CA Paris, 1re ch. H, 24 mai 2005, n° ECOC0500103X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Imagin (SARL), Est Imprimerie (SA), Imprimerie Michel (SAS), Imprimerie Technodim (SA), Imprimerie du Fort Moselle (SAS), Imprimerie Marchal (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Maunand, Mme Mouillard
Avoué :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocat :
Me Adam
Au début de l'année 2002, le préfet du département de la Moselle a lancé une procédure simplifiée d'appel d'offres pour l'impression de 27,7 millions de bulletins de vote en vue de l'élection présidentielle des 21 avril et 5 mai 2002.
Huit offres ont été déposées et leur examen a permis de constater que quatre d'entre elles étaient identiques (Imprimerie Michel, Tecnodim, Imprimerie de Fort Moselle et Est Imprimerie), une quasiment identique aux précédentes à un euro près (Imprimerie Marchal), une autre très proche des cinq premières (Imprimerie Koehl), une plus basse de moitié (Imprimerie nationale) et une plus élevée (Imprimerie Pierron).
Le 28 mars 2002, le préfet du département de la Moselle a avisé l'Imprimerie nationale et la société Est Imprimerie qu'elles étaient attributaires des deux lots du marché d'impression et de livraison des bulletins de vote.
A la suite d'une enquête diligentée par la brigade interrégionale de Metz, le ministre chargé de l'Economie a, par lettre du 30 septembre 2002, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'il estime anticoncurrentielles mises en œuvre dans le département de la Moselle par cinq entreprises d'imprimerie et la Chambre syndicale de l'imprimerie de la Moselle.
Par décision du 27 juillet 2004, la présidente du Conseil de la concurrence a décidé que l'affaire serait jugée sans l'établissement préalable d'un rapport en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce.
Par décision n° 04-D-78 du 22 décembre 2004, le Conseil de la concurrence a infligé aux sociétés imprimerie Michel, Tecnodim, imprimerie de Fort-Moselle, Est imprimerie, à la société Imagin, qui les contrôle, et à la société Marchal des sanctions pécuniaires pour avoir mis en œuvre une entente prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion du marché public passé par la préfecture de la Moselle en vue de l'impression des bulletins de vote pour l'élection présidentielle de 2002, à raison de :
12 500 euro pour la société Imagin ;
126 300 euro pour la société Est imprimerie ;
22 500 euro pour la société Tecnodim ;
27 800 euro pour la société imprimerie du Fort-Moselle ;
13 200 euro pour la société imprimerie Michel ;
57 800 euro pour la société imprimerie Marchal.
LA COUR,
Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation formé à l'encontre de cette décision le 27 janvier 2005 par les sociétés Imagin, imprimerie Michel, Tecnodim, imprimerie de Fort-Moselle, Est imprimerie et imprimerie Marchal ;
Vu le mémoire contenant exposé complet de leurs moyens déposé le 28 février 2005 et le mémoire en réplique déposé le 4 avril 2005 aux termes desquels les requérantes demandent à la cour de réformer intégralement la décision entreprise et statuant à nouveau, à titre principal, de dire et juger que les conditions caractérisant une entente prohibée ne sont pas réunies au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce et, à titre subsidiaire, de réduire les sanctions pécuniaires prononcées dans une très large mesure ;
Vu la lettre du Conseil de la concurrence du 18 mars 2005 informant la cour qu'il n'entendait pas user de la faculté de présenter des observations écrites ;
Vu les observations écrites déposées le 21 mars 2005 par le ministre chargé de l'Economie tendant au rejet des recours ;
Après avoir, à l'audience publique du 12 avril 2005, entendu le conseil des requérantes ;
Ouï en leurs observations orales le ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, ce dernier concluant au rejet des recours ;
Les requérantes ayant eu la parole en dernier ;
Sur ce :
Considérant qu'en vertu de l'article L. 420-1 du Code de commerce sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
Considérant que les requérantes reconnaissent avoir échangé des informations sur les prix qu'elles entendaient pratiquer dans le cadre de leur participation à l'appel d'offres organisé par le préfet de la Moselle et avoir procédé à un alignement de leurs offres avant de les déposer auprès de la préfecture, mais contestent que leur comportement ait eu pour objet de porter atteinte à la concurrence ; qu'elles soutiennent, en effet, qu'elles ont participé à l'appel d'offres non dans le but d'obtenir le marché, mais afin de protester contre la présence de l'Imprimerie nationale qui pratiquait, selon elles, des prix abusivement bas et en dessous de ses coûts ; que les requérantes font tout d'abord valoir que la majorité des imprimeurs, qui avaient été consultés par la préfecture au début de l'année 2002 et qui avaient procédé à une première estimation des prix, sensiblement équivalents, sur la base des tarifs fixés en 1995, suivant arrêté préfectoral pris après avis de la commission départementale prévue par l'article R. 39 du Code électoral, et actualisés en fonction de l'évolution de leurs coûts, ont renoncé à soumettre une offre ; que les requérantes font observer que, si entente il y a, cette dernière a été organisée par les pouvoirs publics ; qu'elles exposent, enfin, que les quatre imprimeries du groupe Imagin n'ont jamais cherché à dissimuler à la préfecture les liens qui les unissent et que la transparence de leur démarche ne permet pas de considérer celle-ci comme anticoncurrentielle alors qu'elles ont déposé quatre offres identiques, que deux d'entre elles étaient signées par la même personne et que M. Peltier, qui avait siégé à la commission départementale prévue par l'article R. 39 du Code électoral, s'était présenté comme étant le responsable des quatre filiales de la société Imagin ;
Mais considérant que la pratique relevée à l'encontre des requérantes dans le cadre de la passation d'un marché public soumis à une procédure d'appel d'offres ayant consisté à échanger des informations sur les prix qu'elles envisageaient de proposer et à coordonner leurs offres après une concertation préalable avait, en elle-même, un objet anticoncurrentiel dès lors qu'elle conduisait nécessairement à une restriction de la concurrence, peu important à cet égard que l'intention des requérantes fût de protester contre la présence de l'Imprimerie nationale dont elles contestaient les prix proposés au regard notamment de ses coûts réels de fonctionnement ;
Qu'en particulier les quatre sociétés du groupe Imagin ne peuvent valablement se prévaloir du caractère prétendument transparent de leur démarche et de leur bonne foi alors que, en déposant des offres séparées, elles ont manifesté leur autonomie commerciale et ont choisi de se présenter, dans le cadre de l'appel d'offres, comme des entreprises concurrentes ; qu'elles devaient, par conséquent, respecter les règles de la concurrence auxquelles elles s'étaient soumises et s'interdire de présenter des offres dont l'indépendance n'était qu'apparente ; que la connaissance des liens unissant ces sociétés, que pouvaient avoir les services de la préfecture, est inopérante au regard des développements qui précèdent ;
Que les requérantes ne peuvent pas davantage soutenir que l'alignement des prix était induit par les modalités de passation du marché dès lors qu'elles ont fait le choix d'ignorer les nouvelles conditions qui avaient été mises en place pour l'élection présidentielle de 2002 et qui avaient pour objet de soumettre à la concurrence le marché afférent à l'impression des bulletins de vote et de mettre fin au système qui prévalait jusqu'alors de fixation des prix par arrêté préfectoral après négociation entre les représentants de la profession et les services de la préfecture ;
Qu'il résulte de ce qui précède que, comme l'a justement relevé le Conseil de la concurrence, la preuve d'une entente anticoncurrentielle entre les sociétés requérantes, au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, est établie en l'espèce ;
Qu'il s'ensuit que les développements des requérantes sur l'absence alléguée d'effet de la pratique incriminée sur le jeu normal de la concurrence sont inopérants ;
Qu'en toute hypothèse, la cour relève que c'est vainement que les requérantes soutiennent que la pratique incriminée n'aurait pas eu pour effet de fausser le jeu normal de la concurrence au motif qu'elles n'ont aucune position dominante sur le marché et ne représentent qu'une faible proportion de l'offre dans le domaine de l'imprimerie ; qu'en effet, l'entente incriminée a eu pour résultat avéré de restreindre de manière sensible le jeu de la concurrence sur le marché en cause dès lors que la concertation litigieuse a, de fait, conduit à restreindre le choix de la préfecture de la Moselle entre la proposition de l'Imprimerie nationale et celles des requérantes, qu'une des sociétés mises en cause, la société Est imprimerie, a été attributaire d'un des lots soumis à la procédure simplifiée d'appel d'offres et que les prix proposés par les sociétés requérantes ne correspondaient pas à l'état du marché, mais aux prix plafonds qui avaient été négociés et établis par arrêté préfectoral en 1995 dans le cadre du remboursement des frais engagés par les candidats ; que c'est également en vain que les requérantes font valoir que la pratique incriminée ne pouvait avoir pour effet de faire attribuer le marché à l'une d'entre elles au motif que le niveau de prix de l'offre de l'Imprimerie nationale faisait d'elle le gagnant nécessaire et que la similitude de leurs offres ne pouvait pas induire l'idée d'une réelle concurrence alors que la société Est Imprimerie a été attributaire d'une partie du marché ; que les requérantes ne peuvent pas, par ailleurs, valablement prétendre que la pratique litigieuse n'aurait eu aucun effet sur les prix au motif que leur offre n'était pas concurrentielle par rapport à celle de l'Imprimerie nationale et ne pouvait affecter un marché qui avait vocation à être attribué à cette dernière et que les prix auxquels elles avaient soumissionné se situaient dans la moyenne de ceux normalement proposés alors que leur pratique a eu pour effet de faire échec à la procédure de mise en concurrence organisée par la préfecture de la Moselle en maintenant des prix qui ne résultaient pas d'une confrontation concurrentielle, mais du système administré auquel avait voulu mettre fin la préfecture ; que c'est tout aussi en vain que les requérantes soutiennent que le prix proposé tiendrait compte des contraintes spécifiques du marché au motif que le taux de marge de 20 % retenu par le rapporteur est arbitraire et ne répond à aucune exigence du droit de la concurrence alors que les sociétés mises en cause ont retenu un taux de 56 % et non de 20 % comme habituellement pratiqué dans l'imprimerie comme cela ressort de l'audition de M. Peltier du 7 mai 2002, qu'aucun élément ne justifie le taux élevé pratiqué par les requérantes au regard des prix pratiqués dans d'autres départements, notamment dans celui du Bas-Rhin, et que le prix moyen issu de la consultation de janvier 2002 n'est pas opérant et ne saurait constituer un prix de référence dès lors qu'il procédait d'une actualisation du prix négocié en 1995 et non d'une adéquation avec l'état du marché ; que, dès lors, la pratique mise en œuvre par les requérantes a eu pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ;
Qu'il résulte de ce qui précède que le Conseil de la concurrence a, sans encourir les griefs allégués par les sociétés requérantes, exactement décidé que ces dernières avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Considérant qu'en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce, les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération des pratiques prohibées ;
Qu'en ce qui concerne la gravité des pratiques, le Conseil de la concurrence a justement relevé qu'elles ont eu pour objet et pour effet de faire échec au déroulement normal de la procédure d'appel d'offres organisée en vue d'une mise en concurrence des entreprises chargées de l'impression des bulletins de vote pour l'élection présidentielle des 21 avril et 5 mai 2002 dans le département de la Moselle et, partant, de tromper la collectivité publique quant à la réalité et l'intensité de la concurrence sur le marché ; que la gravité des pratiques procède également de leur ampleur dès lors que sur les huit entreprises soumissionnaires, cinq d'entre elles, qui étaient en mesure d'exécuter rapidement la prestation demandée, s'étaient concertées pour présenter des offres de prix identiques, ce qui a réduit la capacité de choix de la préfecture et l'a contrainte à faire le choix d'un des participants à l'entente ;
Que c'est vainement que les requérantes contestent l'importance du dommage causé à l'économie dès lors que la concertation litigieuse a entraîné des surcoûts à la charge de la préfecture de la Moselle, au regard notamment du taux de marge qui a été appliqué et qui est bien supérieur à celui habituellement pratiqué dans l'imprimerie, sans que les requérantes puissent se prévaloir utilement des prix administrés sur la base desquels s'était opérée la consultation de janvier 2002 et auxquels la procédure d'appel d'offres devait mettre fin ;
Que, dès lors, c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le Conseil de la concurrence, faisant une juste application du principe de proportionnalité, a prononcé les sanctions pécuniaires susmentionnées, lesquelles ne sont pas davantage querellées par les requérantes dont la situation a été respectivement examinée et qui ne peuvent se prévaloir utilement de l'absence de poursuite antérieure ;
Que le recours formé par les sociétés Imagin, imprimerie Michel, Tecnodim, imprimerie de Fort Moselle, Est imprimerie et imprimerie Marchal sera, par conséquent, rejeté,
Par ces motifs : Rejette le recours formé par les sociétés Imagin, imprimerie Michel, Tecnodim, imprimerie de Fort Moselle, Est imprimerie et imprimerie Marchal ; Condamne les sociétés Imagin, imprimerie Michel, Tecnodim, imprimerie de Fort Moselle, Est imprimerie et imprimerie Marchal aux dépens.
(*) Décision n° 04-D-78 du Conseil de la concurrence en date du 22 décembre 2004 parue dans le BOCCRF n° 3 du 31 mars 2005