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Décisions

CA Paris, 3e ch. C, 21 septembre 2001, n° 1999/00244

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Escudié

Défendeur :

3001 Informatic (SA), Newlab International (SA), Rahgozar (Epoux), Donze (Epoux), Rochas, Rousseau, Vieux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albertini

Conseillers :

Mme Le Jan, M. Bouche

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, SCP Fissellier-Chiloux-Boulay.

T. com. Paris, 2e ch., du 22 sept. 1998

22 septembre 1998

Vu l'appel interjeté par M. Guy Escudié, du jugement rendu le 22 septembre 1998 par le Tribunal de commerce de Paris, qui rejette l'ensemble de ses demandes et le condamne à payer à chacun des neufs défendeurs la somme de 1 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu l'arrêt de cette cour en date du 19 mai 2000 qui révoque l'ordonnance de clôture, renvoie l'affaire devant le conseiller de la mise en état et fait injonction aux parties de conclure sur le moyen mis d'office aux débats:

Les causes de nullité de la société Newlab international invoquées par M Escudié sont-elles compatibles avec les dispositions de l'article 111 de la directive CEE n° 68-151 du 9 mars 1968?;

Vu les conclusions déposées au greffe le 8 mars 2001 pour la société Newlab international, M. Patrick Vieux, la société 3001 Informatic, Mme Marie Annick Cosmao épouse Rahgozar, Mme Irène Fourcade épouse Donzé, M. Maseud Rahgozar, M. Philippe Donzé, M. Joseph Rousseau, M. Gérard Rochas qui demandent à la cour de:

- dire que les causes de nullité invoquées par M. Escudié sont incompatibles avec les dispositions de l'article 11 de la directive CEE n° 68-151 du 9 mars 1968,

- dire que les règles de droit interne relatives aux dites causes de nullité sont inopposables aux intimés,

en conséquence,

- confirmer le jugement déféré,

- condamner M. Escudié au paiement d'une somme complémentaire de 1 500 F, à chacun des intimés, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions déposées au greffe le 23 mars 2001 par M. Guy Escudié qui prie la cour de:

- dire que la directive CEE n° 68-151 du 9 mars 1968 et plus particulièrement les dispositions de son article 11 lui sont inopposables,

En conséquence

- réformer le jugement,

- dire nulles et de nul effet les première et quatrième résolutions de l'assemblée générale des actionnaires de la société Newlab international, tenue le 30 juin 1994,

- prononcer la nullité de la société Newlab international,

- condamner en conséquence 3001 Informatic, M. Patrick Vieux, Mme Marie-Annick Cosmao épouse Rahgozar, Mme Irène Fourcade épouse Donzé, en qualité d'anciens administrateurs de la société Newlab international M. Maseud Rahgozar, M. Philippe Donzé, M. Joseph Rousseau, M. Gérard Rochas, à réparer l'entier préjudice subi, d'une part, par la société Newlab international, d'autre part, par M. Escudié;

- les condamner in solidum à payer, à titre provisionnel, la somme de 1 F à la société Newlab d'une part et à M. Escudié d'autre part;

- désigner un expert avec mission de fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la cour d'apprécier les préjudices subis par la société Newlab international et par M. Escudié ;

- dire les intimés irrecevables ou, à tout le moins, mal-fondés et les débouter le leurs demandes,

- les condamner in solidum au paiement de la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce, LA COUR

Considérant que le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société New Lab a autorisé le liquidateur judiciaire (Me. Souchon) à céder le fonds de la débitrice à la société Coficor France Finance ou à toute personne qu'elle pourrait se substituer à condition de rester garante de la bonne exécution de l'offre, au prix de 300 000 F payable comptant à hauteur de 50 000 F et moyennant douze billets à ordre, pour le solde;

Considérant qu'aux termes de l'acte de cession passé le 12 août 1992, Coficor France Finance s'est engagée irrévocablement à apporter le fonds de New Lab à la société Newlab international en cours de constitution et à rester garante de l'exécution de l'offre;

Considérant que la société Newlab international, au capital de 1 000 000 F, a été constituée par acte du 15 septembre 1992 entre:

- la SA 3001 Informatic : 6 180 actions

- M. Maseud Rahgozar : 1 165 actions

- M. Philippe Donzé : 1 165 actions

- M. Gérard Rochas : 1 168 actions

- M. Joseph Rouseau : 300 actions

- M. Patrick Vieux : 10 actions

- Mme Marie-Annick Cosmao épouse Raghozar : 1 action

- Mme Irène Fourcade épouse Donzé : 1 action

- M. Guy Escudié : 10 actions;

Considérant que lors de la constitution de cette société, les actionnaires ont conclu, en complément des statuts, un protocole d'accord en date du 15 septembre 1992, aux termes duquel:

"Conformément à l'acte de cession du fonds de commerce de Newlab, [...] Coficor France Finance apporte ledit fonds de commerce à Newlab international, représenté par l'ensemble des actionnaires ci-dessus.

D'un commun accord, les actionnaires ci-dessus considèrent ledit fonds de commerce comme un apport en capital en couverture, à concurrence de 300 000 F, des participations de Messieurs Rochas, Rahgozar et Donzé, soit la contre-valeur de 3 000 actions au total réparties équitablement entre eux, en reconnaissance de leur apport intellectuel.

Le règlement dudit fonds de commerce se fera de la manière suivante :

A la signature par Coficor France Finance de l'acte de cession du fonds de commerce de Newlab au bénéfice de Newlab international, cette dernière remettra à Coficor France Finance un chèque en remboursement des sommes déjà réglées par elle.

Les autres effets acceptés par Coficor France Finance pourront être, soit payés directement par Newlab international au liquidateur, soit remboursés aux échéances desdits effets.";

Considérant que la société Coficor France a été mise en liquidation judiciaire le 13 juillet 1994 ; que le 24 septembre 1994 le juge-commissaire de cette procédure a autorisé une société Partex international à acquérir 5 100 actions détenues par Coficor France Finance dans le capital de la société 3001 Informatic, moyennant le prix" net vendeur" de 130 000 F;

Considérant que le 30 juin 1994, appelée à délibérer sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 1993 et sur les actes et engagements pris par les fondateurs pendant la période de formation de la société, l'assemblée générale des actionnaires de la société Newlab international a adopté par six voix pour et deux voix contre, (dont celle de M. Escudié), notamment:

Première résolution:

L'assemblée générale approuve tous les actes et engagements pris par la société 3001 Informatic et messieurs Philippe Donzé, Maseud Rahgozar, Patrick Vieux, Joseph Rouseau et Guy Escudié, agissant en qualité de fondateur pendant la formation de la société, tels qu'ils apparaissent dans l'état annexé au procès-verbal.

L'assemblée décide que la société reprend à son compte tous ces actes et engagements comme si elle les avait passés elle-même dès l'origine.

Quatrième résolution:

L'assemblée générale, après avoir entendu la lecture du rapport spécial du commissaire aux comptes sur les conventions de l'article 101 de la loi du 24 juillet 1966 approuve ce rapport dans tous ces termes.

Considérant que telles sont les circonstances dans lesquelles, par acte en date du 27 juin 1998, M. Guy Escudié a assigné les intimés susnommés devant le Tribunal de commerce de Paris pour entendre dire nulles et de nul effet les résolutions ci-dessus reproduites et prononcer la nullité de la société Newlab international et à l'effet de voir condamner les défendeurs à réparer le préjudice subi par la société et le sien propre;

Considérant que pour débouter M. Escudié, le jugement déféré énonce que celui-ci n'établit pas "la mise en force du prêt", qu'il a signé le protocole du 15 septembre 1992 sans émettre de réserves, qu'il ne prouve pas que le prêt a été détourné de sa destination pour servir à réaliser les apports en capital, qu'il est tiers à l'acte de cession du fonds passé entre le liquidateur de New Lab et Coficor et qu'il n'est pas engagé, non plus que Newlab international, par les clauses de ce contrat ;

Considérant qu'aux termes de l'article 360 alinéa 1er de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 235-1 du Code de commerce, la nullité d'une société [...] ne peut résulter que d'une disposition expresse de la présente loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne [...] la société par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d'un vice du consentement ni de l'incapacité, à moins que celle-ci n'atteigne tous les associés fondateurs. La nullité ne peut non plus résulter de la nullité des clauses prohibées par l'article 1844-1 du Code civil;

Considérant que M. Escudié soutient que le prix du fonds de la société New Lab, n'a jamais été réglé par les sociétés Coficor France Finance ou Newlab international puisqu'il ne figure pas au bilan de cette dernière société ; qu'il en déduit que l'apport des MM. Rochas, Raghozar et Donzé est un apport fictif ce qui ne peut, selon lui, qu'entraîner la nullité de la société Newlab international;

Considérant qu'en l'absence de disposition expresse de la loi du 24 juillet 1966 venant sanctionner de la nullité, la fictivité de l'apport, celle-ci n'entraîne pas la nullité de la société au regard d'une disposition impérative de ladite loi ;

Considérant que le défaut d'objet est une cause de nullité du contrat au regard du régime général des conventions ; que de même la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833 du Code civil peut entraîner la nullité du contrat de société ; que dès lors la nullité de l'apport est susceptible d'être sanctionnée par la nullité de la société, lorsque celle-ci s'avère être une société fictive ;

Mais considérant qu'il résulte de l'article 11 de la directive CEE n° 68-151 du 9 mars 1968 que la législation d'un état membre ne peut prévoir la nullité de la société que pour les causes suivantes :

a) le défaut d'acte constitutif ou l'inobservation, soit des formalités de contrôle préventif soit de la forme authentique;

b) le caractère illicite ou contraire à l'ordre public de l'objet de la société;

c) l'absence, dans l'acte constitutif ou dans les statuts, de toute indication au sujet soit de la dénomination de la société, soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit de l'objet social;

d) l'inobservation des dispositions de la législation nationale relatives à la libération minimale du capital social ;

e) l'incapacité de tous les associés fondateurs ;

j) le fait que, contrairement à la législation nationale régissant la société, le nombre des associés est inférieur à deux;

Considérant que le juge national saisi d'un litige entre particuliers, dans une matière entrant dans le domaine d'application de cette directive tendant à coordonner pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les Etats membres, des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, est tenu d' interpréter le droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d'empêcher la déclaration de nullité d'une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 ;

Considérant que l'article L. 235-1 du Code de commerce, en ce qu'il se réfère aux dispositions du droit commun des contrats comme cause de nullité d'un contrat de société, n'est pas compatible avec les dispositions de l'article 11 de la directive susvisée qui énumère de manière limitative les causes de nullité de la société ; d'où il suit que M. Escudié n'est pas fondé en sa demande visant à voir prononcer la nullité de la société New Lab International;

Considérant que, aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 235-1 du Code de commerce, la nullité d'actes ou de délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent [constitution ou modification des statuts] ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de la loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats ;

Considérant que les restrictions apportées par la directive ne sont pas applicables à une demande de nullité d'acte ou délibération non modificatifs des statuts ;

Considérant qu'au soutien de sa demande d'annulation des délibérations des première et quatrième délibérations de l'assemblée générale ordinaire du 30 juin 1994, M. Escudié soutient que la stipulation du protocole d'accord du 15 septembre 1992 selon laquelle le fonds de New Lab doit être considéré comme un apport en capital en couverture, à concurrence de 300 000 F, des participations de MM. Rochas, Raghozar et Donzé, soit la contre-valeur de 3 000 actions réparties entre eux en reconnaissance de leur apport intellectuel n'est pas conforme à l'ordonnance du juge-commissaire ; qu'il ajoute que le prêt de la somme de 87 500 F avait été mis en force et que le fait qu'il ne soit pas mentionné au bilan de la société Newlab International démontre qu'il n'a pas profité à la société mais à un tiers ;

Considérant que comme le relève exactement le jugement déféré l'appelant n'apporte pas la preuve de ses allégations, n'invoque ce faisant, relativement aux délibérations litigieuses, ni la violation d'une disposition impérative de la loi du 24 juillet 1996 ni celle d'une disposition régissant la nullité des contrats; qu'il ne peut qu'être débouté de ses demandes d'annulation de ces délibérations et de ses autres demandes;

Considérant que l'équité commande de n'allouer aucune somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, Confirme le jugement déféré, Dit n'y avoir lieu d'attribuer une allocation pour frais non taxables aux intimés, Condamne M. Guy Escudié aux dépens d'appel lesquels pourront être recouvrés par la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.