CA Paris, 4e ch. A, 22 juin 2005, n° 04-08856
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Vortex-Skyrock (SA)
Défendeur :
NRJ (SA), NRJ Group (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mme Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Bolling-Durand-Lallement, Me Teytaud
Avocats :
Mes Chapuis, Boespflug
Vu l'appel interjeté par la société Vortex, exerçant sous l'enseigne Skyrock, du jugement rendu le 16 mars 2004 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a:
- déclaré recevables les demandes de la société NRJ Group au titre de la contrefaçon de marque et celles de la société NRJ au titre de la concurrence déloyale,
- dit que la société Vortex en faisant usage du slogan " 68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans " dans une campagne publicitaire, en dehors d'une comparaison, a commis des actes de contrefaçon par reproduction de la marque n° 96 608 198 au détriment de la société NRJ Group et des actes de concurrence déloyale au détriment de la société NRJ,
- interdit à la société Vortex la poursuite de ces actes illicites, sous astreinte de 1 500 euro par infraction constatée après la signification de la décision,
- condamné la société Vortex à payer à titre de dommages-intérêts à la société NRJ Group la somme de 15 000 euro et celle de 10 000 euro à la société NRJ,
- autorisé la société NRJ à faire publier le dispositif du jugement dans trois revues ou magazines de son choix, aux frais de la société Vortex dans la limite de 5 000 euro HT par insertion,
- condamné la société Vortex à payer à la société NRJ GROUP et à la société NRJ chacune la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens;
Vu les dernières écritures signifiées le 5 août 2004 par lesquelles la société Vortex, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de:
* à titre principal
- dire que dans le cadre de l'annonce publicitaire intitulée "Jaloux ? Pas du tout" qu'elle a fait publier en faveur de Skyrock, dans le Figaro Economie du 26 septembre 2002 et dans Libération du 30 septembre 2002, elle n'a pas enfreint les dispositions du Code de la consommation régissant la publicité comparative.
- dire que le slogan "Tellement pas jaloux qu'on te fait de la pub: 68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans" relevait d'une liberté d'expression légitime, en riposte à des annonces publicitaires précédemment publiées en faveur de la radio NRJ, notamment dans le Figaro Economie du 16 septembre 2002 et dans Libération du 23 septembre 2002,
- dire qu'à raison du slogan concerné, elle n'a nullement commis un acte de contrefaçon de la marque NRJ n° 98 608 198,
- dire qu'en faisant usage du slogan susvisé, dans le cadre de sa contre-publicité, elle ne s'est pas rendue coupable de dénigrement constitutif de concurrence déloyale au détriment de la société NRJ,
* à titre subsidiaire et reconventionnel
- dire que les annonces publicitaires publiées en septembre-octobre 2002 en faveur de NRJ, comportant les slogans "T'es pas jalouse au moins ?" et " Tu m'en veux pas ...hein? " constituent des publicités comparatives implicites qui ne respectent pas les dispositions du Code de la consommation régissant la publicité comparative à son préjudice comme exploitant le programme "Skyrock" visé dans cette annonce,
- dire que ces annonces de NRJ constituent des actes de dénigrement à son endroit,
- condamner la société NRJ, en réparation de ces actes de concurrence déloyale, à lui verser une somme de 60 000 euro à titre de dommages-intérêts,
- ordonner la publication de cette partie de l'arrêt à intervenir, dans trois publications de son choix, aux frais de la société NRJ, dans la limite de 10 000 euro HT par insertion,
* à titre infiniment subsidiaire
- modérer sensiblement le quantum des réparations accordées à NRJ et NRJ Group
en tout état de cause,
- débouter les sociétés NRJ et NRJ Group de l'ensemble de leurs prétentions,
- condamner in solidum les sociétés NRJ et NRJ Group à lui verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2005 aux termes desquelles la société NRJ Group et la société NRJ sollicitent la confirmation du jugement déféré et, y ajoutant, la condamnation de la société Vortex à leur payer la somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que la société NRJ, qui exploite la radio éponyme, a lancé une campagne publicitaire, entre le 9 septembre et le 2 octobre 2002, dans la presse quotidienne, le Figaro Economie et Libération, et les magazines CB News, Le Nouvel Observateur et Télérama, constituée de deux annonces superposées comportant les slogans suivants:
"NRJ 1re radio de France des 11-14 ans avec 1 179 000 auditeurs quotidiens. T'es pas jalouse au moins ?"
et
" NRJ 1re radio de France des 15-24 ans avec 2 151 000 auditeurs quotidiens. Tu m'en veux pas ... Hein ? ";
Que la société Vortex, qui exploite également un programme radiophonique à vocation musicale à l'adresse des jeunes auditeurs, sous l'enseigne Skyrock, a fait paraître en septembre 2002 dans les quotidiens le Figaro Economie et Libération une annonce publicitaire, en faveur de cette radio, ainsi libellée:
Jaloux ? Pas du tout !
Skyrock 1re radio de France des 15-24 ans
Skyrock + 25,4 % en chiffres d'affaires publicitaires
Tellement pas jaloux qu'on te fait de la pub : 68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans";
Qu'estimant que la troisième partie de cette annonce ne peut bénéficier des dispositions du Code de la consommation relatives à la publicité comparative et porte atteinte à la marque "NRJ" n° 96 608 198 appartenant à la société NRJ Group, déposée dans la classe 38 pour désigner notamment la diffusion des programmes de radio et les communications radiophoniques, exploitée par la société NRJ, ces deux sociétés ont assigné la société Vortex en contrefaçon de marque et concurrence déloyale;
Que la société Vortex a, subsidiairement, formé une demande reconventionnelle aux fins de voir déclarer illicite la publicité comparative résultant de l'annonce publicitaire initiée par la société NRJ;
- Sur la contrefaçon de marque
Considérant que la société NRJ Group, propriétaire de la marque dénominative "NRJ" n° 96608 198, désignant en classe 38, la diffusion de programmes de radio, soutient que le slogan "Tellement pas jaloux qu'on te fait de la pub : 68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans " ne répond pas à l'exigence d'objectivité à laquelle est soumise la publicité comparative, dès lors qu'elle ne fait pas état d'une comparaison, seule la radio NRJ étant concernée et le nombre d'auditeurs de la radio Skyrock âgé de plus de 24 ans n'étant pas mentionné;
Que la société Vortex réplique que ce slogan s'inscrit dans le volet comparatif de l'annonce et se lit avec le diagramme qui lui est accolé, reprochant à la société NRJ un découpage artificiel de l'annonce;
Mais considérant qu'aux termes de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services ... n'est licite que si :
3°) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie;
Considérant en l'espèce, que le slogan incriminé constitue une riposte à l'annonce précédemment publiée dans la presse en faveur de la radio NRJ en ce que, pour se prévaloir de la caractéristique de la première radio de France des 15-24 ans, la société Vortex mentionne le nombre d'auditeurs de cette tranche d'âge qui se rapporte aux deux radios concurrentes (225 000 auditeurs Skyrock- 148 000 auditeurs NRJ), en se fondant sur le critère du 1/4 d'heure moyen selon une enquête Médiamétrie ; que toutefois, en ajoutant "68,8 % des auditeurs de NRJ ont plus de 24 ans", sans mentionner simultanément le nombre d'auditeurs âgés de plus de 24 ans de la radio Skyrock, cette publicité ne met pas en comparaison de manière objective cette autre caractéristique de l'auditorat des deux radios ; qu'en effet, la société Vortex fait valoir vainement qu'elle apporte une information comparative sur les structures d'audiences des deux radios concurrentes alors qu'aucun élément relatif à la proportion d'auditeurs de cette tranche d'âge n'est apporté et qu'elle ne constitue pas davantage une réponse aux annonces précédentes en faveur de NRJ qui avaient exclusivement pour objet les auditeurs âgés de 11 à 14 ans et de 15 à 24 ans;
Qu'il importe peu que l'information donnée sur cette tranche d'âge d'auditeurs soit exacte, les conditions de mise en œuvre de la publicité comparative n'étant pas, en l'absence de comparaison objective des données, respectées, le slogan incriminé est illicite au regard de l'article L. 121-8 précité et ne peut légitimer l'usage de la marque NRJ;
Considérant que si, comme les premiers juges l'ont observé à juste titre, la première partie du slogan "Tellement pas jaloux qu'on te fait de la pub" relève de l'exercice de la liberté d'expression et du droit de riposte aux annonces antérieurement publiées par les sociétés NRJ, il n'en est pas de même de la seconde partie relative à l'auditorat âgé de plus de 24 ans ; que cette information dépourvue de tout caractère humoristique ne s'inscrit pas dans le cadre d'un article critique ou polémique mais vise à mettre en évidence, dans une publicité en faveur de ses services, la primauté d'audience de la radio Skyrock auprès de la clientèle des jeunes auditeurs, marché sur lequel les deux sociétés se livrent une concurrence âpre depuis plusieurs années;
Qu'il s'ensuit que l'usage par la société Vortex de la marque NRJ pour désigner la diffusion d'un programme de radio constitue une contrefaçon à l'égard de la société NRJ Group, propriétaire de ce signe et un dénigrement au préjudice de la société NRJ qui exploite le programme radiophonique;
- Sur les mesures réparatrices
Considérant que l'ampleur de la campagne publicitaire litigieuse a nécessairement porté atteinte à l'image de la société NRJ associée à un public de jeunes auditeurs, lequel constitue la cible publicitaire privilégiée des annonceurs potentiels, comme l'illustre le slogan "NRJ Régies, le bon plan sur la cible jeune";
Que les premiers juges ont exactement évalué le préjudice subi par la société NRJ Group du fait de l'atteinte portée à la marque en lui allouant la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et celui résultant du trouble commercial subi par la société NRJ en le fixant à la somme de 10 000 euro;
Que les mesures d'interdiction prononcées, justifiées pour mettre un terme aux agissements illicites, doivent être confirmées ; qu'il ne sera de même de la publication ordonnée, sauf à préciser qu'il sera fait mention du présent arrêt;
- Sur la demande formée par la société Vortex
Considérant que la société Vortex soutient que la campagne publicitaire menée par les sociétés NRJ de septembre à octobre 2002 constitue une publicité comparative illicite faisant valoir que la radio Skyrock est directement identifiable et que les caractéristiques propres aux deux concurrents ne sont ni présentées, ni comparées simultanément; qu'elle ajoute que la forme de communication choisie dépasse le stade de l'agressivité commerciale tolérable et caractérise un dénigrement fautif;
Considérant que si la radio Skyrock était immédiatement identifiable à travers les slogans utilisés, comme les premiers juges l'ont exactement relevé, la société Vortex reproche à tort aux sociétés NRJ de n'avoir pas mentionné le nombre d'auditeurs quotidiens de la radio Skyrock alors que la caractéristique essentielle visée dans l'annonce était la place de première radio dans deux tranches d'âge définies telle qu'elle ressort des résultats d'une enquête Médiamétrie et non le nombre d'auditeurs;
Considérant que le ton railleur de l'annonce, notamment l'usage du tutoiement dans les slogans "T'es pas jalouse au moins ?" et " Tu m'en veux pas... hein ", n'outrepasse pas les limites tolérées de la liberté d'expression dans le cadre d'une concurrence commerciale et n'est pas constitutif de dénigrement;
Que le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté la société Vortex de sa demande reconventionnelle;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier aux sociétés NRJ, la somme complémentaire de 10 000 euro devant leur être allouée à ce titre;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Vortex;
Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Y ajoutant, Dit que la publication fera mention du présent arrêt, Condamne la société Vortex à verser aux sociétés NRJ et NRJ Group la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Vortex aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.