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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 8 septembre 1993, n° 2851-92

DIJON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Campion, Henault, Marret, Bouroulec

Défendeur :

Novopac (SA), Rouget

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ruyssen

Avoués :

Me Gerbay, SCP Bourgeon-Delignette

Avocats :

SCP Jallet-Serege, Me Frechard

T. com. Dijon, du 5 nov. 1992

5 novembre 1992

Exposé de l'affaire

Le 10 février 1988, M. Le Campion, qui agissait en son nom personnel et en se portant fort pour MM. Henault, Marret et Bouroulec, a vendu à la société Novopac, cautionnée à titre personnel par son président-directeur général M. Rouget, 300 parts de la SARL Ateliers Plastiques de Sologne (APS). Le prix, 525 000 F, avait été déterminé en fonction d'une situation comptable arrêtée au 31 décembre 1987.

Se plaignant d'avoir été trompé, la SA Novopac et M. Rouget n'ont pas versé la somme convenue ; ils ont obtenu en référé l'autorisation de la séquestrer. Parallèlement, MM. Le Campion, Henault, Marret et Bouroulec ont saisi au fond le Tribunal de commerce de Dijon. Après avoir ordonné une expertise, cette juridiction a rendu le 5 novembre 1992 un jugement déboutant les demandeurs, prononçant la nullité de la vente du 10 février 1988, ordonnant la restitution des fonds séquestrés et enfin allouant à Novopac la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MM. Le Campion, Henault, Marret et Bouroulec ont fait appel de cette décision. Ils demandent à la cour de condamner solidairement leurs adversaires à payer :

- à M. Le Campion, 220 500 F au titre des parts sociales cédées et 156 000 F en remboursement de son compte courant,

- à M. Henault, de même, 220 500 F et 121 800 F,

- à M. Marret, de même, 63 000 F et 30 000 F,

- à M. Bouroulec, de même, 21 000 F et 11 600 F,

- 100 000 F à titre de dommages-intérêts,

- 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le séquestre étant autorité à se libérer des sommes détenues par lui.

En substance, l'argumentation des appelants revient à dire :

- que la SA Novopac a volontairement accepté de payer le prix fort pour éliminer toute concurrence,

- qu'elle n'ignorait ni la réalité des comptes sociaux d'APS ni le litige en cours concernant son principal matériel, dit "ligne de calandrage",

- que la résolution de la vente est impossible dès lors que Novopac a effectué des actes de disposition qui empêchent dorénavant de restituer quoi que ce soit,

- que M. Rouget n'a pas respecté son engagement, pris par acte séparé du 10 février 1988, de rembourser les comptes courants.

La SA Novopac et M. Rouget concluent à la confirmation du jugement, sauf à ce que leur soient alloués les intérêts sur la somme séquestrée à dater du séquestre, 300 000 F en réparation de leur préjudice et 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Ils soutiennent :

- que la situation bilancielle au 31 décembre 1987 présentée par APS, qui a servi de base à la cession, ne correspondait pas à la réalité comptable de l'entreprise, notamment en ce qu'elle ne faisait pas figurer au poste "clients douteux" une importante créance sur la société Air Form, qui était manifestement irrécouvrable,

- qu'on leur a volontairement dissimulé l'existence d'un litige relatif à la ligne de calandrage qui constituait pratiquement le seul actif d'APS,

- qu'une créance de la société Chromage Dur du Centre a également été omise au compte fournisseurs,

- qu'il y a eu ainsi dol ou à tout le moins erreur de nature à vicier leur consentement et à entraîner la nullité de la vente.

Discussion

Attendu que MM. Le Campion, Henault, Marret et Bouroulec, qui détenaient 70 % du capital de la société Air Form, spécialisée dans le thermoformage, ont créé en 1986 une autre société complémentaire, APS, dont l'objet était la fabrication de films plastiques ; que la SA Air Form a dû déposer son bilan le 1er février 1988, alors qu'elle devait 535 314 F à APS, et a été admise au bénéfice du redressement judiciaire, que, placée par contrecoup en position difficile, APS a cherché un repreneur qu'elle a trouvé en la personne de Novopac que la convention du 10 février 1988 est intervenue dans ces conditions, le prix de cession des parts (525 000 F) étant fixé en fonction d'une situation comptable arrêtée au 31 décembre précédent ;

Attendu qu'au 10 février 1988, l'actif immobilisé de la société APS était essentiellement composé d'une "ligne de calandrage" sans laquelle l'entreprise ne pouvait avoir aucune activité ; que ce matériel n'était que partiellement payé, de sorte qu'il a dû être restitué au vendeur, les Plastiques de Roëze, en vertu d'un jugement du Tribunal de commerce de Romorantin du 14 avril 1989, assorti de l'exécution provisoire ;

Attendu qu'en analysant les comptes de la société APS au 31 décembre 1987, l'expert judiciaire a constaté qu'une dette de 15 370,56 F envers un fournisseur, chromage dur du Centre, avait été omise, et surtout que la créance de 535 314 F sur Air Form n'apparaissait pas comme douteuse ; qu'il a estimé cependant que la preuve d'une tromperie n'était pas rapportée, dès lors qu'avant le 10 février 1988 M. Rouget avait eu les moyens de faire étudier la situation bilancielle par ses conseils et qu'il avait lui-même rencontré l'expert-comptable et le banquier d'APS ; que cet avis, fortement motivé, mérite d'être entériné ;

Mais attendu, en revanche, que la thèse de Novopac apparaît fondée en ce qui concerne la ligne de calandrage ; qu il est démontré en effet par les documents versés aux débats que l'assignation des Plastiques de Roëze en résolution de vente a été délivrée le 10 février 1988, le jour même de la signature de la convention litigieuse, que cet acte avait été précédé d'une saisie, que la situation n'avait pas été signalée à M. Rouget et qu'elle ne ressortait pas de la comptabilité d'APS ; qu'à supposer même que la SA Novopac ait proposé le prix fort pour éliminer la concurrence, on ne conçoit pas qu'elle ait délibérément renoncé à un matériel essentiel, à défaut duquel son acquisition perdait toute substance ;

Attendu que les appelants prétendent en vain que Novopac aurait pu éviter la résolution de la vente en payant à la société Plastiques de Roëze les 300 000 F qu'elle réclamait devant le tribunal de commerce ; que la validité d'un consentement s'apprécie au moment de la formation du contrat en cause, en l'occurrence au 10 février 1988 ; que l'attitude procédurale de Novopac, qui n'a pas voulu offrir plus de 250 000 F, peut d'ailleurs s'expliquer par les difficultés croissantes rencontrées dans la gestion d' APS ; qu'elle ne permet en tout cas aucune interprétation rétrospective de volonté ;

Attendu que la réticence dont Novopac a été victime au sujet de la ligne de calandrage est imputable au gérant de la SARL APS, M. Toublano, sans qu'il soit établi formellement que les appelants y ait participé ; que le dol, au sens de l'article 1116 du Code civil, ne peut donc être retenu ; qu'il résulte en effet de ce texte que les manœuvres dolosives d'un tiers ne peuvent être sanctionnées que s'il est le complice ou le représentant légal du cocontractant ;

Mais attendu que la société Novopac soutient à bon droit qu'elle n'aurait pas traité si elle avait connu l'indisponibilité du matériel constituant l'essentiel de l'actif d'APS ; que cette erreur, qui porte sur la substance de la convention du 10 février 1988, en entraîne la nullité, par application des articles 1109 et 1110 du Code civil ;

Attendu que l'effet de la nullité est de replacer les parties, autant que faire se peut, dans l'état où elles se trouvaient avant de contracter ; que la société Novopac est en droit par conséquent de se faire restituer le prix de vente qu'elle a séquestré, avec intérêts au taux légal à compter de la consignation ; que le fait que APS ait dû entre-temps déposer son bilan le 7 décembre 1989 ne fait pas obstacle à la restitution, étant observé qu'en toute hypothèse la perte de la ligne de calandrage compromettait irrémédiablement la situation ; qu'en ne demandant pas la désignation d'un administrateur judiciaire et en attendant le 7 juillet 1988 pour assigner en nullité de la vente des actions, Novopac n'a commis en outre aucune faute dont ses adversaires puissent se prévaloir ;

Attendu que les intimés ne justifient pas du préjudice qu'ils allèguent ; qu'ils seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts ; qu'il en sera de même, à plus forte raison, pour les appelants, qui succombent ;

Attendu que les appelants ne peuvent qu'être également déboutés de leur demande reconventionnelle ; qu'en effet, l' " acte séparé du 10 février 1988 " sur lequel ils prétendent se fonder, qui comporterait l'engagement de Monsieur Bernard Rouget de rembourser les comptes courants restés au passif de la société APS, ne se trouve pas parmi les pièces versées aux débats et attendu que l'équité commande d'allouer aux intimés, pour leurs frais d'appel non compris dans les dépens, une somme de 10 000 F qui s'ajoutera à celle accordée en première instance ; que l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne saurait bénéficier aux appelants ;

Décision

Par ces motifs, qui se substituent à ceux des premiers juges, LA COUR - confirme le jugement attaqué ; y ajoutant, - condamne in solidum MM. Le Campion, Henault, Marret et Bouroulec à payer à la société Novopac les intérêts au taux légal sur la somme de 525 000 F à compter de la date à laquelle elle a été séquestrée ; - déboute la société Novopac et M. Rouget de leur demande de dommages-intérêts ; - déboute les appelants de leurs demandes tendant au remboursement des sommes inscrites à leurs comptes courants ; - les déboute de leur demande de dommages-intérêts et de leur demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - les condamne à payer à la société Novopac la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - les condamne aux dépens d'appel, avec possibilité de recouvrement direct par la SCP Bourgeon-Delignette, avoué.