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Décisions

CA Douai, 1re ch., 16 juin 1997, n° 94-11041

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Levesque, Dussart

Défendeur :

Zaglio, Avis Immobilier (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Corroller

Conseillers :

Mme Dagneaux, M. Méricq

Avoués :

Mes Masurel-Thery, Le Marc'Hadour Pouille-Groulez, Congos Vandendaele

Avocats :

Mes Delfly, Leleu, SCP Brunet

TGI Béthune, du 16 nov. 1994

16 novembre 1994

Attendu que suivant acte sous seing privé en date du 30 mars 1989 réitéré par acte authentique du 11 juillet 1989 les époux Zaglio ont acquis des consorts Levesque-Dussart un immeuble à usage d'habitation par l'intermédiaire de la SA Avis Immobilier ; que se plaignant de ce qu'on leur avait caché que l'immeuble n'était pas alimenté en eau potable, mais par un puits d'eau non potable, les époux Zaglio ont assigné les consorts Levesque-Dussart et la société Avis en réparation du préjudice qu'ils subissaient de ce fait, sur le fondement du dol ; qu'un premier jugement a ordonné une expertise qui a démontré qu'il n'y avait aucune garantie de potabilité de l'eau ;

Que par jugement en date du 16 novembre 1994, le Tribunal de grande instance de Béthune a alors :

- déclaré les défendeurs responsables du préjudice subi par les époux Zaglio,

- condamné in solidum Dominique Levesque, Sabine Dussart et la SA Avis Immobilier à payer aux époux Zaglio la somme de 100 000 F, outre celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- dit que la charge finale de cette condamnation sera supportée par Dominique Levesque - Sabine Dussart d'une part et par la société Avis Immobilier d'autre part à concurrence de la moitié chacun,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné in solidum les défendeurs aux dépens, y compris les frais d'expertise ;

Attendu que Dominique Levesque et Sabine Dussart ont interjeté appel par acte du 22 décembre 1994 ;

Que par conclusions signifiées le 24 avril 1995, ils demandent à la cour de :

- infirmer la décision déférée,

- au principal, constater l'irrecevabilité de la demande présentée par les consorts Zaglio,

- en toute hypothèse la déclarer mal fondée,

- débouter les consorts Zaglio de toutes leurs demandes,

- à titre subsidiaire, condamner la société Avis à les relever de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre,

- condamner les consorts Zaglio et la société Avis à leur payer une somme de 5 000 F chacun sur le fondement de la procédure abusive et vexatoire ainsi qu'une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Qu'ils exposent que le 16 février 1989 ils ont confié à la société Avis Immobilier un mandat de vente sans exclusivité portant sur leur maison d'habitation à Annezin les Béthune ; qu'ils ont précisé dans cette convention que l'immeuble litigieux n'était pas raccordé au réseau urbain, l'alimentation en eau se faisant à l'aide d'un puits relié à une pompe électrique, alors que l'évacuation des eaux usagées relevait d'une micro-station d'épuration ; que lors du compromis de vente du 30 mars 1989, ils n'ont pas rencontré les acquéreurs, la signature étant intervenue par l'entremise de la société Avis ; que les époux Zaglio ont pris possession de l'immeuble avant la régularisation de la vente ; que le h juillet 1989, Maître Ferret transmettait à Sabine Dussart une lettre des époux Zaglio datée du 7 juillet 1989 faisant opposition sur le prix de vente de la maison au motif que "l'habitation n'est pas alimentée en eau potable" [alors] que cependant le 11 juillet les époux Zaglio ont régularisé la vente sans former la moindre critique par écrit ;

Qu'ils font valoir que l'action des époux Zaglio fondée sur l'article 1641 du Code civil ne pouvait être reçue car elle n'a pas été engagée à bref délai ; qu'en effet les époux Zaglio connaissaient l'existence du puits et de la station d'épuration dès avril 1989 ; qu'ils se sont plaints de l'absence de potabilité de l'eau dès le 7 juillet 1989 ; qu'ils ont procédé à un contrôle de cette potabilité en août 1989 ; que ce n'est pourtant que le 21 février 1991 que l'assignation a été délivrée, c'est à dire plus de 20 mois après la découverte du prétendu vice caché ; que d'ailleurs les époux Zaglio conscients de la prescription avaient assigné sur le fondement du dol ; que le tribunal a écarté cet argument en faisant valoir que le litige portait non pas sur le mode d'alimentation en eau de l'immeuble mais sur le caractère potable de cette eau ; que cette affirmation ne pouvait être valablement retenue; qu'en effet la lettre du 7 juillet 1989 précisait "cette habitation n'est pas alimentée en eau potable" ; que par ailleurs l'acte de vente contient une clause d'exclusion de garantie ; que l'action des époux Zaglio est donc irrecevable ; que ni ceux-ci, ni le tribunal n'ont répondu à cette argument ; que de la chronologie des événements, on peut soutenir que les époux Zaglio avaient la ferme intention d'acquérir l'immeuble, quelles qu'en soient les conditions ; que leur idée était d'obtenir non pas l'annulation de la vente mais une réduction du prix ; que par ailleurs les époux Zaglio n'ont cherché à aucun moment à filtrer l'eau, solution préconisée par l'expert, se contentant de réclamer une réduction du prix ;

Attendu que les consorts Levesque invoquent également l'absence de vice caché ; que selon eux le tribunal a considéré que le puits devait obligatoirement fournir de l'eau potable, ce qui revient à condamner l'existence d'une alimentation par un puits ; qu'ils ajoutent que le puits qui avait été creuse n'avait d'autre vocation que d'alimenter la maison en eau, sans qu'il ait été à un moment question de la consommer ; que l'absence de potabilité de l'eau ne pouvait être un vice caché puisque la potabilité de l'eau n'était pas un élément garanti lors de la vente ; qu'en effet il s'agit d'un immeuble éloigné de toute zone d'habitation qui n'offre pas le même confort qu'une installation en ville ; que le prix en tenait compte ; qu'ils précisent enfin que la société Avis connaissait l'existence du puits et il lui appartenait d'informer les futurs acquéreurs de cette particularité ; qu'ils n'auraient pu eux-mêmes informer ceux-ci qu'ils n'ont jamais rencontrés ; que la société Avis doit donc les relever indemnes de toute condamnation ;

Attendu que par conclusions signifiées les 15 décembre 1995 et 14 novembre 1996, les époux Zaglio demandent à la cour de :

- constater, dire et juger que leur consentement a été vicié par les manœuvres dolosives de Dominique Levesque, Sabine Dussart et de l'agence Avis Immobilier et subsidiairement par l'erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue,

- condamner en conséquence in solidum Dominique Levesque, Sabine Dussart et l'agence Avis Immobilier en vertu de l'article 1117 du Code civil à leur régler la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'ils font valoir que la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l'engagement a été contracté ; qu'après l'obtention du prêt et la levée de la condition suspensive, la vente a rétroagi au 30 mars 1989 et c'est à cette date que la validité des consentements doit être appréciée ; qu'à cette date ils ne pouvaient avoir connaissance de l'existence du puits ; que la société Avis Immobilier s'est bien gardée de les informer de cette spécificité de l'immeuble qui n'apparaissait pas dans la promesse de vente ; que ce puits n'est nullement apparent car il faut soulever la dalle de béton qui recouvre l'ouverture du puits pour apercevoir le tuyau qui relie l'immeuble au puits que leur consentement a été vicié par les manœuvres dolosives de la société Avis Immobilier qui a tu le mode d'alimentation en eau de l'immeuble et en toute hypothèse par l'erreur, l'absence de raccordement au réseau d'eau entraînant une moins value considérable ; que la mauvaise foi de la société Avis Immobilier sur ce point est démontrée par la pièce n° 9 ter communiquée par les consorts Levesque-Dussart, lesquels avaient signalé l'existence d'un système d'alimentation en eau particulier ; que lorsque l'erreur est la conséquence d'un vice caché, la règle de l'article 1648 du Code civil ne s'applique pas ; que le 7 juillet 1989 ils ont fait opposition sur le prix de vente, sachant qu'ils ne pouvaient s'opposer à la régularisation de la cession de l'immeuble puisque la condition suspensive avait été levée ; qu'à cette date cependant ils ignoraient que l'eau du puits n'était pas potable ; que les résultats de l'analyse de l'eau n'ont été connus que le 7 juillet 1989 ; que contrairement à ce qu'affirment les vendeurs, l'immeuble ne se trouve pas éloigné de Béthune, Annezin étant d'ailleurs un gros bourg ; que le mode d'alimentation en eau de l'immeuble et le caractère potable de l'eau sont des éléments essentiels dans l'appréciation de la valeur de l'immeuble ; que l'existence du puits et de la micro-station d'épuration a été délibérément cachée par la société Avis Immobilier ; que le caractère non potable de l'eau a été dissimulé tant par les vendeurs que par leur intermédiaire ; qu'il y a donc abstention dolosive des vendeurs et de l'agent immobilier ; qu'à titre subsidiaire, ils n'auraient pas contracté au même prix s'ils avaient connu le mode d'alimentation en eau et le caractère non potable de l'eau et il y a erreur sur les qualités substantielles de l'immeuble ; que leur action n'est pas une action en nullité de la vente, mais une action en dommages-intérêts en vertu de l'article 1117 du Code civil ;

Attendu que par conclusions signifiées le 25 septembre 1996, la SA Avis Immobilier demande à la cour de :

- dire et juger irrecevable et non fondée la demande des époux Zaglio et les en débouter,

- à titre subsidiaire, dire irrecevables et non fondées les demandes dirigées contre elle, la mettre hors de cause,

- condamner au paiement de la somme de 18 090 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'elle fait valoir qu'entre l'assignation de 1991 et le jugement de 1994, le fondement juridique du vice du consentement a été remplacé par celui du vice caché alors que le bref délai de l'article 1648 du Code civil faisait défaut ; que le tribunal a eu tort de prendre en considération le caractère potable ou non de l'eau alors que tout le raisonnement avait été construit sur le mode d'alimentation en eau de l'immeuble ; que les constatations faites par l'expert confirment que le puits est bien visible ; qu'il existe en outre un groupe électropompe dans un local attenant à l'habitation et un ballon métallique servant de réserve d'eau ; que les acquéreurs ne peuvent sérieusement soutenir qu'ils ignoraient le mode d'alimentation en eau de la maison ; qu'il n'y a donc pas vice caché ; que d'autre part dès la vente, les acquéreurs ont écrit que la maison n'était pas alimentée en eau potable ; qu'en 1991 ils ne pouvaient donc invoquer un vice caché ; qu'ils ont signé l'acte de vente en connaissance de cause puisqu'à cette époque ils occupaient la maison depuis plus de 2 mois ; que les acquéreurs ont pris l'immeuble dans l'état sans aucune garantie et ont accepté la clause figurant à l'acte ; que subsidiairement, les vendeurs ne lui avaient signalé aucun problème particulier quant au caractère non potable de l'eau ; qu'il n'est pas démontré que ce problème leur aurait été signalé cinq ans plus tôt lorsqu'ils avaient vendu l'immeuble aux époux Levesque ; que la preuve de manœuvres dolosives n'est pas rapportée il n'a même pas été articulé de manœuvres particulières et précises ; que le puits et son raccordement à la maison sont visible de tous; qu'à supposer que l'eau soit non potable, cette information n'a jamais été portée à sa connaissance et si la seule présence d'un puits peut conduire à s'interroger sur la potabilité de l'eau, il appartenait aux acquéreurs de s'en inquiéter avant d'acheter en l'état ;

Attendu que par ordonnance du 4 juillet 1995, le conseiller de la mise en état a débouté Michel Zaglio de sa demande tendant à obtenir l'exécution provisoire du jugement ;

Discussion

Attendu qu'aucune des parties ne tire de conséquence du fait que le tribunal ait changé le fondement juridique de la demande qui lui était soumise ; qu'en tout état de cause, les époux Zaglio ne se placent en cause d'appel que sur le fondement de l'article 1117 du Code civil et n'invoquent pas les articles 1641 et suivants du Code civil, sur lesquels concluent les consorts Levesque ; que le dol ou l'erreur sur la substance ne sont pas soumis quant à eux au bref délai de l'article 1648 du Code civil ;

Attendu que c'est à juste titre que les époux Zaglio soutiennent que leur consentement doit être apprécié au jour de la signature du compromis de vente puisque la vente est parfaite dès cet instant, une fois la condition suspensive levée ; que peu importe que dans la période comprise entre la signature du compromis et la réitération par acte authentique, les époux Zaglio aient appris que l'eau alimentant la maison provenait du puits du jardin et n'était pas potable, dès lors que l'appréciation de la validité du consentement ne peut se situer qu'au moment du compromis ;

Attendu que le débat porte essentiellement sur la qualité de l'eau et non pas sur l'existence du puits, étant observé que celui-ci était incontestablement visible dans le jardin, car recouvert d'une grosse pierre et que la station d'épuration située dans une dépendance était également visible; que d'ailleurs dans leur lettre du 7 juillet 1989, les époux Zaglio ne se sont pas plaints de ce que la maison était alimentée par un puits mais de ce qu'elle n'était pas alimentée en eau potable ;

Or attendu que l'existence d'un puits et d'un groupe électropompe ne signifie pas ipso facto que l'eau n'est pas potable (le puits peut par exemple être alimenté par une source) ; qu'ainsi en n'informant pas les acquéreurs de cette spécificité de la maison, les vendeurs se sont rendus coupables de réticence dolosive ; qu'en effet il leur appartenait -quand bien même ils n'ont pas été en contact direct avec les acquéreurs- de donner à l'agent immobilier toutes les informations utiles que l'acquéreur d'une maison même située en zone rurale est en droit en 1989 de s'attendre à ce que celle-ci soit équipée d'eau potable et le silence des vendeurs à cet égard est coupable ; que ces derniers ne peuvent se retrancher derrière le mandat qu'ils ont donné à la société Avis Immobilier, car si ce document ne comporte pas de croix en face de la rubrique " eau de ville " (ce qui veut effectivement dire que celle-ci n'arrive pas) et en comporte une à la rubrique " puits " avec mention " pompe à eau ", " microstation d'épuration ", en revanche il n'est nullement signalé que l'eau n'est pas potable ; que la clause de non garantie ne saurait faire échec aux poursuites pour dol qui vicie tout l'acte et partant la clause en question ; que les vendeurs par ailleurs n'apportent aucun élément de nature à démontrer, comme ils le soutiennent, que le prix tenait compte de l'absence d'eau potable et que la baisse qu'ils ont consentie par rapport au prix mentionné dans le mandat ne correspondait pas simplement à l'état du marché ; que les vendeurs doivent donc être reconnus coupables de dol ;

Qu'en revanche le même reproche ne saurait être fait à l'intermédiaire qu'est la société Avis Immobilier, dans la mesure où elle n'avait pas plus de moyens que les acquéreurs de connaître cette situation, puisque le mandat qui lui a été confié ne le mentionnait pas ; que peu importe qu'elle ait déjà servi d'intermédiaire dans la vente conclue cinq ans plus tôt, dans la mesure où il n'est pas démontré que cette spécificité lui avait alors été signalée ;

Attendu qu'aucune critique particulière n'est apportée au montant de l'indemnisation accordée que celle-ci correspond d'une part au coût d'installation d'un réseau d'eau potable, soit 89 878,64 F et d'autre part au trouble de jouissance que les époux Zaglio ont effectivement subi entre leur entrée dans les lieux et cette arrivée de l'eau potable, ce qui justifie que leur indemnisation totale soit portée à 100 000 F au vu des éléments dont la cour dispose ;

Attendu que les consorts Levesque n'établissent pas l'intention malicieuse ou vexatoire des époux Zaglio et de la société Avis Immobilier qui auraient agi abusivement ; qu'ils doivent être déboutés de leur demande de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de Dominique Levesque et Sabine Dussart les frais irrépétibles non compris dans les dépens ; qu'en revanche il est inéquitable de laisser ceux-ci aux époux Zaglio et à la société Avis Immobilier ; qu'il y a lieu d'allouer aux premiers la somme de 7 000 F et à la société Avis Immobilier la somme de 5 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu le 16 novembre 1994 par le Tribunal de grande instance de Béthune, Statuant à nouveau et y ajoutant Dit que le consentement des époux Zaglio a été vicié par dol, Déclare Dominique Levesque et Sabine Dussart coupables de dol, Met hors de cause la société Avis Immobilier, Condamne solidairement Dominique Levesque et Sabine Dussart à payer aux époux Zaglio les sommes de : * 100 000 F à titre de dommages-intérêts, * 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Dominique Levesque et Sabine Dussart à payer à la société Avis Immobilier la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute Dominique Levesque et Sabine Dussart de leurs demandes de dommages-intérêts et d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne Dominique Levesque et Sabine Dussart aux dépens de première instance et d'appel, Autorise les avoués de la cause qui le requièrent à recouvrer les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.