Livv
Décisions

CJCE, 12 décembre 1972, n° 21-72

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

International Fruit Company NV, Kooy Rotterdam NV, Velleman En Tas NV, Jan Van Den Brink's Im - En Exporthandel NV

Défendeur :

Produktschap voor Groenten en Fruit

CJCE n° 21-72

12 décembre 1972

LA COUR,

1. Attendu que, par décision du 5 mai 1972, parvenue au greffe de la Cour le 8 mai 1972, le Collège van Beroep voor het Bedrijfsleven a soumis à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions concernant l'interprétation de cet article et la validité de certains règlements adoptés par la Commission ;

2. Que, par la première question, la Cour est invitée à dire si la validité des actes pris par les institutions de la Communauté vise également, au sens de l'article 177 du traité CEE, leur validité au regard du droit international ;

3. Que la seconde question, soulevée pour le cas où la réponse à la première question serait affirmative, tend à savoir si les règlements n° 459-70, 565-70 et 686-70 de la Commission - qui prévoyaient, à titre de mesures de sauvegarde, des restrictions à l'importation de pommes en provenance de pays tiers - "sont non valides comme étant contraires à l'article XI de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) ", ci-après dénommé "accord général" ;

4. Attendu qu'aux termes de l'article 177, alinéa 1, du traité CEE, "la Cour de justice est compétente pour statuer, a titre préjudiciel,... sur la validité... des actes pris par les institutions de la Communauté" ;

5. Que la compétence de la Cour ainsi formulée ne comporte aucune limite quant aux causes sur la base desquelles la validité de ces actes pourrait être contestée ;

6. Que cette compétence s'étendant à l'ensemble des motifs d'invalidité susceptibles d'entacher ces actes, la Cour est tenue d'examiner si leur validité peut être affectée du fait de leur contrariété avec une règle de droit international ;

7. Que, pour que l'incompatibilité d'un acte communautaire avec une disposition de droit international puisse affecter la validité de cet acte, la Communauté doit d'abord être liée par cette disposition ;

8. Que, dans le cas où l'invalidité est invoquée devant une juridiction nationale, il faut en outre que cette disposition soit de nature à engendrer pour les justiciables de la Communauté le droit de s'en prévaloir en justice ;

9. Qu'il convient donc d'examiner si ces deux conditions sont réunies en ce qui concerne l'accord général ;

10. Attendu qu'il est constant qu'au moment de conclure le traité instituant la Communauté économique européenne, les Etats membres étaient liés par les engagements de l'accord général ;

11. Qu'ils n'ont pu, par l'effet d'un acte passé entre eux, se dégager des obligations existant à l'égard de pays tiers ;

12. Qu'au contraire, leur volonté de respecter les engagements de l'accord général résulte autant des dispositions mêmes du traité CEE que des déclarations faites par les Etats membres lors de la présentation du traité aux parties contractantes de l'accord général conformément à l'obligation de l'article XXIV de celui-ci ;

13. Que cette intention a été manifestée notamment par l'article 110 du traité CEE qui contient une adhésion de la Communauté aux objectifs poursuivis par l'accord général ainsi que par l'article 234, alinéa 1, qui dispose que les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du traité, et notamment de conventions multilatérales conclues avec la participation des Etats membres, ne sont pas affectées par les dispositions du traité ;

14. Attendu que la Communauté a assumé - graduellement au cours de la période de transition et dans leur ensemble à l'expiration de celle-ci, en vertu des articles 111 et 113 du traité - les fonctions inhérentes à la politique tarifaire et commerciale ;

15. Que les Etats membres, en conférant ces compétences à la Communauté, marquaient leur volonté de la lier par les obligations contractées en vertu de l'accord général ;

16. Que, depuis l'entrée en vigueur du traité CEE et, plus particulièrement, à partir de la mise en place du tarif extérieur commun, le transfert de compétences, intervenu dans les rapports entre les Etats membres et la Communauté, a été concrétisé de différentes manières dans le cadre de l'accord général et reconnu par les autres parties contractantes ;

17. Que notamment, depuis cette époque, la Communauté, agissant par l'intermédiaire de ses propres institutions, est apparue comme partenaire des négociations tarifaires et comme partie aux accords de tout ordre conclus dans le cadre de l'accord général, conformément aux prévisions de l'article 114 du traité CEE qui dispose que les accords tarifaires et commerciaux "sont conclus au nom de la Communauté" ;

18. Qu'il apparaît dès lors que, dans toute la mesure ou, en vertu du traité CEE, la Communauté a assumé des compétences précédemment exercées par les Etats membres dans le domaine d'application de l'accord général, les dispositions de cet accord ont pour effet de lier la Communauté ;

19. Attendu qu'il convient en outre d'examiner si les dispositions de l'accord général engendrent pour les justiciables de la Communauté le droit de s'en prévaloir en justice, en vue de contester la validité d'un acte communautaire ;

20. Que, pour ce faire, il convient d'envisager à la fois l'esprit, l'économie et les termes de l'accord général ;

21. Attendu que cet accord, fondé, aux termes de son préambule, sur le principe de négociations entreprises sur "une base de réciprocité et d'avantage mutuels", est caractérisé par la grande souplesse de ses dispositions, notamment de celles qui concernent les possibilités de dérogation, les mesures pouvant être prises en présence de difficultés exceptionnelles et le règlement des différends entre les parties contractantes ;

22. Qu'ainsi, aux termes de son article XXII, paragraphe 1, "chaque partie contractante examinera avec compréhension les représentations que pourra lui adresser toute autre partie contractante et devra se prêter à des consultations au sujet de ces représentations, lorsque celles-ci porteront sur une question concernant l'application du présent accord" ;

23. Qu'en vertu du deuxième paragraphe du même article, "les parties contractantes" - ce nom désignant "les parties contractantes agissant collectivement", ainsi qu'il est précisé à l'article XXV, paragraphe 1 - "pourront entrer en consultation avec une ou plusieurs parties contractantes sur une question pour laquelle une solution satisfaisante n'aura pu être trouvée au moyen des consultations prévues au paragraphe 1" ;

24. Que, pour le cas où une partie contractante considérerait "qu'un avantage résultant pour elle directement ou indirectement du présent accord se trouve annulé ou compromis, ou que la réalisation de l'un des objectifs de l'accord est compromise du fait ", notamment," qu'une autre partie contractante ne remplit pas les obligations qu'elle a contractées aux termes du présent accord", l'article XXIII règle de manière détaillée les mesures que les parties intéressées, ou les parties contractantes agissant collectivement, peuvent ou doivent prendre au regard d'une telle situation ;

25. Que ces mesures englobent, pour le règlement des différends, selon le cas, des représentations ou propositions écrites à "examiner avec compréhension", des enquêtes éventuellement suivies de recommandations, de consultations ou de décisions des parties contractantes, y compris celle d'autoriser certaines parties contractantes à suspendre, à l'égard d'autres, l'application de toute concession ou autre obligation résultant de l'accord général, et enfin, dans le cas d'une telle suspension, la faculté de la partie concernée de dénoncer cet accord ;

26. Qu'enfin, pour le cas où, du fait d'un engagement assumé en vertu de l'accord général ou d'une concession relative à une préférence, certains producteurs subissent ou risquent de subir un préjudice grave, l'article XIX prévoit la faculté pour une partie contractante de suspendre unilatéralement l'engagement ainsi que de retirer ou de modifier la concession, soit après consultation de la collectivité des parties contractantes et à défaut d'accord entre les parties contractantes intéressées, soit même, s'il y a urgence et à titre provisoire, sans consultation préalable ;

27. Attendu que ces éléments suffisent à montrer que, place dans un tel contexte, l'article XI de l'accord général n'est pas de nature à engendrer, pour les justiciables de la Communauté, le droit de s'en prévaloir en justice ;

28. Que, dès lors, la validité des règlements n° 459-70, 565-70 et 686-70 de la Commission ne saurait être affectée par l'article XI de l'accord général ;

29. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement et que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

LA COUR,

Statuant sur la question a elle soumise par le Collège van Beroep voor het Bedrijfsleven conformément à la décision rendue par cette juridiction le 5 mai 1972, dit pour droit :

1) La validité, au sens de l'article 177 du traité CEE, des actes pris par les institutions peut être appréciée au regard d'une disposition du droit international, lorsque cette disposition lie la Communauté et est de nature à engendrer pour ses justiciables le droit de s'en prévaloir en justice ;

2) L'article XI de l'accord général ne produisant pas un tel effet, la validité des règlements n° 459-70, 565-70 et 686-70 de la Commission (JO n° L 57, p. 20 ; n° L 69, p. 33 ; n° L 84, p. 21) ne saurait être affectée par cette disposition.