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Décisions

Conseil Conc., 20 juillet 2005, n° 05-D-43

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Blanc, par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, Mme Béhar-Touchais, MM. Combe, Flichy, membres.

Conseil Conc. n° 05-D-43

20 juillet 2005

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 12 juillet 2000, sous le numéro F 1252, par laquelle la société Prodental a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ; Vu la décision en date du 17 mars 2005 par laquelle le Rapporteur Général du Conseil de la concurrence a décidé que la présente affaire serait jugée sans établissement d'un rapport, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la société Prodental, le Conseil départemental de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du gouvernement, la société Prodental, le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes entendus lors de la séance du 15 juin 2005 ; Vu l'audition de M. Paul X entendu en tant que témoin à la demande du Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme, en application de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre datée du 12 juillet 2000, Mme Y, prothésiste dentaire, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme (ci-après le Conseil départemental). Mme Y indiquait qu'elle avait entrepris, en 1998, une activité de nettoyage et d'entretien des prothèses dentaires amovibles envers des personnes âgées résidant en foyer ou en maison de retraite et qu'en janvier 1999, le Conseil départemental avait adressé un courrier aux maisons de retraite du Puy-de-Dôme précisant que le nettoyage des prothèses dentaires devait être prescrit par un chirurgien-dentiste. Mme Y soutenait que du fait de ce courrier, elle n'avait plus eu accès aux maisons de retraite de ce département et estimait que son activité avait été entravée par l'action du Conseil départemental.

A. LE SECTEUR DES SOINS PROTHÉTIQUES

1. LES SOINS PROTHÉTIQUES

2. Une prothèse dentaire est un appareillage destiné à la restauration et au rétablissement fonctionnel et esthétique du système manducateur. Il s'agit d'un " dispositif médical sur mesure " au sens de l'article R. 665-24 du Code de la santé publique qui le définit comme " un dispositif médical fabriqué spécifiquement suivant la prescription écrite d'un praticien dûment qualifié ou de toute autre personne qui y est autorisée en vertu de ses qualifications professionnelles et destiné à n'être utilisé que pour un patient déterminé ". On distingue deux grandes catégories de prothèses : les prothèses fixes, dites conjointes (incrustations, couronnes, dents à tenon, dents à pivot et bridges), les prothèses mobiles dites adjointes (prothèses amovibles partielles ou complètes). Seul ce dernier type de prothèses est visé par la plainte de Mme Y, le nettoyage par ultrasons auquel elle procède impliquant que la prothèse soit amovible.

3. La prescription, la pose et la vente des prothèses dentaires font intervenir deux professions distinctes : les chirurgiens-dentistes (et/ou stomatologues) et les prothésistes dentaires.

4. Les chirurgiens-dentistes ont le monopole de l'exercice de l'art dentaire, entendu comme étant " le diagnostic ou le traitement des maladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées, de la bouche, des dents et des maxillaires " selon l'article L. 4141-1 du Code de la santé publique. Les prothésistes quant à eux réalisent des prothèses sur prescription et commande des chirurgiens-dentistes, avec lesquels ils entretiennent des relations de fournisseur à client.

5. La prestation en cause est celle du nettoyage des prothèses dentaires amovibles. Il en existe deux types : d'une part, le nettoyage via des comprimés effervescents (type Polident, Efferdent ou Denture Brite) permettant par un entretien quotidien de l'appareil dentaire d'éviter l'entartrage de la prothèse d'autre part, le nettoyage effectué à la fois par les praticiens dentaires, les prothésistes et les personnels soignants des maisons de retraite consistant à détartrer une prothèse qui n'a pas fait l'objet d'un entretien régulier et qui de ce fait nécessite un détartrage par l'emploi de techniques particulières (comme des bains détartrants par exemple).

2. LES INTERVENANTS

a) Les prothésistes

6. Selon l'Union Nationale Patronale des Prothésistes Dentaires (UNPPD), la France comptait, en 2002, 5250 laboratoires de prothèses dentaires employant 21 250 personnes. Le chiffre d'affaires global de la profession s'élevait, hors importation, à 1,115 milliards d'euro.

7. Les prothésistes dentaires ont le statut d'artisan et relèvent, s'agissant de leur réglementation, du ministère de l'Artisanat. Ainsi, aux termes de l'article 16-1 de la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, la réalisation de prothèses ne peut être exercée que " par une personne qualifiée professionnellement ou sous le contrôle effectif et permanent de celle-ci ". Ces personnes qualifiées, hormis les chirurgiens-dentistes pour les besoins de leurs patients, sont les prothésistes dentaires, dont la formation comporte 3 niveaux : le CAP, le brevet professionnel et le BTMS.

b) Les chirurgiens-dentistes

8. Au 31 décembre 2002, 42 081 professionnels étaient inscrits à l'Ordre des chirurgiens-dentistes. Plus de 87 % d'entre eux exercent en libéral. Le volume des dépenses annuelles consacrées par les Français en soins dentaires s'élevait en 2002 à 7,9 milliards d'euro.

9. L'exercice de la profession de chirurgien-dentiste est régi par les dispositions du Livre I Titre IV (Partie IV) du Code de la santé publique et par celles du décret du 22 juillet 1967 portant Code de déontologie des chirurgiens-dentistes. L'entrée dans cette profession est subordonnée à la possession d'un diplôme français de docteur en chirurgie dentaire ou de chirurgien-dentiste ou d'un diplôme équivalent pour les ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'EEE (art. L. 4141-3 du CSP).

10. L'article L. 4161-2 du CSP réprime l'exercice illégal de l'art dentaire, visant " toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un praticien, à la pratique de l'art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu'ils soient, notamment prothétiques sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 4141-3 et exigé pour l'exercice de la profession de médecin ou de chirurgien-dentiste, alors qu'elle n'est pas régulièrement dispensée de la possession de l'un de ces diplômes, certificats ou titres par application du présent livre ".

B. LA PRATIQUE RELEVÉE : LA LETTRE CIRCULAIRE ADRESSÉE PAR LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL AUX MAISONS DE RETRAITE LE 7 JANVIER 1999

11. Mme Marie-Françoise Y est inscrite au répertoire de la Chambre des Métiers du Puy-de-Dôme en tant qu'artisan prothésiste. Elle exploite une société dénommée Prodental sise à Orcines (63) qui a pour objet " la fabrication de prothèses dentaires et le nettoyage et l'entretien des prothèses dentaires à domicile ".

12. Souhaitant développer son activité de nettoyage et d'entretien des prothèses dentaires amovibles en direction des personnes âgées résidant en foyer ou en maison de retraite, Mme Y adressait un courrier à la DDASS et à la préfecture du Puy-de-Dôme afin de déterminer les modalités de son intervention en maison de retraite.

13. La DDASS du Puy-de-Dôme, par courrier daté du 27 février 1998, lui conseillait de " contacter par courrier les directeurs des établissements d'accueil pour personnes âgées (...) afin de leur présenter votre métier et les prestations que vous offrez. Celui-ci pourra vous indiquer les coordonnées du président du conseil d'établissement auprès duquel vous pouvez également présenter votre offre de service ". Une réponse similaire lui était également faite par la préfecture du Puy-de-Dôme par courrier daté du 15 juillet 1998 et par le Conseil général du Puy-de-Dôme par courrier daté du 5 février 1999.

14. Mme Y entreprenait donc de démarcher courant 1998/1999 les maisons de retraite du département du Puy-de-Dôme.

1. LA PRISE DE POSITION DES INSTANCES REPRÉSENTATIVES DES CHIRURGIENS-DENTISTES SUR L'ACTIVITÉ DE MME Y

15. Averti des démarches effectuées par Mme Y auprès des maisons de retraite, le Docteur Z, qui anime depuis 1989 l'Association de Soins Dentaires à Domicile, saisissait par courrier du 14 novembre 1998 la DDASS du Puy-de-Dôme afin de l'interroger sur la légalité de l'activité professionnelle de Mme Y .

16. La DDASS sollicitait l'avis de la Chambre Patronale des Prothésistes Dentaires du Puy-de-Dôme et du Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme.

17. S'agissant de la Chambre Patronale des Prothésistes, celle-ci indiquait à la DDASS par courrier daté du 16 décembre 1998 : " Le nettoyage ou l'entretien dans de bonnes conditions d'hygiène des prothèses dentaires incombe en premier lieu au porteur de la prothèse lui-même, dans certains cas et sous sa responsabilité, il peut demander à toute autre personne, famille, personnel soignant, service extérieur d'intervenir pour maintenir le bon niveau de propreté souhaité. Cette intervention simple, se pratiquant exclusivement sur des dispositifs amovibles, sur les pièces prothétiques et non sur la personne physique, ne requiert pas de connaissances médicales mais une bonne connaissance des matériaux qui composent cette prothèse. Ce qui est par nature l'exercice quotidien du prothésiste dentaire ".

18. Le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes adressait à la DDASS un courrier daté du 29 décembre 1998, faisant état de la position prise par le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes en matière de nettoyage des prothèses, dans lequel on pouvait lire :

" Il s'agit bien en effet d'un problème de responsabilité et de capacité professionnelle. Nous pensons qu'il faut rappeler au moins deux grands principes :

* Le premier est que seul un chirurgien-dentiste peut avoir l'entière responsabilité de la réalisation d'une prothèse,

* Le second que seul un chirurgien-dentiste peut assurer le suivi du devis d'une prothèse et dans le cas particulier que vous évoquez, que seul un chirurgien-dentiste est habilité à décider si la prothèse nécessite un nettoyage par une technique particulière. Si tel est son diagnostic, il dépendra de lui et de lui seul, de s'adresser au laboratoire de son choix pour faire réaliser ce travail. Par conséquent, il nous apparaît que Mme Y devrait effectuer ses appels d'offres auprès des chirurgiens-dentistes et, pour ce qui concerne les établissements d'accueil tels que centres de soins ou maisons de retraite où un chirurgien-dentiste exerce régulièrement, il lui est facile de s'adresser à ce praticien ".

19. Le Conseil départemental adressait par la suite, sous la signature de son président, M. Jean-Pierre A, à l'ensemble des maisons de retraite du département une lettre-circulaire datée du 7 janvier 1999 dans laquelle on pouvait lire :

" Monsieur le Directeur, Vous avez, ou vous allez être sollicité par une société qui propose à vos pensionnaires un soi-disant nettoyage de leurs prothèses dentaires. Cette prestation pose un problème de responsabilité :

* Seul un chirurgien-dentiste peut assurer le suivi du devis d'une prothèse et donc il est le seul habilité à décider de la nécessité d'un éventuel nettoyage par une technique appropriée.

* Si tel est son diagnostic, il dépendra de lui et de lui seul de s'adresser au laboratoire de son choix pour réaliser ce travail. Par conséquent, pour ce qui concerne votre établissement, vos pensionnaires souhaitant bénéficier d'une telle prestation doivent contacter soit leur chirurgien-dentiste traitant, soit une association dûment agréée par le Conseil Départemental de l'Ordre ".

20. Par ailleurs, M. B, vice-président du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes (ci-après Conseil national) chargé des relations publiques, adressait le 17 février 1999, au Président du Conseil départemental, un courrier dans lequel on pouvait lire :

" Je me permets de vous préciser que nous avons considéré que le nettoyage d'une prothèse dentaire, qui n'est pas toujours un acte simple, qui peut également provoquer des détériorations, même une fracture de l'appareil et parfois révéler lors de la remise en bouche un défaut d'adaptation, relève de la pratique de l'art dentaire. Nous considérons que seul un chirurgien-dentiste est habilité et possède la compétence nécessaire pour faire face à toutes les situations qui peuvent être créées par le nettoyage des prothèses.

Nous ne pouvons par conséquent qu'approuver la décision que vous avez prise ".

2. PREMIÈRE PLAINTE DE MME Y AUPRÈS DES SERVICES DE LA DGCCRF 21. Mme Y se plaignait, par courrier daté du 3 mars 1999, des agissements du Conseil départemental auprès de la DDCCRF du Puy-de-Dôme, qui procédait à son audition le 18 mars 1999.

22. Devant les enquêteurs, Mme Y précisait la nature de son activité, consistant selon elle à " enlever le tartre qui se forme progressivement grâce à un appareil à ultrasons. La prothèse dentaire est placée dans un bain avec un produit spécifique (acide détartrant) pendant 10 minutes. L'opération peut parfois être complétée par un polissage ".

23. Ce nettoyage n'implique selon Mme Y aucun " travail en bouche " et " s'apparente à un détartrage qui peut être effectuée au maximum quatre fois par an sur une prothèse ". Selon Mme Y, aucune qualification professionnelle n'est requise pour procéder à un nettoyage de prothèse, qui ne donne lieu à aucune prise en charge par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie et doit être assimilée à une prestation de service à la charge du patient.

3. LA POSITION PRISE PAR LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ

24. Afin de déterminer si l'activité de nettoyage des prothèses dentaires pratiquée par Mme Y relevait ou non de l'art dentaire, la DRCCRF interrogeait par note du 26 mai 1999 la Direction Générale de la Santé afin que celle-ci lui donne un avis circonstancié " sur les actes qui reviendraient par nature aux chirurgiens-dentistes ou aux prothésistes dentaires afin de déterminer si un prothésiste dentaire peut effectuer le nettoyage des prothèses dentaires amovibles ".

25. Par courrier en date du 16 juin 1999, le sous-directeur des professions de santé à la Direction Générale de la Santé adressait sa réponse à la DGCCRF dans laquelle il indiquait :

" Il n'existe pas de définition précise des actes qui peuvent être effectués par l'une ou l'autre des deux professions. En effet, la profession des prothésistes dentaires n'est pas une profession réglementée par le Code de la santé publique, elle n'est ni médicale ni paramédicale (...). La distinction de l'exercice des deux professions peut s'effectuer à travers la définition de la compétence du chirurgien-dentiste posée par l'article L. 373 du CSP (...).

Selon une jurisprudence constante, la fabrication des prothèses dentaires ne relève pas de l'art dentaire dont le monopole appartient aux chirurgiens-dentistes et peut être pratiquée par une autre profession ayant reçu une formation distincte (CE 14/03/1973 Confédération Nationale des Syndicats Dentaires). Cependant, constituent depuis une dizaine d'années des actes prothétiques relevant de l'art dentaire les opérations de prise d'empreinte, d'adaptation et de pose d'un appareil dentaire sans qu'il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d'installer un premier appareil ou d'ajuster ou de remplacer une prothèse existante (Crim 03/03/1987). Le critère principalement retenu est celui du travail dans la bouche du patient pratiqué par le chirurgien-dentiste.

Le nettoyage de prothèses dentaires amovibles par une prothésiste dentaire soulève deux questions : ce nettoyage fait-il partie des actes qui entrent dans l'art dentaire réservé aux chirurgiens-dentistes et, dans le cas d'une réponse négative, la prescription d'un chirurgien-dentiste est-elle nécessaire pour que le prothésiste puisse le pratiquer ?

Sur le premier point, l'acte de nettoyage de prothèse dentaire amovible n'appartiendrait au monopole des chirurgiens-dentistes que s'il entrait dans la définition de l'art dentaire. Or, pour ma part, je considère a priori que le nettoyage d'une prothèse dentaire amovible n'entre pas dans ce monopole puisqu'il ne s'agit pas de travail en bouche. Cependant, le juge pénal étant chargé du respect de cet article du Code de la santé publique, il lui appartient de définir en dernier lieu l'activité en question.

En ce qui concerne la nécessité de l'indication d'un chirurgien-dentiste pour qu'un prothésiste pratique ce nettoyage, il me semble que l'acte en question peut être dissocié de l'acte prothétique, dont le chirurgien-dentiste assume la responsabilité, qui est un acte distinct. Le nettoyage d'une prothèse dentaire amovible est habituellement effectué au premier chef par la personne elle-même, il peut aussi être effectué par un tiers, comme dans une maison de retraite, par le personnel de l'établissement. En cas de détérioration de prothèse par Mme Y, celle-ci en porterait la responsabilité sauf si elle peut prouver un vice de la prothèse antérieur au nettoyage. En effet, si actuellement le patient endommage sa prothèse lorsqu'il la nettoie le praticien peut s'exonérer de sa responsabilité au motif qu'une cause étrangère est à l'origine de vices affectant la prothèse.

Cependant, il s'agirait d'une première dans l'exercice des prothésistes dentaires qui ne travaillent habituellement que sur commande du chirurgien-dentiste et ne se trouvent jamais en relation directe avec le patient ".

4. L'INTERVENTION DE LA DGCCRF

26. S'inspirant de cet avis, la DRCCRF de Lyon décidait d'adresser, par courrier daté du 16 août 1999, un rappel de réglementation au président du Conseil départemental en l'informant de l'avis de la Direction Générale de la Santé et en lui précisant que : " La recommandation que vous avez adressée aux directeurs d'établissements hébergeant des personnes âgées susceptibles de faire appel à Mme Y ou à toute autre entreprise proposant un service de nettoyage de prothèses dentaires amovibles, constitue un acte qui a pour objet ou pour effet d'interdire l'accès à ce marché aux prothésistes dentaires. Or l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1/12/1986 prohibe toutes les actions concertées, conventions ou ententes ayant un tel objet et/ou effet, notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre jeu de la concurrence par d'autres entreprises.

Par conséquent, je vous invite à vous conformer aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 et à titre d'accusé de réception, à me faire parvenir le double du présent courrier dûment signé.

Par ailleurs, je vous demande de bien vouloir prendre toutes les dispositions utiles pour informer les directeurs de maisons de retraite précédemment contactés, de la position de la Direction Générale de la Santé.

Vous voudrez bien me faire connaître les mesures que vous aurez adoptées ".

27. La lettre de la DRCCRF restait sans effet et le Conseil départemental refusait d'adresser un courrier rectificatif aux maisons de retraite du Puy-de-Dôme.

28. Entendu sur ce point par les enquêteurs de la DGCCRF, M. C, président du Conseil départemental, indiquait lors de son audition datée du 26 octobre 2000 :

" Je maintiens la position définie sur ce point par le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes (...). Nous n'avons pas donné suite à la lettre de rappel de réglementation du 16/8/1999 émanant de la DRCCRF de Lyon compte tenu de cette position que nous maintenons ".

5. LA PRISE DE POSITION DE LA DDASS DU PUY-DE-DÔME

29. Tirant les conséquences de l'avis émis par la Direction Générale de la Santé, le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du Puy-de-Dôme adressait à Mme Y un courrier daté du 1er juillet 1999, par lequel il l'avisait qu'elle était autorisée à pratiquer le nettoyage de prothèses dentaires à domicile, " sous réserve des conditions suivantes :

1/ Définition d'un Code de bonne conduite avec les professionnels de l'art dentaire pour assurer la surveillance bucco-dentaire des personnes auprès desquelles vous serez appelée à intervenir. Dans l'hypothèse d'un doute sur une pathologie sous-jacente, l'information immédiate du chirurgien-dentiste devra être assurée.

2/ Mise en garde contre toute tentation de proposer une intervention sur la prothèse comme une réparation par exemple. Dans ce cas, vous devrez obligatoirement vous en remettre au chirurgien-dentiste.

3/ Etablissement d'un contrat entre vous-même et les directeurs de maisons de retraite afin de définir clairement les conditions de votre activité.

4/ Etablissement d'un document d'information du consommateur définissant clairement le contenu et le coût des prestations proposées (...) ".

30. A la suite de ce courrier, Mme Y établissait un modèle de convention définissant les conditions d'intervention au sein des établissements d'accueil pour personnes âgées qu'elle adressait pour avis à la DDASS du Puy-de-Dôme. Par la suite, elle adressait, en juillet 1999, un courrier à tous les directeurs de maisons de retraite du Puy-de-Dôme dans lequel elle leur proposait d'établir " une convention (...) afin de définir les conditions d'intervention " dans leur établissement.

6. SECONDE PLAINTE DE MME Y AUPRÈS DES SERVICES DE LA DGCCRF :

31. A l'occasion de visites dans quelques établissements (notamment la maison de retraite de Volvic), Mme Y relevait la présence sur le panneau d'affichage de l'établissement du courrier du président du Conseil départemental daté du 7 janvier 1999. Elle adressait alors, en juillet 2000, un courrier à tous les établissements d'accueil des personnes âgées leur demandant de retirer le courrier en question et de le remplacer par ceux de la DDASS du Puy-de-Dôme (autorisation de pratiquer son activité sous condition) et de la DRCCRF de Lyon (rappel de la réglementation).

32. Mme Y saisissait à nouveau, par courrier daté du 6 mars 2000, la DDCCRF du Puy-de- Dôme qui procédait à une enquête. Les enquêteurs procédaient à l'audition de plusieurs directeurs de maisons de retraite afin d'un côté, de déterminer si Mme Y avait pu accéder aux locaux et présenter sa prestation aux résidents, de l'autre, d'évaluer l'impact du courrier du Conseil départemental daté du 7 janvier 1999.

33. Il ressortait des auditions effectuées par les enquêteurs que Mme Y avait pu librement accéder aux six maisons de retraite gérées par le CCAS du Puy-de-Dôme (qui a en outre diffusé une information auprès de ses résidents relative à l'activité de la société Prodental), ainsi qu'à la résidence Régina, à la maison de retraite de Pionsat et à la maison d'accueil Les Charmilles. Quant aux autres établissements contactés (hôpital du Mont Dore, maison de retraite La Sainte Famille, maison de retraite Notre-Dame, Centre hospitalier d'Issoire), les personnes interrogées déclaraient avoir bien été contactées par Mme Y, mais qu'après avoir interrogé le personnel soignant et les résidents sur l'utilité d'une telle prestation, elles n'avaient pas donné suite aux sollicitations de celle-ci.

34. S'agissant de l'impact du courrier du Conseil départemental, deux directeurs d'établissements (sur les neuf auditionnés) affirmaient en avoir tenu compte. Ainsi, M. D, directeur de la maison de retraite de la Sainte Famille à Clermont-Ferrand déclarait lors de son audition du 5 septembre 2000 : " Je me souviens aussi avoir reçu en début d'année 1999 une lettre du conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme qui m'a rendu un peu plus méfiant à l'égard de la proposition ci-dessus ". De même, Mme E..., directrice de la maison de retraite de Pionsat déclarait lors de son audition datée du 23 novembre 2000 : " Nous avons été destinataires du courrier du conseil de l'Ordre des chirurgiens-dentistes, nous l'avons conservé dans nos archives mais ne l'avons pas affiché dans les locaux; c'est pourquoi nous nous sommes entourés de toutes les précautions avant d'envisager un travail de cette société dans l'établissement. Il est dommage qu'une telle suspicion soit portée sur cette société alors qu'elle rend un service qui peut être apprécié par de nombreuses personnes âgées qu'il est souvent difficile de faire déplacer ".

35. En outre, l'enquête de la DGCCRF révélait l'existence d'une structure associative spécifique au Puy-de-Dôme, bénéficiant d'une dérogation au Code de déontologie avalisée par le Conseil national, et qui a pour objet de permettre aux chirurgiens-dentistes membres de cette association d'effectuer des soins à domicile ainsi que dans les établissements pour personnes âgées dépendantes. A noter que le président de cette association, le Docteur Z, n'est autre que celui qui a appelé l'attention de la DDASS sur l'activité de Mme Y par courrier daté du 14 novembre 1998.

C. LES GRIEFS NOTIFIES

36. Sur la base des constations qui précèdent, le grief suivant a été notifié au conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme, ainsi qu'au conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes :

37. " d'avoir par leur action concertée faussé le jeu de la concurrence, en limitant l'accès au marché du nettoyage de prothèses dentaires amovibles ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, pratique qui constitue une entente anticoncurrentielle en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce ".

II. Discussion

A. SUR LA COMPÉTENCE DU CONSEIL

38. Le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes (ci-après les défendeurs) soulèvent, en séance, l'incompétence d'ordre public du Conseil de la concurrence au motif que le courrier du Conseil départemental est un acte administratif pris dans le cadre de l'exercice par l'Ordre de sa mission de service public et que l'appréciation de sa légalité relève du seul juge administratif.

39. Il est de jurisprudence constante (cf notamment les décisions du Conseil n° 97-D-26 du 22 avril 1997 et n° 02-D-14 du 28 février 2002, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 novembre 2002 " Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts " et l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000) que lorsqu'un Ordre professionnel, sortant de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'Ordre professionnel, adresse à des tiers un courrier ou une note dans lequel il se livre à une interprétation de la législation applicable à son activité, il intervient dans une activité de services entrant dans le champ d'application de l'article L. 410-1 du Code de commerce.

40. Le Conseil de la concurrence a ainsi considéré dans la décision n° 97-D-26 que relevaient de sa compétence, les pratiques imputables à l'Ordre national des pharmaciens qui avait adressé un courrier à une société de portage de médicaments à domicile dans lequel il considérait, " dans le seul souci de protection de la santé publique ", que cette activité était illégale.

41. En l'espèce, le Code de la santé publique et notamment son article L. 121-2, dispose que l'Ordre des chirurgiens-dentistes veille au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de l'art dentaire, des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie prévu à l'article L. 4127 du Code de la santé publique. Le Code de déontologie des chirurgiens-dentistes énonce ainsi des règles relatives à la compétence du chirurgien-dentiste, à la qualité et à la sécurité des soins dispensés, au secret professionnel, à la transparence des relations patient/praticien (et notamment le respect du libre choix par le patient de son praticien), l'entretien et le perfectionnement de ses connaissances, la délivrance de soins éclairés, la détermination du montant des honoraires. Il appartient, selon l'article L. 4122-1 CSP, au Conseil national de l'Ordre de remplir la mission définie à l'article L. 121-2 CSP, et au Conseil départemental sous le contrôle du Conseil national, selon l'article L. 4123-1 CSP, d'exercer les attributions générales de l'Ordre énumérées à l'article L. 4121-2 CSP.

42. En adressant à l'ensemble des directeurs de maisons de retraite du Puy-de-Dôme un courrier dans lequel il dénonce les conditions dans lesquelles un prothésiste dentaire exerce son activité, qui selon sa propre interprétation du Code de la santé publique serait illégale, le Conseil départemental n'a pas mis en œuvre une prérogative de puissance publique qui lui serait attribuée pour l'exercice de sa mission de service public. Il est intervenu dans une activité de services, en l'espèce celle des services rendus par un prothésiste-dentaire à des patients, au sens de l'article L. 410-1 du Code de commerce.

43. Dès lors, le Conseil de la concurrence est compétent pour connaître desdites pratiques.

B. SUR LE MARCHÉ PERTINENT

44. Les défendeurs soutiennent que c'est à tort que le rapporteur a considéré que l'activité de Mme Y était celle du nettoyage des prothèses dentaires amovibles, qui comprendrait tant le nettoyage des prothèses au moyen de comprimés effervescents réalisé par le patient que le nettoyage utilisant des procédés particuliers comme les ultrasons. Ils font valoir que ces deux types de nettoyage doivent être distingués, le deuxième devant être désigné sous le terme " détartrage ", et qu'ils se situent sur des marchés pertinents différents. Le détartrage répondrait à des besoins différents et serait soumis à des contraintes réglementaires, en particulier à la nécessité d'être prescrit par un chirurgien-dentiste, ce qui n'est pas le cas du nettoyage. D'ailleurs les dentistes et prothésistes ne seraient pas en concurrence sur ce marché puisque les dentistes n'y interviendraient qu'à titre de prescripteurs, confiant l'exécution de la prestation à des prothésistes.

45. Le nettoyage quotidien des prothèses amovibles par le porteur lui-même, un proche ou un membre du personnel d'une maison de retraite, à l'aide d'une brosse et de dentifrice, ou d'un comprimé effervescent, répond à un besoin d'hygiène quotidien comparable à celui du brossage des dents en bouche, et n'est pas substituable, mais complémentaire, à un nettoyage ponctuel effectué par un prothésiste dentaire employant des techniques spécifiques telles que les ultrasons. Des variations de prix faibles (de l'Ordre de 5 à 10 %) des produits servant à un nettoyage quotidien (brosses, dentifrice, comprimés effervescents) seraient donc sans effet significatif sur la demande pour des prestations de nettoyage ponctuel. En revanche, ce type de prestation se distingue des autres prestations offertes par les prothésistes dentaires (fabrication des prothèses, réparation) par sa finalité, qui est celle du nettoyage, et par sa faible technicité. Le marché affecté par les pratiques dénoncées est donc celui du nettoyage des prothèses par un technicien employant des techniques telles que les ultrasons, sur lequel Mme Y exerce son activité.

46. Sur ce marché, les offreurs sont principalement les prothésistes dentaires. En effet, si le Conseil national dans son courrier du 17 mai 1999 a écrit que le nettoyage d'une prothèse dentaire relève de la pratique de l'art dentaire, si M. C, président du Conseil départemental a déclaré lors de son audition le 29 juillet 2004 que " seul un chirurgien-dentiste peut poser l'indication d'un nettoyage et d'un entretien invasif, en assurer la réalisation et le suivi " et si les chirurgiens-dentistes membres de l'association de soins dentaires à domicile, qui intervient dans le département du Puy-de-Dôme auprès des personnes âgées placées en établissements spécialisés, réalisent eux-mêmes ce type de nettoyage, la réalisation directe du nettoyage par les chirurgiens-dentistes demeure marginale. L'intervention des chirurgiens-dentistes dans la réalisation de ce type de prestation est indirecte, dans la mesure où ils revendiquent devoir prescrire et contrôler le nettoyage par les prothésistes des appareils dentaires, ce qui leur permet d'orienter la demande.

47. S'agissant de la dimension géographique de ce marché, elle est locale, limitée par les contraintes de déplacements des demandeurs ou des offreurs dans le cas de prestations à domicile comme celle proposée par Mme Y, qui a limité son offre au département du Puy-de-Dôme. Une délimitation plus précise du marché géographique affecté par les pratiques n'est cependant pas nécessaire dans la présente affaire.

C. SUR LE GRIEF NOTIFIÉ

48. Les défendeurs soutiennent que, selon la jurisprudence, l'indication, la pose initiale, le suivi et l'entretien d'une prothèse dentaire relèvent de l'art dentaire et ne peuvent être effectués que sous le contrôle d'un chirurgien-dentiste. Ils qualifient les opérations de détartrage et de polissage proposées par la société Prodental d'actes de suivi et de réparation tendant à la remise en état des prothèses, dont la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 14 mai 1997, qu'ils ne pouvaient être effectués par un prothésiste dentaire en l'absence de tout contrôle par un chirurgien-dentiste.

49. Les défendeurs ajoutent que l'intervention des chirurgiens-dentistes est d'autant plus nécessaire qu'elle tend à protéger les personnes intéressées par ce type de prestation, à savoir les personnes âgées dépendantes. En effet, l'entartrage d'une prothèse pourrait être le signe d'une pathologie qui doit être diagnostiquée par un chirurgien-dentiste ou un stomatologue. En outre, la remise en bouche d'une prothèse détartrée et polie nécessiterait une réadaptation qui relève de la pratique de l'art dentaire. Enfin, le nettoyage de la prothèse est susceptible de modifier l'équilibre bactériologique et d'entraîner un risque de diffusion infectieuse ou mycosique. M. X, chirurgien-dentiste, entendu à la demande des défendeurs en séance, a confirmé leur analyse sur ce point.

50. Dès lors, ils estiment que le comportement qui leur est reproché, à savoir la diffusion d'un courrier rédigé par le président du Conseil départemental auprès des établissements hébergeant des personnes âgées, daté du 7 janvier 1999, serait justifié dans la mesure où il avait pour unique objet de rappeler que le travail de détartrage s'effectue sur prescription d'un professionnel de santé auquel le patient est tenu de s'adresser.

1. SUR L'INCLUSION DU NETTOYAGE DES PROTHÈSES PAR ULTRASONS DANS LE CHAMP DE L'ART DENTAIRE

51. L'art dentaire est défini à l'article L. 4141-1 du Code de la santé publique comme étant " le diagnostic ou le traitement des maladies congénitales ou acquises, réelles ou supposées, de la bouche, des dents et des maxillaires ".

52. Dans un arrêt du 8 juin 1994, la Cour de cassation a précisé ce qu'elle entendait par " procédés prothétiques relevant de l'art dentaire ". Ainsi, la prise d'empreintes et la mise en place en bouche des clients de prothèses, parce qu'elles " nécessitent un examen buccal approfondi et l'établissement d'un diagnostic ", relèvent nécessairement de l'art dentaire et ne peuvent être effectuées par un prothésiste " sans qu'il y ait lieu distinguer si ces interventions ont pour objet d'installer un premier appareil ou d'ajuster ou de remplacer une prothèse existante ". (Cass Crim 8 juin 1994 et Crim 25 juin 1997).

53. Elle a également jugé " qu'exerce illégalement l'art dentaire toute personne qui, sans être titulaire du diplôme requis prend habituellement ou par direction suivie à la pratique de l'art dentaire par consultation, actes personnels ou tous autres procédés, quels qu'ils soient, notamment prothétiques ; que relève de cette pratique la réparation des prothèses en l'absence de tout contrôle d'un chirurgien-dentiste " (Cass Crim 14 mai 1997).

54. Il n'existe pas de texte spécifique se rapportant au nettoyage des prothèses dentaires amovibles, ni de jurisprudence ayant établi s'il entrait dans le champ de l'art dentaire tel que défini par l'article L. 4141-1 du CSP. Selon les déclarations de Mme Y, la prestation offerte par la société Prodental consiste à détartrer et polir les prothèses dentaires amovibles, après que celles-ci ont été remises volontairement par le client au prothésiste. Une fois le travail effectué, la prothèse est confiée au patient qui la remet directement en bouche, sans que le prothésiste ait à effectuer un quelconque travail en bouche. Le sous-directeur des professions de santé à la direction générale de la santé, dans un courrier daté du 16 juin 1999 versé à la procédure, a indiqué : " l'acte de nettoyage de prothèse dentaire amovible n'appartiendrait au monopole des chirurgiens-dentistes que s'il entrait dans la définition de l'art dentaire. Or, pour ma part, je considère a priori que le nettoyage d'une prothèse dentaire amovible n'entre pas dans ce monopole puisqu'il ne s'agit pas de travail en bouche".

55. Si la réparation des prothèses, acte qui peut également s'effectuer sans travail en bouche, a été jugée comme relevant de l'exercice illégal de l'art dentaire, lorsqu'il n'est pas effectué sous le contrôle d'un médecin, c'est, selon les termes de l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 12 mars 1996, entièrement confirmé par la Cour de cassation dans l'arrêt du 14 mai 1997, parce que " que les cassures prothétiques peuvent résulter de causes diverses(...) ; que l'acte technique de réparation, entrant dans le domaine du prothésiste dentaire, doit être distingué de l'ensemble des phases cliniques préparant à cet acte et permettant de transmettre au prothésiste les bases de travail et les indications particulières assurant la réalisation de la réparation ".

56. Toutefois, il y a lieu de distinguer ce travail de réparation des opérations d'entretien des prothèses, celles-ci présentant un degré de technicité faible et ne nécessitant pas d'indications particulières permettant d'en assurer la réalisation. Le détartrage par ultrasons d'une prothèse-dentaire est un acte qui peut en effet être effectué en complément d'un nettoyage régulier par brossage ou comprimés effervescents ou qui peut lui être substitué lorsque l'entretien régulier a été insuffisant. Dans ces conditions, le fait que le nettoyage d'une prothèse puisse être effectué au quotidien par les porteurs d'appareils ou par des tiers (tel le personnel des EHPAD par exemple) sous leur propre responsabilité, suffit à démontrer que l'intervention du chirurgien-dentiste n'est pas une condition nécessaire et préalable à la réalisation de ce type de prestation.

57. Cette analyse est partagée par le sous-directeur des professions de santé à la direction générale de la santé dans son courrier daté du 16 juin 1999, précité dans lequel on pouvait lire : " En ce qui concerne la nécessité de l'indication d'un chirurgien- dentiste pour qu'un prothésiste pratique ce nettoyage, il me semble que l'acte en question peut être dissocié de l'acte prothétique, dont le chirurgien-dentiste assume la responsabilité, qui est un acte distinct. Le nettoyage d'une prothèse dentaire amovible est habituellement effectué au premier chef par la personne elle-même, il peut aussi être effectué par un tiers, comme dans une maison de retraite, par le personnel de l'établissement ". Tirant les conséquences de cet avis, le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du Puy-de-Dôme a d'ailleurs adressé à Mme Y un courrier daté du 1er juillet 1999, par lequel il l'avisait qu'elle était autorisée à pratiquer le nettoyage de prothèses dentaires à domicile.

58. Il ne peut donc être considéré qu'un prothésiste dentaire, qui se livrerait au nettoyage d'une prothèse amovible par ultrasons, " en s'affranchissant de toute directive et de tout contrôle d'un chirurgien-dentiste " (Cass. Crim. 14 mai 1997) pourrait porter atteinte au monopole des chirurgiens-dentistes.

59. Dès lors, il convient d'en conclure que la prescription par un chirurgien-dentiste du nettoyage par ultrasons des prothèses dentaires amovibles n'est pas une condition nécessaire et préalable à la réalisation de ladite prestation, et que les prothésistes dentaires peuvent donc librement proposer leurs services aux personnes intéressées.

2. SUR L'OBJET ET L'EFFET ANTICONCURRENTIEL DE LA LETTRE CIRCULAIRE ADRESSÉE LE 7 JUIN 1999 AUX MAISONS DE RETRAITE PAR LE CONSEIL DÉPARTEMENTAL.

60. Il est de jurisprudence constante (notamment Cour de cassation 16 mai 2000) qu'un Ordre professionnel représente la collectivité de ses membres et qu'une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente, au sens de l'article L. 420-1, entre ses membres.

61. En adressant cette lettre circulaire aux directeurs de maisons de retraite et en diffusant l'information selon laquelle " le chirurgien-dentiste est le seul habilité à décider de la nécessité d'un éventuel nettoyage d'une prothèse par une technique appropriée ", le Conseil départemental, soutenu et conforté par le Conseil national, a incité les destinataires à ne pas donner à Mme Y l'autorisation de proposer ses services à leurs pensionnaires. Une telle intervention fausse nécessairement le libre jeu de la concurrence sur le marché du nettoyage des prothèses dentaires amovibles puisqu'elle interdit le libre accès à la clientèle. Elle ne peut être justifiée par l'existence d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application, au sens de l'article L. 420-4 du Code de commerce puisque les dispositions du Code de la santé publique sur l'exercice illégal de l'art dentaire ne sont pas applicables. En tout état de cause, il convient de relever que l'intervention du Conseil départemental était d'autant moins justifiée qu'il savait que la DDASS avait elle-même été saisie du dossier, puisqu'il avait lui-même été consulté par elle.

62. En outre, le courrier en cause contient des mentions dénigrantes, puisqu'il y est indiqué que la société Prodental propose " un soi-disant nettoyage de prothèses dentaires ". Emanant d'un Ordre professionnel, de telles mentions sont de nature à jeter la suspicion sur la compétence professionnelle de Mme Y. C'est d'ailleurs ce qui ressort de l'audition de la directrice de la maison de retraite de Pionsat qui affirmait aux enquêteurs lors de son audition qu' " il est dommage qu'une telle suspicion soit portée sur cette société alors qu'elle rend un service qui peut être apprécié par de nombreuses personnes âgées qu'il est souvent difficile de faire déplacer ".

63. Au lieu de procéder à l'envoi de cette lettre circulaire, le Conseil départemental et le cas échéant, le Conseil national, s'ils estimaient que l'activité entreprise par la société Prodental portait atteinte au monopole des chirurgiens-dentistes, devaient utiliser toute voie de droit pour faire juger ce point.

64. Les défendeurs soutiennent que le courrier litigieux du Conseil départemental n'a pas eu d'effet dans la mesure où il n'a eu aucun impact auprès de ses destinataires, et ce d'autant plus que la prestation proposée par la société Prodental ne correspondrait à aucun besoin réel.

65. Cependant, l'article L. 420-1 du Code de commerce dispose que " Sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions (...) ". Le Conseil de la concurrence rappelle régulièrement (cf. notamment sa décision n° 02-D-36 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des lunettes d'optique sur le marché de l'agglomération lyonnaise) qu '" il résulte des termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce qu'une pratique anticoncurrentielle est prohibée, même si elle n'a pas eu d'effet réel sur le jeu de la concurrence, dès lors que l'intention de ses auteurs était d'obtenir un tel effet ".

66. De plus, en l'espèce, les défendeurs ne peuvent valablement prétendre que le courrier incriminé n'a eu aucun effet auprès de ses destinataires dans la mesure où il ressort du dossier que deux directeurs de maisons de retraite, sur les neuf entendus par les services enquêteurs, ont pris en compte ce courrier pour apprécier la prestation offerte par la société Prodental (cf. paragraphe 34).

67. Il résulte de ce qui précède qu'en diffusant aux directeurs de maisons de retraite le courrier du 7 juin 1999, le Conseil départemental, soutenu et conforté par le Conseil national, a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

D. SUR LES SANCTIONS

68. La pratique a été commise, en premier lieu, par le Conseil départemental qui a rédigé et diffusé cette lettre circulaire, et qui malgré un rappel de réglementation opéré par les services de la DGCCRF, a persisté dans son attitude en refusant de diffuser un message rectificatif au bénéfice de la société Prodental.

69. Ces agissements incombent, en second lieu, au Conseil national qui a soutenu et conforté la position prise publiquement par le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme. Ce dernier n'a agi qu'une fois pris l'avis du Conseil national, lequel à plusieurs reprises, a réitéré sa position et appuyé l'attitude du Conseil départemental. C'est pourquoi le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes doit être considéré comme ayant pris part aux faits reprochés au Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme.

70. La mise en œuvre, par un Ordre professionnel, d'une entente visant à interdire le libre accès à une clientèle est par essence grave puisque l'Ordre professionnel utilise ainsi son autorité morale pour fausser le libre jeu de la concurrence sur un marché.

71. Néanmoins, la faiblesse des effets réellement constatés ou le caractère peu sensible de ces effets est un facteur d'atténuation de la sanction. En l'espèce, il convient de prendre en considération d'une part, l'étroitesse du marché géographique affecté et d'autre part, la difficulté d'apprécier l'impact réel de la lettre-circulaire du Conseil départemental, dans la mesure où il résulte des investigations que l'échec commercial de la société Prodental s'explique en partie par le courrier du Conseil départemental mais aussi par le faible intérêt manifesté par les directeurs et pensionnaires des maisons de retraite du Puy-de-Dôme à l'égard de la prestation proposée par Mme Y.

72. Il faut rappeler à ce propos que les directeurs de maisons de retraite ont toute latitude pour ouvrir ou restreindre l'accès de leur établissement à des prestataires de service extérieurs, qui ne peuvent en conséquence se prévaloir d'un quelconque droit pour intervenir dans un établissement dont l'accès leur a été refusé.

73. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.

74. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 10 000 000 francs (1 524 490 euro) ".

75. En outre, aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, " le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2 (...) ". Toutefois, en vertu des dispositions de l'article 22 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicables à l'époque de la commission des faits, la sanction pécuniaire prononcée, dans le cadre de la procédure simplifiée, ne peut excéder 500 000 F (76 244 euro) pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.

76. Enfin, aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 464-2-I du Code de commerce : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise (...). Les frais sont supportés par la personne intéressée ".

77. Pour l'année 2004, le montant des ressources du Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme s'est élevé à 182 265,20 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il convient de lui infliger une sanction pécuniaire de 1 000 euro.

78. Pour l'année 2004, le montant des ressources du Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes s'est élevé à 6 856 934,44 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il convient de constater que le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, sans toutefois qu'il apparaisse nécessaire de lui infliger de peine d'amende dès lors qu'il n'a pas été l'initiateur de la pratique incriminée.

79. En revanche, il est nécessaire d'informer, via des revues ayant une diffusion nationale, les consommateurs, les chirurgiens-dentistes et les prothésistes dentaires de cette décision afin de lui donner un large caractère de publicité et d'éviter pour l'avenir le renouvellement de telles pratiques.

80. Il convient donc d'enjoindre au Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, à charge pour celui-ci d'en supporter les frais et d'en accomplir les diligences, de publier dans les revues suivantes " Les cahiers de l'association dentaire française ", " Information Dentaire " et " Stratégie prothétique ", le dispositif de la présente décision et ce qui suit :

81. " Le Conseil de la concurrence a sanctionné des pratiques mises en œuvre en 1999 par le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes à l'encontre de la société de prothésistes dentaires Prodental visant à empêcher cette dernière d'avoir accès au marché du nettoyage des prothèses dentaires amovibles.

En l'espèce, le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme, en accord avec le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, a adressé à l'ensemble des maisons de retraite du département une lettre circulaire datée du 7 janvier 1999 dans laquelle on pouvait lire :

" Monsieur le Directeur,

Vous avez, ou vous allez être sollicité par une société qui propose à vos pensionnaires un soi-disant nettoyage de leurs prothèses dentaires. Cette prestation pose un problème de responsabilité :

* Seul un chirurgien-dentiste peut assurer le suivi du devis d'une prothèse et donc il est le seul habilité à décider de la nécessité d'un éventuel nettoyage par une technique appropriée.

* Si tel est son diagnostic, il dépendra de lui et de lui seul de s'adresser au laboratoire de son choix pour réaliser ce travail. Par conséquent, pour ce qui concerne votre établissement, vos pensionnaires souhaitant bénéficier d'une telle prestation doivent contacter soit leur chirurgien-dentiste traitant, soit une association dûment agréée par le Conseil départemental de l'Ordre ".

Après une première plainte de la société Prodental auprès des services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Puy-de-Dôme (DGCCRF), un rappel à la réglementation était adressé par la DGCCRF au Président du Conseil départemental l'informant que :

" La recommandation que vous avez adressée aux directeurs d'établissements hébergeant des personnes âgées susceptibles de faire appel à Mme Y ou à toute autre entreprise proposant un service de nettoyage de prothèses dentaires amovibles, constitue un acte qui a pour objet ou pour effet d'interdire l'accès à ce marché aux prothésistes dentaires ".

Cette lettre restait sans effet et le Conseil départemental refusait d'adresser un courrier rectificatif aux maisons de retraite du Puy-de-Dôme. La société Prodental déposait par la suite une plainte auprès du Conseil de la concurrence par courrier daté du 12 juillet 2000.

Dans sa décision rendue le 5 juillet 2005, le Conseil de la concurrence a considéré que la diffusion du courrier daté du 7 janvier 1999 constituait, par l'interprétation erronée du monopole légal des chirurgiens-dentistes et par la suspicion injustifiée qu'il faisait peser sur la société Prodental, une pratique anticoncurrentielle visant à limiter l'accès de cette dernière au marché du nettoyage de prothèses dentaires amovibles, sur lequel les prothésistes dentaires sont libres d'intervenir sans devoir passer par l'intermédiaire d'une prescription d'un chirurgien-dentiste.

Il a en conséquence considéré que le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ".

Décision

Article 1 : Il est établi que le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Est infligée au Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme une sanction de 1 000 euro.

Article 3 : Dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la présente décision, le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes fera publier le texte énoncé au paragraphe 81 de la présente décision et les articles 1 et 2 du dispositif de celle-ci dans une édition des revues suivantes : " Les cahiers de l'association dentaire française ", " Information Dentaire " et " Stratégie prothétique ". Cette publication sera effectuée en caractères gras, noirs sur fond blanc de 5 millimètres de hauteur dans un encadré sous le titre : "Décision n° 05-D-43 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes ".

Article 4: Le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes adressera, sous pli recommandé, copie des publications prévues à l'article 3 au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, dès leur parution, et au plus tard, le 1er décembre 2005.