d'intérêt général en vigueur dans l'Etat membre où le risque est situé."
5 Sous le même titre III, l'article 29 de la directive 92-49 est libellé comme suit :
"Les Etats membres ne prévoient pas de dispositions exigeant l'approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés qu'une entreprise d'assurance se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance. Dans le but de contrôler le respect des dispositions nationales relatives aux contrats d'assurance, ils ne peuvent exiger que la communication non systématique de ces conditions et de ces autres documents, sans que cette exigence puisse constituer pour l'entreprise une condition préalable de l'exercice de son activité.
Les Etats membres ne peuvent maintenir ou introduire la notification préalable ou l'approbation des majorations des tarifs proposés qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix."
6 L'article 30 de la directive 92-49, qui figure sous ledit titre III, énonce à son paragraphe 2 :
"Nonobstant toute disposition contraire, un Etat membre qui impose l'obligation de souscrire une assurance peut exiger la communication à son autorité compétente, préalablement à leur utilisation, des conditions générales et spéciales des assurances obligatoires."
7 Sous le titre IV de la directive 92-49, intitulé "Dispositions sur le libre établissement et la libre prestation des services", l'article 39, paragraphes 2 et 3, de celle-ci dispose :
"2. L'Etat membre de la succursale ou de la prestation de services ne prévoit pas de dispositions exigeant l'approbation préalable ou la communication systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, des tarifs et des formulaires et autres imprimés que l'entreprise se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance. Dans le but de contrôler le respect des dispositions nationales relatives aux contrats d'assurance, il ne peut exiger de toute entreprise souhaitant effectuer sur son territoire des opérations d'assurance, en régime d'établissement ou en régime de libre prestation de services, que la communication non systématique des conditions et des autres documents qu'elle se propose d'utiliser, sans que cette exigence puisse constituer pour l'entreprise une condition préalable de l'exercice de son activité.
3. L'Etat membre de la succursale ou de la prestation de services ne peut maintenir ou introduire la notification préalable ou l'approbation des majorations de tarifs proposés qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix."
8 En outre, aux termes de l'article 44 de la directive 92-49, qui figure sous le même titre IV de celle-ci :
"1. L'article 22 de la directive 88-357-CEE est supprimé.
Chaque entreprise d'assurance doit communiquer à l'autorité compétente de l'Etat membre d'origine, de manière distincte pour les opérations effectuées en régime d'établissement et pour celles effectuées en régime de libre prestation de services, le montant des primes, des sinistres et des commissions, sans déduction de la réassurance, par Etat membre et par groupe de branches ainsi qu'en ce qui concerne la branche 10 du titre A de l'annexe de la directive 73-239-CEE, non compris la responsabilité du transporteur, la fréquence et le coût moyen des sinistres.
Les groupes de branches sont définis comme suit :
[...]
- assurance automobile (branches 3, 7 et 10, les chiffres relatifs à la branche 10, à l'exclusion de la responsabilité du transporteur, étant à préciser),
[...]
L'autorité compétente de l'Etat membre d'origine communique les indications en question dans un délai raisonnable et sous une forme agrégée aux autorités compétentes de chacun des Etats membres concernés qui lui en font la demande."
La réglementation nationale
9 Conformément à l'article 2, paragraphes 2 à 5 quinquies, du décret-loi n° 70, du 28 mars 2000, portant dispositions urgentes pour la limitation des poussées inflationnistes (GURI n° 73, du 28 mars 2000, p. 4), tel que modifié par la loi n° 137, du 26 mai 2000, portant conversion, avec modifications, dudit décret-loi (GURI n° 122, du 27 mai 2000, p. 4, ci-après le "décret-loi") :
"2. Pour les contrats relatifs à l'assurance obligatoire en responsabilité civile liée à la circulation des véhicules à moteur et des véhicules lacustres, maritimes et fluviaux, reconduits dans l'année qui suit l'entrée en vigueur du présent décret selon une formule tarifaire prévoyant une variation de la prime en fonction des sinistres survenus, les compagnies d'assurances ne peuvent appliquer aucune augmentation de tarif aux contractants auxquels aucun sinistre provoqué par le conducteur ne peut être imputé pour la dernière période d'observation. Les contrats conclus dans l'année qui suit l'entrée en vigueur du présent décret-loi et appliquant une formule tarifaire prévoyant une variation des primes en fonction de la survenance de sinistres se voient appliquer le tarif en vigueur à la date en question.
2-bis. Le paragraphe 2 ci-dessus s'applique, à partir de la date d'entrée en vigueur du présent décret, aux contrats d'assurance relatifs aux voitures, cyclomoteurs et motocycles appliquant les formules tarifaires visées à l'article 12 de la loi n° 990, du 24 décembre 1969, ainsi qu'aux contrats proposés par téléphone ou par voie télématique et aux contrats ne comprenant aucune clause de reconduction tacite ou aux contrats résiliés par l'entreprise, lorsqu'ils sont proposés de nouveau au même assureur.
3. Les entreprises d'assurances ne modifient ni le nombre des catégories de bonus, ni les coefficients de détermination de la prime, ni les règles relatives à l'évolution de la formule tarifaire prévoyant une variation des primes en fonction des sinistres survenus, pendant la période d'un an qui suit l'entrée en vigueur du présent décret.
4. Le paragraphe suivant est ajouté à l'article 12 de la loi n° 990, du 24 décembre 1969 : 2-bis. Les compagnies qui opèrent dans la branche de l'assurance obligatoire visée à l'article 2, paragraphe 2, du décret-loi n° 70, du 28 mars 2000, tel que modifié par la loi de ratification afférente, sont tenues, sur demande du cocontractant, d'accepter des contrats appliquant la formule tarifaire du bonus-malus assortie d'une franchise forfaitaire obligatoirement comprise entre cinq cent mille et un million de ITL, non-opposable aux tiers lésés en cas de sinistre. Le choix de la formule du bonus-malus assortie d'une franchise ainsi que le choix du montant de ladite franchise revient exclusivement à l'assuré.
5. Lorsque les effets des dispositions des paragraphes 2 et 3 prennent fin, l'assuré peut, en cas d'augmentation de tarif - autre que celles résultant de l'application des règles d'adaptation contenues dans les diverses formules tarifaires - supérieure au taux programmé d'inflation, résilier le contrat moyennant l'envoi d'un courrier recommandé avec accusé de réception ou d'une télécopie au siège de la compagnie ou de l'agence auprès de laquelle le contrat a été conclu. Dans ce cas, l'assuré ne bénéficie pas du délai prévu à l'article 1901, paragraphe 2, du code civil.
5-bis. L'Istituto per la vigilanza sulle assicurazioni private e di interesse collettivo (ISVAP) veille au respect par les compagnies d'assurances des dispositions du présent article.
5-ter. Les compagnies d'assurances qui ne respectent pas les dispositions contenues aux paragraphes 2, 2-bis, 3 et 4 se voient infliger, pour chaque infraction, une amende administrative allant de trois à neuf millions de ITL.
5-quater. Pour améliorer la prévention des pratiques frauduleuses dans le secteur de l'assurance obligatoire des véhicules à moteur immatriculés en Italie, une banque de données concernant les sinistres impliquant ces véhicules est créée auprès de l'ISVAP. L'ISVAP veille à ce que cette banque de données soit pleinement opérationnelle à partir du 1er janvier 2001. À partir de cette date, chaque compagnie d'assurances est tenue de communiquer à l'ISVAP les données concernant les sinistres à charge de ses assurés, à raison d'une fois par trimestre selon les modalités établies par l'ISVAP. L'ISVAP détermine les procédures et modalités de fonctionnement de la banque de données, après consultation des compagnies d'assurances. Les coûts de gestion de la banque de données sont répartis entre les compagnies d'assurances selon les critères de répartition appliqués pour les coûts de la surveillance exercée par l'ISVAP.
5-quinquies. Le non-respect du devoir de communication à l'ISVAP des données requises entraîne l'application des amendes administratives suivantes :
a) de deux à six millions de ITL en cas de défaut d'expédition des données ;
b) d'un à trois millions de ITL en cas de transmission tardive ou incomplète des données.
Les amendes précitées sont augmentées de dix pour cent à chaque cas de récidive."
La procédure précontentieuse
10 Par lettre du 14 avril 2000, la Commission a attiré l'attention des autorités italiennes sur les problèmes que soulevait, au regard du droit communautaire, l'application du décret-loi, dans sa version du 28 mars 2000, et a demandé à celles-ci de lui fournir des explications à cet égard. Les autorités italiennes ont répondu par courrier du 5 juin 2000.
11 N'étant pas satisfaite par la réponse des autorités italiennes, la Commission a, par lettre de mise en demeure du 13 juillet 2000, invité ces dernières à présenter leurs observations au sujet des griefs formulés à l'encontre du décret-loi dans un délai de trois semaines à compter de la réception de ladite lettre. Les autorités italiennes ont répondu par deux courriers, respectivement des 3 août et 3 octobre 2000.
12 Les réponses des autorités italiennes n'ayant pas été jugées satisfaisantes par la Commission, celle-ci a, par lettre du 27 octobre 2000, adressé un avis motivé à la République italienne invitant cette dernière à s'y conformer dans un délai de trois semaines à compter de sa notification.
13 Les autorités italiennes ont répondu à cet avis par courrier du 20 novembre 2000, auquel était annexée une lettre du ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat.
14 Estimant que les infractions énumérées dans l'avis motivé subsistaient et que la réponse des autorités italiennes à l'avis motivé n'était pas satisfaisante, la Commission a décidé d'engager le présent recours.
Sur le recours
Sur le grief tiré de la violation des articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49
Argumentation des parties
15 Par son premier grief, la Commission reproche à la République italienne d'avoir adopté, dans le décret-loi, des mesures qui tendent à :
- interdire aux compagnies d'assurances d'augmenter les tarifs des contrats relatifs à l'assurance obligatoire au titre de la responsabilité civile liée à la circulation automobile devant être reconduits pendant l'année de validité du décret-loi et qui prévoient une variation des primes en fonction des sinistres survenus (clause dite de "bonus-malus"), lorsque l'assuré n'a causé aucun sinistre pendant la période de référence (article 2, paragraphe 2, première phrase, du décret-loi) ;
- obliger les compagnies d'assurances à appliquer les tarifs en vigueur le 29 mars 2000 pour tous les nouveaux contrats conclus dans l'année suivant l'entrée en vigueur du décret-loi et appliquant une formule tarifaire prévoyant une variation des primes en fonction des sinistres survenus (article 2, paragraphe 2, deuxième phrase) ;
- étendre l'application de l'article 2, paragraphe 2, du décret-loi à la vente de produits d'assurance par téléphone ou par voie télématique (article 2, paragraphe 2 bis) ;
- interdire aux compagnies d'assurances de modifier, pendant une année suivant l'entrée en vigueur du décret-loi, le nombre de catégories de bonus, les coefficients de détermination de la prime et les règles relatives à l'évolution de la formule tarifaire prévoyant une variation des primes en fonction des sinistres survenus (article 2, paragraphe 3) ;
- obliger les compagnies d'assurances à accepter, sur demande du cocontractant, des contrats appliquant la formule du bonus-malus assortie d'une franchise forfaitaire comprise entre 500 000 et 1 000 000 ITL non-opposable aux tiers lésés en cas de sinistre, étant précisé que le choix de la formule du bonus-malus et du montant de la franchise appartient à l'assuré (article 2, paragraphe 4), et
- permettre aux assurés, après cessation des effets de l'article 2, paragraphes 2 et 3, du décret-loi, de résilier leurs contrats en cas d'augmentation de tarif, autre que celles résultant de l'application des règles d'adaptation contenues dans les diverses formules tarifaires, supérieure au taux programmé d'inflation (article 2, paragraphe 5).
16 La Commission soutient que les mesures prévues à l'article 2, paragraphes 2, 3, 4 et 5, du décret-loi sont contraires aux articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49. Elles se traduiraient, d'une part, par un gel des tarifs, en ce que les entreprises concernées n'auraient plus le droit de fixer librement les primes d'assurance en fonction des sinistres et des coûts de gestion, et, d'autre part, par une limitation de la liberté contractuelle, en instaurant, par exemple, un régime de franchise obligatoire. Par conséquent, les compagnies d'assurances exerçant sur le territoire italien, y compris celles exerçant en régime de libre établissement ou de libre prestation des services, ne disposeraient plus d'aucune liberté quant à l'évolution tarifaire de leurs contrats, alors que lesdites dispositions de la directive 92-49 consacreraient le principe de la liberté tarifaire des entreprises opérant dans le secteur de l'assurance non-vie et la suppression consécutive des contrôles préalables ou systématiques des tarifs et des clauses contractuelles.
17 La Commission fait valoir que les Etats membres peuvent exiger des compagnies d'assurances la communication non systématique des conditions générales et spécifiques des polices d'assurance ainsi que des contrats, sous réserve que cette exigence ne constitue pas pour ces compagnies une condition préalable à l'exercice de leur activité. S'agissant des assurances obligatoires, les Etats membres pourraient, en vertu de l'article 30, paragraphe 2, de la directive 92-49, maintenir l'obligation de communication préalable et systématique des conditions générales et spéciales des polices d'assurance, sans toutefois que cela implique un contrôle de l'adéquation économique des tarifs correspondants.
18 La Commission soutient que le principe de la liberté tarifaire, récemment reconnu par la Cour dans son arrêt du 11 mai 2000, Commission/France (C-296-98, Rec. p. I-3025, point 29), ne saurait admettre des dérogations ou des limitations que dans les hypothèses limitativement énumérées par la directive 92-49, à savoir lorsque les mesures concernées font partie d'un "système général de contrôle des prix" [articles 8, paragraphe 3, troisième alinéa, de la première directive 73-239-CEE du Conseil, du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice (JO L. 228, p. 3), telle que modifiée par la directive 92-49 (ci-après la "directive 73-239"), ainsi que 29, second alinéa, et 39, paragraphe 3, de la directive 92-49] ou lorsqu'elles relèvent de "dispositions légales d'intérêt général en vigueur dans l'Etat membre où le risque est situé" (article 28 de la directive 92-49). Ainsi, la compétence de l'Etat membre où le risque est situé devrait s'exercer dans le respect des dispositions de la directive 92-49 et, notamment, du principe de la liberté tarifaire, lequel impliquerait l'absence de tout système de contrôle matériel préalable ou systématique des polices et des tarifs des entreprises d'assurances opérant sur le territoire de l'Union européenne.
19 Or, la réglementation tarifaire établie par le décret-loi ne pourrait être qualifiée de "système général de contrôle des prix" ni de "dispositions d'intérêt général" au sens de la directive 92-49.
20 La République italienne fait valoir que les mesures litigieuses relèvent d'un "système général de contrôle des prix". Elle observe que le décret-loi, dans sa version initiale du 28 mars 2000, contenait une série de mesures destinées à limiter les effets inflationnistes de certains secteurs économiques et que, lors de sa conversion en loi, le Parlement, dans un souci de rationalisation de la législation, a décidé de rédiger un texte distinct pour le secteur concerné, en sorte que les dispositions relatives à l'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile ne figurent plus avec les mesures destinées à lutter contre l'inflation dans d'autres secteurs économiques.
21 La République italienne considère que les différentes interventions sur les prix, parmi lesquelles figurent les mesures litigieuses, devraient être considérées comme relevant d'un "système général" de contrôle des prix, même si elles n'ont pas été adoptées au moyen d'un seul instrument juridique ni pour une même période.
22 Parmi les mesures faisant partie du système général de contrôle de prix concerné figureraient la délibération n° 30-2000 du Comitato Interministeriale per la Programmazione Economica, intitulée "Direttive per il contenimento dell'inflazione" ("Directives en vue de maîtriser l'inflation"), et contenant les lignes directrices gouvernementales relatives aux tarifs des services publics dépendant des régions et des collectivités locales, ainsi qu'une mesure administrative prise par le ministre des Finances et de l'Industrie, portant réduction de l'accise applicable aux produits pétroliers jusqu'au 31 décembre 2000, reprise par la suite à l'article 24 de la loi n° 388, du 23 décembre 2000 (GURI n° 302, supplément n° 219, du 29 décembre 2000, p. 1).
23 Selon la République italienne, pour qu'une intervention puisse être considérée comme "générale", il n'est pas nécessaire qu'elle concerne tous les prix d'une même catégorie de biens ou de services et elle peut être limitée aux secteurs les plus touchés par l'inflation. On serait en présence d'un système général de contrôle des prix dès lors que, comme en l'occurrence, il existerait un ensemble d'initiatives destinées à contrer des poussées inflationnistes et comportant des interventions modulées en fonction de l'évolution des prix dans chaque secteur.
24 La République italienne soutient également que les mesures litigieuses constituent des "dispositions d'intérêt général" au sens de l'article 28 de la directive 92-49. Elles permettraient de combattre l'inflation de manière appropriée et proportionnée. L'interdiction temporaire d'augmenter les tarifs de certains contrats, en ce qu'elle constituerait le seul moyen susceptible d'agir dans l'immédiat sur la hausse croissante de ces tarifs, serait justifiée par le souci de protéger les consommateurs et par des motifs de nature sociale eu égard au caractère obligatoire de l'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile. Les mesures litigieuses auraient également permis de lutter contre la fraude et les comportements anticoncurrentiels sur le marché concerné.
Appréciation de la Cour
25 Conformément au premier considérant de la directive 92-49, celle-ci a pour but d'achever le marché intérieur dans le secteur de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, afin de faciliter aux entreprises d'assurances ayant leur siège social dans la Communauté la couverture des risques situés à l'intérieur de cette dernière. Par ailleurs, selon le dix-neuvième considérant de la même directive, dans le cadre d'un marché intérieur, il est dans l'intérêt du preneur d'assurance que celui-ci ait accès à la plus large gamme de produits d'assurance offerts dans la Communauté pour pouvoir choisir parmi eux celui qui convient le mieux à ses besoins.
26 La directive 92-49 vise ainsi à réaliser la libre commercialisation dans la Communauté des produits d'assurance dans le secteur concerné (arrêt Commission-France, précité, point 29).
27 À cette fin, les articles 8, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 73-239, 29, premier alinéa, et 39, paragraphe 2, de la directive 92-49 interdisent aux Etats membres d'exiger l'approbation préalable ou la communication systématique, notamment, des conditions générales et spéciales des polices d'assurance ainsi que des tarifs qu'une entreprise se propose d'utiliser sur leur territoire dans ses relations avec les preneurs d'assurance.
28 En outre, conformément aux articles 8, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 73-239, 29, second alinéa, et 39, paragraphe 3, de la directive 92-49, les Etats membres ne peuvent introduire ou maintenir la notification préalable ou l'approbation des majorations de tarifs proposées qu'en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix. À cela s'ajoute que, selon l'article 30, paragraphe 2, de la directive 92-49, lorsqu'un Etat membre impose l'obligation de souscrire une assurance, il ne peut exiger la communication à son autorité compétente, préalablement à leur utilisation, que des conditions générales et spéciales des assurances obligatoires.
29 Il en ressort que le législateur communautaire a clairement entendu garantir le principe de la liberté tarifaire dans le secteur de l'assurance non-vie, y compris en ce qui concerne l'assurance obligatoire telle que l'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile. Ce principe implique l'interdiction de tout système de notification préalable ou systématique et d'approbation des tarifs qu'une entreprise d'assurances se propose d'utiliser dans ses relations avec les preneurs d'assurance. La seule dérogation à ce principe admise par la directive 92-49 concerne la notification préalable et l'approbation des "majorations des tarifs" dans le cadre d'un "système général de contrôle des prix".
30 Certes, l'article 28 de la directive 92-49 permet à l'Etat membre où le risque est situé d'empêcher le preneur d'assurance de souscrire un contrat conclu avec une compagnie d'assurances s'il est en opposition avec les dispositions légales d'intérêt général en vigueur dans cet etat.
31 Toutefois, cette disposition ne saurait en aucun cas être interprétée de manière à priver d'effet utile les dispositions mentionnées au point 28 du présent arrêt, qui énoncent expressément les motifs justifiant une dérogation au principe de la liberté tarifaire. Cette conclusion est corroborée par la circonstance que l'article 28 de la directive 92-49 précède immédiatement une disposition, relevant du même chapitre, qui réitère expressément l'interdiction pour les Etats membres de restreindre la liberté tarifaire sauf en tant qu'élément d'un système général de contrôle des prix.
32 En l'occurrence, les parties conviennent que la réglementation tarifaire prévue à l'article 2, paragraphes 2 à 5, du décret-loi restreint considérablement la liberté des compagnies d'assurances, y compris celles exerçant leurs activités sous le régime de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services, en ce qui concerne la fixation et l'évolution des tarifs dans le cadre des contrats en matière d'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile portant sur un risque situé sur le territoire italien.
33 Le Gouvernement italien soutient néanmoins que ladite réglementation, bien que restreignant la liberté tarifaire des compagnies d'assurances, peut être justifiée, en premier lieu, en tant qu'élément d'un "système général de contrôle des prix" au sens des articles 8, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 73-239, 29, second alinéa, et 39, paragraphe 3, de la directive 92-49.
34 À cet égard, il y a lieu de relever que, dans la mesure où la notification préalable ou l'approbation des majorations de tarifs qu'un Etat membre peut imposer aux compagnies d'assurances, conformément auxdites dispositions, déroge au principe de la liberté tarifaire, cette dérogation doit être interprétée de manière restrictive. En tout état de cause, un système général de contrôle des prix suppose, notamment, que les éléments qui le composent présentent un caractère contraignant et que ce système soit caractérisé par un certain degré de généralité et d'homogénéité.
35 Or, il convient de constater que la réglementation tarifaire litigieuse comporte une intervention ponctuelle dans un secteur spécifique de l'assurance non-vie, à savoir celui de l'assurance automobile obligatoire, et que, partant, elle ne saurait, à elle seule, satisfaire au critère de généralité qu'un système de contrôle doit présenter pour justifier une dérogation au principe de la liberté tarifaire. Il en est d'autant plus ainsi que, comme la Commission l'a relevé sans être contredite par la République italienne, les primes d'assurance du secteur concerné ne représentent que 0,22 % dans le panier des biens et services servant à calculer l'évolution de l'inflation en Italie.
36 Quant aux autres mesures invoquées par le Gouvernement italien pour justifier l'existence d'un système général de contrôle des prix, il suffit de constater que, si elles concernent effectivement d'autres secteurs économiques que celui de l'assurance responsabilité civile liée à la circulation automobile, il s'agit néanmoins d'interventions très ponctuelles, non homogènes, en partie non contraignantes et ne présentant aucun lien direct entre elles ni avec la réglementation tarifaire établie par le décret-loi.
37 Dès lors, la réglementation tarifaire litigieuse ne saurait être regardée comme faisant partie d'un système général de contrôle des prix au sens des articles 8, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 73-239, 29, second alinéa, et 39, paragraphe 3, de la directive 92-49 et, partant, elle ne relève pas de l'exception prévue par ces dispositions, indépendamment même de la question de savoir dans quelle mesure les différents éléments de ladite réglementation relèvent d'un régime de "majorations des tarifs" au sens desdites dispositions.
38 S'agissant, en second lieu, des différentes considérations d'intérêt général invoquées par la République italienne afin de justifier la réglementation tarifaire litigieuse sur le fondement de l'article 28 de la directive 92-49, il ressort du point 31 du présent arrêt que l'intérêt général visé par cette disposition ne saurait, en tout état de cause, être invoqué aux fins de légitimer l'introduction ou le maintien de dispositions nationales qui portent atteinte au principe de la liberté tarifaire dont les exceptions ont fait l'objet de règles harmonisées par les articles 6, 29 et 39 de la même directive.
39 Le premier grief de la Commission, tiré de la violation des articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49, doit ainsi être accueilli.
Sur le grief tiré de la violation de l'article 44 de la directive 92-49
Argumentation des parties
40 La Commission fait valoir que les compagnies d'assurances opérant dans la branche relative à la responsabilité civile liée à la circulation automobile en régime d'établissement ou de libre prestation des services sont soumises, en vertu de l'article 2, paragraphe 5 quater, du décret-loi, à une obligation d'information incompatible avec le mécanisme institué par l'article 44 de la directive 92-49, selon lequel ces compagnies doivent fournir les informations relatives, notamment, au nombre de sinistres aux seules autorités compétentes de l'Etat membre d'origine. Or, les informations que la République italienne juge nécessaires à la lutte contre la fraude devraient être obtenues exclusivement par l'intermédiaire des autorités de l'Etat membre d'origine au risque de porter atteinte au mécanisme de coopération des Etats membres établi par la directive 92-49. De simples considérations d'ordre administratif ne sauraient justifier une dérogation à la règle prévue audit article 44. Il en résulterait également que l'obligation des compagnies d'assurances, y compris celles qui exercent leurs activités en régime d'établissement ou de libre prestation des services, de contribuer au financement de la banque de données prévue audit article 2, paragraphe 5 quater, serait contraire au droit communautaire.
41 Le Gouvernement italien soutient, d'une part, en se fondant sur l'arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275-92, Rec. p. I-1039, point 58), que la prévention des délits peut justifier une dérogation au principe de la libre prestation des services et, d'autre part, que la communication, sur demande, d'informations de la part de l'Etat membre d'origine, plutôt que la collecte des informations auprès des compagnies d'assurances, ne permet pas de prévenir la fraude avec la rapidité et l'exhaustivité nécessaires. La constitution d'une banque de données en Italie semblerait être le seul instrument apte à lutter efficacement contre la fraude.
Appréciation de la Cour
42 Conformément à l'article 2, paragraphe 5 quater, du décret-loi, chaque compagnie d'assurances est tenue de communiquer à l'ISVAP les données concernant les sinistres à charge de ses assurés. Cette disposition prévoit, à cet effet, la création d'une banque de données au financement de laquelle les compagnies d'assurances doivent contribuer. Le paragraphe 5 quinquies de la même disposition prévoit le versement d'une amende en cas de violation ou d'exécution tardive de l'obligation de communiquer les données en question.
43 L'article 44, deuxième alinéa, de la directive 92-49, pour sa part, prévoit que les entreprises d'assurances communiquent à l'autorité compétente de l'Etat membre d'origine, de manière distincte pour les opérations effectuées en régime d'établissement et pour celles effectuées en régime de libre prestation des services, le montant des primes, des sinistres et des commissions, par Etat membre et par groupe de branches, ainsi que, en ce qui concerne la branche relative à l'assurance automobile, la fréquence et le coût moyen des sinistres. Selon le quatrième alinéa de ladite disposition, les indications en question doivent être communiquées dans un délai raisonnable et sous une forme agrégée par l'autorité compétente de l'Etat membre d'origine à celles des Etats membres qui lui en font la demande.
44 Il ressort de cette disposition que, selon le mécanisme établi par la directive 92-49, les informations sur l'activité d'assurance, relatives aux primes, sinistres et commissions, doivent être fournies par les compagnies d'assurances aux autorités de l'Etat membre d'origine qui doit les communiquer dans un délai raisonnable et sous une forme agrégée aux autorités des autres Etats membres lorsque celles-ci en font la demande.
45 Ce mécanisme de communication de données essentielles concernant l'activité des compagnies d'assurances par l'intermédiaire des autorités nationales a pour objet d'éviter des entraves injustifiées à l'exercice de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services dans le domaine couvert par la directive 92-49.
46 Toutefois, il ressort du dossier que la collecte des informations individualisées visées à l'article 2, paragraphe 5 quater, du décret-loi poursuit une finalité de lutte contre la fraude différente de celle poursuivie par l'article 44 de la directive 92-49. En outre, s'agissant, d'une part, de l'obligation à charge des compagnies d'assurances concernées de contribuer au financement de la banque de données mise en place par le décret-loi, d'autre part, des sanctions prévues en cas de non-respect de l'obligation de communication, la Commission ne les mentionne que pour ajouter qu'elles renforcent le mécanisme instauré par le décret-loi et en conclure qu'elles doivent pour la même raison être invalidées.
47 Dès lors, la Commission n'ayant mis en cause la conformité de ce mécanisme avec le droit communautaire qu'au regard de l'article 44 de la directive 92-49, le second grief doit être rejeté.
48 Il convient dès lors de constater que, en ayant institué et maintenu en vigueur un système de blocage des prix, applicable à tous les contrats d'assurance responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs couvrant un risque situé sur le territoire italien, sans distinction entre les compagnies d'assurances ayant leur siège en Italie et celles y exerçant leurs activités par l'intermédiaire de succursales ou en régime de libre prestation des services, en violation du principe de la liberté tarifaire visé aux articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
Sur les dépens
49 Aux termes de l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Étant donné qu'il n'est fait que partiellement droit au recours de la Commission, chaque partie supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1°) En ayant institué et maintenu en vigueur un système de blocage des prix, applicable à tous les contrats d'assurance responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs couvrant un risque situé sur le territoire italien, sans distinction entre les compagnies d'assurances ayant leur siège en Italie et celles y exerçant leurs activités par l'intermédiaire de succursales ou en régime de libre prestation des services, en violation du principe de la liberté tarifaire visé aux articles 6, 29 et 39 de la directive 92-49-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE (troisième directive "assurance non-vie"), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.
2°) Le recours est rejeté pour le surplus.
3°) Chaque partie supporte ses propres dépens.