Conseil Conc., 28 juillet 2005, n° 05-D-48
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par la société ATA dans le secteur des taximètres
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Fontaine-Eloy par M. Lasserre, président, M. Nasse, Mmes Aubert, Perrot, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre du 21 novembre 1996, enregistrée sous le numéro F 919, par laquelle les sociétés Mannesmann Kienzle, représentée en France par son distributeur exclusif VDO Kienzle, Interfacom, représentée en France par son distributeur Établissements Garlouis, JPM Taxis, Établissements Gouin Professionnels et Etablissements Claude Gousset ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mise en œuvre par la société ATA ; Vu la lettre du 10 mars 1997, enregistrée sous le numéro F 948 par laquelle le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société ATA ; Vu les décisions de jonction des affaires F 919 et F 948 du 4 octobre 2002 et du 29 novembre 2004 prise en application de l'article 31 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la lettre du 13 janvier 2005 par laquelle les sociétés VDO Kienzle, Établissements Garlouis et JPM Taxis ont fait part de leur désistement ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 29 juin 2005 et la société Gousset ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. LE PRODUIT
1. D'après la directive 2004-22-CE entrée en vigueur le 30 avril 2004, qui abroge la directive 77-95 CEE mais en reprend la définition, le taximètre correspond à " un dispositif couplé à un générateur de signaux pour constituer un instrument de mesure ".
2. Selon l'article 1er du décret n° 78-363 du 13 mars 1978, les taximètres se définissent comme des " instruments qui, compte tenu des caractéristiques du véhicule sur lequel ils sont installés et des tarifs pour lesquels ils sont réglés, calculent automatiquement et indiquent à tout moment de l'emploi les sommes à payer par les usagers des taxis " (...).
3. Ces produits font l'objet de dépôt de brevets d'invention qui couvrent également le matériel nécessaire à leur programmation. Depuis le début des années 80, les taximètres mécaniques ont été remplacés par des appareils électroniques plus ou moins sophistiqués équipés, par exemple, d'une imprimante, de possibilités de mémorisation, de lecture à distance, etc. La durée de vie d'un taximètre est en moyenne de 15 ans.
2. L'OFFRE ET LA DEMANDE DE TAXIMÈTRES
4. A l'époque des faits, les principaux constructeurs de taximètres étaient la société Automatismes et Techniques Avancées (ci-après ATA), Kienzle, Hale, et Semel.
5. ATA a été créée en 1977. Elle a été la première société à commercialiser des taximètres électroniques. Grâce à cette avance technologique, ATA a longtemps occupé une position prépondérante sur le marché. Son chiffre d'affaires était de 15 986 millions de francs en 1993, 15 millions de francs en 1995, 18 877 millions de francs en 1998 et 19055 millions de francs en 2000. A la date de la saisine, elle commercialisait les modèles suivants : GLK, Gleike, Gleike Fluo et GLK Fluo.
6. La société Kienzle, entreprise allemande, ne commercialisait en France qu'un seul modèle de taximètre. Le constructeur autrichien de taximètres, Hale, premier fabricant de taximètres sur le marché allemand, réalisait en France un chiffre d'affaires de 3,57 millions de francs en 1995. S'agissant des taximètres finlandais de marque Semel, ils étaient distribués en France par la société Mécanoto qui a réalisé, en 1995, des ventes d'un montant de 6,43 millions de francs.
7. Les chiffres d'affaires des différents fabricants peuvent recouvrir diverses activités comme la vente d'appareils neufs, la vente d'accessoires, des opérations de réparation, de location, etc. En volume, les données quantitatives relatives à la vente de taximètres, au cours des trois années précédant les saisines, figurent dans le tableau suivant.
<emplacement tableau>
8. En 1993, ATA bénéficiait d'une position prépondérante par rapport à ses deux principaux concurrents, Hale et Kienzle (respectivement près de 23 et 26 % des ventes de taximètres). Cette part de marché se réduit ensuite au profit de ses deux principaux concurrents et, en 1995, les ventes d'ATA ont diminué de près de moitié par rapport à 1993 au profit essentiellement du fabricant Semel qui introduit de nouveaux modèles en 1993 et 1994 (37,20 % des ventes). Selon la société ATA, ces données sont restées stables en 1996.
9. La demande de ce produit émane des installateurs agréés. L'article 6.1 du décret 78-363 du 13 mars 1978 dispose notamment que " toute intervention, installation ou réparation nécessitant le bris des plombs de scellement sur un taximètre ou ses dispositifs complémentaires ne peut être effectué que par un organisme, installateur ou réparateur, agréé à cette fin par une décision du préfet du département où est situé son siège social ou son lieu d'activité principal ".
10. Certaines entreprises se consacrent exclusivement à l'installation et à la réparation de taximètres, essentiellement dans les zones où les taxis sont nombreux. C'était le cas, à l'époque des faits de Logitax (Montreuil), Servitax (Pantin), Ceetax (Ivry), JPM Taxi (Vitry), SNGT G7 (Saint Ouen), SMTE (Marseille), Sonitax (Nice), Forte (Lyon), Altounian (Bron), Gachet (Saint Etienne). Ailleurs, cette activité est menée en complément d'autres activités liées au secteur de l'automobile ou du poids lourd (diesel, injection, électricité, électronique, accessoires, chronotachygraphes).
11. Au total, il existait, en 1995, 217 installateurs agréés en France métropolitaine et dans les départements et territoires d'outre-mer. La société ATA faisait appel à une centaine d'installateurs pour diffuser ses produits. Sa filiale Logitax était le seul distributeur en région parisienne. Le fabricant Halle comptait également une centaine d'installateurs. Semel, via Mecanoto, disposait d'un réseau de 22 installateurs agréés et Kienzle, via son importateur VDO Kienzle, de 54 installateurs.
12. Les utilisateurs finals sont les exploitants de taxi. D'après les chiffres communiqués par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur, 43 215 autorisations de stationnement étaient exploitées en 1997, dont 14 900 à Paris, 17 061 en Ile-de-France, 1086 à Marseille, 1002 à Lyon, 413 à Bordeaux, 135 à Nantes et 246 à Strasbourg. En 2001, le nombre de taxis en activité était de 44 190.
3. LA MAINTENANCE DES TAXIMÈTRES INSTALLÉS
13. En vertu de la réglementation en vigueur, la maintenance des taximètres ne peut être assurée que par les installateurs réparateurs agréés. Leur agrément relève d'organismes désignés par le ministre en charge du secteur (" approbation du système qualité pour l'installation et la réparation ").
14. Selon des déclarations concordantes recueillies au cours de l'enquête, l'activité d'entretien, de réparation et de programmation des taximètres et, plus généralement, les prestations de service rendues par les réparateurs agréés constituent, pour certains, une part très importante de leur chiffre d'affaires dans le secteur des taximètres.
15. En ce sens, le directeur des ventes de la société Mecanoto qui importe les produits Semel, a indiqué que " en fait, le taximètre est un produit soumis à de nombreux contrôles (changements de tarifs, changements de véhicules, réparation) et la source de revenus principale des installateurs agréés se situe non pas sur la marge dégagée par la vente du taximètre, mais par l'activité de maintenance (...) ". Le directeur général de SNGTG G7 (société d'exploitation d'un central de radio taxi) partage également cette analyse : " La maintenance permettant de percevoir des revenus réguliers, mon activité se justifie non pas par la vente de taximètre mais plutôt par l'entretien qui génère 80 % de la marge brute de l'activité (...) ". De même, le directeur commercial de la société d'installation Logitax, exploitant sous la dénomination Inter Taxi, déclare : "La partie prestation de service de notre société représentait en 1995 2/3 de notre chiffre d'affaires (...)". M. Claude X, directeur général d'ATA confirme cette analyse ; " Il s'agit d'un marché relativement fermé, dans la mesure où il n'existe que 35 000 taxis environ en France et que les chauffeurs changent leurs appareils tous les 10 à 20 ans. Il s'agit plus d'assurer la pérennité du suivi technique des produits auprès de la clientèle, contrairement aux autres secteurs des biens de consommation... ".
16. La circulaire n° 96.00260.001 du 22 janvier 1996 relative à la programmation des taximètres expose que celle-ci " est réalisée par une des méthodes suivantes : 1- auto-programmation par l'intermédiaire des boutons de commande du taximètre ; 2-changement d'un composant faisant office de mémoire programmable ; 3-programmation au moyen d'un serveur minitel ; 4- programmation par un programmeur externe (valise de programmation)".
17. En pratique, la programmation des taximètres Hale, Semel et Kienzle ne fait l'objet d'aucune contrainte technique ou juridique particulière, si ce n'est la détention de matériel approprié vendu avec les taximètres. Ces modes de programmation adoptés par Kienzle, Semel et Hale correspondent à la méthode n°1 de la circulaire précitée. En revanche, les taximètres, ATA et Taxi Plus, se programment au moyen d'un serveur Minitel relié au fabricant (ATA) ou à un distributeur exclusif (Logitax, "Inter Taxi" pour les produits Taxi Plus) ou à partir d'une valise de programmation, ce qui correspond aux méthodes 3 et 4 de la circulaire susvisée.
18. Selon le responsable de la société SNGT G7, les taximètres ATA constituaient, au milieu des années 90, une forte proportion des 43 000 taximètres installés, qu'il estime à environ 3/4 du total.
B. LES FAITS RELEVÉS
19. Les saisissants font valoir que la société ATA serait en position dominante sur le marché de la production de taximètres et aurait mis en place, en 1995, un contrat de distribution sélective qui aurait des effets restrictifs de concurrence, vis-à-vis des fabricants et des distributeurs. De plus, ATA abuserait de la dépendance des installateurs à son égard sur le marché de la maintenance.
1. LE CONTRAT DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE MIS EN PLACE PAR LA SOCIÉTÉ ATA
20. La société ATA justifie la mise en place d'un réseau de distribution sélective par des choix économiques de rationalisation des coûts de distribution et d'optimisation de la collaboration du fabricant et du distributeur, dont les exploitants de taxis devraient bénéficier par un meilleur rapport qualité/prix du produit.
21. M. Claude X, président de la société Servitax a déclaré le 19 juin 1996 : " Nous avons essayé à travers ce contrat de garantir partout le service aux chauffeurs de taxi, quelle que soit sa zone géographique. Nous avons essayé de garantir la concurrence entre agents et le tout dans les meilleures conditions économiques ". Ces justifications figurent également dans l'exposé des motifs du contrat et dans les lettres circulaires de présentation du contrat adressée par ATA aux installateurs agréés.
22. Les contrats de distribution sont conclus entre la société ATA et les distributeurs pour une durée indéterminée et peuvent être résiliés à tout moment, moyennant un préavis de trois mois.
a) Définition de catégories d'installateurs
23. Aux termes de l'article VI-7 du contrat de distribution sélective de 1995, le contrat classe les installateurs agréés en catégories (A, B, C, D, E, F et G), en fonction du nombre de taxis habilités (licences préfectorales) à exercer sur leur territoire.
Détermination des catégories
<emplacement tableau>
24. Une dernière catégorie " G " est également prévue pour les sociétés de services spécialisées dans l'activité de taxi. Le classement dans cette catégorie est réservé aux entreprises qui ont pour " activité effective la prestation d'un service spécifique aux chauffeurs de taxi " distinct de celui des installateurs agréés, dont le nombre de clients bénéficiant du service spécifique est supérieur à 300 et dont le nombre de clients bénéficiant d'un service similaire à celui d'un installateur agréé est inférieur à 300.
25. L'évolution du réseau de distribution par catégories est la suivante :
Ventilation des distributeurs par catégories
<emplacement tableau>
b) Les obligations générales.
26. Les obligations de l'installateur agréé, légèrement différentes selon la catégorie de rattachement, concernent essentiellement :
* l'organisation de l'entreprise (article VII.1):
- la durée d'ouverture journalière à la clientèle ;
- le délai d'attente des clients pour une intervention ;
- le nombre de jours d'ouverture dans la semaine ;
- le nombre de semaines d'ouverture dans l'année.
* la politique commerciale de l'entreprise :
- l'imposition d'un taux maximum de marge (24 à 40 %) (article VII.4.) ;
- la réalisation de quotas de vente de taximètres, enseignes taxis, contrats de maintenance (articles VII.5.1, 2, 3) ;
- l'obligation de contracter une assurance pour le matériel loué à ATA (matériel relais, valises de programmation, articles 5.11 et 6.4) ;
- l'obligation d'acquérir à la signature du contrat un stock minimum de taximètres (2 à 40) et pièces détachées (article 14.6).
* la gestion financière de l'entreprise :
- pour les catégories A et B, la production de liasses fiscales des trois derniers exercices afin que le constructeur puisse contrôler à l'ouverture du compte ou à tout moment la solvabilité de son client (article VI 1.6) ;
- la constitution d'un fonds de garantie au profit du constructeur (1 000 à 100 000 francs) (article VII.6).
27. D'autres clauses du contrat concernent l'ensemble des installateurs agréés, quelle que soit leur catégorie :
* l'aménagement des locaux et la qualification du personnel ;
* l'article 14.10 du contrat prévoyait que tout installateur réalisant une vente " hors de son territoire " à un chauffeur de taxi était tenu de rétrocéder au constructeur la somme de 500 francs pour lui permettre de défrayer l'installateur agréé " dont relève géographiquement le chauffeur de taxi en question et qui serait amené à intervenir en maintenance sur le taximètre vendu hors territoire ".
* l'obligation de commercialiser au moins une marque concurrente d'ATA si l'installateur agréé a dépassé de plus de 50 % son quota de vente (article 14.7). Ces deux dernières clauses ont été supprimées des contrats en 1997.
28. L'article VIII du contrat stipule que lorsque le constructeur estime que la couverture d'un territoire est satisfaisante, les postulants au contrat de distribution sont inscrits sur une liste d'attente dressée par ordre chronologique. En tant que de besoin, le constructeur fait appel à de nouveaux installateurs en respectant le classement des postulants sur la liste.
29. Selon l'article 17 du contrat de distribution ATA, les obligations du contrat sont de rigueur, chacune d'entre elles constituant une condition déterminante du contrat sans laquelle le constructeur n'aurait pas contracté. Le défaut par l'une des parties d'exécuter une seule de ces conditions entraînerait la résiliation du contrat (clause résolutoire).
c) L'instauration de quotas de vente
30. Le contrat contient, également, une clause de quotas de vente. Il s'agit d'objectifs de vente imposés par le constructeur, "estimé généralement", selon M. Claude X " à 25 % du nombre total de taximètres que vend normalement un installateur ".
31. L'article VII.5 du contrat indique que " les quotas de vente des produits spécifiés ci-dessous, sont atteints lorsque chaque utilisateur agréé vend au moins les quantités de produits qu'il s'est obligé à vendre ou lorsque l'ensemble des ventes réalisées sur le territoire atteignent le quota total ".
Quotas de vente de taximètres
<emplacement tableau>
32. Selon ATA, ces quotas de vente ont le plus souvent été atteints par les distributeurs comme le montre ce tableau de suivi par catégorie de distributeurs :
Réalisation des quotas de vente théoriques ventilée par catégories et années <emplacement tableau>
33. La comparaison des ventes globales aux quotas de vente théoriques montre que ceux-ci ont globalement été largement dépassés à partir de 1997.
Synthèse relative à la réalisation globale des quotas de vente
<emplacement tableau>
2. LES RÉACTIONS SUSCITÉES PAR LA MISE EN PLACE DU CONTRAT DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE
a) De la part des installateurs agréés qui ont refusé de signer le contrat de distribution sélective proposé par ATA
34. Sur une centaine d'installateurs agréés distribuant les produits ATA, trois ont refusé de signer le contrat de distribution sélective qui leur était proposé : les entreprises Gousset, Servitax et JPM Taxis.
. Les Établissements Gousset
35. Cette société considère " comme abusif " et " trop contraignant " le contrat proposé par ATA et constate que " de ce fait, la société ATA ne [lui] livre plus de matériel et [qu'il] ne peut plus assurer le service après-vente (réparation et programmation des taximètres) ". M. Y... a également précisé qu'ATA " était [son] seul fournisseur de taximètres depuis 20 ans ".
36. Par courrier du 26 juin 1995 adressé à M. Y, ATA met un terme aux relations commerciales existant entre les deux entreprises : " Suite à notre visite de ce jour, dont nous vous remercions, nous avons pris note à regret que vous ne souhaitiez pas faire partie de notre réseau de distribution sélective. Vous ne pouvez donc plus représenter notre marque et programmer nos taximètres ".
. La société Servitax
37. Entendu, le 16 avril 1996 par les enquêteurs, M. Christian X, président de la société Servitax, a déclaré : " Nous avions refusé de signer ce contrat car il comportait à notre sens, des clauses inacceptables telles que par exemple la détention d'un stock minimum, l'ouverture le dimanche, il définissait des catégories d'installateurs avec des contraintes différentes. (...) A la date de nos problèmes avec ATA, nous avions 200 compteurs en réparation chez ATA à La Barque. Par la suite, ATA, par l'intermédiaire de sa filiale Inter Taxi - Logitax, a contacté nos 200 clients directement pour leur indiquer que leur matériel avait été réparé, et leur a directement facturé les prestations ".
. La société JPM taxi
38. La société JPM Taxi a été créée en 1993, par M. Jean Paul Z, ancien directeur commercial de Logitax. Depuis août 1995, cette société a été reprise en location-gérance par VDO-Kienzle. Compte tenu de cette situation, JPM TAXI n'a pas signé le contrat de distribution élective ATA.
b) De la part d'installateurs qui ont signé le contrat de distribution sélective proposé par ATA
. Les Établissements Delpeyroux et Fils
39. Par courrier du 28 juin 1996 adressé aux enquêteurs, M. A a indiqué : " Je n'ai pas eu le choix car ATA avait eu le soin d'installer préalablement un second agent sur Bordeaux. D'autorité, ils m'ont classé arbitrairement en catégorie C, ce qui représente la totalité des taxis de Gironde (environ 600) alors qu'il y a 4 agents installateurs à Bordeaux. J'avais acheté en 1985 cette activité à son ancien agent. (...). A cause de la concurrence, et pour assurer à ma petite entreprise un chiffre d'affaires non négligeable, j'ai pris l'initiative de m'adjoindre une autre marque, ce qui a fortement déplu à ATA qui pourtant le préconise dans ce fameux contrat ".
40. Les relations commerciales entre ces sociétés ont cessé en 1997.
. La société Cannes Electro Diesel
41. Entendu par les enquêteurs, M. B, directeur de la société Cannes Electro Diesel (catégorie B), a contesté également le système des quotas imposés par ATA : " Nous commercialisons exclusivement la marque ATA. Le 12 avril 1995, nous avons signé leur contrat de distribution, mais je pense que ce contrat est disproportionné et inapplicable pour une société comme la mienne, compte tenu du potentiel du marché local ". Dans une lettre en date du 25 avril 1996, adressée à ATA, M. B a précisé : " J'ai bien reçu votre courrier chargé de menace et de fiel à notre égard et nous en sommes très surpris. Nous pensons objectivement vous assurer sur la place de Cannes un bon service et en exclusivité avec votre maison. Par ailleurs, et malheureusement, nous ne pouvons pas monter 2 équipements par véhicule, ce qui pourrait satisfaire vos hypothétiques objectifs... ".
42. Comme le montre le tableau ci-dessous, cette société a rarement atteint son quota individuel. Aucune donnée ne permet cependant de vérifier si le quota global a été atteint sur l'ensemble de la zone sur laquelle elle opère. En 2003, cette société fait toujours partie du réseau de distribution des taximètres ATA.
Synthèse des ventes réalisées par la société Cannes Electro Diesel
<emplacement tableau>
. La société Logitax
43. Le directeur commercial de cette société a déclaré : " En ce qui concerne les quotas de vente de taximètres repris à l'article VII-5-1 du contrat ATA, je vous précise qu'en 1995, nous n'avons pas respecté notre quota. J'ai d'ailleurs reçu le 22 avril 1996, un courrier me rappelant ce manquement à mes obligations contractuelles. Sur ce point, la faiblesse des ventes de taximètres ATA par Logitax s'explique par la distribution d'un nouveau taximètre de marque Semel, sans respect de certaines réglementations imposées par le ministère ".
En revanche, depuis 1997, cette société réalise, largement, les quotas de vente définis par ATA et appartient toujours au réseau.
. La société SMTE
44. Le gérant de cette société, classée en catégorie B, a déclaré, pour sa part, qu'il avait signé le contrat de distribution ATA et que depuis cette signature, il n'avait jamais eu de problèmes avec M. X Claude.
. La société SNGT
45. Cette société spécialisée dans l'activité du taxi, est classée en catégorie G. Selon les articles VIl 5.1.2.3. du contrat " quotas de vente taximètres, enseignes taxis et contrats de maintenance ", elle doit faire l'objet de quotas déterminés selon des avenants. M. C, directeur général de SNGT a communiqué au cours de l'enquête copie de l'avenant catégorie G qui énonce que : " L'installateur agréé demande une période d'essai d'un an pour tester ces matériels avant de définir les quotas prévus, ce que le fabriquant lui accorde ".
3. LA LETTRE CIRCULAIRE D'AVRIL 1996
46. L'ensemble des déclarations des distributeurs confirme que ceux-ci ont reçu en avril 1996, une lettre circulaire de la société ATA leur exposant ce qui suit : " Dans le cadre des relations contractuelles mises à jour, il y a maintenant près d'un an au sein de notre réseau de distribution sélective, nous nous rapprochons aujourd'hui de vous afin de faire le point sur notre collaboration. Nous constatons, en effet, que les quotas de vente de taximètres et accessoires que nous avons déterminés ensemble ne sont pas respectés. Nous souhaiterions connaître par écrit vos intentions vis-à-vis de notre marque, afin de déterminer ensemble s'il convient de donner suite ou non au contrat qui nous lie. Dans le cas contraire, nous nous verrions contraints de rompre ce contrat et vous ne pourriez plus être agent de notre marque... ".
C. PROPOSITION DE NON LIEU
47. Sur la base des constatations qui précèdent, un rapport de non lieu à poursuivre la procédure a été transmis aux saisissantes le 7 avril 2005.
II. Discussion
A. SUR LA PRESCRIPTION
48. Aux termes des dispositions de l'article L. 462-7 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004, " le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ".
49. Cependant, si pour des pratiques instantanées, c'est-à-dire qui se réalisent en un trait de temps, le point de départ de la prescription se situe le lendemain du jour où l'acte a été accompli, pour les pratiques continues qui se poursuivent dans le temps, le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter de la cessation des pratiques.
50. En l'espèce, aucun acte tendant à la recherche, la constatation et la sanction des faits n'a été réalisé dans un délai de trois ans après le 11 août 1999, date de la réception d'un courrier de la société ATA en réponse à une demande du rapporteur. En conséquence, les faits antérieurs à cette date ne peuvent être examinés par le Conseil. C'est notamment le cas des clauses 14-7 et 14-10 du contrat de distribution sélective de la société ATA, dans leur rédaction antérieure à la modification du contrat en 1997, exposée ci-dessus au paragraphe 27. En revanche, le contrat dans sa version modifiée de 1997, toujours en vigueur à ce jour, doit être examiné au regard des dispositions du titre II du Code de commerce.
B. SUR LE FOND
51. Les saisissants font valoir que la société ATA disposerait d'une position dominante sur le marché de la maintenance de ces produits et que le contrat de distribution sélective qu'elle a mis en place, et notamment les clauses instaurant des quotas de vente, auraient pour effet d'empêcher les concurrents de développer leurs parts des ventes de produits neufs. Ces contrats auraient donc un effet d'exclusion sur le marché de la production des taximètres par impossibilité d'accéder au marché aval de la distribution.
52. L'article L. 464-6 du Code de commerce prévoit que " lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu à poursuivre la procédure ".
1. SUR LE MARCHÉ PERTINENT ET L'EXISTENCE D'UNE ÉVENTUELLE POSITION DOMINANTE
53. Les taximètres ne sont pas substituables avec d'autres types d'instruments de mesure du point de vue des utilisateurs finals que sont les taxis. L'existence d'une réglementation nationale applicable aux taximètres justifie que le pouvoir de marché de la société ATA, spécialisée dans la conception et la fabrication de ces produits, soit apprécié sur le marché national.
54. Le tableau du paragraphe 7 ci-dessus montre que les parts de marché, en volume, de la société ATA sont tombées de 42,5 % en 1993 à 16,5 % en 1995. Les éléments du dossier permettent d'expliquer cette chute par l'introduction sur le marché de nouveaux modèles de taximètres, notamment ceux de la société Semel, qui a ainsi mis fin à l'avantage technologique dont bénéficiait la société ATA depuis le début des années 1980. Cette évolution montre que la société ATA n'était pas, aux dates des saisines, en position dominante sur le marché des taximètres.
2. SUR L'ÉVENTUELLE APPLICATION DE L'ARTICLE L. 420-1 AU CONTRAT DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE ATA
55. Le contrat de distribution sélective établi par la société ATA constitue un accord vertical au sens de l'article 2 du règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité de Rome à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées. Ce règlement prévoit une exemption d'application du paragraphe 1 de l'article 81 aux accords de distribution, dits " accords verticaux ", conclus entre des distributeurs et un fournisseur, lorsque, notamment, la part détenue par le fournisseur sur le marché pertinent sur lequel il vend ses biens ou services ne dépasse pas 30 %, et ce, sous réserve que ces accords ne comportent pas de restrictions caractérisées, à savoir, pour l'essentiel, celles qui obligeraient chaque distributeur à respecter un prix de vente identique, à s'interdire de revendre à un autre distributeur du réseau ou à s'interdire de répondre passivement à des commandes de clients situés hors de sa zone d'exclusivité (article 4 du règlement). Même si ce règlement n'était pas applicable à la date de l'adoption de ce contrat, il peut néanmoins constituer un guide d'analyse utile pour son appréciation.
56. L'article 5 de ce règlement ajoute que ne sont pas exemptables certaines obligations, et notamment toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence, dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans, étant précisé qu'une obligation de non-concurrence tacitement renouvelable au-delà d'une période de cinq ans doit être considérée comme ayant été imposée pour une durée indéterminée. L'article 1er, a) définit une obligation de non-concurrence comme " toute obligation directe et indirecte interdisant à l'acheteur de fabriquer, d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec des biens ou les services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou services contractuels... ". De telles obligations sont en effet, dans certaines circonstances, de nature à fermer l'accès des fournisseurs concurrents ou potentiels au marché.
57. En l'espèce, les contrats de distribution sont conclus entre la société ATA et les distributeurs pour une durée indéterminée et peuvent être résiliés à tout moment, moyennant un préavis de trois mois.
58. Le contrat de distribution sélective ATA impose des objectifs de vente aux distributeurs sous forme de valeur absolue et non sous forme d'un pourcentage de leurs ventes totales. Ces valeurs absolues pourraient cependant, dans les faits et compte tenu de la demande qui s'exprime sur le marché, représenter un pourcentage très important, supérieur à 80 % des ventes des distributeurs et avoir un effet de fermeture sur le marché. Bien que le dirigeant de la société ATA ait déclaré que ces quotas correspondent à " 25 % du nombre total de taximètres que vend généralement un installateur ", les déclarations de certains distributeurs, selon lesquelles les quotas imposés seraient impossibles à atteindre, suggèrent qu'ils représentent une part élevée de leurs ventes. Toutefois, le dossier ne permet pas de comparer ces quotas aux ventes totales de taximètres de toutes marques des distributeurs concernés. La comparaison des quotas globaux aux ventes totales de taximètres ATA de l'ensemble des distributeurs du réseau (cf. tableau au paragraphe 33 ci-dessus) montre que, si en 1995 et 1996, ces quotas étaient supérieurs aux ventes totales de produits ATA, pour les années suivantes et jusqu'en 2003, ils en représentaient de 40 à 60 %.
59. De plus, les quotas prévus pouvant être atteints soit individuellement par un distributeur, soit globalement par l'ensemble des distributeurs d'une zone, ils ont revêtu, pour un distributeur donné, un caractère contraignant très relatif. Bien que le contrat prévoit qu'il pourra être résilié de plein droit si l'une des obligations n'est pas remplie, l'enquête n'a révélé aucun exemple de contrat résilié au motif que le quota d'un distributeur n'aurait pas été atteint. En revanche, comme mentionné au paragraphe 42 ci-dessus, le distributeur Cannes Electro-Diesel faisait toujours partie du réseau en 2003 bien que n'ayant atteint qu'une fois le quota fixé de 1995 à 1997.
60. Dans ces conditions, le système de quotas instauré par le contrat de distribution ATA ne peut être assimilé à une clause de non-concurrence au sens de l'article 5 du règlement du 22 décembre 1999, risquant d'empêcher les fournisseurs concurrents d'accéder au marché.
61. Le Conseil de la concurrence a rappelé à de nombreuses reprises, et notamment dans un avis n° 04-A-14 du 23 juillet 2004 que " la liberté d'organisation de son réseau de distribution par le fournisseur constitue un principe de base, sous réserve que les modes de distribution mis en œuvre n'aient pas pour objet ou pour effet d'affecter le fonctionnement du marché. (...). La détermination des limites au principe général de liberté d'organisation de la distribution se fonde sur le constat qu'un contrat de distribution, s'il constitue bien un accord entre un producteur et ses revendeurs, n'est susceptible de constituer une entente prohibée que dans des conditions précises et, notamment, si certaines clauses de l'accord ou leur mise en œuvre peuvent être qualifiées d'anticoncurrentielles ". La part de marché de la société ATA aux dates des saisines étant inférieure à 30 %, les dispositions qu'il contient n'étaient pas de nature à enfreindre les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
3. SUR L'ÉVENTUELLE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE DES DISTRIBUTEURS SUR LE MARCHÉ DE LA MAINTENANCE DES TAXIMÈTRES
62. S'agissant de la maintenance, la société ATA a choisi une méthode spécifique utilisant des serveurs et valises de programmation qui restent la propriété du constructeur puisque le dépôt d'un brevet couvre non seulement le produit, mais également les moyens de programmation nécessaires à sa maintenance. Ce choix technique est d'une part, prévu par les textes réglementant le secteur des taximètres et permet, d'autre part, au fabricant de contrôler l'usage des produits qu'il met en vente dans la mesure où il garde la maîtrise du nombre d'interventions effectuées par les installateurs afin de minimiser le risque de fraude dans ce domaine.
63. Au même titre qu'un fabricant est libre de modifier la structure de son réseau de distribution comme il l'entend et sans que les cocontractants bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation, il l'est dans l'organisation de la maintenance de ses produits dès lors que cette organisation respecte les principes de libre concurrence sur le marché concerné. La mise en place du contrat de distribution sélective n'a pas eu d'impact sur le nombre d'installateurs agréés bénéficiant des moyens de programmation leur permettant de maintenir les taximètres vendus. Le nombre d'installateurs appartenant au réseau ATA est en effet resté stable après sa mise en place.
64. La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 3 mars 2004, que la situation de dépendance économique visée à l'article L. 420-2 du Code de commerce " se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables " et " qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce".
65. ATA est pour certains des distributeurs de son réseau un fournisseur quasi-exclusif ou exclusif de fait et, en conséquence, la maintenance des produits ATA entre pour une large part dans leur chiffre d'affaires. Il en va ainsi de la société Gousset qui a indiqué qu' " ATA [était leur] seul fournisseur de taximètres depuis 20 ans ", de la société Servitax qui a déclaré " travailler exclusivement avec la société ATA qui était [leur] seul fournisseur ", et de la société Cannes Electro Diesel qui a reconnu avoir commercialisé " exclusivement la marque ATA ".
66. Cependant, les déclarations, recueillies lors de l'enquête, montrent que les distributeurs avaient l'opportunité de vendre et de maintenir des produits de même nature, qui ne nécessitent aucun lien particulier avec le fabricant dans la mesure où la méthode de programmation adoptée par certains fabricants concurrents d'ATA est exempte de contraintes techniques et juridiques particulières. Tel est le cas de la société Servitax qui a contacté un autre fournisseur, la société Hale, et à partir du mois de mars 1995 a vendu également des taximètres Semel, et des Établissements Delpeyroux qui ont pris l'initiative de commercialiser une autre marque.
67. Il s'ensuit que, pour la catégorie d'installateurs qualifiés de " captifs " par les saisissants, cette situation économique résulte d'un choix délibéré de privilégier l'une de leurs sources d'approvisionnement, mais que l'ensemble des installateurs agréés avait la possibilité de se tourner vers la maintenance de produits concurrents installés à l'époque du changement de mode de distribution opéré par la société ATA.
68. Les dispositions de l'article L. 420-2 ne sont donc pas applicables.
69. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce et de prononcer un non-lieu à poursuivre la procédure.
Décide
Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.