CA Paris, 25e ch. A, 6 juillet 2001, n° 2000-01111
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Jouven (Epoux)
Défendeur :
Bouscasse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault
Conseillers :
Mme Bernard, M. Picque
Avoués :
SCP Autier, SCP d'Auriac-Guizard
Avocats :
Mes Kninski, Bernard.
Estimant que le "mobil-home" qu'elle avait acquis le 18 avril 1996, était atteint de multiples malfaçons, Jacqueline Fossoux épouse Bouscasse a attrait le 20 juillet 1998, Bernard Jouven et Mauricette Boiteux, dite Oreve, son épouse devant le Tribunal de grande instance de Meaux aux fins :
- à titre principal, d'annulation de la vente pour erreur sur la substance de la chose vendue et,
- subsidiairement, en garantie d'éviction de la chose vendue.
Jacqueline Bouscasse réclamait aussi 30 000 F en réparation du préjudice subi et 15 000 F de frais irrépétibles. Les époux Jouven s'étaient opposés aux prétentions de Jacqueline Bouscasse et avaient sollicité 30 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 15 000 F de frais irrépétibles.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire du 7 décembre 1999, le tribunal a annulé la vente, ordonné la restitution du bien par Jacqueline Bouscasse aux consorts Jouven, condamné ces derniers à rembourser à Jacqueline Bouscasse, avec intérêts légaux à compter de la citation du 20 juillet 1998, le prix de 85 000 F et 6 150 F de frais occasionnés par la vente outre 8 000 F de frais irrépétibles.
Bernard Jouven et Mauricette Boiteux épouse Jouven ont relevé appel le 11 janvier 2000. Dans le dernier état de leurs écritures signifiées le 29 août 2000, ils font valoir que l'acheteuse ne peut pas arguer d'erreur substantielle sur la chose vendue en invoquant une prétendue absence de groupe électrogène et le défaut de raccordement au réseau d'eau en ce que s'agissant d'un "mobil-home" la vente a été faite sans référence à ces éléments. Ils indiquent que c'est seulement le 12 décembre suivant la vente, que les services de l'urbanisme de la Préfecture de Seine-et-Marne ont indiqué que l'alimentation en eau ne pouvait plus se faire par un raccordement à un tuyau et que le plan du "mobil-home", transmis en même temps que la vente, signalait l'emplacement d'un groupe électrogène sans que cet élément d'équipement existât, seule l'installation électrique reliée à des batteries étant en service au jour de la vente litigieuse. Ils prétendent aussi qu'ils ont réalisé la terrasse, la clôture et le cabanon conformément au règlement intérieur du camp de 1992 et que parmi ces aménagements extérieurs, seul l'auvent est visé par la lettre du 13 mai 1998, du Président du "caravaning club" des Salvatres qui en demande, non la destruction, mais simplement la désolidarisation du "mobil-home" lui-même afin de lui rendre sa mobilité. Les vendeurs justifient la plus-value réalisée par les améliorations qu'ils ont effectuées et estiment ne pas avoir à assumer de garantie d'éviction en ce qu'à leurs yeux, l'intimée n'a jamais été évincée de l'usage normal du "mobil-home". Ils contestent le préjudice allégué par Jacqueline Bouscasse et considèrent, en revanche, subir un dommage résultant de l'action intentée à leur encontre par cette dernière dont ils affirment qu'elle n'a agi que dans le dessein de leur nuire. Bernard Jouven et Mauricette Boiteux concluent à la pleine infirmation de la décision déférée et sollicitent 30 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 15 000 F de frais irrépétibles.
Jacqueline Fossoux épouse Bouscasse réplique, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 12 avril 2001, qu'elle a entendu acquérir un "mobil-home" doté de tous les éléments permettant de jouir des équipements le constituant (baignoire, appliques murales, terrasse, auvent, clôture). Elle indique l'avoir acheté au vu d'une annonce paru à la rubrique "maisonnettes de week-end"dans le journal de "La Centrale du Particulier" et que ni l'alimentation en eau, ni l'évacuation des eaux usées ne peuvent être effectuées par un raccordement aux réseaux contrairement à ce que les vendeurs lui avaient affirmé. En outre l'intimée fait valoir :
- qu'elle ne bénéficie ni d'un bail, ni d'un droit de jouissance et d'aménagement, mais que le droit d'occupation du terrain est lié à la qualité de membre de l'association du Caravaning Club alors que l'annonce laissait croire à l'existence d'un droit de jouissance privative d'un terrain moyennant un faible loyer,
- que la terrasse, la clôture, le cabanon et le jardin ont été réalisés sans autorisation par les vendeurs,
Elle conclut de l'ensemble de ces éléments qu'elle a été induite en erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue et considère que l'annulation de la vente qui en découle emporte la remise des parties en l'état antérieur ce qui implique, à ses yeux, le remboursement de tous les frais qu'elle a exposés dont les redevances payées de 1996 à 1998 au Caravaning Club et les travaux entrepris sur le "mobil-home". Subsidiairement elle soutient qu'elle s'est trouvée évincée tant du bénéfice attendu du raccordement en eau, de la source d'éclairage et d'électricité et des autres branchements que d'un droit sur la jouissance d'une terrasse fixe, de la clôture de la parcelle et de tout ce qui entoure le "mobil-home" ce qui fonde, selon elle, le remboursement de 70 000 F au titre des conséquences de la garantie d'éviction.
Jacqueline Bouscasse conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf à le réformer sur le quantum du remboursement des frais et sollicite de porter celui-ci à 17 648 F majorés des intérêts légaux et anatocisme. Subsidiairement elle sollicite la condamnation solidaire des époux Jouven à lui payer 70 000 F en application des articles 1626 et 1637 du Code civil et, en tout état de cause:
- à 30 000 F de dommages et intérêts, majorés des intérêts légaux à dater de l'assignation et capitalisation de ceux échus depuis plus d'un an,
- et 15 000 F de frais non compris dans les dépens.
Sur ce,
Sur l'annulation pour erreur
Considérant qu'aux termes du "compromis de vente et d'achat" du 18 avril 1996, les consorts Jouven ont vendu "en l'état" à Jacqueline Bouscasse "le Mobile Home marque Wonderland n° 6622/77 ainsi que son auvent en PVC, sa clôture en pvc, sa terrasse et son cabanon de jardin situés au caravaning des Salvâtres à Thorigny (77400), parcelle 126 "; qu'il n'a pas été contesté que l'acquisition a été précédée de la visite de la résidence mobile sur son site et que la remise du chèque de paiement le 24 avril suivant a, de nouveau, été précédée d'une visite du bien vendu ; qu'en conséquence, la vente n'a pas été faite à partir d'un plan et que l'absence de groupe électrogène était visible au cours des visites étant observé qu'il n'a pas été démenti que le réseau électrique interne au "mobil-home" était alimenté par des batteries ;
Considérant dès lors, que le consentement de Jacqueline Bouscasse, qui a déclaré acheter le "mobil-home" en l'état, s'est fait à partir des éléments visibles au terme de la visite préalable ;
Considérant qu'en appel, les moyens au soutien de l'erreur sur la substance alléguée par l'intimée, portent essentiellement sur l'interdiction de raccordement permanent au réseau de distribution d'eau du caravaning et sur le caractère fixe de l'auvent ; que s'agissant de la vente d'une résidence mobile, dont le déplacement, aux termes de la réglementation alors applicable, doit pouvoir être effectué sans autres préparatifs que ceux prévus par le constructeur, les qualités substantielles de la chose vendue doivent s'apprécier au regard de ce caractère particulier ;
Considérant que la mobilité est la qualité principale d'une telle résidence; qu'il convient dès lors de distinguer dans la vente litigieuse, ce qui correspond à la cession des éléments du "mobil-home" lui-même et qui doivent le suivre en tout lieu, de ce qui est destiné à rester sur place en cas de déplacement de la résidence mobile ;
Considérant qu'il était visible même pour un profane, lors de la visite préalable à la vente, que l'auvent en pvc était solidaire du sol et donc insusceptible d'être déplacé en l'état, à l'occasion d'un éventuel déménagement de la résidence mobile;
Considérant que le raccordement permanent aux réseaux dépend de la catégorie du lieu de campement sur lequel la résidence mobile est implantée ; qu'il peut varier en fonction du déplacement de celle-ci ; qu'il ne peut en conséquence pas être susceptible de constituer un élément substantiel de la chose au sens de l'article 1110 du Code civil;
Qu'il appartenait à l'acheteuse de s'informer préalablement, auprès des gestionnaires du caravaning sur les conditions de raccordement aux réseaux, d'implantation de l'auvent et des autres éléments fixes sur la parcelle ; que les conditions en matière de classement des terrains de caravaning, prévues par le décret du 11 janvier 1993 étaient tout autant opposables à l'acheteuse qu'aux vendeurs; Qu'il en résulte que les éventuelles erreurs d'appréciation sur le raccordement aux réseaux et sur l'absence de mobilité de l'auvent, ne sauraient atteindre la substance de la résidence mobile vendue elle-même ;
Considérant en revanche, que la mobilité de la résidence impliquait le bon fonctionnement de la distribution interne et indépendante de l'eau à partir de la réserve de 100 litres, vers les différents points d'utilisation existant dans le "mobil-home"; qu'il n'a pas été contesté que le non fonctionnement de la pompe nécessaire à l'usage normal de cette installation, n'a été révélé par les vendeurs que postérieurement à la signature du compromis et à la remise du chèque de paiement ; que Jacqueline Bouscasse n'a pas pu s'en rendre compte à partir des visites qu'elle a effectuées en ce qu'au moment de celles-ci, le raccordement de l'installation du "mobil-home" était directement branché sur le robinet d'alimentation du camp situé à l'angle de la parcelle ; que l'erreur d'appréciation qui s'en suivit portait sur un élément substantiel de l'usage normalement attendu de la chose vendue;
Mais considérant qu'il ressort du devis du 23 mai 1996 de l'entreprise Caillot, versé aux débats par Jacqueline Bouscasse elle-même, que la pose d'une nouvelle pompe coûtait 1 780 F HT ; que l'erreur n'est dès lors pas suffisante pour justifier une annulation de la vente dans son ensemble et qu'il sera ci-après procédé à une simple diminution du prix tenant compte du coût des travaux nécessaires et de la diminution de valeur du "mobil-home" résultant des troubles et tracas engendrés par cette erreur et par la révélation tardive des vendeurs qui ne se sont pas correctement acquittés sur ce point de leur obligation d'information de bonne foi [à l'égard] de leur co-contractant;
Sur la garantie d'éviction
Considérant que le compromis du 18 avril 1996, stipule expressément que l'acheteur était informé "d'avoir à se mettre en rapport avec les autorités du camp afin de régulariser [sa] présence au caravaning" et que le contrat de location était à renouveler auprès desdites autorités ; que dès lors, nonobstant l'usage d'un terme juridique inapproprié (contrat de location au lieu d'adhésion à l'association locataire du terrain pour avoir droit de séjourner dans le camp), le compromis litigieux ne transmettait pas en lui-même un droit d'usage sur la parcelle d'implantation de la résidence mobile dont Jacqueline Bouscasse se trouverait aujourd'hui évincée ; qu'au demeurant cette dernière a, dès le 27 avril 1996, régularisé un " contrat pour l'occupation de la parcelle n° 126 de 350 m2" avec le Caravaning Club des Salvatres" et il apparaît aux termes du règlement intérieur du camp de 1992, en vigueur au jour de la vente, que la clôture et le cabanon de jardin étaient tolérés;
Sur les dommages et intérêts et les frais irrépétibles
Considérant, compte tenu de la décision à intervenir, que les actions ou résistances intervenues dans la présente instance, ne sont pas abusives ; qu'il n'y a pas davantage lieu en l'espèce, d'octroyer ni en appel, ni en première instance, des indemnités au titre de l'article 700 du NCPC et que les dépens seront partagés par parts égales entre les parties ;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Rejette la demande d'annulation de la vente de la résidence mobile intervenue le 18 avril 1996 entre les époux Jouven et Jacqueline Bouscasse, Dit que cependant, le consentement de l'acheteuse sur le quantum du prix a été partiellement vicié par la non révélation en temps utile, de la défectuosité de fonctionnement de la pompe d'alimentation en eau des appareils sanitaires existant au sein du "mobil-home", Fixe à 20 000 F, toutes causes confondues, la réfaction correspondante du prix et condamne solidairement Bernard Jouven et Mauricette Boiteux, dite Oreve, son épouse à payer à Jacqueline Fossoux épouse Bouscasse, cette somme en deniers ou quittance, majorée des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 1998 et anatocisme dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à compter du jour où la demande a été formulée pour la première fois devant le tribunal, Fait masse des dépens de première instance et d'appel et les met pour moitié, à la charge des appelants et pour l'autre moitié à la charge de l'intimée. Admet la SCP Autier et la SCP d'Auriac-Guizard au bénéfice de l'article 699 du NCPC.