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Décisions

CJCE, 1re ch., 9 février 1984, n° 344-82

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gambetta Auto SA

Défendeur :

Bureau Central Français, Fonds de Garantie Automobile

CJCE n° 344-82

9 février 1984

LA COUR,

1. Par arrêt du 21 décembre 1982, parvenu à la Cour le 29 décembre suivant, la Cour d'appel de Paris a posé, en vertu de l'article 117 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la directive 72-166 du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité (JO L 103, p. 1), et en particulier de la notion de " stationnement habituel d'un véhicule ".

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure opposant la société Gambetta Auto au Bureau Central Français des sociétés d'assurance contre les accidents d'automobiles (BCF) et au Fonds de Garantie Automobile (FGA), créé pour couvrir les sinistres provoqués par des véhicules non-assurés et pour lesquels le BCF n'intervient pas.

3. Une voiture appartenant à la société Gambetta Auto avait en effet été endommagée, alors qu'elle se trouvait en stationnement à Paris le 19 juillet 1979, par un véhicule portant une plaque d'immatriculation autrichienne dont le conducteur a pris la fuite. L'autorisation de circulation du véhicule autrichien avait été retirée le 9 mars 1979, l'assurance ayant été résiliée le 7 mars 1979. Par ailleurs, le propriétaire du véhicule n'a pu être retrouvé.

4. Le Tribunal d'instance du IXe arrondissement de Paris ayant débouté la société Gambetta Auto de sa demande d'indemnisation, celle-ci a fait appel de ce jugement. Tant devant le tribunal d'instance que devant la cour d'appel, la société Gambetta Auto a invoqué la directive du Conseil du 24 avril 1972, qui vise à supprimer, à l'intérieur de la Communauté, le contrôle de la " carte verte " pour les véhicules ayant leur " stationnement habituel " dans un Etat membre - ou dans un pays tiers - pour lesquels les bureaux nationaux d'assurance ont conclu un " accord de garantie ". Cet accord est intervenu le 16 octobre 1972. La société Gambetta et le BCF ont soutenu des interprétations opposées de la notion de " stationnement habituel ": pour la société Gambetta Auto, cette notion signifierait le territoire de l'Etat dont le véhicule porte la plaque d'immatriculation, sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'immatriculation est - ou non - en cours de validité ; en revanche, le BCF, garantissant le bureau autrichien et agissant d'ordre pour le compte de ce dernier, a soutenu qu'une immatriculation résiliée - comme en l'espèce - doit être assimilée à une fausse immatriculation et par conséquent empêche la directive communautaire, ainsi que l'accord de garantie conclu entre les bureaux d'assurance, de s'appliquer, interdisant en l'espèce toute garantie du bureau autrichien et donc du BCF.

5. La question posée par le Cour d'appel de Paris est ainsi libellée :

" Etant supposé que le stationnement habituel d'un véhicule automobile, au sens où l'entend la directive du Conseil des Communautés européennes du 24 avril 1972, signifie le territoire de l'Etat où il est immatriculé peut-on et doit-on considérer comme ayant son stationnement habituel dans un pays une voiture dont il est constaté qu'elle porte une plaque d'immatriculation de ce pays, alors qu'il est déclaré par les autorités compétentes qu'à la date de ce contrat l'admission à la circulation de ladite voiture avait été définitivement annulée ? "

6. La directive du Conseil du 24 avril 1972 a mis en place un système dont les caractéristiques essentielles se trouvent clairement exposées dans les trois derniers considérants :

Considérant que la suppression du contrôle de la carte verte pour les véhicules ayant leur stationnement habituel dans un Etat membre et pénétrant sur le territoire d'un autre Etat membre peut être réalisée sur la base d'un accord entre les six bureaux nationaux d'assurance, aux termes duquel chaque bureau national garantirait, dans les conditions prévues par la législation nationale, l'indemnisation des dommages ouvrant droit à réparation, causés sur son territoire par un de ces véhicules, assuré ou non ;

Considérant que cet accord de garantie se fonde sur la présomption que tout véhicule automoteur communautaire circulant sur le territoire de la communauté est couvert par une assurance ; qu'il convient donc de prévoir dans chaque législation nationale des Etats membres l'obligation d'assurance de la responsabilité civile résultant de ces véhicules avec une couverture valable pour l'ensemble du territoire communautaire ; que, toutefois, les législations nationales peuvent prévoir des dérogations pour certaines personnes et pour certains types de véhicules ;

Considérant que le régime prévu dans la directive pourrait être étendu aux véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un pays tiers pour lequel les bureaux nationaux des six Etats membres auraient conclu un accord similaire.

7. L'article 2, paragraphe 1, de la directive prévoit que chaque Etat membre s'abstient d'effectuer un contrôle de l'assurance de responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules lorsque ceux-ci ont leur stationnement habituel sur le territoire d'un autre Etat membre.

8. Pour les véhicules du genre de celui en cause en l'espèce, l'article 1, paragraphe 4, dispose que par territoire où le véhicule a son " stationnement habituel " il faut entendre " territoire de l'Etat où le véhicule est immatriculé ".

9. L'article 2, paragraphe 2, prévoit :

" En ce qui concerne les véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un des Etats membres, les dispositions de la présente directive, à l'exception des articles 3 et 4, ont effet :

- après qu'a été conclu un accord entre les six bureaux nationaux d'assurance aux termes duquel chaque bureau national se porte garant pour les règlements des sinistres survenus sur son territoire et provoqués par la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un autre Etat membre, qu'ils soient assurés ou non, dans les conditions fixées par sa propre législation nationale relative à l'assurance obligatoire ;

- à partir de la date fixée par la Commission après qu'elle aura constaté, en collaboration étroite avec les Etats membres, l'existence de cet accord ;

- pour la durée dudit accord. "

10. L'article 7, paragraphe 2, dispose :

" Les véhicules ayant leur stationnement habituel dans un pays tiers sont considérés comme des véhicules ayant leur stationnement habituel dans la communauté, lorsque les bureaux nationaux de tous les Etats membres se portent individuellement garants - chacun dans les conditions fixées par sa propre législation nationale relative à l'assurance obligatoire - pour les règlements des sinistres survenus sur leur territoire et provoqués par la circulation de ces véhicules. "

11. Le régime ainsi prévu par la directive a été étendu, par accord complémentaire conclu le 12 décembre 1973 entre les bureaux nationaux, aux véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire de certains pays tiers : la Suède, la Finlande, la Norvège, l'Autriche et la Suisse, conformément aux principes de l'article 7, paragraphe 2, de la directive ; par cet accord, convenu pour une durée indéterminée et résiliable moyennant un préavis de douze mois, les bureaux nationaux des Etats membres se portent garants pour les règlements des sinistres survenus sur leur territoire et provoqués par la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur le territoire d'un des pays tiers cités. L'article 2 c) de l'accord prévoit que sont considérés comme ayant leur stationnement habituel dans l'un des pays visés à l'article 1 a): " les véhicules qui y sont immatriculés ".

En complément de la directive du 24 avril 1972, il convient de mentionner la deuxième décision 74-167 de la Commission, du 6 février 1974, relative à l'application de la directive précitée du Conseil (JO L 87, p. 14), qui fixe au 15 mai 1974 la date à laquelle " chaque Etat membre s'abstient d'effectuer un contrôle de l'assurance responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules, lorsque ceux-ci ont leur stationnement habituel sur le territoire de la Suède, de la Finlande, de la Norvège, de l'Autriche et de la Suisse et font l'objet de la convention des bureaux nationaux d'assurance du 12 décembre 1973 " (article 1).

12. Devant la Cour, le BCF a fait valoir qu'il estimait devoir présenter des observations différentes de celles qu'il avait présentées devant les juridictions françaises, et a soutenu les prétentions de la société Gambetta Auto en ce sens que le véhicule en question avait son " stationnement habituel " en Autriche au sens de la directive. Le Gouvernement italien et la Commission ont avancé la même interprétation.

13. Il y a lieu de rappeler que la directive vise à supprimer le contrôle de la carte verte à la frontière. A cet égard, il est impératif que l'Etat de stationnement soit aisément identifiable, ce qui est assuré par la délivrance d'une plaque d'immatriculation. En effet, exiger que cette plaque soit en cours de validité équivaudrait à remplacer le contrôle de la carte verte par une vérification systématique de l'immatriculation et priverait la directive de tout effet utile.

14. Il s'ensuit qu'aux fins de l'application de la directive du Conseil, le véhicule portant cette plaque doit être considéré comme stationnant dans le territoire d'immatriculation, même si l'autorisation d'en faire usage a été entre-temps retirée.

15. Pour les raisons développées ci-dessus, il convient dès lors de répondre à la question posée que lorsqu'un véhicule porte une plaque d'immatriculation régulièrement délivrée, il doit être considéré comme stationnant, au sens de la directive 72-166, sur le territoire de l'Etat d'immatriculation même si à l'époque considérée l'autorisation d'utiliser le véhicule avait été retirée.

Sur les dépens

16. Les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (1re chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 21 décembre 1982, dit pour droit :

Lorsqu'un véhicule porte une plaque d'immatriculation régulièrement délivrée, il doit être considéré comme stationnant, au sens de la directive 72-166 du Conseil du 24 avril 1972 (JO L 103, p. 1), sur le territoire de l'Etat d'immatriculation même si à l'époque considérée l'autorisation d'utiliser le véhicule avait été retirée.