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Décisions

CJCE, 6 octobre 1976, n° 12-76

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Industrie Tessili Italiana Cômo

Défendeur :

Dunlop AG

CJCE n° 12-76

6 octobre 1976

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 14 janvier 1976, parvenue au greffe de la Cour le 13 février suivant, l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (appelée ci-après " la convention "), une question portant sur l'interprétation de l'article 5, 1, de ladite convention ;

2. Qu'il apparaît de l'ordonnance de renvoi qu'à ce stade, le litige, porte par voie d'appel devant l'Oberlandesgericht, concerne la compétence du Tribunal de première instance de Hanau pour connaître d'un procès introduit par une entreprise établie dans le ressort de cette juridiction contre une entreprise italienne ayant son siège à Côme, au sujet de l'exécution d'un contrat portant sur la livraison, par l'entreprise italienne à l'entreprise allemande, d'un lot de combinaisons de ski pour dames ;

Qu'il résulte du dossier que la marchandise a été fabriquée par l'entreprise italienne selon les indications fournies par l'entreprise allemande, et remise à un transporteur désigné par cette dernière au siège du fabricant à Côme ;

3. Que l'entreprise allemande, après avoir reçu la marchandise et en avoir écoulé une partie, estime, à la suite de réclamations émanées de sa clientèle, que les combinaisons livrées par le fabricant sont de qualité défectueuse et ne correspondent pas aux spécifications convenues entre parties ;

Qu'elle a, de ce fait, intenté, devant le tribunal de son siège, une action contre le fabricant italien ;

4. Que le tribunal s'étant reconnu compétent pour connaître du litige, par jugement interlocutoire du 10 mai 1974, l'entreprise italienne a interjeté appel devant l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main ;

Que, de l'avis de cette juridiction, la question de compétence soulevée doit être tranchée conformément aux dispositions de la convention ;

Que, selon son appréciation, il n'existe entre les parties aucun accord valable, attributif de juridiction au sens de l'article 17 de la convention ;

Que, par contre, l'Oberlandesgericht n'exclut pas que la compétence de la juridiction de première instance puisse être fondée sur l'article 5, 1, de la convention, au titre du lieu ou l'obligation a été ou doit être exécutée ;

Qu'en vue de résoudre cette question, elle demande à la Cour de statuer sur l'interprétation de cette disposition ;

Sur la procédure

5. Attendu que la République d'Irlande et le Royaume-Uni ont présenté des observations au Cours de la procédure écrite, la Cour a demandé aux parties au litige principal, aux Etats membres et à la Commission de donner leur avis sur la question de savoir si les nouveaux Etats membres, qui ne sont pas encore parties a la convention, sont en droit de participer a une procédure relative à l'interprétation de celle-ci ;

6. Attendu que, selon l'article 3, paragraphe 2, de l'acte d'adhésion,'les nouveaux Etats membres s'engagent à adhérer aux conventions prévues à l'article 220 du traité CEE ainsi qu'au protocole concernant l'interprétation de ces conventions par la Cour de justice, signe par les Etats membres originaires, et à entamer à cet effet des négociations avec les Etats membres originaires pour y apporter les adaptations nécessaires';

Qu'aux termes de l'article 63, alinéa 1, de la convention " les états contractants reconnaissent que tout état qui devient membre de la Communauté économique européenne aura l'obligation d'accepter que la présente convention soit prise comme base pour les négociations nécessaires pour assurer la mise en œuvre de l'article 220, dernier alinéa, du traité instituant la Communauté économique européenne, dans les rapports entre les états contractants et cet état ";

Que les nouveaux Etats membres ont donc intérêt à exprimer leur avis lorsque la Cour est appelée à interpréter une convention à laquelle ils sont tenus d'adhérer ;

7. Qu'il y a lieu de faire remarquer, en outre, que l'article 5 du protocole du 3 juin 1971 prévoit que, dans la mesure où il n'en est pas disposé autrement,'les dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne et celles du protocole sur le statut de la Cour de justice y annexe, qui sont applicables lorsque la Cour est appelée à statuer à titre préjudiciel, s'appliquent également à la procédure d'interprétation de la convention';

8. Que, par conséquent, les nouveaux Etats membres, auxquels s'appliquent les articles 177 du traité CEE et 20 du protocole sur le statut de la Cour de justice, sont habilités à présenter des observations, conformément auxdits articles, dans le cadre d'une procédure relative à l'interprétation de la convention ;

Qu'on ne saurait opposer à cette conclusion l'article 4, paragraphe 4, du protocole du 3 juin 1971, relatif à une procédure spéciale qui n'est pas en cause dans le présent contexte ;

Qu'en outre, dans le cadre de ce protocole, antérieur à l'élargissement des Communautés européennes, l'expression " Etats contractants " désigne l'ensemble des Etats membres ;

Sur l'interprétation de la convention en général

9. Attendu qu'aux termes de l'article 220 du traité CEE, les Etats membres sont tenus d'engager entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants, l'établissement de règles qui, dans les divers domaines énumérés à cette disposition, sont destinées à faciliter la réalisation d'un marché commun ;

Que la convention a été établie en exécution de l'article 220 et vise, selon les termes exprès de son préambule, à mettre en œuvre les dispositions de cet article relatives à la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires, ainsi qu'à renforcer, dans la communauté, la protection juridique des personnes qui y sont établies ;

Qu'en vue de supprimer les entraves aux relations juridiques et à la solution des litiges dans l'ordre des relations intracommunautaires en matière civile et commerciale, la convention comporte, entre autres, des règles permettant de déterminer la compétence des juridictions des Etats membres dans ces relations et facilitant la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires ;

Que, dès lors, la convention doit être interprétée en tenant compte, à la fois, du système et des objectifs qui lui sont propres et de son lien avec le traité ;

10. Attendu que la convention fait un usage fréquent d'expressions et de notions juridiques tirées du droit civil, commercial et procédural et pouvant avoir une signification différente d'un Etat membre à l'autre ;

Que se pose dès lors la question de savoir si ces expressions et notions doivent être considérées comme autonomes, et donc communes à l'ensemble des Etats membres, ou comme renvoyant aux règles matérielles du droit applicable, dans chaque espèce, en vertu des règles de conflit du juge premier saisi ;

11. Attendu qu'aucune de ces deux options ne s'impose à l'exclusion de l'autre, le choix approprié ne pouvant être dégagé qu'à propos de chacune des dispositions de la convention, de façon toutefois à assurer à celle-ci sa pleine efficacité dans la perspective des objectifs de l'article 220 du traité ;

Qu'en tout cas, il y a lieu de souligner que l'interprétation desdites expressions et notions aux fins de la convention ne préjuge pas la question de la règle matérielle applicable à la situation litigieuse ;

Sur la question posée par la juridiction nationale

12. Attendu que, conformément à l'article 5 de la convention,'le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant :

- en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu ou l'obligation a été ou doit être exécutée '... ;

Que cette disposition doit être interprétée dans le cadre du système des attributions de compétence qui font l'objet du titre II de la convention ;

Que celui-ci est fondé sur une attribution générale de compétence, en vertu de l'article 2, au tribunal du domicile du défendeur ;

Que l'article 5 prévoit cependant un ensemble d'attributions de compétences spéciales, dont le choix dépend d'une option du demandeur ;

13. Que cette liberté d'option a été introduite en considération de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître, en vue de l'organisation utile du procès ;

Qu'ainsi, en cas de litige portant sur la matiere des obligations contractuelles, l'article 5, 1, permet au demandeur de saisir le tribunal du lieu ou l'obligation a été ou doit être exécutée;

Qu'il revient au juge saisi d'établir, en vertu de la convention, si le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée, est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale ;

Qu'à cet effet, il doit déterminer, en vertu de ses propres règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et définir, conformément à cette loi, le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse ;

14. Qu'eu égard aux divergences qui subsistent entre les législations nationales en matière de contrats et compte tenu de l'absence, à ce stade de l'évolution juridique, de toute unification du droit matériel applicable, il n'apparaît pas possible de donner des indications plus amples sur l'interprétation de la référence faite, par l'article 5, 1, au " lieu d'exécution " des obligations contractuelles ;

Que ceci est d' autant plus vrai que la détermination du lieu d'exécution des obligations est tributaire du contexte contractuel auquel ces obligations appartiennent ;

15. Que, dans ces conditions, la référence, par la convention, au lieu d'exécution des obligations contractuelles ne peut pas être comprise autrement qu'un renvoi au droit matériel applicable, en vertu des règles de conflit du juge saisi ;

Quant aux dépens

16. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que, la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant sur la question a elle soumise par l'Oberlandesgericht de Francfort-sur-le-Main par ordonnance du 14 janvier 1976, dit pour droit : Le " lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée ", au sens de l'article 5, 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matiere civile et commerciale, est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie.