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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 20 octobre 1997, n° 96003415

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Démolitions Delair (SA)

Défendeur :

Métalform (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frizon de Lamotte

Conseillers :

Mlle Courbin, M. Ors

Avoués :

SCP Labory-Moussie-Andouard, Me Le Barazer

Avocats :

Me Verdeun, Ohmer, Sauvaigo.

T. com. Bordeaux, du 29 mars 1996

29 mars 1996

Faits, procédure et prétentions des parties.

En suite d'un échange de télécopies, suivant bon du 22 avril 1994, la société Démolitions Delair (la SDD) entreprise de démolition a commandé à la société Métalform, spécialiste des coffrages et en chaudronnerie :

"La fourniture et la pose d'un portique de manutention de gravats suivant plan de principe et côte établi par Métalform le 21 avril 1994 n° 1260-1. Il est prévu un seul opérateur....

le portique sera livré en état de fonctionnement avec la réception d'un bureau de contrôle agréé",

"En cas de panne Métalform s'engage à intervenir dans la journée"

Montant HT 196 000 F

Paiement traite à 30 jours de 25 % du total solde à la livraison à 60 jours " ;

La télécopie 1860-A datée du 6 avril 1994 adressée par Métalform à la SDD précise : "fourniture d'un portique et de deux bennes pour évacuer 40 m3 de gravats à l'heure, densité 1800 Kg/m3...".

Les plans sommaires ont été établis par M. Bugari de la société Métalform après visite du chantier situé rue de Chateaudun à Paris exécuté par la société Bouygues.

Le portique a été installé par Métalform en juillet 1994,

La société Métalform a adressé à la SDD les 10 août et 10 septembre 1994 deux factures d'un montant de 49 000 F HT et 147 000 F HT.

Par télécopie du 21 juillet 1994 la SDD a demandé à Métalform le renforcement des bennes.

Par lettre du 21 juillet 1994 la SDD a écrit à Métalform :

"Ces bennes ne correspondent pas du tout dans leur conception à l'usage qui leur est réservé (évacuation de gravats de béton). Elles ne peuvent pas supporter le chargement et le transport de blocs de béton pouvant atteindre 100 à 150 kg l'unité..."

Cette lettre a été doublée d'une télécopie du même jour dans le même sens.

Par télécopie du 22 juillet 1994 la SDD s'est à nouveau plainte de l'instabilité de l'ensemble.

Le 22 juillet 1994 le CEP, bureau de contrôle, a vérifié le portique et dressé un rapport préconisant certains travaux renforçant la sécurité.

Par lettre recommandée du 26 juillet 1994 la SDD a à nouveau écrit à Métalform :

"Suite à la mise en service du portique... celui-ci n'est pas en mesure de réaliser les performances pour lesquelles il a été fabriqué, soit un débit de 40 m3... le portique ne correspondant pas en son état actuel à nos besoins"

Par lettre du 3 août 1994 la société Métalform a écrit à la SDD :

"Une solution simple peut être envisagée pour doubler la vitesse de levée et ceci sans changement du palan.

Au mois d'août les usines sont presque toutes fermées et c'est très difficile de trouver d'autres solutions pour l'instant.

Il suffit de supprimer 1 longueur de chaîne qui fait le moulage en partie basse du crochet. La vitesse sera doublée mais la charge réduite mais compte tenu du poids de la benne de l'essai du CEP la capacité de levage restera possible.

Restant à votre dispositions pour tous renseignement complémentaires ; "

Par une autre lettre du même jour la société Métalform indiquait que le portique pouvait être mis alors en service après la mise en place des contreventements et les rapports du CEP.

Par lettre du 3 août 1994 la SDD a écrit à Métalform :

"Nous avons mis en place une solution provisoire début août consistant à surélever le portique... le caractère provisoire de cette modification a été exprimé dès le début. Nous avons demandé à M. Bugari d'étudier la solution définitive pour fin août car le portique va devoir être ramené à sa côte initiale très prochainement. Nous n'avons eu aucune nouvelle.

Nous exigeons d'avoir une solution (modification de la benne ou du treuil) pour le mardi 6 septembre permettant d'utiliser le portique avec les paramètres qui vous ont été donnés... et pour réaliser un débit de 40 m3/h "

Par télécopie du 8 septembre 1994 la SDD a demandé à nouveau à Métalform d'intervenir compte tenu de l'urgence de la situation notamment pour lever les réserves du CEP.

Par lettre du 28 septembre 1994 la SDD a notifié à Métalform la résiliation du contrat aux motifs que le portique n'était pas conforme à la commande ; elle a en outre chiffré alors à 356 000 F son préjudice.

Par acte du 16 décembre 1994 la SDD a fait assigner la société Métalform devant le Tribunal de commerce de Bordeaux en réparation de ses préjudices.

Par jugement du 29 mars 1996 le tribunal de commerce a statué ainsi :

"Condamne la SA Démolitions Delair à payer à la SARL Métalform :

- la somme de 232 456 F TTC, majorée des intérêts conventionnels calculés au taux de 1,5 fois le taux légal à compter du 7 octobre 1994, date de la mise en demeure,

- la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Déboute la SA Démolitions Delair de sa demande de dommages-intérêts,

Déboute la SA Démolitions Delair du surplus de ses demandes,

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel, sauf en ce qui concerne les sommes dégagées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à charge pour la SARL Métalform de fournir caution à hauteur de 270 000 F,

Dit que la caution devra garantir toutes réparations ou restitutions pouvant intervenir ; qu'elle devra être constituée par un engagement de caution fourni par un établissement bancaire ou par un dépôt de la somme susvisée à la Caisse des Dépôts et Consignations,

Condamne la SA Démolitions Delair aux dépens."

La SDD a interjeté appel de cette décision ; elle a, par conclusions du 7 octobre 1996, formé les demandes suivantes :

"Dire et juger l'appel interjeté par la SA Démolitions Delair recevable et bien fondé.

Y faisant droit, réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 29 mars 1996.

Condamner la SARL Métalform à payer à la société Démolitions Delair la somme de 467 505 F à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de délivrance.

Prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la SARL Métalform.

Condamner enfin la SARL Métalform à payer à Démolitions Delair la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Condamner la même aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Labory-Moussie-Andouard conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile."

Elle a par ailleurs sollicité par conclusions du 11 août 1997 restitution de la somme de 232 456 F outre les intérêts au taux légal à compter de son versement.

Du 19 mars 1997 a formé les demandes suivantes :

"Débouter la société Démolitions Delair de l'intégralité de ses fins et prétentions.

La déclarer mal fondée.

En conséquence :

* Confirmer en tout point le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 29 mars 1996 ;

* Condamner la société Démolitions Delair à payer à la société Métalform la somme :

- 58 114 F TTC outre les intérêts conventionnels calculés au taux de 1,5 fois le taux légal à compter du 10 août 1994 ;

- 174 342 F TTC outre les intérêts conventionnels calculés au taux de 1,5 fois le taux légal à compter du 10 septembre 1994 ;

* Condamner la société Démolitions Delair à payer à la société Métalform la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

* Condamner la société Démolitions Delair à payer à la société Métalform la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

* Condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Le Barazer, avoué, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile."

Par conclusions du 14 août 1997 la société Métalform a sollicité le rejet des débats des conclusions de la SDD du 11 août 1997 et de la pièce versée le même jour tardivement.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 août 1997.

La société Métalform a à nouveau conclu et verse deux pièces le 5 septembre 1997.

Par conclusions du 8 septembre 1997 la SDD a sollicité le rejet des débats de ces dernières conclusions et pièces.

Discussion

Sur les effets de l'ordonnance de clôture

En concluant le 11 août 1997 et en versant le même jour une pièce, la SDD n'a pas violé le principe du contradictoire que par application de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile doit être respecté ;

il n'existe aucune cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture au sens de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile ;

les conclusions postérieures aux débats doivent donc être rejetées par application de l'article 783 du nouveau Code de procédure civile.

Sur le contrat

La société Métalform fait valoir :

- que le portique a été posé entre les 11 et 21 juillet 1994,

- qu'elle a satisfait à ses obligations en précisant les modalités d'utilisation et d'adaptation du portique,

- que l'ouvrage a été réceptionné le 27 juillet 1994 par le CEP,

- que l'installation a toujours fonctionné et est conforme aux stipulations du marché,

- qu'en tout cas le SDD n'a pas fait établir contradictoirement que l'installation ne fonctionnait pas et s'est empressée de la démonter rendant impossible la preuve de ses allégations.

Cependant la SDD fait justement valoir et il convient de retenir :

- qu'elle n'a pu réceptionner sans réserve le portique, notamment à la date du 27 juillet 1994 indiquée par Métalform, dès lors qu'elle a constamment protesté contre l'inadaptation du portique à son objet par lettre ou télécopies des 21, 22, 26 juillet 1994, 3 août 1994, 8 septembre 1994, restées sans aucune réponse écrite sauf la lettre du 3 août 1994,

- que ces différents courriers et télécopies doivent s'analyser comme un refus d'accepter ou réceptionner l'installation,

- que la société Métalform n'est intervenue, malgré ses nombreuses demandes, qu'une fois en août sur le chantier, alors que contractuellement elle demeurait tenue d'intervenir sur le chantier dans les 24 heures de la demande,

- que preuve du manquement de la société Métalform à son obligation de délivrance d'une installation conforme au contrat est établie :

Par les courriers et télécopies de la société Bouygues, titulaire du chantier, datés des 10 et 16 août et 27 et 28 septembre 1994,

Le courrier du 10 août 1994 précisant "le portique d'évacuation n'est toujours pas opérationnel et les sous-sols engorgés de gravois. Ce retard vous sera imputé",

Le courrier du 16 août 1994 ajoutant "La mise en place des bennes vient d'un défaut de conception de votre portique. L'évacuation des niveaux -2 et -3 est arrêtée depuis plus d'un mois du fait du portique... "

Le courrier du 27 septembre 1994 ajoutant :

"Le portique d'évacuation conçu par votre sous-traitement est toujours inefficace... Les bennes de celui-ci n'ont toujours pas été adaptées à ce chantier... La mise en place d'une pelle de remplacement... a engendré pour nous des retards... nous vous mettons en demeure de résoudre ce problème qui perdure depuis 3 à 4 mois. Les conséquences financières du retard pris par votre carence à ce sujet vous seront intégralement répercutées",

- qu'ainsi compte tenu du défaut de conformité de l'installation et de la carence de la société Métalform à résoudre les difficultés c'est à bon droit que la SDD, tenue par les délais contractuels du chantier, a procédé au démontage de l'installation,

- que dans ces conditions le contrat doit être résolu aux torts de la société Métalform.

Sur le préjudice :

La SDD a précisé de façon détaillée le mode de calcul de son préjudice dans sa lettre du 2 novembre 1994 et ses conclusions du 7 octobre 1996 ;

dans ses propres conclusions la société Métalform fait critique seulement à la SDD d'avoir démonté le portique, ce à quoi il a été répondu plus haut, et d'avoir tardé à réclamer son préjudice, sans émettre de critique précise sur chacun des postes de préjudice.

Ces postes, qui ne sont pas précisément critiqués, sont justifiés par les factures annexes et les documents établis par Bouygues impartissant à la SDD de procéder à l'enlèvement des gravats par l'utilisation d'une pelle mécanique.

Selon les documents qui doivent être retenus, l'opération d'enlèvement du gravats qui aurait dû être obtenue par l'utilisation du portique se serait élevée à :

- 196 000 F HT coût du portique, qui ne pouvait être réutilisé,

- 133 900 F HT coût de l'opération du portique,

Total 329 900 F HT alors que le coût justifié des mêmes opérations s'est élevé à :

- 601 405 F, le préjudice s'établit donc à 271 505 F.

Sur les frais irrépétibles

Il est équitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles engagés par elles.

Décision

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, réforme le jugement, prononce la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Métalform, condamne la société Métalform à payer à la société Démolitions Delair les sommes de - 323 456 F outre les intérêts au taux légal à compter du 11 août 1997, - 271 505 F, déboute la société Démolitions Delair de ses autres demandes, condamne la société Métalform aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.