CA Montpellier, 3e ch. corr., 12 mai 1998, n° 97-00570
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
UDAF de l'Aveyron (ès qual.), Castan
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jammet
Substitut général :
M. Coursol
Conseillers :
MM. Fort, Teisseire
Avocats :
Mes Vala, Aimonetti, Armandet
Rappel de la procédure
Le jugement rendu le 19 Mars 1997 par le Tribunal de grande instance de Millau a :
Sur l'action publique déclaré B Daniel S Patrick coupables d'avoir à Campagnac (12), le 19 octobre 1995, abusé de la faiblesse ou de l'ignorance de Castan Jean-Marie, personne particulièrement vulnérable, pour se faire remettre, sans contrepartie réelle, des valeurs mobilières (contrats d'assurance, d'épargne et de placements) au sens de l'article 529 du Code civil.
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 122-8, L. 122-9, L. 122-10 et L. 122-11 du Code de la consommation.
Et en répression, a condamné :
- S Patrick à une amende de 10 000 F
- B Daniel à une amende de 10 000 F
- reçu la constitution de partie civile de Castan Jean-Marie
- condamné B Daniel, S Patrick à verser solidairement à l'UDAF de l'Aveyron ès qualités une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 1 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Appels
Les appels ont été interjetés le 21 mars 1997 par :
- B Daniel
- S Patrick
- le Ministère public
Décision
LA COUR, après en avoir délibéré,
Attendu que B Daniel comparait à l'audience assisté de son conseil ; qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard ;
Attendu que S Patrick comparait à l'audience assisté de son conseil ; qu'il sera statué par arrêt contradictoire à son égard ;
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des débats les faits suivants :
Le 17 novembre 1995 un signalement adressé au Parquet de Millau par le Directeur de l'UDAF dénonçait les agissements de deux assureurs S Patrick et B Daniel qui auraient profité de la situation difficile et de l'incapacité intellectuelle de Castan Jean-Marie demeurant à Campagnac (12) pour emporter l'ensemble des titres et contrats lui appartenant sans même la délivrance d'un reçu (D38).
L'enquête de gendarmerie aussitôt diligentée permettait d'établir que S Patrick et B Daniel s'étaient rendus le 19 octobre 1995 au domicile de Castan Jean-Marie. Ce dernier leur avait remis l'intégralité de ses placements (contrats et bons) sans même recevoir un reçu attestant de cette opération qui portait sur un total supérieur à la somme de 900 000 F. Monsieur Jean-Marie Castan, qui vivait seul dans l'exploitation agricole de son père récemment décédé, a été placé sous un régime de protection judiciaire dès le 27 octobre 1995 soit quelques jours seulement après les faits. L'altération de ses facultés personnelles est mentionnée par un certificat médical du 12 septembre 1995 qui le juge incapable de pourvoir seul à la sauvegarde de ses intérêts (D43).
En l'absence de reçu, les investigations effectuées n'ont pas permis de vérifier si tous les bons et contrats avaient bien été restitués après la découverte des faits par les services de l'UDAF au moment de la mise en œuvre de la procédure devant le juge des tutelles de Millau (12).
Il semblerait cependant qu'un bon n'a pas été retrouvé par l'UDAF (D37). L'enquête conduite par la gendarmerie sur la disparition de ce bon non racheté à ce jour et frappé d'opposition s'est révélée infructueuse (D54 à D53). Au cours de l'audience devant le Tribunal de grande instance de Millau (E9), S Patrick a reconnu que Castan Jean-Marie ne disposait pas à ses yeux de "toutes ses capacités" et qu'il devait percevoir une commission de 4 % sur l'opération financière. Aucun reçu n'a été remis en contrepartie des bons et des contrats retirés à Castan Jean-Marie le 16 octobre 1995 alors qu'ils représentaient une valeur supérieure à 900 000 F. Seuls deux écrits remplis de la main de S Patrick ont été signés par Castan Jean-Marie. Le numéro des contrats y est mentionné mais pas celui des bons (D30-D31).
Demandes et moyens des parties
Patrick S fait essentiellement valoir que les placements Paneurolife proposés à Jean-Marie Castan en remplacement des produits UAP lui étaient profitables et qu'il ne peut donc y avoir abus de faiblesse.
Il fait remarquer que l'établissement d'un reçu n'est pas imposé par la loi ou les usages, et qu'il n'a pas la valeur de contrepartie réelle au sens de l'article L. 222-10 du Code de la consommation.
Il affirme que la remise des valeurs et des contrats UAP par Jean-Marie Castan avait une contrepartie réelle mais devait matériellement et légalement être différée.
Enfin, il certifie qu'il y a absence d'anonymat réel des valeurs UAP et que la perception à son profit d'une commission sur l'investissement Paneurolife exclut de sa part toute intention frauduleusement.
Il conclut au prononcé de sa relaxe.
Daniel B expose que l'action engagée consistait à racheter des bons triplets UAP au nom de Jean-Marie Castan et de les replacer grâce à un nouveau contrat Paneurolife, cette opération n'étant "à l'origine d'aucun engagement financier de Monsieur Castan que ce soit à terme ou à crédit... la cession de bons UAP avait bien une contrepartie, le rachat au nom de Monsieur Castan de bons par l'intermédiaire d'un contrat Paneurolife.
Il affirme ne pas avoir usé de la situation de faiblesse de Castan, et fait remarquer qu'il ne connaissait pas lors de sa visite "l'objet d'une mise sous tutelle" de Castan. Enfin, il indique qu'il était de l'intérêt de Castan d'accepter la proposition financière qu'il lui proposait.
Il sollicite la réformation du jugement entrepris et sa relaxe pure et simple. Le gérant de tutelle de Jean-Marie Castan conclut
Sur l'action publique, à la confirmation du jugement entrepris
Sur l'action civile, à la confirmation des dispositions du jugement entrepris et à la condamnation des prévenus à une somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles.
Sur quoi
Attendu que les appels réguliers en la forme et dans les délais sont recevables ;
Sur l'action publique
Attendu que par des motifs précis, pertinents et multiples, les premiers juges ont effectué à l'égard de S et B une exacte appréciation des circonstances de la cause ;
Sur l'abus de la faiblesse de Jean-Marie Castan
Attendu que plusieurs personnes, qui ont été en contact en 1995 avec Jean-Marie Castan, ont constaté qu'il n'était pas à même de gérer normalement son patrimoine (notaire, banquier, médecin) ;
Que par lettre du 18 septembre 1995, le maire de Campagnac informait le juge des tutelles du Tribunal de Millau de l'incapacité de Jean-Marie Castan à gérer ses affaires ;
Qu'il est impensable que des professionnels puissent se faire remettre par une personne qui présente tous les signes d'incapacité, des bons, des contrats pour une valeur supérieure à 500 000 F sans délivrer au "client" un reçu justificatif des valeurs prises en compte surtout dans la mesure où celles-ci sont anonymes ;
Que par décision du 27 octobre 1995, le juge des tutelles confiait à l'UDAF une mesure de sauvegarde de justice à l'encontre de Jean-Marie Castan. Cette mesure s'étant transformée très rapidement d'abord en curatelle puis en tutelle ;
Qu'il est donc constant que le 19 octobre 1995, jour de l'intervention au domicile de Castan de B et S, ces derniers ont profité de la solitude et de l'affaiblissement des facultés intellectuelles de Jean-Marie Castan pour lui faire signer une demande de rachat total de bons et ce, sans précision des numéros et du montant ;
Sur la remise saris contrepartie réelle des valeurs mobilières
Attendu qu'on ne peut que constater que les prévenus ont profité de la vulnérabilité de la victime et qu'ils ne rapportent pas la preuve d'avoir rédigé un reçu en contrepartie des valeurs et des bons anonymes remis ;
Attendu que de plus, comme l'a fait remarquer le premier juge, il n'est pas sur que "la partie civile aurait bénéficié de l'entière contrepartie à la remise de ces valeurs", qu'au contraire l'enquête a révélé que le remboursement des bons anonymes avait été demandé par un intermédiaire René Janda agissant en son nom propre pour le compte de la compagnie Paneurolife et non pas pour celui de Jean-Marie Castan" ;
Attendu que dans ces conditions, l'infraction est constituée.
Sur l'action civile
Attendu que la constitution de partie civile de l'UDAF est régulière et recevable ;
Attendu que le montant des dommages et intérêts et du remboursement des frais irrépétibles engagés ont été justement arbitrés au vu des éléments du dossier et des débats ;
Qu'il convient de confirmer les dispositions civiles du jugement entrepris ;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel à hauteur de 1 000 F pour chacun des prévenus.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire à l'égard de B Daniel contradictoire à l'égard de S Patrick contradictoire à l'égard de Castan Jean-Marie et en matière correctionnelle ; En la forme : Reçoit les appels réguliers et dans les délais. Au fond sur l'action publique : Confirme en son principe de culpabilité le jugement déféré. Emendant sur la peine, Condamne Patrick S à une peine d'amende de 20 000 F Condamne Daniel B à une peine d'amende de 20 000 F Sur l'action civile : Confirme les dispositions civiles du jugement entrepris. Condamne S Patrick à payer à l'UDAF de l'Aveyron, ès qualités, de gérant de la tutelle de Jean-Marie Castan, en cause d'appel, la somme de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Condamne B Daniel à payer à l'UDAF de l'Aveyron, ès qualités, de gérant de la tutelle de Jean-Marie Castan, en cause d'appel, la somme de 1 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Fixe comme de droit la durée de la contrainte par corps, s'il y a lieu de l'exercer. Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.