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Décisions

CA Paris, 2e ch. B, 3 mai 1979, n° 9038

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Borzea

Défendeur :

Le Manoir (SARL), Bertrand, Frances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albou

Avocat général :

M. Hauss

Conseiller :

MM. Bigeon & Aury

Avoués :

Mes Bolling, Dampenon

Avocats :

Mes Delbays Biron, Roget, Traxeler

TGI Paris, 2e ch., du 19 avr. 1977

19 avril 1977

LA COUR, statuant sur l'appel interjeté par Christiane Borzea d'un jugement rendu le 19 avril 1977 par le Tribunal de grande instance de Paris, dans un litige l'opposant à Eugénie Frances épouse Rimbod, Gérard Bertrand et à la SARL Le Manoir ;

Considérant que suivant actes reçus le 18 janvier 1962 par chois, notaire à Neuilly-Sur-Seine, demoiselle Borzea a cédé à dame Rimbod 100 parts de la SCI Sausun pour le prix de 14 000 F, cédé à Bertrand 200 parts de la même société civile pour le prix de 28 000 F, vendu à la société Le Manoir, dont dame Rimbod était la gérante, le fonds de commerce d'hôtel meublé exploité dans l'immeuble situé à Paris 17e, 1, rue de la Saussure, dont la SCI Sausun était propriétaire, pour le prix de 44 000 F ;

Que suivant acte sous seings privés en date du 7 février 1964, enregistré le 9 mars suivant, demoiselle Borzea a cédé à dame Rimbod 50 parts de la SCI Sausun au prix de 7 000 F ;

Considérant que suivant actes extrajudiciaires des 7 juillet & 22 octobre 1975, demoiselle Borzea a assigné la société Le Manoir, Eugénie Rimbod & Gérard Bertrand pour faire prononcer la nullité des ventes conclues le 18 janvier 1962, tant en application de l'article 489 du Code civil que pour défaut de prix réel et sérieux et obtenir la restitution du prix des parts cédées et de la valeur du fonds de commerce ; qu'elle prétendait être toujours propriétaire de 50 parts de la SCI Sausun et par la suite réclama une expertise "aux fins de savoir ce qu'il était advenu des deux cents parts de la SCI Sausun" qui n'avaient pas été vendues par elle ;

Considérant que le jugement attaqué a dit irrecevable la demande de nullité des actes du 18 janvier 1962 au motif que le droit d'agir de Christiane Borzea pour insanité d'esprit, soumis à la prescription de dix ans édictée par l'article 1304 du Code civil, avait cessé d'exister depuis le 19 janvier 1972 ; que par ailleurs l'erreur d'une des parties sur la valeur d'un bien n'état pas une cause de nullité et enfin que la lésion ne pouvait être admise comme cause de rescision que si l'action était exercée dans un délai de deux années ; que la même décision après avoir souligné que la demanderesse qui possédait 350 parts de la SCI Sausun et les avait vendues les 18 janvier 1962 & 7 février 1964, était mal venue à prétendre que d'autres parts auraient été détournées à son détriment ; que par suite Christiane Borzea a été déboutée de sa demande subsidiaire ;

Considérant que l'appelante admet que l'action en nullité des ventes du 18 janvier 1962 pour cause d'aliénation mentale est prescrite et ne reprend plus devant la cour sa demande initiale, fondée sur ce moyen ; que pas davantage elle ne fait état à l'heure actuelle comme cause principale de l'annulation des conventions d'un défaut de prix sérieux ;

Que par contre elle soutient que son consentement aux actes du 18 janvier 1962 aurait été vicié par le dol commis par ses adversaires et que son consentement à la cession du 7 février 1964 a, lui, été vicié, pour cause d'aliénation mentale ;

Qu'elle prétend également que le dol dont elle se prévaut lui aurait causé un très grave préjudice "en provoquant un délabrement complet et définitif de ses facultés mentales" et en l'ayant "privée de l'appartement agréable qu'elle occupait dans son hôtel" ;

Qu'elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement et demande :

1) de prononcer la nullité pour cause de dol des actes authentiques du 18 janvier 1962,

2) de prononcer pour insanité d'esprit la nullité de l'acte du 7 février 1964,

3) d'ordonner la restitution à son profit des 350 parts de la SCI Sausun et du fonds de commerce,

4) d'ordonner la restitution des fruits et intérêts des 400 parts sociales et du fonds de commerce,

5) de nommer un expert avec mission d'évaluer les fruits et intérêts,

6) de condamner solidairement Rimbod & Bertrand à lui payer une indemnité de 1 000 000 de francs en réparation du préjudice causé par leurs manœuvres dolosives,

7) subsidiairement si la restitution des parts et du fonds s'avérait impossible, de prescrite la restitution par équivalent, dans ce cas de désigner un expert avec mission d'évaluer les parts et le fonds de commerce ;

Que plus subsidiairement encore, sur l'action en nullité pour dol, elle demande à la cour d'ordonner une enquête;

Qu'elle sollicite enfin la condamnation de ses adversaires à lui payer sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile " la somme qu'il plaira à la cour de fixer " ;

Considérant que dame Rimbod & Gérard Bertrand concluent à la confirmation du jugement ;

Que la SARL Le Manoir ne comparait pas, après avoir été régulièrement réassignée ; que l'arrêt à intervenir sera réputé contradictoire à son égard ;

1° - Sur l'action en nullité pour dol des conventions du 18 janvier 1962

Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la loi du 3 janvier 1968, les actions en nullité antérieurement ouvertes resteront soumises au délai de dix ans que prévoyait l'ancien article 1304 du Code civil, sans pouvoir néanmoins être introduites plus de cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ;

Que celle-ci a été fixée au 10 novembre 1968 par l'article 14 de la loi n° 68-696 du 31 juillet 1968 ;

Que la prescription de l'action en nullité pour vice du consentement des ventes conclues le 18 janvier 1962 était donc acquises en principe le 19 janvier 1972, alors qu'en l'espèce l'action a été introduite le 7 juillet 1975 ;

Considérant que pour se soustraire à la prescription invoquée par ses adversaires, demoiselle Borzea soutient qu'elle aurait eu connaissance des manœuvres dolosives commises par ses adversaires en 1962 qu'en juin 1965 ;

Qu'elle en déduit que l'action en nullité pour dol ayant pris naissance à cette dernière date, la prescription aurait été atteinte cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1968, c'est-à-dire le 1er novembre 1973 ;

Qu'elle soutient que la prescription a été interrompue par l'enregistrement au Parquet du Tribunal de grande instance de Paris, le 20 mai 1973, de sa demande d'aide judiciaire, et que par application de l'article 29 du décret n° 72-809 du 1er septembre 1972, dans sa rédaction antérieure au décret du 14 mai 1975, un nouveau délai de même durée a couru à compter de la décision d'admission du 8 avril 1974;

Mais considérant que même si l'on se place dans l'hypothèse la plus favorable à l'appelante, quant à la découverte par elle du dol dont elle se prévaut, et que l'on écarte l'exception de prescription soulevée par ses adversaires, il n'en demeure pas moins que la charge de la preuve du dol pèse sur demoiselle Borzea demanderesse à l'action en nullité pour vice du consentement ;

Or considérant que l'appelante, qui n'avait pas en première instance invoqué cette cause de nullité des conventions, alors pourtant que selon ses propres déclarations elle était parfaitement éclairée depuis juin 1965 sur les circonstances dans lesquelles les actes litigieux avaient, selon elle, été souscrits, se borne dans ses écritures d'appel à affirmer qu'un dol a été commis sans autrement caractériser les manœuvres frauduleuses dont elle aurait été victime ; que les attestations dont elle se prévaut ne sont cas à cet égard convaincantes puisqu'il en ressort essentiellement que pendant plusieurs mois les époux Rimbod auraient fréquemment insisté auprès de demoiselle Borzea pour qu'elle consente à leur vendre son fonds de commerce et seraient allés la voir à de très nombreuses reprises ; que par contre, aucune d'entre elles ne fait état d'artifices, de fraude, de mensonge ou de tromperie qui auraient été déterminantes du consentement aux contrats donné par la cessionnaire ;

Que parmi les signataires des attestations figure une dame Delcourt, à l'époque associée de demoiselle Borzea qui ne craint pas d'affirmer que les époux Rimbod " se moquaient " de demoiselle Borzea en lui offrant le prix dérisoire de 80 000 F très inférieur à la valeur du bien, alors que suivant acte authentique des 28 février & 15 mars 1962 dame Delcourt a cédé à dame Rimbod les 50 parts dont elle était titulaire dans la SCI Sausun pour le prix de 7 000 F, identique à celui payé à demoiselle Borzea ;

Que pourtant dame Delcourt n'a jamais prétendu que son propre consentement avait été vicié ;

Considérant que les intimés soulignent à bon droit, que les ventes attaquées ont été conclues par acte authentique et qu'en voit mal quelles manœuvres dolosives auraient pu contraindre la venderesse à se rendre personnellement en l'étude du notaire ;

Considérant que le moyen tiré de l'état de santé de la venderesse n'est pas davantage déterminant que même si demoiselle Borzea était alors, comme elle l'affirme, dans un état dépressif profond, ayant affaibli sa volonté, et la rendant plus réceptive à des manœuvres dolosives, encore faut-il que telles manœuvres aient été exercées par ses adversaires, ce qui n'est pas établi ;

Que par contre, l'état de santé déficient de demoiselle Borzea explique que ne pouvant gérer seule un hôtel, elle ait cherché eu accepté un acquéreur ;

Considérant que la modicité du prix invoqué par l'appelante n'est pas davantage déterminante du dol, un prix identique ayant d'ailleurs été accepté par dame Delcourt ;

Que l'on peut en outre souligner qu'il s'agissait d'un hôtel classé en catégorie N, sans chauffage central, ni eau courante, dans les chambres, que l'immeuble était en mauvais état, que le chiffre d'affaire était dérisoire 2 268 F en 1958, 14 250 F en 1959 et 13 382 F en 1960 et qu'il n'y avait pas de bénéfice, mais au contraire un déficit de 1 420 F en 1958 et de 955 F en 1960 ;

Considérant en définitive que sans qu'il y ait lieu de recourir à la mesure d'instruction sollicitée subsidiairement par l'appelante, celle-ci doit être déboutée de son action en nullité pour vice du consentement des actes an date du 18 janvier 1962;

2° - Sur l'action en réparation du préjudice né du dol

Considérant qu'une telle action fondée sur l'article 1382 du Code civil qui tend à la réparation d'un préjudice distinct de celui précédemment invoqué, est soumise à la prescription trentenaire ;

Que même si l'action en nullité pour dol avait été prescrite, celle fondée sur la responsabilité délictuelle des intimés eut été recevable et aurait conduit à rechercher si le dol reproché à ces derniers était ou non caractérisé ;

Considérant que la preuve des manœuvres dolosives n'étant pas rapportée, demoiselle Borzea doit être déboutée de son action indemnitaire ;

3° - Sur l'action en nullité pour insanité d'esprit de la cession du 7 février 1964

Considérant qu'en première instance une telle nullité n'avait pas été demandée, demoiselle Borzea ayant alors prétendu n'avoir pas participé à la vente ;

Considérant que la loi du 3 janvier 1968 sur les incapables majeurs est inapplicable à l'espèce ; que sous le régime antérieur demoiselle Borzea appartenait à la catégorie des personnes ni internées, ni interdites, qui n'étant pas classées parmi les incapables, ne bénéficiaient d'aucun régime spécial de protection ;

Que les actes juridiques passés par ces personnes étaient en principe valables à moins que la preuve ait été rapportée qu'ils avaient été faits sous l'empire de la démence ;

Que l'état habituel de démence, d'ailleurs non établi en l'espèce, n'était pas suffisant, un tel état présentant souvent des intervalles lucides ; que la preuve devait être rapportée par le demandeur à l'action qu'il était en état de démence au moment même où il avait passé l'acte litigieux;

Considérant que si pour des motifs identiques à ceux, ci-dessus retenus pour l'action en nullité pour dol, la prescription de l'article L. 304 du Code civil est écartée, la charge d'une telle preuve incombe à la demanderesse ;

Or, considérant que si demoiselle Borzea a été traitée à plusieurs reprises dans des hôpitaux psychiatriques, elle n'a par contre jamais été internée, ni considérée comme aliénée au sens de la loi du 30 juin 1838 ;

Que son médecin traitant atteste que de janvier 1958 à fin 1962 elle présentait une affection neuropsychiatrique cyclothymique avec bouffées délirantes, fugues, coupées de périodes psycho maniaque, voire mélancoliques, que si elle a effectué à Neuilly sur Moine, à l'hôpital de la Maison Blanche, quatre séjour de juillet 1964 à juin 1967, elle était par contre domiciliée de mai 1953 à février 1964 au château de Chaille, qui est une maison de repos et de retraite pour personnes âgées ;

Qu'à l'époque où elle a signé l'acte du 7 février 1964 elle n'était donc pas en traitement dans un hôpital psychiatrique, mais hébergée dans une maison de retraite pour personnes âgées ;

Que si elle a été alors suivie par le Dr Rautureau, qui ne semble d'ailleurs pas être spécialiste des maladies mentales, les certificats délivrés par ce praticien, au demeurant contradictoires, sont trop peu circonstanciés pour permettre de retenir qu'elle était en état d'aliénation mentale en février 1964 et encore moins qu'elle n'a pu exprimer un consentement valable le 7 février 1964 ;

Que par suite elle doit être déboutée de son action en nullité ;

Considérant enfin que l'appelante qui succombe sur son action et sur son recours, doit être déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers Juges : Statuant par arrêt réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties en cause ; Dit l'appel recevable en la forme, mais mal fondé ; Confirme en son principe et sur les dépens le jugement attaqué ; Dit les actions en nullités pour vices du consentement et paiement de dommages-intérêts formées par demoiselle Borzea redevables, mais mal fondées ; l'en déboute ; La déboute également de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions prescrites à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.