Conseil Conc., 21 septembre 2005, n° 05-D-51
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
décision
Pratiques mises en œuvre dans le cadre d'un marché de travaux pour la construction d'un hémicycle et de bureaux pour le Parlement Européen de Strasbourg (lot plâtrerie, isolation, cloisons)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibérée sur le rapport oral de Mme Vendrolini par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, Mme Perrot, vice-Présidente, M. Flichy, membre.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu la lettre du 29 février 1996, enregistrée sous le numéro F 855-2, par laquelle le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre lors d'un marché de travaux de construction d'un hémicycle et de bureaux pour le Parlement européen, pour le sous-ensemble plâtrerie, isolation et cloisons ; Vu la décision du 15 décembre 2003 procédant à la disjonction de la saisine concernant le marché de travaux de gros œuvre (F 855-1) qui a fait l'objet de la décision du Conseil de la concurrence n° 03-D-63 du 19 décembre 2003, de celle relative au marché concernant les travaux de plâtrerie-cloisons (F 855-2) ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; Vu les observations présentées par les sociétés Somoclest, Sort et Chasle, Stenger, Soe Stuc et Staff, CCB Dufaylite, Lassince et Fils, DBS, Salvatore SARL et Cilia SAS, Marwo et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés Cilia Salvatore SARL et Cilia SAS, SAS Somoclest, Soe Stuc et Staff, Lassince et Fils, Marwo, CCB Dufaylite, entendus lors de la séance du 20 juillet 2005, les sociétés DBS SA et Sort et Chasle ainsi que Maître Thoux mandataire liquidateur, représentant la société Stenger ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LES MARCHES CONCERNES ET LES ENTREPRISES
1. L'APPEL D'OFFRES DU 11 MARS 1994
1. Dans le cadre de la construction d'un hémicycle et de bureaux pour le Parlement européen de Strasbourg (dénommé marché " IPE IV "), la société d'aménagement et d'équipement de la région de Strasbourg (ci-après dénommée " la SERS "), en sa qualité de concessionnaire de la ville de Strasbourg et de maître d'ouvrage, a lancé, le 11 mars 1994, un appel d'offres restreint.
2. Cet appel d'offres portait sur les travaux de " plâtrerie, isolation et cloisons ", constituant le sous-ensemble 2.1, divisé en quatre lots, numérotés de 2.11 à 2.14 :
* 2.11 : lot principal, Cloisons isolation plâtrerie (Etablissement Recevant du Public) ;
* 2.12 : lot accessoire, enduits spéciaux (ERP) ;
* 2.13 : lot accessoire, Cloisons isolation plâtrerie IGH (Immeuble Grande Hauteur) ;
* 2.14 : lot accessoire, enduits spéciaux (IGH).
3. Le marché était organisé selon une procédure dite " combinée ", l'entreprise attributaire du lot principal 2.11 (entreprise pilote) devant assurer la coordination de l'ensemble des travaux des lots accessoires. Cette procédure permet au maître d'ouvrage, après consultation portant à la fois sur le lot principal et sur les lots accessoires de combiner les meilleures offres. La liste des co-traitants proposés par chaque entreprise pilote peut en effet être modifiée, après remise de l'offre, sous réserve de l'accord de l'entreprise pilote, à la demande du maître d'ouvrage.
4. L'avis d'appel à candidatures a été publié le 11 mars 1994 dans " Le Moniteur ". Les entreprises retenues devaient initialement remettre leurs offres le 23 septembre 1994, mais le 19 septembre, la SERS informait les entreprises concernées que la date limite de réponse était reportée au 6 octobre 1994.
5. Le nombre des offreurs a été faible. Trois entités, la première composée d'un groupement entre la société d'exploitation de l'entreprise Cilia (ci-après dénommée société Cilia ou SA Cilia), les sociétés Marwo, Stenger, Isotral et Pierrot, la deuxième composée du groupement entre les sociétés CCB Dufaylite et Stenger, la troisième étant l'entreprise Sort et Chasle (ci-après dénommée Sort), ont remis une offre pour la totalité des lots du sousensemble 2.1. Deux sociétés, l'une Somoclest, l'autre Soe Stuc et Staff (ci-après dénommée Soe) ont fait des offres pour deux ou trois lots ( cf. tableau n°1).
6. L'estimation des concepteurs pour ce sous-ensemble s'élevait à 20 091 554 FRF HT.
<emplacement tableau>
7. La société DBS n'a pas remis d'offres, de même que les sociétés CCB Dufaylite et Trouvé, alors que ces dernières avaient reçu l'agrément de la SERS.
8. S'agissant de la société Stenger, il est précisé dans le rapport d'analyse des offres du mois d'octobre 1994 :
* lots 2.11 et 2.13 : " L'entreprise Stenger se trouve dans deux groupements [CCB Dufaylite et Cilia]. Cependant, il est à noter que :
- l'entreprise Stenger n'apparaît plus dans l'offre dont Cilia est le mandataire,
- l'entreprise Stenger apparaît dans l'offre dont CCB Dufaylite est le mandataire, mais aucune des pièces de l'offre n'est signée par l'entreprise Stenger ".
* Lots 2.12 et 2.14 : " L'entreprise Stenger se trouve dans deux groupements ".
9. Dans les offres remises à la SERS, les feuillets " Décomposition du prix global et forfaitaire " du groupement Cilia sont revêtus des tampons de l'ensemble des entreprises du groupement, exception faite de la société Stenger.
10. Interrogé à ce sujet, le gérant de la société Stenger, M. Pierre X, a indiqué dans un courrier adressé à la DNEC, le 7 août 1995 : " En tant que gérant de la société Stenger, j'ai uniquement soumissionné à l'appel d'offres de 1994 pour les enduits spéciaux 2.12 et 2.14 par le Groupement Cilia et par le Groupement Dufaylite. La société Stenger était la seule entreprise ayant la qualification adéquate. Mon offre n'a pas eu de suite, puisque ce lot a été transformé en enduit normal et que ma qualification n'avait plus lieu d'être ". Dans un procès-verbal de déclaration, il a ajouté : " Je souligne que je n'ai signé aucun acte d'engagement pour le lot " Plâtre-Cloisons, IP IV", ni pour le premier appel d'offres, ni pour le second ".
11. Au plan technique, dans la publicité de l'avis d'appel de candidatures parue le 11 mars 1994 dans " Le Moniteur ", il était, en effet, mentionné :
" Lot 2.12 : Enduits spéciaux ERP :
7 000 m2 d'enduit décoratifs, plus patine de finition (...).
Lot 2.14 : Enduits spéciaux IGH :
2 000 m2 d'enduit décoratif, plus patine de finition ".
Toutefois, dans les dossiers de la SERS remis aux entreprises, au mois de juillet 1994, en vue de la proposition de prix, les enduits spéciaux avaient été remplacés par des enduits ordinaires.
Par ailleurs, il s'avère que les métrés sont en forte diminution par rapport aux premiers chiffres annoncés (486 m2 au lieu des 9 000 m2 annoncés initialement).
12. La commission d'ouverture des plis, qui s'est réunie le 7 octobre 1994, a constaté que les offres présentées par les groupements Cilia et CCB Dufaylite et la société Sort se situaient à un niveau nettement supérieur à l'estimation du maître d'œuvre (offres cinq à six fois plus élevées).
L'appel d'offres a, par conséquent, été déclaré infructueux par le maître d'ouvrage, conformément à l'avis unanime de la commission compétente.
2. L'APPEL D'OFFRES DU 2 DÉCEMBRE 1994
13. Le 2 décembre 1994, la SERS a lancé un second appel à la concurrence sous forme ouverte, avec un nouveau découpage des lots. La date limite de remise des offres, fixée initialement au 17 janvier 1995, a été reportée au 16 février 1995. L'ouverture des plis a eu lieu le 17 février 1995.
14. La SERS a reçu des offres d'entreprises qui ne s'étaient pas manifestées lors du premier appel d'offres (tableau n°2). Les entreprises ayant fait des propositions lors du premier appel d'offres ont été présentes au second appel d'offres, exception faite de la société Soe. La société DBS a, cette fois, fait des propositions.
15. Dans le rapport d'analyse des offres, il est indiqué que la société Stenger figure dans le groupement Cilia pour l'ensemble des lots (2.11, 2.12, 2.13, 2.14) :
" Entreprises et groupements ayant remis une offre :
" - CILIA-ISOTRAL-MARWO-PIERROT-STENGER ".
Toutefois, les feuillets " Décomposition du prix global et forfaitaire " du groupement Cilia sont revêtus des tampons de l'ensemble des entreprises du groupement, exception faite de celui de la société Stenger. M. X, gérant de la société Stenger a précisé dans un courrier envoyé à la DNEC, le 7 août 1995 : " Pour ce qui concerne l'appel d'offres de 1995, la société Stenger n'a pas soumissionné directement, ni indirectement, par l'intermédiaire d'une autre entreprise ou d'un groupement. Il est ainsi clair que le seul intérêt de la société Stenger eut été de réaliser le marché enduits spéciaux qu'elle n'a pas obtenu en 1994 et auquel elle n'a pas soumissionné en 1995 ". Le Président de la société Cilia a expliqué, quant au rôle de M. X : " M. Pierre X n'était plus dans le Groupement en raison de la disparition des prestations : enduits spéciaux, mais il est resté toujours présent. Ainsi, il était l'interface entre le groupement Cilia et la SERS (...). M. X... est toujours resté dans le Groupement sachant que son fils (dirigeant d'Isotral, société membre du groupement Cilia) était lui toujours présent. M. X Pierre a donc toujours joué un rôle dans ledit groupement (second appel d'offres) ".
16. LES RÉSULTATS DE L'APPEL D'OFFRES DU 2 DÉCEMBRE 1994 (EN FRANCS)
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Les offres faites par la société Jacqmin étant les moins élevées après un recalage significatif opéré par le maître d'œuvre, l'ensemble du marché " Plâterie-Cloisons- Isolation " lui a été attribué le 31 mars 1995, pour un montant total de 39 716 172 FRF. L'estimation du maître d'œuvre s'élevait à 39 124 314 FRF.
17. En ce qui concerne ce recalage, il était indiqué dans le rapport d'analyse des offres du mois de mars 1995 : " Lors de l'analyse des offres, il s'est avéré que l'entreprise Jacqmin a établi son offre sur la base des quantités de la DPGF du premier appel d'offres 2.1. La maîtrise d'œuvre a recalé l'offre de la société Jacqmin sur la base des quantités de la DPGF de la reconsultation avec les prix unitaires annoncés par l'entreprise. D'ailleurs, celle-ci a confirmé qu'elle maintenait ses prix unitaires, en vue du recadrage de son offre. Le montant de son offre s'élève donc à 5 023 346 FRF HT ".
18. Les prix de la société Jacqmin se situent à un niveau nettement inférieur à ceux proposés par les groupements et sociétés Cilia, DBS, Sort, Lassince et Fils, CCB Dufaylite et Somoclest.
B. LES PRATIQUES CONSTATEES
19. En application des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 450-4 du Code de commerce, des visites et des saisies ont été effectuées, le 29 mars 1995, dans les locaux des entreprises Société d'exploitation de l'entreprise Cilia, Stenger, CCB Dufaylite, Somoclest, Bove, Sort, Soe et Isotral. Des enquêtes complémentaires ont, ultérieurement, été réalisées sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 450-3 du Code de commerce, auprès des entreprises mentionnées ci-dessus mais également auprès des sociétés DBS, Baffy, Lassince et auprès de la SERS.
1. LES ÉCHANGES D'INFORMATIONS LORS DE L'APPEL D'OFFRES DU 11 MARS 1994
20. L'instruction a révélé des échanges d'informations sur les prix entre les entreprises soumissionnaires, avant la date de remise des offres coordonnées par la société Stenger.
a) Les documents communs datés du 9 septembre 1994
21. Lors de la visite effectuée, le 29 mars 1995, dans les locaux des entreprises Cilia, Somoclest et Stenger, plusieurs documents communs datés du 9 septembre 1994 et intitulés " Décompte du prix global et forfaitaire " " 1ère étude " ont été recueillis. Il résulte des déclarations du président de la société Cilia que ces documents sont des études de prix élaborées pour chacun des lots par la société Cilia. Ils ont été communiqués à la société Stenger, qui les a transmis à la société Somoclest par télécopie, le 13 septembre 1994 et lors d'une réunion qui s'est tenue le 15 septembre 1994 dans les locaux de la société Stenger. La télécopie du 13 septembre 1994, envoyée par la société Stenger à la société Somoclest était accompagnée d'un bordereau d'envoi portant la mention : " (...) Concerne : Parlement Européen (...). Comme promis, nous vous transmettons notre 1ère étude sur l'affaire précitée (...). PJ : lot 2.11 : 7 pages ; lot 2.12 : 2 pages ; lot 2.13 : 2 pages ; lot 2.14 : 4 pages ".
22. Les dirigeants de la société Cilia ont déclaré à ce sujet : " Le fait que l'on puisse retrouver les documents [1ère étude, établis par Cilia] dans une autre entreprise que celle du groupement Cilia peut s'expliquer de la manière suivante : c'est vraisemblablement à la suite de la réunion du 15 septembre 1994 que Somoclest s'est trouvé en possession des documents précités ".
23. Un second exemplaire du document " Décompte du prix global et forfaitaire " " 1ère étude " comportant la mention " 2ème étude ", a été saisi dans les locaux de la société Cilia. Les prix ont été surchargés à l'encre verte. La photocopie de ces documents a été communiquée à la société Stenger. Les prix ajoutés par la société Cilia figurent en bleu sur les pièces " 1ère étude " détenues par la société Somoclest. Le gérant de la société Stenger, M. Pierre X a précisé concernant ces documents " 2ème étude " : " Les prix ajoutés (...) ont été transmis par Somoclest à Cilia, laquelle entreprise me les a communiqués par la suite ".
b) Les tableaux comparatifs de prix établis par la société Stenger
24. Des tableaux comparatifs de prix unitaires concernant les quatre lots du marché IPE IV, proposés par plusieurs offreurs concurrents (sociétés Cilia, CCB Dufaylite, Somoclest, DBS, Soe, Sort) ont été saisis dans les locaux de l'entreprise Stenger, au cours de la visite effectuée le 29 mars 1995.
25. Dans un procès-verbal d'audition du 5 juillet 1995, le gérant de la société Stenger, M. Pierre X, a reconnu avoir établi ces tableaux à la suite de la communication desdits prix par ces entreprises et ce, avant la date de remise des soumissions : " Les tableaux comparatifs de prix (...) ont tous été élaborés par moi. (...) Concernant les tableaux où figurent des prix (...) Cilia, Dufaylite, Somoclest, DBS, Soe, Sort et Chasle, les prix mentionnés sont des prix qui m'ont été donnés par les différents offreurs préalablement à la remise des plis par les offreurs précités. DBS m'a donné les prix qu'il aurait pratiqués s'il avait fait une offre (...). La communication desdits prix s'est effectuée au cours du mois de septembre 1994, avant le 29-09-1994 ".
26. Les dirigeants des entreprises Sort, Soe, DBS et CCB Dufaylite ont assuré n'avoir transmis aucune information de prix à M. X . Toutefois, des mentions figurant sur le cahier des appels téléphoniques reçus par la société Stenger permettent de présumer l'existence de relations entre les différents protagonistes, antérieurement au dépôt des offres :
- la société DBS : le cahier des appels téléphoniques porte la mention suivante à la date du 16 septembre 1994 : " DBS (M. K ), le prix cloisonnement sera communiqué lundi matin " ;
- la société Soe : il est mentionné à la date du 4 octobre 1994 : " Rappeler Soe Mme Y (IPE IV) ", Mme Y étant la secrétaire de la société ;
- la société Sort : à la date du 20 septembre 1994, il est écrit : " Sort et Chasle M. Z ou M. A étude IPE IV ". M. Z est le président directeur général de la société Sort et M. A est chargé de l'élaboration des devis. M. X a précisé à ce sujet : " La mention (...) à la date du 20-09-1994 " Sort et Chasle...Etude IPE IV " peut avoir une relation de (lire avec) la communication de prix de la part de Sort et Chasle (vers la SARL Stenger) ".
c) La tenue d'une réunion le 15 septembre 1994
27. Le 15 septembre 1994, une réunion s'est tenue dans les locaux de la société Stenger, concernant l'exécution de l'ensemble immobilier concerné. Etaient présents des représentants de la société Lafarge, M. Pierre X (société Stenger), M. Philippe X (société Isotral), M. B (société Cilia), M. C (société Marwo), M. D (société Pierrot SA) et M. E (société Somoclest).
d) Les tableaux de prix transmis par la société Stenger le 29 septembre 1994
28. Dans les locaux de la société Stenger, ont été saisis trois tableaux détaillés par lot comportant des prix unitaires et des totaux par prestation, sur lesquels figure la mention " prix à mettre dans votre offre " " Fax ok 29/9/94 bien réceptionné " et le nom de l'entreprise destinataire : Soe, CCB Dufaylite et Somoclest. L'enquête a révélé que les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest étaient détentrices des télécopies envoyées par la société Stenger. Toutefois, aucun document n'a été retrouvé dans les locaux de la société Soe. Les prix transmis à la société CCB Dufaylite sont, pour chacun des lots, supérieurs aux offres du groupement Cilia mais inférieurs aux prix communiqués aux deux autres sociétés. Sur le document destiné à la société Somoclest, les prix des lots 2.13 et 2.12 sont inférieurs à ceux destinés à la société Soe et inversement pour les deux autres lots.
29. Lors de l'enquête, le gérant de la société Stenger, M. Pierre X n'a pas contesté l'envoi de ces documents et a justifié, au cours d'une audition du 5 juillet 1995 : " Somoclest et Dufaylite nous ont demandé les prix pour les lots 2.12 et 2.14 (...). Si Somoclest avait eu les lots 2.12 et 2.14, c'est la SARL Stenger qui aurait fait le travail (...). Pour le lot 2.13 et concernant Somoclest (...) la SARL Stenger a transmis des prix à pratiquer, ces prix avaient été calculés par Cilia ".
30. Le dirigeant de la société Somoclest, M. E, a confirmé les déclarations de M. X dans un procès-verbal du 26 juin 1995 : " Pour le premier appel d'offres et pour la partie 2.14, Somoclest a demandé une offre de prix à Stenger sachant qu'en tout état de cause, Somoclest n'aurait pas réalisé ce travail, c'est l'entreprise Stenger qui l'aurait fait (...). Pour le lot 2.12, la démarche a été identique. Ceci conduisant donc Somoclest à proposer des prix établis par Stenger (...). Pour le lot 2.13...un premier document s'inspirant du fax Stenger a été rédigé chez Somoclest mais n'a pas été envoyé à la SERS (...). J'ai considéré que c'était une magouille, les prix qu'on me proposait étaient surévalués ".
31. De même, le chef de secteur de la société CCB Dufaylite (agence de Wasselonne) a indiqué lors de son audition le 6 juillet 1995 : " Pour le Parlement européen et pour le premier appel d'offres (celui de 1994), CCB Dufaylite n'avait pas la qualification pour répondre à l'ensemble du lot 2.1 : pas de qualification enduits spéciaux, d'où l'association avec M. X .On avait demandé à M. X de faire partie de notre groupement. M. X nous a communiqué par fax les prix des lots 2.12 et 2.14, à ma demande. Avant la remise des offres, j'ignorais que M. X était partie prenante dans un autre groupement ".
32. Cette déclaration n'est toutefois pas confirmée par le directeur général de la société CCB Dufaylite, M. F (siège social) qui a déclaré, le 28 juillet 1995 : " Nous avons su, avant la remise de notre première offre, que Stenger était partie prenante dans un groupement où se trouvaient, Cilia, Marwo, Pierrot (...)". S'agissant de la société CCB Dufaylite, M. Pierre X a précisé lors d'une audition, le 18 août 1995 : " Pour le premier appel d'offres (...) Dufaylite savait que ma société ne travaille que sur les enduits spéciaux. Pour les lots 2.12. à 2.14, 1er appel d'offres, les enduits spéciaux ont été transformés en enduits simples. La SARL Stenger n'aurait pas fait ces enduits simples. Donc, c'est Cilia qui a calculé tous les prix, 2.11 à 2.14, premier appel d'offres. En conséquence, Dufaylite, à la réception de mon fax du 29-09-1994, ne peut ignorer que la SARL Stenger n'a eu aucun rôle dans l'élaboration des prix pour les lots 2.11 à 2.14 ". En ce qui concerne cette dernière déclaration, il convient d'ajouter que M. X avait affirmé : " L'ensemble des prix figurant dans les fax envoyés par la SARL Stenger à Soe, Somoclest et Dufaylite a été calculé par Cilia ".
33. La société Soe, agréée pour les lots 2.12 et 2.14, a pour ces lots repris dans ses offres les prix transmis par la société Stenger le 29 septembre 1994. D'ailleurs, le président directeur général de la société Soe n'a pas pu produire de devis concernant les prestations relatives au marché du Parlement européen : " Je ne dispose pas de devis établis avec des prestations identiques ou similaires à celles figurant dans les offres 2.12 et 2.14 du Parlement de Strasbourg ".
34. La société Somoclest a fait de même pour les lots 2.12 et 2.14 et a appliqué un coefficient à la baisse pour le lot 2.13 (entre 86,46 et 86,78 %).
35. Les prix de soumission de la société CCB Dufaylite sont inférieurs à ceux figurant sur le fax transmis par M. X, pour le lot 2.13, et supérieurs pour le lot 2.11. Pour les lots 2.12 et 2.14, la société a repris les prix figurant sur le document transmis par la société Stenger.
36. Les prix offerts par la société Sort, qui n'a pas été destinataire de la télécopie du 29 septembre 1994, sont différents de ceux du groupement Cilia, pour l'ensemble des lots.
37. Enfin, la société DBS n'a pas soumissionné.
38. Dans le rapport d'analyse des offres du mois d'octobre 1994, il est indiqué que les prix unitaires proposés par les offreurs " sont anormalement élevés et sans aucun élément justifiant ce prix ". A l'inverse, les offreurs considèrent que les prix proposés sont corrects. Le directeur administratif et financier et le responsable de corps d'état secondaire de la SERS ont indiqué : " D'octobre à décembre 1994, deux réunions informelles ont eu lieu entre M. X, d'autres membres du groupement Cilia, l'économiste de la SERS, ASE présenté par la SERS représentée, elle par M. G, pour tenter d'analyser la différence entre les offres et l'estimation. Suite à ces réunions, l'architecte a fait son mea culpa, l'estimation initiale présentée s'avérant trop faible. La différence entre l'évaluation et les offres (pour le premier appel d'offres Plâtre) est due à plusieurs facteurs : - chiffrage de la part des offreurs de travaux non nécessaires, la maîtrise d'œuvre n'avait pas donné suffisamment de détails sur ce point ; - les produits Placoplâtre préconisés dans le premier appel d'offres conduisaient à un surcoût de 15 millions de francs en raison de l'impossibilité d'utiliser des matériaux similaires ; - l'exigence reconnue de l'architecte (...) quant à la qualité des travaux ; - la mauvaise prise en compte des frais de chantier ".
39. Le maître d'œuvre a considéré que l'estimation initiale pouvait être augmentée de 12 270 298 FRF HT.
2. LES ÉCHANGES D'INFORMATIONS ET LA RÉPARTITION DES LOTS ENTRE LES ENTREPRISES LORS DE L'APPEL D'OFFRES DU 2 DÉCEMBRE 1994
40. Lors du second appel d'offres, l'enquête a, une nouvelle fois, révélé l'existence d'échanges d'informations sur les prix entre la quasi-totalité des sociétés soumissionnaires, avant la date limite de remise des offres, la société Stenger, par les agissements de son gérant, jouant là encore le rôle de coordinateur. En outre, certaines sociétés se sont réparti les lots entre elles.
a) Les documents DPGF et ceux intitulés " Dernier devis "
41. Des documents intitulés " Décomposition du prix global et forfaitaire ", comportant des prix barrés et non barrés relatifs aux quatre lots ont été saisis dans les locaux de la société Cilia. La société Somoclest était également détentrice de documents appelés " DPGF ", datés du 21 décembre 1994 et mentionnant " ent. Cilia ". Les prix inscrits correspondent à quelques exceptions près aux prix des " DPFG " saisis dans l'entreprise Cilia, pour les lots 2.11, 2.12, 2.13 et 2.14. Concernant le lot 2.11, les sociétés Stenger et CCB Dufaylite étaient pareillement en possession des documents " DPGF " saisis dans les locaux de la société Cilia. De même, des documents identiques, concernant les lots 2.12, 2.13 et 2.14, et portant la mention " Derniers devis " correspondant aux offres finales de la société Cilia et élaborés par elle, ont été retrouvés dans les locaux des sociétés Cilia, CCB Dufaylite, Somoclest et Stenger.
b) Les documents de la société Stenger comportant les prix d'autres entreprises
42. Sur les documents concernant les prix de la société Cilia et détenus par M. X, des prix ont été ajoutés, ainsi que des noms d'entreprise : DBS, Sort et Lassince. M. X a reconnu avoir annoté lui-même ces documents avec des prix communiqués par les sociétés concernées, préalablement à la remise des offres : " Concernant le second appel d'offres (...) les mentions manuscrites (...) correspondent à mon écriture, les prix (...) m'ont été communiqués par M. H, de Sort et Chasle préalablement à la remise des offres (à la SERS). Pour DBS (...) le même processus s'est passé, la personne m'ayant communiqué les prix étant M. I (de DBS) (...). Les mentions manuscrites figurant (...) dans la dernière colonne droite, découlent de prix qui m'ont été communiqués par M. J préalablement à la remise des offres à la SERS (...). Les communications d'informations précitées et émanant de DBS, Sort et Chasle et Lassince ont été effectuées par voie téléphonique. (...) Je tiens à préciser (...) que les données chiffrées (...) m'ont été communiquées préalablement donc avant la remise des offres à la SERS.".
43. De plus, les prix de la société Lassince et Fils figurent aussi sur des tableaux manuscrits saisis dans les locaux de M. X, lequel a également déclaré " Les données (...) m'ont été communiquées par M. J avant remise des offres ".
44. Les prix proposés à la SERS par les sociétés DBS, Lassince et Sort correspondent, sauf exception, à ceux figurant sur les documents saisis dans les locaux de la société Stenger.
45. Les dirigeants des sociétés DBS et Sort nient toute relation avec M. X . M. Z (PDG) avait déclaré : " Nous n'avons jamais communiqué nos prix à M. X, tant avant qu'après la remise des offres (...) ". M. H (Directeur Travaux Staff) avait affirmé : " Il faut signaler (...) que quelques jours avant le 28 [février 1995], M. X m'a appelé par téléphone au sujet du Parlement européen (...) : il m'a dit qu'il ne répondait pas, qu'il voulait agir auprès de l'architecte et/ou économiste, qu'il rassemblait les éléments pour défendre la profession, qu'il voulait démontrer l'incohérence financière ainsi que l'incohérence de prescription (au sens matériaux et quantités). Au passage, il m'a demandé une copie de l'offre faite par Sort et Chasle pour le lot Plâtre-cloisons. J'ai fait une photocopie des offres Sort et Chasle (pour l'ensemble des lots 2.11 à 2.14) et je l'ai remis à M. X le 28 février [1995]".
46. M. I, directeur de la société DBS, a affirmé dans un procès-verbal du 4 août 1995 : " Je n'ai pas vu M. X au cours de l'année 1995 (...) Je n'ai eu aucun contact téléphonique avec M. X ".
47. La déclaration de M. X est contestée par M. J, qui a produit, lors de l'enquête, deux fiches de calcul de prix. Il a, en outre, déclaré : " Pour calculer les prix pour le Parlement Européen (...), nous avons pris le prix d'achat matériaux net x par un coefficient de 5 ". Le rapport d'enquête souligne, toutefois, que : " Lesdites fiches [de calcul] et tarifs fournis par le chef d'entreprise ne corroborent pas complètement les dires de ce dernier quant à l'emploi d'un coefficient de cinq par rapport aux prix d'achat des matériaux ".
48. Les mentions portées sur le cahier des appels téléphoniques de la société Stenger témoignent, toutefois, de l'existence de relations entre M. X et lesdites sociétés. Sur ce cahier, il est indiqué aux dates suivantes : le 13 décembre 1994 : " Rappeler M. K DBS Urgent " ; le 20 décembre 1994 : " Rappeler M. K DBS " ; le 21 mars 1995 : " Rappeler M. I DBS " ; le 5 décembre 1994 : " rappeler M. Z, 2ème appel " ; le 10 janvier 1995 : " M. Z Nantes A rappeler " ; le 8 février 1995 : " rappeler M. Z ".
49. En outre, l'entreprise Sort n'a produit que deux fiches de calculs pour les quatre lots, alors que son offre atteignait la somme globale d'environ 65 millions de FRF. M. Z, directeur général de la société Sort a indiqué dans un procès-verbal du 20 juillet 1995 : " Nous n'avons que deux fiches concernant les sous-détails de prix pour le second appel d'offres (...). Il faut noter qu'entre les deux appels d'offres, il n'y a que le prix des plaques qui changeait, pour l'essentiel ".
c) La fiche de l'offre globale de la société Cilia " IPE 4 " du 31 janvier 1995 et la réunion du 13 février 1995
50. Un document manuscrit, daté du 31 janvier 1995, récapitulant par lot les offres finales de la société Cilia, pour un montant total de 67 405 959 FRF, a été recueilli en version originale dans les locaux de la société Cilia et en photocopie dans les bureaux des sociétés Somoclest et CCB Dufaylite (agence de Wasselonne et siège social). Ce document a été envoyé par fax au directeur général de la société CCB Dufaylite, le mardi 14 février 1995, par l'agence de Wasselonne. Sur ces documents, en face des lots 2.11 et 2.12 est inscrite la lettre " N ", du lot 2.13, la lettre " D " et du lot 2.14, la lettre " S ".
51. Les dirigeants de la société Cilia ont déclaré : " Les annotations manuscrites, figurant cote " N, D, S " correspondent pour N : pour Nous, au sens du Groupement CILIA, pour D : DUFAYLITE et S à SOMOCLEST. Les annotations NDS ont été mentionnées après le 31 janvier 1995, mais on ne peut pas donner de date précise ".
52. Le même document a été saisi chez M. Pierre X. Toutefois, ce document n'était pas revêtu des annotations " NDS ". Cette pièce lui a été transmise, le 31 janvier 1995, en télécopie par la société Marwo, membre du groupement Cilia.
53. De nombreux éléments font référence également à la tenue d'une réunion le 13 février 1995, entre les sociétés Cilia, Stenger et CCB Dufaylite. La fiche récapitulative des offres du groupement Cilia, saisie dans les locaux de la société CCB Dufaylite (Wasselonne) porte une annotation faisant référence à une réunion le 13 février au soir : " Colas, pour info réunion du 13/02 au soir ". Par ailleurs, sur l'agenda de M. I Cilia, il est mentionné à cette date et à 17 heures " IPE Ici ". L'agenda de M. X fait également état d'une réunion à cette date à 18 heures.
54. Aucun dirigeant concerné ne reconnaît, toutefois, avoir participé à cette réunion. Les dirigeants de la société Cilia ont déclaré : " Nous ne nous souvenons pas d'une réunion qui se serait déroulée le 13 février 1995 ".
d) Les fiches manuscrites recueillies dans les locaux des sociétés Somoclest et CCB Dufaylite
55. Dans les bureaux de la société CCB Dufaylite, ont été recueillies des notes manuscrites rédigées comme suit :
- " 213 CCB relancé bon
214 trop cher.
Somoclest 213 + cher que nous ... " ;
" CCB Groupement
EST.... 17685000 26280000
OUEST 14575000... 17935000... ".
56. Les chiffres mentionnés sous " Groupement " correspondent approximativement à l'offre du groupement Cilia en 2.13 Est (26 282 973 FRF) et 2.14 Ouest (17 934 101 FRF).
57. Parmi les documents recueillis dans les locaux de la société Somoclest, figurent :
- La page 4 du DPGF du lot 2.13 pour les prestations intitulées " options " 213.1.1, 213.1.2 et 213.2.1 à 213.2.1 et 213.2.2, sur laquelle sont portées trois séries de prix : " Prix Dufaylite ", " Somoclest 10 % " et " Cilia " ;
- Une note manuscrite rédigée comme suit :
" Somoclest Dufelit(sic) Différence
Lot 2.14 12,8 MF HT 14,8 MF HT - 2 MF
(le Notre)
Lot 2.13 19,3 MF HT 18,6 MF HT + 0,7 MF
(celui de DUFELIT)
Total 32,1 MF HT 33,4 MF HT 1,3 MF HT
En cas de groupement SOMOCLEST/DUFELIT
Lot
SOMOCLEST 2.14 12,8 MF
DUFELIT 2.13 18,8 MF
Total 31,4 MF ".
58. Le directeur général de la société CCB Dufaylite, M. F, avait déclaré lors d'une audition : " Il n'a jamais été envisagé de faire un groupement pour le second appel d'offres, avec Somoclest ". Ces déclarations ont été confirmées par M. L, chef de secteur à la société CCB Dufaylite : " Il n'a jamais été envisagé de faire un groupement avec Somoclest. Je n'ai pas d'explications...sur le document Somoclest : lot 2.14, le notre, lot 2.13, celui de Dufaylite ".
59. Les documents décrits ci-dessus laissent présumer que les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest envisageaient une répartition des lots entre elles, le lot 2.13 allant à la société CCB Dufaylite, le lot 2.14 étant destiné à la société Somoclest, confirmant ainsi les indications portées sur la fiche récapitulative de l'offre globale du groupement Cilia du 31 janvier 1995. Conformément aux mentions portées sur cette fiche, les deux autres lots du sous-ensemble 2.1 (les lots 2.11 et 2.12) étaient réservés au groupement Cilia.
60. Concernant les résultats de l'appel d'offres, il est observé que si l'entreprise Jacqmin est la moins disante pour chacun des lots, se situent en deuxième position le groupement Cilia pour les lots 2.11 et 2.12, la société CCB Dufaylite pour le lot 2.13 et la société Somoclest pour le lot 2.14, ce qui, en l'absence des offres de la société Jacqmin aurait été conforme aux indications de la fiche récapitulative des offres, datée du 31 janvier 1995 et aux notes mentionnées ci-dessus.
C. RAPPEL DES GRIEFS NOTIFIES
61. Sur la base des éléments présentés, et sur le fondement des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, les griefs suivants ont été notifiés :
" à la société anonyme Cilia :
- pour avoir, à l'occasion de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, participé à l'entente mise en œuvre entre l'ensemble des sociétés agréées par le maître d'ouvrage, par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente sur les prix, par le biais d'échanges d'informations avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir participé, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, à l'entente mise en œuvre avec deux autres entreprises soumissionnaires, pour se répartir les lots, en désignant l'entreprise la moins disante, chacune d'elles déposant des offres de couverture pour les lots pour lesquels elle n'était pas intéressée. à la société Marwo :
- pour avoir participé, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, à l'entente mise place, en communiquant des informations sur les prix avant la date limite de remise des offres, favorisant ainsi la mise en œuvre de la répartition des lots entre le groupement Cilia et les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest. à la société DBS :
- pour avoir, même si elle n'a pas en définitive déposé d'offre, participé à l'occasion de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, à l'entente mise en œuvre entre l'ensemble des entreprises agréées, par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remises des offres ;
- pour avoir participé, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994 à l'entente mise en œuvre par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres, favorisant ainsi, bien qu'elle ait échoué, la mise en œuvre de la répartition des lots entre le groupement Cilia et les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest.
à la société Sort et Chasle :
- pour avoir participé, à l'occasion de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, à l'entente mise en œuvre entre l'ensemble des entreprises agréées, par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir participé, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994 à l'entente mise en œuvre par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres, favorisant ainsi, bien qu'elle ait échoué, la mise en œuvre de la répartition des lots entre le groupement Cilia et les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest.
à la société CCB Dufaylite :
à son siège, à Paris, pour ses propres agissements ainsi que ceux de l'établissement secondaire de Wasselonne (67) en activité à l'époque des faits :
- pour avoir participé, à l'occasion de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, à l'entente mise en œuvre par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente sur les prix, par des échanges d'informations avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente mise en œuvre avec le groupement Cilia et la société Somoclest, ayant pour but la répartition des lots en désignant pour chaque lot l'entreprise la moins disante, chacun des deux autres soumissionnaires faisant des offres de couverture pour les lots pour lesquels il n'était pas intéressé.
à la société Somoclest :
à la société mère à Bethonvilliers (90) :
- pour avoir participé, à l'occasion de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, à l'entente mise en œuvre par le biais d'échanges d'informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente sur les prix, par des échanges d'informations avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente mise en œuvre avec le groupement Cilia et la société CCB Dufaylite, ayant pour but la répartition des lots en désignant pour chaque lot l'entreprise la moins disante, chacun des deux autres soumissionnaires déposant des offres de couverture pour les lots pour lesquels il n'était pas intéressé.
à la SARL Lassince et Fils :
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994 participé à l'entente mise place, en communiquant des informations sur les prix avant la date limite de remise des offres, favorisant ainsi, bien qu'elle ait échoué, la mise en œuvre de la répartition des lots entre le groupement Cilia et les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest.
à la SCOP Soe Stuc et Staff :
- pour avoir, dans le cadre de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, participé à l'entente mise place, en communiquant des informations sur les prix avant la date limite de remise des offres.
à la SARL Stenger :
qui, par les agissements de son gérant, M. Pierre X, et bien que non concernée par l'exécution future des travaux, a joué, à l'occasion des deux appels d'offres successifs, un rôle majeur dans l'organisation des échanges d'informations sur les prix :
- pour avoir coordonné, à l'occasion de l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994, l'entente mise en œuvre entre l'ensemble des entreprises agréées, en collectant puis diffusant des informations sur les prix, avant la date limite de remise des offres ;
- pour avoir, à l'occasion de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, de nouveau, coordonné l'entente sur les prix, en collectant et diffusant des informations avant la date limite de remise des offres, contribuant ainsi, bien qu'elle ait échoué, à la mise en œuvre de la répartition des lots entre le groupement Cilia et les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest et à l'élimination des autres sociétés soumissionnaires.
De telles ententes, de nature anticoncurrentielle, mises en œuvre dans le cadre des deux appels d'offres successifs lancés pour la réalisation du sous-ensemble " Plâtrerie-cloisonsisolation " pour la construction d'un hémicycle et de bureaux pour le Parlement de Strasbourg, constituent des pratiques contraires aux dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ".
62. Les griefs notifiés à la société anonyme Cilia ont également été notifiés, le 28 mars 2001 sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, à la société Cilia Salvatore SA, nouvelle dénomination de la société d'exploitation de l'entreprise Cilia.
63. Enfin, une notification de griefs complémentaire a été faite, le 23 décembre 2003, à la société d'exploitation Cilia SA aux droits de laquelle se trouve la société Cilia SAS. Il lui est fait grief :
" - d'avoir dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente sur les prix, par le biais d'échanges d'informations sur les prix avant la date limite de remise des offres ;
- d'avoir dans le cadre de l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994, participé à l'entente mise en œuvre avec deux autres entreprises soumissionnaires, pour se répartir les lots, en désignant l'entreprise la moins disante, chacune d'elles déposant des offres de couverture pour les lots pour lesquels elle n'était pas intéressée
De telles ententes, mises en œuvre dans le cadre d'un appel d'offres lancé pour la réalisation du sous-ensemble " plâtrerie-cloisons-isolation " pour la construction d'un hémicycle et de bureaux pour le Parlement de Strasbourg, constituent des pratiques anticoncurrentielles contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LA PROCEDURE
1. SUR LA PRESCRIPTION
64. Les sociétés Cilia, Marwo, Sort, CCB Dufaylite, Lassince, Stenger et Soe soutiennent qu'un délai de plus de trois ans s'est écoulé entre la saisine ministérielle du Conseil de la concurrence, en date du 29 février 1996, et la notification de griefs adressée aux sociétés mises en cause, le 18 septembre 2000. Le rapporteur n'ayant réalisé aucun acte d'instruction dans le délai de trois ans, les pratiques reprochées seraient prescrites. La société Soe prétend que bien qu'une lettre de convocation à audition ait été envoyée à M. E, en date du 20 janvier 1999, cet acte n'a pu interrompre la prescription dans la mesure où il ne tendait pas à la recherche, la constatation et la sanction des faits mais avait un caractère artificiel, comme le démontre le fait que cette audition n'a jamais eu lieu, M. E n'ayant jamais été convoqué à une nouvelle audition bien qu'il ne se soit pas présenté lors des deux dates successivement fixées.
65. Aux termes de l'ancien article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 462-7 du Code de commerce : " Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ".
66. En l'espèce, une convocation pour audition, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, datée du 20 janvier 1999, a été envoyée au président de la société Somoclest, M. E . Cette audition était prévue, initialement, le 10 février 1999 à 10 heures 30, au siège du Conseil de la concurrence. Par courrier du 21 janvier 1999, M. E a répondu à la rapporteure en ces termes : " Je fais suite à mon entretien téléphonique de ce jour et ai l'honneur de vous confirmer mon empêchement pour le 10 février 1999 prochain et de m'en excuser. En conséquence, nous avons convenu d'un commun accord du mardi 2 mars à 11 heures pour nous rencontrer en vos bureaux ". Par la suite, M. E ne s'étant pas présenté au siège du Conseil de la concurrence, le 2 mars 1999 à 11 heures, un procès-verbal de carence a été établi par la rapporteure, le 9 avril 1999.
67. Dans une décision n° 98-D-81 du 21 décembre 1998, le Conseil a considéré que : " [les représentants des entreprises] (...) ont été convoqués pour audition par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 juin 1996 ; que cette convocation constitue un acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction de pratiques susceptibles d'être qualifiées sur le fondement du titre III de l'Ordonnance du 1er décembre 1986, qui a, par suite, interrompu la prescription ".
68. Si le Tribunal de première instance des Communautés européennes, dans un arrêt du 19 mars 2003, CMA CGM, a considéré qu'une demande de renseignements portant sur des éléments figurant déjà au dossier n'avait pu valablement interrompre la procédure puisqu'elle n'était pas nécessaire à la poursuite de l'infraction, une telle appréciation ne peut être portée en l'espèce, la circonstance que l'audition de M. E n'a jamais eu lieu ne démontrant pas que cet acte n'ait pas été nécessaire à la poursuite de l'infraction dans la mesure où elle est imputable à la carence de M. E, qui ne s'est pas présenté aux lieu et date fixés après avoir, une première fois, demandé le report de cette audition.
69. La convocation envoyée à M. E le 20 janvier 1999 aux fins d'audition constitue donc bien un acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits incriminés et il a valablement interrompu la prescription.
70. La société Marwo soutient encore qu'en l'absence de tout acte d'instruction diligenté à son encontre, l'action est prescrite à son égard. Elle allègue, également, que la prescription qui a repris son cours à compter de la notification de griefs complémentaire du 28 mars 2001 n'a pas été régulièrement interrompue par la notification de griefs complémentaire du 23 décembre 2003, dès lors que celle-ci, qui ne faisait que reprendre les conclusions sur l'imputation des pratiques litigieuses développées dans la notification de griefs du 12 décembre 2000, ne constituait pas un nouvel acte d'enquête, d'instruction ou de poursuite.
71. Toutefois, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil de la concurrence que : " Le Conseil étant saisi des pratiques d'entente dans leur ensemble et non marché par marché, l'interruption de la prescription produit effet à l'égard de toutes les parties qui y sont impliquées y compris à l'égard de celles qui n'ont pas été entendues dans le délai de trois ans " (cf. notamment la décision n° 03-D-06 du 29 janvier 2003). Ainsi, l'interruption de la prescription est opposable à l'ensemble des entreprises parties à la procédure, même si l'acte qui a interrompu la prescription ne concerne qu'une seule d'entre elles.
72. Enfin, la notification de griefs complémentaire du 23 décembre 2003 avait pour objet de mettre en cause une nouvelle société, la société d'exploitation Cilia SA et constitue donc bien un acte interruptif de prescription.
73. Les moyens tirés de la prescription et soulevés par les sociétés mises en cause doivent donc être écartés.
2. SUR LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
74. Les sociétés Soe, Stenger et Somoclest font valoir que le délai de plus de six ans qui s'est écoulé entre les pratiques reprochées et la notification de griefs constitue une violation des dispositions de l'article 6 alinéa 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, selon lesquelles : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ".
75. Pour sa part, la société Soe soutient que la longueur excessive de la procédure, qui ne serait pas justifiée par la complexité de l'affaire, a compromis sérieusement sa défense. Elle ne disposerait plus aujourd'hui des pièces du dossier, vieux de dix ans. En outre, elle n'est plus en mesure d'interroger M. M, le métreur en charge du dossier, qui a quitté l'entreprise. La conséquence de ce délai excessif doit être l'abandon, par le Conseil de la concurrence, des griefs notifiés à l'encontre de la société Soe.
76. Concernant la violation des dispositions de l'article 6 alinéa 1 de la CEDH, il convient de rappeler la jurisprudence du Conseil de la concurrence, selon laquelle : (...) La preuve de la violation alléguée ne saurait résulter ipso facto de la seule durée de la procédure (...) (Décision n° 96-D-65 du 30 octobre 1996).
77. En l'espèce, les sociétés Stenger et Somoclest ne démontrent pas, autrement que par de simples affirmations, en quoi la durée de la procédure les auraient empêchées d'exercer efficacement leur défense ou de rassembler les éléments de preuve susceptibles d'être opposés aux indices retenus à leur encontre.
78. Les investigations qui ont donné lieu à l'établissement du rapport d'enquête puis à la saisine du Conseil de la concurrence ont eu lieu en 1996 et 1997, années pendant lesquelles l'entreprise Soe a été entendue par les enquêteurs. La notification de griefs comportait toutes les pièces sauvegardées par le rapport d'enquête, leur permettant de présenter leurs observations en défense. Aussi, en l'absence de démonstration établissant que la durée de l'instruction a irrémédiablement compromis l'exercice des droits de la défense de la société Soe, la procédure ne saurait être déclarée irrégulière du seul fait de sa durée.
79. De plus, à supposer que la cause n'ait pas été entendue dans un délai raisonnable, la sanction qui s'attache à cette circonstance est le versement d'une indemnité en réparation du préjudice éventuellement subi et non la nullité de la procédure (arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2003).
80. Enfin, il n'appartient pas au Conseil de la concurrence de se prononcer sur les demandes de dommages et intérêts présentées par les sociétés, qui ne peuvent venir en déduction des sanctions susceptibles d'être prononcées (Décision n° 05-D-19 du 12 mai 2003).
81. Dès lors, les moyens soulevés par les sociétés Soe et Stenger doivent être écartés.
3. SUR LA RÉGULARITÉ DU PROCÈS-VERBAL DU 28 SEPTEMBRE 1995
82. La société Marwo soutient que le procès-verbal d'audition du 28 septembre 1995 du président du conseil d'administration de la société, M. C est entaché d'irrégularité au motif qu'il ne comporte pas les indications suivantes :
- la référence à l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (actuellement l'article L. 450-3 du Code de commerce) sur le fondement duquel l'enquête a été diligentée ;
- la mention de l'objet de l'enquête et du marché sur lequel elle portait ;
- les éléments permettant d'établir que M. C avait été clairement informé que ses réponses seraient utilisées dans le cadre d'une instruction sur le fondement de l'ordonnance de 1986.
83. Les procès-verbaux établis lors des enquêtes diligentées sur le fondement de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devaient répondre, à l'époque des faits, aux prescriptions de l'article 46 prévoyant : " Les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve contraire ". Ces dispositions étaient complétées par celles de l'article 31 du décret du 29 décembre 1986, aux termes desquelles : " Les procès-verbaux prévus à l'article 46 de l'ordonnance sont rédigés dans le plus court délai. Ils énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués (...) ".
84. En l'espèce, sur le procès-verbal de déclaration de M. C, daté du 28 septembre 1995, les enquêteurs ont porté les mentions suivantes :
- " Nous soussignés [...] Inspecteurs des Services Déconcentrés de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (...) habilités à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, par l'arrêté du 22 janvier 1993, pris en application de l'article 45 de ladite ordonnance. [...] Nous avons justifié de notre qualité et indiqué à M. C que l'objet de notre enquête concerne les conditions de fonctionnement de la concurrence pour le marché de travaux de construction d'un hémicycle et de bureaux pour le Parlement européen de Strasbourg ".
85. L'article 1er de l'arrêté du 22 janvier 1993 précise : " Les fonctionnaires (...) placés sous l'autorité du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités, en application de l'article 45, alinéa I, de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, à procéder aux enquêtes dans les conditions prévues au titre IV de l'ordonnance précitée et au décret du 29 décembre 1986 ".
86. Ainsi, le procès-verbal d'audition du 28 septembre 1995 répond aux exigences posées par la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris, du 5 juillet 1994, selon laquelle : " l'acte d'enquête doit être suffisamment clair et précis pour ne pas créer de méprise sur son objet ".
87. M. C ne pouvait ignorer, lors de son audition, ni l'objet de l'enquête, ni le cadre juridique dans lequel il était entendu. Il n'a pas pu se méprendre sur la portée de ses déclarations. Dès lors, le procès-verbal d'audition en date du 28 septembre 1995 a été établi régulièrement.
4. SUR LA RÉGULARITÉ DES SAISIES EFFECTUÉES
88. La société Cilia soutient que le rapport administratif se fonde sur des documents qui ont été illégalement saisis. Les ordonnances des présidents des tribunaux de grande instance de Paris et de Colmar autorisant les visites et les saisies, visent une société " Cilia ", qui n'a pas d'existence légale. Aucune autorisation n'a été donnée pour visiter les locaux exploitées par la société soumissionnaire, à savoir la " société d'exploitation de l'entreprise Cilia SA ". Les documents saisis le 29 mars 1995 doivent donc être écartés des débats et restitués à leur propriétaire.
89. Concernant la validité des ordonnances délivrées par le président du tribunal de grande instance, autorisant les visites et les saisies, l'article L. 450-4 du Code de commerce dispose que : " L'ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent article [ordonnance du président du tribunal de grande instance] n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale. Ce pourvoi n'est pas suspensif ". Aucun pourvoi en cassation n'a en l'espèce été formé à l'encontre des ordonnances litigieuses.
90. Dans une décision n° 95-D-01 du 3 janvier 1995, le Conseil de la concurrence a d'ailleurs rappelé que : " Aux termes du cinquième alinéa de l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : L'ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent article n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale. (...). Le Conseil n'a pas compétence pour apprécier la portée ou la régularité des opérations de saisies et doit simplement prendre acte, pour la poursuite de l'instruction, d'une éventuelle annulation d'opérations ou disjonction de pièces ordonnées par les magistrats... ".
91. Le moyen soulevé par la société Cilia doit être rejeté, le Conseil de la concurrence n'étant pas compétent pour apprécier la régularité des ordonnances, ni celle des opérations de visite et de saisie effectuées sur leur fondement.
5. SUR LA NOTIFICATION DE GRIEFS ADRESSÉE À LA SARL STENGER
92. La société Stenger soutient que la notification de griefs aurait dû être adressée à " l'Entreprise Pierre-Guillaume Stenger " et non à la " SARL Stenger ", ainsi qu'à son " gérant " et non à son " Président ".
93. Dans une décision n° 99-D-50 du 13 juillet 1999, le Conseil de la concurrence a rappelé : " Considérant que les entreprises (...) soutiennent que le grief retenu à leur encontre ne leur a pas été régulièrement notifié ; que la dénomination des entreprises et les adresses retenues tant pour la notification du grief que pour celle du rapport étaient inexactes (...). Considérant, toutefois, que ces notifications ont été acceptées par les entreprises réellement mises en cause et que ces entreprises, après avoir mentionné les erreurs rappelées ci-dessus, ont répondu au grief notifié et ont admis lors de l'audience qu'elles avaient été à même de faire valoir leur défense ; que, dans ces conditions, les erreurs matérielles qui ont été commises n'ont porté atteinte, ni au principe du contradictoire, ni à la régularité de la procédure ".
94. En l'espèce, l'erreur matérielle relative à la dénomination de l'entreprise est sans incidence sur le déroulement de la procédure, dès lors que la notification de griefs a été envoyée à la bonne adresse et que l'entreprise Stenger a été à même de faire valoir ses arguments en défense.
6. SUR LA NOTIFICATION DU RAPPORT À LA SOCIÉTÉ CILIA SALVATORE
95. Dans ses observations, la société Cilia Salvatore soulève l'irrecevabilité du rapport tenant, selon elle, au fait que ce dernier ne lui a pas été adressé.
96. A l'adresse suivante : Zone artisanale, 14 route du Rhin 67390 Marckolsheim, sont domiciliées deux sociétés : la société Cilia Salvatore SA (anciennement la Société d'exploitation de l'entreprise Cilia SA) et la société SAS Cilia (anciennement la Société d'exploitation Cilia SA).
97. Selon la jurisprudence du Conseil de la concurrence et de la cour d'appel évoquée précédemment, une erreur matérielle portant sur la dénomination de l'entreprise ou sur son adresse est sans incidence sur la validité de la procédure, dès lors que l'entreprise en cause a répondu au grief et a pu faire valoir ses arguments. En l'espèce, si le rapport a été envoyé à la SAS Cilia et à la Société d'exploitation Cilia SA, ce sont bien les sociétés Cilia Salvatore et SAS Cilia, représentées par le même conseil, qui ont produit des observations en réponse au rapport (cf. décision n° 04-D-25 du 23 juin 2004).
98. En outre, par télécopie du 13 juin 2005, le conseil de la société Cilia Salvatore a informé le Conseil de la concurrence de sa décision de renoncer à ce moyen de procédure : " Je suis expressément autorisé à vous dispenser de notifier à la société Cilia Salvatore votre rapport, la société Cilia Salvatore ayant pris connaissance du rapport notifié à la société Cilia SAS ".
99. Dès lors, le moyen de nullité ne peut être accueilli.
B. SUR LE FOND
100. Aux termes de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du Code de commerce :
" Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1. limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2. faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3. limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4. répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ".
101. A de multiples reprises, le Conseil de la concurrence a rappelé le principe selon lequel, en matière de marchés publics sur appels d'offres, il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations, antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (cf. notamment les décisions n° 03-D-10 du 20 février 2003 et n° 03-D-19 du 15 avril 2003). Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions voire même de désigner à l'avance le futur titulaire du marché, en le faisant apparaître comme le moins disant. Mais de simples échanges d'informations portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent également le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres. Alors que les maîtres d'ouvrage organisent un appel d'offres afin d'obtenir, par le jeu de la concurrence, la meilleure offre, conformément aux prescriptions du Code des marchés publics lorsqu'il s'agit d'acheteurs publics, ces pratiques ont globalement pour effet d'élever artificiellement les prix des prestations concernées.
1. SUR LES PRATIQUES CONSTATÉES LORS DE L'APPEL D'OFFRES DU 11 MARS 1994
102. En l'espèce, l'ensemble des éléments recueillis au cours de l'instruction montre que les sociétés Cilia, Sort, DBS, CCB Dufaylite, Soe, Somoclest et Stenger se sont entendues sur les prix des soumissions qu'elles ont transmises en réponse à l'appel d'offres restreint du 11 mars 1994.
103. La société Stenger a collecté les informations concernant les prix que le groupement Cilia et les entreprises CCB Dufaylite, Somoclest, DBS, Soe et Sort envisageaient de proposer, puis a coordonné l'ensemble des offres en transmettant, avant le 6 octobre 1994, date limite de remise des offres, aux sociétés CCB Dufaylite, Somoclest et Soe, les prix " à mettre " dans leurs offres, calculés sur la base des prix issus du projet du groupement Cilia. De plus, les sociétés Cilia et Somoclest se sont rencontrées le 15 septembre 1994 et ont, à cette occasion, échangé des informations sur leurs prix de soumission.
a) En ce qui concerne l'existence de liens de sous-traitance
104. La société Somoclest ne conteste pas les échanges d'informations avec la société Stenger et le groupement Cilia mais justifie ces relations par le fait que sa candidature avait été agréée par la SERS " sous réserve d'association avec une ou plusieurs entreprises ". En conséquence, elle s'était rapprochée de la société Stenger à laquelle elle voulait sous-traiter la réalisation des lots 2.12 et 2.14 qu'elle ne pouvait assumer elle-même, et de la société Cilia de laquelle elle espérait obtenir une partie des travaux en sous-traitance. Elle allègue, en outre, que la procédure combinée qui permet à l'entreprise générale choisie de substituer aux entreprises spécialisées attributaires d'un lot spécifique d'autres entreprises spécialisées a eu pour conséquence d'inciter les candidats, parallèlement à leur soumission individuelle aux lots accessoires, à des rapprochements en vue de la substitution de soustraitants.
105. Il convient, à titre préliminaire, de préciser que la procédure d'appel d'offres dite " combinée " donne la possibilité au maître de l'ouvrage et non à l'entreprise attributaire du lot principal, de modifier, après remise des offres, la liste des co-traitants proposés par chaque entreprise pilote.
106. En tout état de cause, comme l'a retenu la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 13 janvier 1998, " s'il est loisible à une société qui n'est pas en mesure d'assurer seule l'ensemble des travaux concernés par un appel d'offres, d'échanger des informations avec un éventuel sous-traitant, il demeure qu'elle doit le faire en respectant les règles de la concurrence ". En particulier, le fait de soumissionner à un appel d'offres sans mentionner le recours à un sous-traitant implique que l'entreprise réalise elle-même les travaux, faute de quoi elle trompe le maître de l'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence (cf. Cour d'appel de Paris, 22 septembre 1998). En revanche, s'il est permis à plusieurs entreprises ayant la possibilité d'établir entre elles des liens de sous-traitance à l'occasion d'un marché, de présenter des offres distinctes, elles ne sauraient établir des propositions apparemment concurrentes qu'à la condition, lors du dépôt de leurs offres, de faire connaître aux maîtres d'œuvre ou d'ouvrage, même s'ils ne le réclament pas expressément, la nature des liens de sous-traitance qui les unissent ou le fait qu'elles ont échangé des informations (cf. notamment la décision n° 97-D-11 du 25 février 1994 et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 septembre 1998).
107. En l'espèce, dans l'hypothèse où la société Somoclest aurait repris dans ses offres les prix proposés par M. X, dans la télécopie du 29 septembre 1994, parce qu'elle entendait faire appel aux services de la société Stenger en sous-traitance, pour l'exécution des lots 2.12 et 2.14, elle aurait dû porter à la connaissance de la SERS les liens de sous-traitance l'unissant à la société Stenger. De même, si les contacts avec la société Cilia avaient eu pour objet la discussion des conditions dans lesquelles elle aurait pu se voir confier par cette société une partie des travaux en sous-traitance, il lui appartenait, afin de ne pas tromper le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence, de faire état de ces échanges. Or, la SERS n'a jamais été informée des échanges d'informations entre les sociétés Cilia, Stenger et Somoclest.
108. Au surplus, même dans l'hypothèse où aurait été évoqué la possibilité que Somoclest réalise une partie des travaux en sous-traitance pour Cilia, la communication par la société Cilia à la société Somoclest des études de prix qu'elle a élaborées dans le cadre du groupement formé avec les sociétés Stenger, Marwo, Isotral et Pierrot, paraît peu vraisemblable.
b) En ce qui concerne l'existence des échanges d'informations
109. La société Somoclest soutient que la proposition de prix pour le lot 2.13 figurant dans sa soumission résulte uniquement d'évaluations faites par ses services et non d'échanges d'information. Elle expose qu'elle n'était pas partie à une entente en vue de répartir les lots comme en atteste le fait qu'elle n'est la mieux disante sur aucun des lots.
110. A propos de l'élaboration des prix pour le lot 2.13, M. E, directeur de la société Somoclest, a déclaré : " Pour le lot 2.13..., un premier document s'inspirant du fax Stenger a été rédigé chez Somoclest, mais n'a pas été envoyé à la Sers. En fait, j'ai considéré que c'était une magouille, les prix qu'on me proposait étaient surévalués, et d'ailleurs en proposant un prix plus bas, je ne passe toujours pas ". Les prix proposés à la SERS par la société Somoclest, en effet, étaient inférieurs de 13,54 % à 13,22 % à ceux indiqués dans la télécopie du 29 septembre 1994, transmise par M. X .
111. La Cour d'appel de Paris a rappelé dans un arrêt du 22 septembre 1993 : " Dès lors que pour établir leurs propres offres, celles-ci [les entreprises] ont repris, au moins partiellement et fût-ce pour l'une d'elles en les corrigeant d'abattements, les éléments de prix fournis par Pascal, est réalisé le concours de volonté caractérisant une pratique concertée au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (...). Qu'en permettant à ces deux entreprises de déterminer leur prix à partir de données communiquées par une autre avec laquelle elles étaient apparemment en compétition pour l'attribution d'un contrat de travaux publics, supprimant ainsi toute indépendance de leurs offres, cette pratique a eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché ". Ainsi, le fait pour la société Somoclest d'avoir repris les prix qui lui étaient indiqués pour les lots 2.12 et 2.14 et d'avoir corrigé d'un abattement le prix du lot 2.13, qu'elle estimait trop élevé, n'enlève rien à la réalité des échanges d'informations, supprime toute indépendance à son offre et fausse le jeu de la concurrence.
112. De même, la circonstance que la société Somoclest ne soit la moins disante pour aucun des lots est sans effet concernant la réalité des échanges d'informations, leur objet et leur effet anticoncurrentiel. La Cour d'appel de Paris et le Conseil ont à plusieurs reprises exposé les raisons pour lesquelles le caractère anticoncurrentiel d'une pratique doit être apprécié de façon indépendante de l'existence de contreparties : " Si la mutuelle concession d'avantages entre dans la logique des ententes sur les marchés de travaux publics, la preuve de ces pratiques n'exige pas pour autant la démonstration de la réciprocité des offres de couvertures, dès lors que les investigations de l'administration n'ont pu porter sur l'ensemble du secteur et que les contreparties accordées, par nature occultes, peuvent emprunter de multiples formes " (Cour d'appel de Paris du 4 juillet 1990).
113. La société Sort fait valoir qu'il existe des écarts très importants entre les chiffres figurant dans la colonne " SORT " des tableaux comparatifs de prix saisis dans les locaux de la société Stenger et les offres qu'elle a déposées à la SERS. Elle soutient qu'elle n'a échangé aucune information avec les autres sociétés en cause, l'indépendance dans l'établissement de ses prix étant, selon elle, reconnue en page 32 de la notification de griefs : " Les prix offerts par la société Sort et Chasle qui n'a pas été destinataire de la télécopie du 29 septembre 1994 sont très diversifiés par rapport à ceux du groupement CILIA pour l'ensemble des lots ".
114. La participation de la société Sort aux échanges d'informations préalables à la remise des offres est toutefois attestée par les tableaux comparatifs de prix établis par M. X sur lesquels figurent des prix la concernant (cf. § 24), par la déclaration de M. X selon laquelle ces prix lui ont été donnés par les différents offreurs (cf § 25) et par les mentions figurant sur le cahier des appels téléphoniques reçus par la société Stenger (cf § 26), Dans la décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001, le Conseil de la concurrence a considéré " qu'un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve ou, par le rapprochement avec d'autres indices graves, précis et concordants, comme élément de preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent plusieurs sociétés, le tableau communiqué (...) est opposable à toutes les sociétés qui y sont mentionnées ".
115. La remise par la société Sort d'une offre avec des prix différents de ceux figurant sur les tableaux comparatifs de M. X est sans effet sur la réalité des échanges d'informations, leur objet et leur effet anticoncurrentiels, puisqu'ils ont nécessairement altéré l'autonomie du comportement commercial de l'entreprise.
116. La société Cilia soutient qu'elle n'a transmis ses estimations à aucune autre entreprise que celles du groupement Cilia et n'a eu aucun contact avec les sociétés Dufaylite, Somoclest, DBS, Soe et Sort, pour le calcul de ses prix.
117. Cependant, des études de prix, élaborées pour chacun des lots par la société Cilia, ont été recueillies dans les locaux de la société Somoclest, non membre de ce groupement (§ 21) et les dirigeants de la société Cilia ont confirmé que ces documents avaient dû être communiqués à la société Somoclest au cours de la réunion du 15 septembre 1994 (§ 23).
118. La société DBS soutient qu'elle a renoncé à remettre une offre à la SERS, car dans le même temps, elle étudiait le dossier de consultation pour le marché de l'Hôpital G. Pompidou, dont la date limite de remise des offres était fixée au 6 octobre 1994. N'ayant procédé à aucune étude de prix pour le premier appel d'offres, elle n'aurait donc échangé aucune information avec quelque entreprise que ce soit.
119. Toutefois, la preuve de la participation de la société DBS aux échanges d'informations préalables au dépôt des offres résulte d'un faisceau d'indices composé des tableaux comparatifs de prix unitaires saisis dans les locaux de la société Stenger (§ 24), des déclarations de M. X, selon lesquelles les prix figurant dans les tableaux litigieux lui avaient été communiqués par la société DBS antérieurement à la date limite de dépôt des offres (§ 25) et des mentions figurant sur le cahier des appels téléphoniques reçus par la société Stenger (§ 26). Ces éléments après recoupement, constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves précises et concordantes.
120. La société Soe soutient qu'elle n'a jamais eu l'intention de faire acte de candidature pour les lots 2.11 et 2.13 et que les montants figurant sur les tableaux comparatifs de la société Stenger pour ces lots ne peuvent donc avoir été communiqués par elle. Elle conteste également la valeur probante de la télécopie du 29 septembre 1994, saisie dans les locaux de la société Stenger, au motif qu'elle est anonyme. S'agissant des mentions figurant sur le cahier des appels téléphoniques de la société Stenger, la société Soe souligne que la date indiquée serait le mardi 4 octobre 1994, alors que les offres devaient parvenir à la SERS le jeudi 6 octobre 1994. Dès lors, la prétendue concertation aurait été trop tardive.
121. Toutefois, la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 19 janvier 1999, a jugé "peu important, s'agissant de prouver un fait et non un acte juridique, que les noms des salariés des entreprises ayant expédié et réceptionné les télécopies n'aient pas été identifiés avec certitude, dès lors que l'identité des sociétés émettrice et réceptrice n'est pas contestable ". En l'espèce, sur le document concerné, l'identité des sociétés émettrice et réceptrice n'est pas contestable (§ 28).
122. La participation de la société Soe à une concertation illicite est prouvée par un faisceau d'indices graves, précis et concordants constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis en cours d'instruction et qui, pris isolément, peuvent ne pas avoir un caractère suffisamment probant : les tableaux comparatifs de prix établis par la société Stenger (§ 24) ; les mentions figurant sur le cahier des appels téléphoniques reçus par la société Stenger (§ 26) ; les tableaux de prix transmis par la société Stenger le 29 septembre 1994 (§ 28) et l'analyse des offres (§ 38). Ces éléments établissent que la société Soe a repris dans ses offres les prix figurant dans le document transmis par la société Stenger. Le président de la société n'a, d'ailleurs, pas pu produire d'études concernant les prestations relatives au marché du Parlement européen. La date précise de l'appel reçu par la société Stenger est sans incidence sur le caractère anticoncurrentiel de cette pratique dans la mesure où elle s'est inscrite dans la période au cours de laquelle la société Soe élaborait son offre.
2. SUR LES PRATIQUES CONSTATÉES LORS DE L'APPEL D'OFFRES DU 2 DÉCEMBRE 1994
123. Les éléments recueillis au cours de l'instruction permettent d'établir que les sociétés Cilia, DBS, CCB Dufaylite, Sort, Somoclest, Lassince et fils et Stenger ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs offres en réponse à l'appel d'offres ouvert du 2 décembre 1994. Les sociétés DBS, Sort et Lassince ont transmis leurs estimations de prix à la société Stenger, membre du groupement Cilia. L'enquête a également révélé des transmissions d'estimations de prix entre les entreprises Cilia, CCB Dufaylite et Somoclest et l'existence d'un accord visant à se répartir entre elles les lots du marché en cause, désignant ainsi l'entreprise la moins disante pour un lot déterminé, les autres déposant une offre de couverture.
a) En ce qui concerne l'existence des échanges d'informations
Sur les échanges entre les sociétés Cilia, Somoclest et CCB Dufaylite et la répartition des lots entre elles
124. La société Cilia allègue qu'elle n'a communiqué ses prix à aucune entreprise extérieure au groupement. Elle soutient, en outre, que les annotations " NDS " figurant sur la " fiche récapitulative de l'offre Cilia " ont été apposées après l'ouverture des plis et ne font que traduire le résultat des appels d'offres.
125. La société Somoclest soutient qu'elle n'a participé à aucune réunion et ne s'est basée sur aucun des documents du groupement Cilia pour établir ses prix, lors de l'appel d'offres du 2 décembre 1994. En outre, aucun élément ne permettrait, d'une part, de déterminer la date de transmission du document daté du 31 janvier 1995 et d'autre part, de démontrer que des informations ont été échangées avec la société CCB Dufaylite, antérieurement ou postérieurement à la date de remise des offres. Elle soutient que le comparatif entre son offre et l'offre faite par la société CCB Dufaylite a été établi postérieurement à la remise des offres, afin d'étudier l'hypothèse d'un groupement.
126. Toutefois, l'existence d'un accord entre les sociétés Somoclest, Cilia et CCB Dufaylite est prouvée par les documents saisis dans les locaux respectifs desdites sociétés : les documents DPGF et ceux intitulés " Derniers devis " (§ 50); la fiche de l'offre globale de la société Cilia du 31 janvier 1995 (§ 50) ; les fiches manuscrites recueillies dans les locaux de l'entreprise CCB Dufaylite (§ 55) et la page 4 du DPGF du lot 2.13 saisie dans les locaux de l'entreprise Somoclest (§ 57).
127. Si la date de la communication aux sociétés Somoclest et CCB Dufaylite du document daté du 31 janvier 1995 (§ 50) ne peut être déterminée avec certitude, ce document peut être utilisé, par le rapprochement avec les autres indices, comme élément de preuve de la concertation et de l'échange d'informations entre les entreprises Somoclest, Cilia et CCB Dufaylite.
128. Concernant les annotations " NDS " apposées sur la " fiche récapitulative de l'offre Cilia ", il résulte du rapport d'enquête que le directeur général au siège de la société CCB Dufaylite, M. F, a été destinataire du document litigieux, le mardi 14 février 1995 au matin à la suite d'un envoi par fax de l'agence CCB Dufaylite de Wasselone. On observe que ce document porte les mentions " NDS ". Ainsi, ces annotations ne peuvent pas avoir été apposées après l'ouverture des plis, c'est-à-dire postérieurement au 17 février 1995. Le moyen soulevé par la société Cilia doit, dès lors, être rejeté.
129. S'agissant des fiches manuscrites recueillies dans les locaux de l'entreprise CCB Dufaylite (§ 55), l'erreur figurant sur la note manuscrite quant au montant de l'offre de la société Dufaylite (18.6 MF HT au lieu des 18.2 MF mentionnés dans l'offre déposée à la SERS) tend à démontrer que le document a été établi antérieurement au dépôt des offres : " Le document ne peut avoir été établi après que les résultats de l'offre ont été connus, dès lors que (...) les renseignements qu'il fournit sur les soumissions des entreprises GTM-BTP et SOGEA ne correspondent pas exactement au contenu de leurs offres définitives " (Cour d'appel de Paris du 23 mars 1997).
130. Ces éléments de preuve sont, en outre, corroborés par l'analyse du contenu des offres et les résultats de l'appel d'offres. En effet, si l'entreprise Jacqmin est la moins disante pour chacun des lots, l'on trouve en deuxième position le groupement Cilia pour les lots 2.11 et 2.12, la société CCB Dufaylite pour le lot 2.13 et la société Somoclest pour le lot 2.14, ce qui, en l'absence des offres de la société Jacqmin, aurait été conforme aux indications de la fiche récapitulative des offres datée du 31 janvier 1995 et aux notes mentionnées ci-dessus (§ 50).
131. Enfin, le moyen soulevé par la société Somoclest relatif à un projet de groupement avec la société CCB Dufaylite doit être écarté, puisque les dirigeants de la société CCB Dufaylite n'en ont pas confirmé l'existence (§ 58).
Sur les échanges d'informations entre la société Stenger et les sociétés Sort, DBS et Lassince
132. La société Sort soutient que ses prix ont été communiqués à M. X postérieurement au dépôt des offres, conformément aux déclarations du directeur des travaux de la société, M. H . Elle fait également valoir qu'elle n'avait aucun intérêt à dévoiler ses prix avant leur dépôt, sans avoir de retour préalable de ses concurrents.
133. La société DBS soutient qu'elle a calculé ses prix en " bon professionnel " et en dehors de toute entente avec des entreprises concurrentes. Elle allègue, enfin, que le marché public a été attribué à l'entreprise Jacqmin en complète violation des dispositions du règlement d'appel d'offres.
134. La société Lassince fait valoir que si le gérant de la société reconnaît avoir communiqué à M. X les prix qu'il avait proposés, ce n'est qu'après avoir remis son offre et que ce dernier lui ait indiqué que sa société ne soumissionnait pas à ce marché. Elle ajoute qu'en tout état de cause, cette communication aurait été unilatérale puisque elle-même n'a reçu aucune information sur les prix du groupement Cilia.
135. La réalité des échanges d'informations sur les prix entre la société Stenger et les sociétés Sort, DBS et Lassince et leur antériorité par rapport à la date de remis des offres sont cependant attestées par plusieurs éléments : les documents saisis dans les locaux de la société Stenger qui comportent les prix proposés à la SERS par ces trois entreprises ; les déclarations de M. X, précisant que les prix des sociétés Sort, DBS et Lassince lui ont été communiqués préalablement à la remise des offres (§ 42) par les responsables des sociétés concernées ; les mentions figurant sur le cahier des appels téléphoniques reçus par la société Stenger (§ 48).
136. Si les représentants de la société Sort contestent les propos de M. X, les déclarations de MM. Z... et H... sont sur ce point contradictoires. M. Z a déclaré n'avoir communiqué aucun prix à M. X tant avant qu'après la remise des offres (§ 45). M. H a, quant à lui, indiqué qu'il avait remis les éléments de prix à M. X après la remise des offres (fin février), ce dernier cherchant à comprendre la différence existant entre les offres et les estimations (§ 45).
137. De même, M. J a produit, lors de l'enquête, deux fiches de calcul de prix afin de démontrer qu'il avait établi ses prix de façon autonome mais il est toutefois mentionné dans le rapport d'enquête que : " Lesdites fiches [de calcul] et tarifs fournis par le chef d'entreprise ne corroborent pas complètement les dires de ce dernier quant à l'emploi d'un coefficient de cinq par rapport aux prix d'achat des matériaux ".
138. En tout état de cause, comme cela a été rappelé ci-dessus concernant le premier appel d'offres, la circonstance que les sociétés ayant transmis leurs offres à la société Stenger aient établi ces offres sans avoir eu connaissance de celles des autres soumissionnaires, à la supposer avérée, n'empêche pas qu'en transmettant leurs prix à un concurrent, ils ont remis en cause leur propre autonomie et celle du destinataire des transmissions et pris ainsi une part active à une pratique ayant pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence. Le Conseil a de nombreuses fois souligné que le caractère anticoncurrentiel des pratiques d'échange d'informations avant la date de dépôts des offres était indépendant de l'existence éventuelle de contreparties (cf. notamment les décisions n° 97-D-79 du 29 octobre 1997 et n° 01-D-13 du 19 avril 2001).
139. La société Stenger soutient que les agissements de son gérant, M. Pierre X, qui occupait parallèlement des fonctions totalement étrangères à la gestion et à la représentation de la société, ne permettent pas d'impliquer la société. Ne cherchant plus à se voir attribuer les marchés concernés, dès lors que ces derniers ne comprenaient pas d'enduits spéciaux, elle prétend n'avoir eu aucun intérêt à organiser une entente entre professionnels pour l'obtention de prix favorables, ni même à y participer.
140. Cependant, à l'époque des faits reprochés, M. Pierre X occupait les fonctions de gérant de la société à responsabilité limitée Stenger. Or, selon les dispositions de l'article L. 223-18 du Code de commerce : " la société à responsabilité limitée est gérée par une ou plusieurs personnes physiques. Dans les rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (...) ". Dans une décision n° 02-D-37 du 14 juin 2002, le Conseil de la concurrence a relevé : " (...) le fait que les échanges d'informations et la coordination des offres aient procédé d'initiatives individuelles de salariés, agissant dans le cadre de leurs fonctions, est sans influence sur la qualification de la pratique ".
141. Par ailleurs, l'affirmation selon laquelle la société Stenger n'aurait pas fait partie des soumissionnaires est contredite par le rapport d'analyse des offres établi par la SERS qui dans la liste des entreprises ayant remis une offre, fait figurer le groupement Cilia-Isotral- Marwo-Pierrot-Stenger. En séance, le représentant de la société Cilia a également confirmé que la société Stenger avait fait partie de ce groupement pour le deuxième appel d'offres. La société Marwo confirme également, dans ses observations, l'appartenance de la société Stenger au groupement Cilia.
142. Au surplus, le fait que la société Stenger n'ait finalement pas eu l'intention de réaliser des travaux n'est pas de nature à écarter l'objet anticoncurrentiel de la concertation. La Cour d'appel de Paris a déjà relevé qu' " il ne peut être utilement invoqué pour réfuter l'effet anticoncurrentiel d'une entente que l'entreprise impliquée n'a finalement pas déposé d'offre, (...) puisque de telles circonstances qui ne sont pas de nature à écarter l'objet anticoncurrentiel de la concertation, peuvent précisément en être l'effet " (arrêt du 4 juillet 1990).
Sur la participation de la société Marwo aux échanges d'informations
143. La société Marwo soutient que le fait d'avoir transmis, à la société Stenger, le document daté du 31 janvier 1995 n'est pas constitutif d'un échange d'informations anticoncurrentiel dès lors que ce document, récapitulant le montant des offres de la société Cilia, était interne au groupement formé entre les sociétés Cilia, Pierrot, Isotral, Marwo et Stenger.
144. Dans le rapport d'analyse des offres, la société Stenger apparaît, en effet, comme faisant partie du groupement Cilia (§ 15). Dès lors, la transmission du document du 31 janvier 1995 ne constitue pas une communication de prix à l'extérieur du groupement et ne peut être qualifiée au regard des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
3. SUR L'EFFET ANTICONCURRENTIEL DES PRATIQUES
145. Les sociétés Somoclest, Cilia, DBS et CCB Dufaylite exposent que l'écart important constaté entre les prix des soumissions et l'estimation du maître d'ouvrage ne peut être imputés aux échanges d'informations qui leur sont reprochées mais s'explique essentiellement par la sous-estimation grave, par le maître d'ouvrage, du coût réel des travaux projetés. L'échec du premier appel d'offres ne serait donc pas la conséquence des concertations. La société Soe estime, pour sa part, que compte tenu, d'une part, du faible écart entre son offre et l'estimation du concepteur et d'autre part, de la faible quote-part que représentent les lots pour lesquels elle a concouru (0,3 % du marché total), les pratiques qui lui sont reprochées n'ont pas pu avoir d'effet sensible.
146. Toutefois, le Conseil a déjà eu l'occasion de préciser que la circonstance, à la supposer avérée, qu'un appel d'offres ait été déclaré infructueux en raison d'une mauvaise évaluation par le maître d'ouvrage du coût des travaux demandés n'est pas de nature à écarter la réalité de l'entente (cf. notamment la décision n° 99-D-13 du 17 février 1999). Elle n'est pas non plus de nature à ôter tout effet à une pratique dont la gravité intrinsèque a souvent été rappelée par les autorités de la concurrence. Les échanges d'informations avant le dépôt des offres ainsi que les offres de couverture ont nécessairement pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence. En conséquence, leur interdiction n'est pas subordonnée à la preuve de cet effet (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 février 1996, décision du Conseil n° 01-D-59 du 25 septembre 2001). Dans un arrêt du 4 février 2004, la Cour d'appel de Paris a également dénoncé le " risque de banalisation et d'entraînement " qui peut résulter des concertations menées entre les entreprises à l'occasion des appels d'offres.
147. Pour cette raison, la Cour d'appel de Paris considère que le fait qu'une offre " représente une part limitée des offres déposées ne prive pas cette pratique de tout effet restrictif de concurrence sensible ".
C. L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
1. A LA SOCIÉTÉ CILIA
148. Selon les observations présentées par le conseil des sociétés Cilia Salvatore SARL et Cilia SAS, la notification des griefs du 12 septembre 2000 a été adressée à une " SA Cilia " qui n'a pas d'existence légale, l'entreprise auteur des pratiques ayant été immatriculée sous le nom de " société d'exploitation de l'entreprise Cilia SA " dont la dénomination est devenue le 19 avril 1995 " société Cilia Salvatore SA " et dont l'objet a été étendu à la location-gérance de fonds de commerce. Le fonds artisanal de plâtrerie de cette société a été donné en location-gérance à la société d'exploitation Cilia SA, avec effet au 1er janvier 1995.
149. Parmi les pièces jointes aux observations du 9 novembre 2000 en réponse à la première notification des griefs, figure l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés de la société d'exploitation Cilia SA daté du 13 juillet 1995. Cette société à laquelle le fonds artisanal de plâtrerie a été donné en location-gérance n'a acquis la personnalité morale qu'à compter du 13 juillet 1995, date de son immatriculation. Comme le soulignent les observations du 9 novembre 2000 " à la date de l'appel d'offres restreint du 11-3-94, tout comme à la date de l'appel d'offres ouvert du 2-12-94, la société d'exploitation Cilia SA n'existe pas, seule existe la société d'exploitation de l'entreprise Cilia SA, immatriculée RCS Colmar B 917 320 434, aujourd'hui Cilia Salvatore SA ". La société d'exploitation Cilia SA devenue Cilia SAS ne peut donc se voir imputer aucune pratique et doit être mise hors de cause. En revanche, les termes entreprise Cilia, société Cilia et Cilia SA employés au cours des appels d'offres, de l'enquête, de la procédure de saisie, de l'instruction devant le Conseil et de la notification des griefs désignent la société d'exploitation de l'entreprise Cilia SA, dénommée ensuite, société Cilia Salvatore SA, puis société Salvatore SARL ayant son siège social à Marckolsheim route du Rhin, qui a reçu à cette adresse la notification des griefs initiale du 12 septembre 2000, puis celle identique du 28 mars 2001. Les pratiques sont imputables à cette société.
2. A LA SOCIÉTÉ STENGER
150. La société Stenger invoque que la société est, à ce jour, gérée par M. Philippe X... qui ne serait en rien impliqué dans des faits remontant à l'année 1994. Les pratiques reprochées seraient, en outre, antérieures au dépôt de bilan de la société, intervenu le 2 octobre 1995.
151. Les modifications dans l'organisation et les changements de personnes qui ont pu affecter l'entreprise auteur des pratiques n'ont pas d'incidence sur l'imputabilité de ces dernières. Ce principe a été rappelé par le Conseil de la concurrence dans sa décision relative à des pratiques relevées dans le secteur des travaux de voirie et de revêtement de sols dans les Alpes-Maritimes (Décision n° 98-D-23 du 24 mars 1998). Un changement de gérant, n'est pas de nature à affecter la personnalité juridique de l'entreprise Stenger.
3. A LA SOCIÉTÉ SORT ET CHASLE
152. Selon les indications fournies par M. N administrateur judiciaire dans sa communication relative au chiffre d'affaires de la société Sort et Chasle, la société a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 29 janvier 2003. Pendant le déroulement de cette procédure et si le tribunal de commerce entérine un plan de continuation, c'est la même entreprise qui, poursuivant son activité, doit être tenue pour responsable de la pratique prohibée.
D. LES SANCTIONS
153. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En vertu du principe de non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne sont pas applicables.
154. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490 17 euro ".
1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES ET LE DOMMAGE A L'ÉCONOMIE
155. Les pratiques d'entente entre les soumissionnaires aux appels d'offres lancés dans le cadre de marchés publics sont particulièrement graves puisque seul le respect des règles dans ce domaine garantit à l'acheteur public la loyauté des transactions et le préserve de la spoliation des deniers publics. En l'espèce, la gravité des pratiques doit également s'apprécier en tenant compte du fait qu'elles ont été réitérées après l'échec du premier appel d'offres, lors du second appel d'offres ouvert et qu'elles ont été déjouées en définitive grâce à la vigilance du maître d'ouvrage.
156. Compte tenu de la taille importante du marché en cause (plus de 6 millions d'euro), et des caractéristiques de la concertation qui a réuni la quasi-totalité des entreprises ayant déposé une offre, le dommage à l'économie aurait pu être important. Toutefois, le marché a finalement été attribué à la société Jacqmin, qui n'a pas participé à l'entente, pour un montant total (39 716 172 FRF), proche de l'estimation du maître d'ouvrage (39 124 314 FRF). Si, d'une façon générale, cette circonstance ne minimise pas nécessairement le dommage à l'économie, dans la mesure où une offre plus basse aurait pu être présentée par l'une des entreprises partie à l'entente, il est peu probable, qu'en l'espèce, une offre plus basse aurait pu être déposée, compte tenu de la sous-évaluation du coût des travaux qui a été reconnue par la suite. Néanmoins, le dommage à l'économie est certain puisque le maître d'ouvrage a été conduit, en partie du fait de la concertation, à déclarer infructueux le premier appel d'offres et à en organiser un second qui n'a donné un résultat satisfaisant que grâce à la participation à ce second appel d'offres d'une entreprise nouvelle.
2. SUR LES ÉLÉMENTS PROPRES À CHAQUE ENTREPRISE
a) La société Stenger
157. La société Stenger a organisé les échanges d'informations sur les prix dans le cadre des deux appels d'offres. La société Stenger a été mise en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg du 17 décembre 2001. La procédure de liquidation judiciaire étant toujours en cours, la société Stenger est en mesure de répondre des pratiques qui lui sont reprochées. Néanmoins, il n'y a pas lieu de prononcer de sanction pécuniaire à son encontre.
b) La société Cilia Salvatore SARL
158. La société Cilia Salavatore SARL, anciennement Société d'exploitation de l'entreprise Cilia SA, était mandataire du groupement Cilia et entreprise pilote dans le cadre de la procédure dite " combinée ". Elle a participé aux échanges d'informations lors du lancement des deux appels d'offres et à la répartition des lots dans le cadre du second appel d'offres entre elle-même et les sociétés CCB Dufaylite et Somoclest, déposant des offres de couverture pour les lots ne lui étant pas attribués dans le cadre de cette répartition. Son chiffre d'affaires pour la France s'est élevé en 2004 à 627 916 euro. Compte-tenu de ces éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 6 280 euro.
c) La société Somoclest
159. La société Somoclest a participé aux échanges d'informations lors du lancement des deux appels d'offres et à la répartition des lots dans le cadre du second appel d'offres entre ellemême et les sociétés CCB Dufaylite et Cilia, déposant des offres de couverture pour les lots ne lui étant pas attribués dans le cadre de cette répartition. Son chiffre d'affaires pour la France s'est élevé en 2004 à 7 625 804,13 euro. Compte-tenu de ces éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 76 260 euro.
d) La société CCB Dufaylite
La société CCB Dufaylite a participé aux échanges d'informations lors du lancement des deux appels d'offres et à la répartition des lots dans le cadre du second appel d'offres entre elle-même et les sociétés Somoclest et Cilia, déposant des offres de couverture pour les lots ne lui étant pas attribués dans le cadre de cette répartition. La société CCB Dufaylite a été mise en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 13 novembre 2003. La procédure de liquidation judiciaire étant toujours en cours, la société CCB Dufaylite est en mesure de répondre des pratiques qui lui sont reprochées. Néanmoins, il n'y a pas lieu de prononcer de sanction pécuniaire à son encontre.
e) La société DBS
La société DBS a participé aux échanges d'informations sur les prix dans le cadre des deux appels d'offres. Son chiffre d'affaires pour la France s'est élevé en 2004 à 29 500 000 euro. Compte-tenu de ces éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 290 000 euro.
f) La société Sort et Chasle
La société Sort et Chasle a participé aux échanges d'informations sur les prix dans le cadre des deux appels d'offres. Son chiffre d'affaires pour la France s'est élevé en 2004 à 5 131 375 euro. Compte-tenu de ces éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 50 000 euro.
g) La société Soe, Stuc et Staff
La société Soe Stuc et Staff a participé aux échanges d'informations sur les prix dans le cadre du premier appel d'offres. Son chiffre d'affaires pour la France s'est élevé en 2004 à 4 525 582,54 euro. Compte-tenu de ces éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 11 300 euro.
h) La société Lassince et Fils
La société Lassince et Fils a participé aux échanges d'informations sur les prix dans le cadre du deuxième appel d'offres. Son chiffre d'affaires pour la France s'est élevé en 2004 à 3 011 039 euro. Compte-tenu de ces éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 15 000 euro.
Décision
Article 1er : La société Cilia SAS est mise hors de cause.
Article 2 : Il n'est pas établi que la société Marwo ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3 : Il est établi que les sociétés Cilia Salvatore SARL, Somoclest, Soe Stuc et Staff, Lassince et Fils, DBS, Sort et Chasle, Stenger, CCB Dufaylite ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 4 : Il n'y a pas lieu d'infliger de sanction pécuniaire aux sociétés Stenger et CCB Dufaylite, en liquidation judiciaire.
Article 5 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
* à la société Cilia Salvatore SARL une sanction pécuniaire de 6 280 euro
* à la société Somoclest une sanction pécuniaire de 76 260 euro
* à la société DBS une sanction pécuniaire de 290 000 euro
* à la société Sort et Chasle une sanction pécuniaire de 50 000 euro
* à la société Soe Stuc et Staff une sanction pécuniaire de 11 300 euro
* à la société Lassince et Fils une sanction pécuniaire de 15 000 euro.