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Décisions

CJCE, 7 juillet 1981, n° 158-80

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rewe-Handelsgesellschaft Nord mbH et Rewe-Markt Steffen

Défendeur :

Hauptzollamt Kiel

CJCE n° 158-80

7 juillet 1981

LA COUR,

1. Par ordonnance du 5 juin 1980, parvenue à la Cour le 9 juillet 1980, le Finanzgericht de Hambourg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation du règlement n° 1544-69 du Conseil, du 23 juillet 1969, concernant le traitement tarifaire applicable aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs (JO L181, p.1), de la directive n° 69-169 du Conseil, du 28 mai 1969, concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises perçues à l'importation dans le trafic international de voyageurs (JO L133, p.6) ainsi qu'à la validité du règlement n° 3023-77 du Conseil, du 20 décembre 1977, relatif à certaines mesures destinées à mettre fin à des abus résultant de la vente des produits agricoles à bord des bateaux (JO n° L358, p.2).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant un commerçant en gros et un commerçant de détail, établis en République fédérale d'Allemagne, au Hauptzollamt Kiel, et soulevant la question de savoir si les "croisières du beurre" organisées par différentes compagnies de navigation à partir des ports de la côte de la Baltique violent le droit communautaire.

3. Les "croisières du beurre" conduisent par-delà la zone douanière maritime dans les eaux territoriales ou en haute mer en dehors du territoire allemand. Pendant la croisière, les passagers des bateaux ont l'occasion d'acheter des marchandises telles que des alcools, du beurre, de la viande, du tabac, des produits de parfumerie et d'autres marchandises. Jusqu'à concurrence de certains maxima, aucune taxe n'est perçue lors de l'importation des marchandises à la frontière allemande. Les "croisières du beurre" présentent pour les entreprises qui les organisent un intérêt commercial considérable.

4. La première partie requérante au principal est un commerçant en gros dont le siège social est établi aux environs de Kiel en République fédérale d'Allemagne. Elle commercialise, entre autres, les mêmes produits que ceux mis en vente au cours des croisières. Ses clients, parmi lesquels figure la seconde requérante au principal, sont des exploitants de commerce de détail, établis dans la région de la côte baltique.

5. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les requérantes ont soutenu devant le Finanzgericht que ces croisières auraient pour effet de retirer aux sociétés commerciales locales de détail et en gros le bénéfice d'une part importante du pouvoir d'achat des habitants de la côte de la Baltique, cette part étant répartie entre les compagnies de navigation qui organisent ces croisières. Le fait que ces compagnies peuvent vendre des marchandises en exemption de taxe ou avec le bénéfice d'une subvention leur confèrerait, au détriment des grossistes et des détaillants, un avantage concurrentiel considérable qui aboutirait à une distorsion de concurrence.

6. Les requérantes ont initialement demandé au Finanzgericht de constater que la défenderesse est tenue de s'abstenir du dédouanement en exemption des taxes. Elles lui ont par la suite demandé d'obliger la défenderesse à s'abstenir de faire bénéficier de la franchise, lorsqu'ils passent la frontière douanière, les voyageurs ayant acquis des marchandises au cours des "croisières du beurre", en exemption de taxes ou avec le bénéfice d'une subvention.

7. Le Finanzgericht, saisi du litige, a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"Sur le droit de douane

1. Le règlement CEE n° 1544-69 du Conseil du 23 juillet 1969, en dernier lieu dans la rédaction du règlement CEE n° 3061-78 du Conseil du 19 décembre 1978, doit-il être interprété en ce sens que la franchise qu'il prévoit ne s'applique qu'aux marchandises qui proviennent du territoire douanier d'un pays tiers et qui, le cas échéant, s'y trouvaient en outre sous le régime douanier de la libre circulation ou bien suffit-il que les marchandises proviennent d'Etats membres et soient importées à travers la frontière douanière maritime ou à travers la frontière du territoire de chaque Etat membre en venant de la haute mer ?

2. Le règlement CEE n° 1544-69, en dernier lieu dans la rédaction du règlement CEE n° 3061-78, le cas échéant en liaison avec l'article 28 du traité CEE - sous réserve des marchandises visées dans le règlement CEE n° 3023-77 du Conseil du 20 décembre 1977 - contient-il une règlementation exhaustive concernant la franchise de marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs, ou bien les Etats membres peuvent-ils, en outrepassant le domaine du règlement CEE n° 1544-69, accorder une franchise de manière autonome - sous réserve des marchandises visées dans le règlement CEE n° 3023-77 ?

3. La violation d'un règlement communautaire fonde-t-elle des droits directement applicables en faveur de celui dont les droits sont affectés par des dispositions législatives et règlementaires ou par leur mesure d'exécution, incompatibles avec le domaine de ce règlement, en ce sens qu'il peut agir devant une juridiction nationale en vue de faire prononcer l'interdiction de mesures contraires au droit communautaire ou de faire respecter des mesures de droit communautaire ?

4. Le règlement CEE n° 3023-77 est-il nul parce qu'il viole le droit communautaire de rang supérieur (par exemple, le principe d'égalité, l'interdiction de discrimination, l'égalité de concurrence, la proportionnalité) ?

5. En cas de réponse affirmative à la question 4 : celui dont les droits sont affectés par une disposition législative ou règlementaire ou par sa mesure d'exécution, fondée sur le règlement CEE n° 3023-77, possède-t-il des droits immédiatement applicables en ce sens qu'il peut agir devant une juridiction nationale en vue de faire prononcer l'interdiction de mesures contraires au droit communautaire ?

Sur la taxe sur le chiffre d'affaires et les accises

6. La directive n° 69-169 CEEdu Conseil du 28 mai 1969, en dernier lieu dans la rédaction de la directive n° 78-1032 CEEdu Conseil du 19 décembre 1978, doit-elle être interprétée en ce sens que la franchise des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises qu'elle prévoit ne s'applique qu'aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs, en provenance du territoire douanier d'un pays tiers (article 1), ou, au cas où la marchandise provient d'un Etat membre, du territoire douanier de la Communauté (article 2), et qui, le cas échéant, se trouvaient en outre sous le régime douanier de la libre circulation d'un pays tiers ou d'un Etat membre, ou bien suffit-il que les marchandises soient importées à travers la frontière du territoire de l'Etat membre intéressé en venant de la haute mer ?

7. La directive n° 69-169 (CEE), dans la rédaction en vigueur en dernier lieu, contient-elle une règlementation exhaustive concernant les franchises de la taxe sur le chiffre d'affaires et des accises pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs ou bien les Etats membres peuvent-ils, en outrepassant le domaine de la directive, accorder des franchises autonomes de taxes sur le chiffre d'affaires et les accises pour des marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs ?

8. La directive n° 69-169 (CEE), dans le rédaction en vigueur en dernier lieu, fonde-t-elle des droits immédiatement applicables en faveur de celui dont les droits sont affectés par une disposition législative ou règlementaire d'un Etat membre ou par sa mesure d'exécution, incompatible avec le contenu de cette directive, en ce sens qu'il peut agir devant une juridiction nationale en vue de faire prononcer l'interdiction de mesures nationales contraires au droit communautaire ? "

I - Sur le droit de douane

Sur la première question (interprétation du règlement n° 1544-69 - franchises douanières)

8. Le règlement n° 1544-69, modifié en dernier lieu par le règlement n° 3061-78 (JO L 366, p. 3), précise le traitement tarifaire applicable aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs.

9. Le but du règlement n° 1544-69, est, selon ses considérants, de faciliter le travail des services des douanes des Etats membres en leur évitant les problèmes complexes de dédouanement posés par le volume du trafic entre les pays tiers et la Communauté et la variété des marchandises importées par les voyageurs. A cette fin, le règlement dispose qu'une franchise limitée est accordée aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs, pour autant qu'il s'agisse d'importations dépourvues de tout caractère commercial.

10. Le règlement n° 1544-69, tel que modifié par le règlement n° 3061-78, ne se prononce pas sur la provenance des marchandises auxquelles l'exonération des droits de douane est accordée. L'article 1 dispose qu'une franchise des droits du tarif douanier commun est applicable aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance des pays tiers, pour autant qu'il s'agisse d'importations dépourvues de tout caractère commercial. L'alinéa 2 du paragraphe 1 de cet article précise qu'on entend par bagages personnels l'ensemble des bagages que le voyageur est en mesure de présenter au service des douanes lors de son arrivée ainsi que ceux qu'il présente ultérieurement à ce même service, sous réserve de justifier qu'ils ont été enregistrés comme bagages accompagnés au moment de son départ auprès de la compagnie qui a assuré son transport.

11. Le règlement concerne des petites quantités de marchandises, qui représentent une faible valeur imposable. L'objectif du règlement, qui est de faciliter le dédouanement des marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance de pays tiers, ne serait pas atteint si les autorités douanières étaient obligées de déterminer à l'occasion d'importations la provenance des marchandises pour lesquelles l'exonération des droits de douane est demandée.

12. En conséquence, il y a lieu de constater que le règlement n° 1544-69 s'applique aux bagages des voyageurs en provenance des pays tiers, quelles que soient l'origine et la provenance de ces marchandises et indépendamment des taxes douanières et fiscales dont elles ont été frappées avant leur importation sur le territoire communautaire.

13. Il convient d'observer en outre que le septième considérant du règlement expose "qu'il y a lieu... de préciser expressément, afin d'éviter tout abus d'interprétation, que la franchise des droits du tarif douanier commun ne s'applique qu'à l'égard des voyageurs en provenance d'un pays tiers'. La volonté du Conseil d'éviter des abus apparaît clairement de ce considérant. On ne saurait donc considérer comme voyageur en provenance d'un pays tiers pouvant bénéficier de la franchise des droits du tarif douanier commun celui qui, au cours d'une croisière à partir d'un port d'un Etat membre, ne fait pas escale dans un pays tiers ou n'y fait qu'une escale symbolique sans y effectuer un véritable séjour, c'est-à-dire un séjour au cours duquel il aurait effectivement la possibilité de réaliser des achats.

14. Il y a donc lieu de répondre à la première question que la franchise prévue par le règlement n° 1544-69, tel que modifié en dernier lieu par le règlement n° 3061-78, ne s'applique qu'aux marchandises contenues dans les bagages personnels de voyageurs en provenance d'un pays tiers. Cette franchise s'applique indépendamment de l'origine et de la provenance des marchandises, et des taxes douanières et fiscales dont elles ont été frappées avant leur importation sur le territoire communautaire. On ne saurait, toutefois, considérer comme voyageur en provenance d'un pays tiers au sens du règlement celui qui, au cours d'une croisière à partir d'un port dans un Etat membre, ne fait pas escale dans un pays tiers ou n'y fait qu'une escale symbolique sans y effectuer un séjour, au cours duquel il aurait effectivement la possibilité de réaliser des achats.

Sur la deuxième question (interprétation du règlement n° 1544-69 - franchises douanières)

15. L'article 3 (b) du traité dispose que l'action de la Communauté comporte, entre autres, l'établissement d'un tarif douanier commun. L'article 9 du traité précise que la Communauté est fondée sur une union douanière qui s'étend à l'ensemble des échanges de marchandises et qui comporte l'interdiction, entre les Etats membres, des droits de douane à l'importation et à l'exportation et de toutes taxes d'effet équivalent, ainsi que l'adoption d'un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers. L'article 28 du traité dispose que toutes modifications ou suspensions autonomes des droits du tarif douanier commun sont décidées par le Conseil.

16. Ces dispositions font clairement apparaître que c'est au Conseil qu'il appartient, dans les conditions fixées par le traité, de décider les franchises dont, dans des circonstances déterminées, certains produits peuvent bénéficier en dérogation du tarif douanier commun. Il en résulte que, en tout cas dès le moment où le Conseil arrête dans un domaine déterminé des règles d'application uniforme en matière de franchises - telles celles du règlement n° 1544-69 - il ne reste aucune compétence aux Etats membres pour accorder, dans ce domaine, une franchise qui dépasserait celle déterminée par les règles communautaires.

17. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que le règlement n° 1544-69 contient une règlementation exhaustive concernant la franchise de marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance des pays tiers, qui ne laisse aux Etats membres aucune compétence pour accorder, dans le domaine couvert par le règlement, une franchise qui dépasserait celle prévue par le règlement.

Sur la quatrième question (validité du règlement n° 3023-77 - franchises prélèvements agricoles)

18. Par la quatrième question, il est demandé si le règlement n° 3023-77 du Conseil ne serait pas frappé de nullité en ce qu'il violerait le droit communautaire de rang supérieur (par exemple, le principe d'égalité, l'interdiction de discrimination, l'égalité de concurrence, la proportionnalité).

19. Avant de procéder à l'examen de ces moyens, il y a lieu, toutefois, de rechercher si le règlement répond aux exigences de motivation de l'article 190 du traité.

20. Le règlement n° 1818-75 du Conseil, du 10 juillet 1975 (JO n° L 185, p. 3), a étendu les franchises à accorder par le règlement n° 1544-69 aux prélèvements agricoles et autres dispositions à l'importation prévus dans le cadre de la politique agricole commune ou dans celui des régimes spécifiques applicables, au titre de l'article 235 du traité, à certaines marchandises résultant de la transformation de produits agricoles lorsqu'elles sont contenues dans les bagages personnels des voyageurs entrant dans la Communauté.

21. Constatant que cette extension des franchises donnait lieu à des abus, le Conseil a adopté le 20 décembre 1977 le règlement n° 3023-77 relatif à "certaines mesures destinées à mettre fin à des abus résultant de la vente de produits agricoles à bord de bateaux". Les considérants de ce règlement rappellent d'abord que le règlement n° 1544-69 (franchises proprement douanières) ne s'applique pas aux marchandises importées à la suite d'un voyage effectué à partir d'un Etat membre et à l'occasion duquel le territoire douanier d'un pays tiers n'a pas été touché. Ces mêmes considérants exposent ensuite que l'expérience a démontré que des produits agricoles communautaires ayant bénéficié de restitutions à l'exportation et des produits agricoles en provenance de pays tiers ont été vendus ou distribués à bord de bateaux ayant quitté un port communautaire et rentrant à nouveau dans un port communautaire sans avoir fait escale en dehors du territoire douanier de la Communauté, en vue d'être introduits dans la Communauté au titre des franchises prévues par les règlements n° 1544-69 et n° 1818-75.

22. Il ressort de ces considérants que le Conseil estimait que l'admission sur le territoire douanier de la Communauté, en franchise des droits de douane et des prélèvements agricoles, des marchandises acquises par des voyageurs dans les conditions visées par ces considérants n'était pas conforme au but des règlements précités. Le but de l'octroi de restitutions à l'exportation étant de permettre aux produits agricoles d'origine communautaire de concurrencer les produits des pays tiers sur les marchés extérieurs, il serait incompatible avec le système communautaire de restitutions à l'exportation d'octroyer de telles restitutions pour des exportations qui ne seraient pas destinées au marché d'un pays tiers mais à la réimportation dans la Communauté en franchise des prélèvements normalement perçus à l'importation des produits agricoles. Une telle opération serait susceptible d'entraîner une perte nette pour les fonds d'orientation et de garantie agricoles, et de fausser la concurrence sur le marché intérieur.

23. Au cinquième considérant du règlement n° 3023-77, le Conseil expose, toutefois, ce qui suit :

"Considérant qu'il apparaît nécessaire de clarifier la situation juridique en la matière ; que, à cet effet, il y a lieu d'autoriser les Etats membres à accorder, pour les produits énumérés à l'annexe II du traité qui sont vendus ou distribués à bord de bateaux dans les conditions indiquées ci-dessus, des franchises portant sur des quantités très limitées, en dehors desquelles ces produits ne pourront désormais être introduits dans la Communauté que moyennant paiement des droits à l'importation exigibles'.

24. En conséquence, le règlement autorise les Etats membres à accorder une franchise des droits à l'importation pour certaines quantités des produits qui sont précisés à l'article 1, paragraphe 2, au règlement, dans les conditions décrites dans les considérants.

25. L'article 190 du traité dispose que "les règlements, les directives et les décisions du Conseil et de la Commission sont motivés et visent les propositions ou avis obligatoirement recueillis en exécution du présent traité". Cet article exige que de tels actes contiennent un exposé des raisons qui ont amené l'institution à les arrêter, de sorte que la Cour puisse exercer son contrôle et que tant les Etats membres que les ressortissants intéressés connaissent les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont fait application du traité.

26. La motivation du règlement n° 3023-77 ne répond pas à cette obligation. Elle ne fournit en effet aucune explication quant à la raison pour laquelle le Conseil, après avoir constaté que le règlement n° 1544-69 ne trouvait pas à s'appliquer dans les circonstances évoquées ci-dessus et ce contrairement à une pratique qui s'était instaurée, a cru nécessaire d'établir un système de franchise particulier applicable à ce type de situation. Une telle contradiction dans la motivation est d'autant plus sérieuse qu'elle concerne une disposition qui autorise les Etats membres à accorder des franchises, fussent-elles minimes, des droits à l'importation, lesquels constituent un élément essentiel de la politique agricole commune. Dans ces conditions, la motivation ne fournit aucun support juridique aux dispositions règlementaires contestées dont il n'apparaît pas dès lors nécessaire d'examiner le fond en vue d'établir si elles sont compatibles avec les règles du Marché commun.

27. Il suffit, dès lors, de constater que le règlement n° 3023-77 n'est pas motivé conformément aux exigences de l'article 190 du traité et qu'il est donc non valide.

II - Sur la taxe sur le chiffre d'affaires et les accises

Sur la sixième et la septième questions (interprétation de la directive n° 69-169 - franchises TVA et accises)

28. La directive n° 69-169, telle que complétée par la deuxième directive du Conseil du 12 juin 1972 (JO L 139, p. 28) et par la troisième directive du Conseil du 10 décembre 1978 (JO L 366, p. 28), concernant l'harmonisation des dispositions législatives, règlementaires et administratives relatives aux franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises applicables dans le trafic international de voyageurs, prévoit qu'une franchise de ces taxes perçues à l'importation est applicable, dans le cadre de voyages entre pays tiers et la Communauté, aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs et ne dépassant pas certaines limites de valeur.

29. La même directive prévoit également une franchise des mêmes taxes perçues à l'importation applicable aux marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance d'Etats membres de la Communauté, dans certaines limites de valeur, à la condition que ces marchandises répondent aux conditions prévues aux articles 9 et 10 du traité et qu'elles soient acquises aux conditions générales d'imposition du marché d'un des Etats membres.

30. Dans son article 4, la même directive dispose que, sans préjudice des dispositions nationales applicables en la matière aux voyageurs ayant leur résidence hors d'Europe, chaque Etat membre applique, en ce qui concerne l'importation en franchise des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises de certaines marchandises Y énumérées (produits du tabac, boissons alcooliques, parfums et eaux de toilette, café et thé), les limites quantitatives Y mentionnées. Les limites applicables au trafic entre pays tiers et la Communauté sont moins élevées que celles applicables au trafic entre Etats membres.

31. Cette directive accorde, par ailleurs, aux Etats membres la faculté de réduire la valeur ou la quantité des marchandises à admettre en franchise pour les travailleurs frontaliers et pour certaines autres personnes.

32. Elle contient en outre des dispositions réglant la détaxation par les Etats membres des marchandises à emporter dans les bagages personnels des voyageurs qui sortent d'un Etat membre.

33. Il ressort des considérants des deux directives qui ont complété la directive n° 69-169, que le Conseil les a adoptées en exécution de la résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des Etats membres, du 22 mars 1971, concernant un élargissement progressif des franchises fiscales accordées aux particuliers lors du passage des frontières intracommunautaires. Dans un premier stade, le Conseil estimait souhaitable de prévoir certaines règles communes applicables aux résidents de la Communauté pour le cas général des détaxations au stade du commerce de détail.

34. En ce qui concerne le trafic entre pays tiers et la Communauté, il apparaît du texte même des directives que la franchise n'est accordée qu'aux voyageurs qui atteignent le territoire douanier de la Communauté en provenance d'un pays tiers, et que dans ce cas les conditions dans lesquelles les marchandises ont été acquises sont sans importance pour l'octroi de la franchise.

35. En ce qui concerne le trafic intracommunautaire, l'article 2, paragraphe 4, de la troisième directive ajoute à la directive n° 69-169 une disposition qui précise que, lorsque le voyage d'un pays membre à un autre s'effectue en transit par le territoire d'un pays tiers, ou au départ d'une partie du territoire de l'autre Etat membre dans lequel les taxes auxquelles la directive se réfère ne sont pas d'application aux marchandises qui y sont consommées, le voyageur doit pouvoir justifier que les marchandises transportées dans ses bagages ont été acquises aux conditions générales d'imposition du marché intérieur d'un des Etats membres et ne bénéficient d'aucun remboursement des taxes sur le chiffre d'affaires ou des accises. Si le voyageur ne peut pas fournir la preuve précitée, il ne peut bénéficier que de la franchise plus limitée prévue pour le trafic de voyageurs entre les pays tiers et la Communauté.

36. Il ressort, tant des considérants des directives en cause que de leurs dispositions, que le Conseil a entendu instaurer progressivement un système complet de franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs, et que, par conséquent, il ne reste aux Etats membres, dans ce domaine, que la compétence limitée qui leur est reconnue par les directives pour accorder des franchises différentes de celles précisées dans les directives.

37. Il y a donc lieu de répondre à la sixième question que :

a) En ce qui concerne le trafic entre pays tiers et la Communauté, la franchise prévue par la directive n° 69-169 n'est accordée qu'aux voyageurs qui atteignent le territoire douanier de la Communauté en provenance d'un pays tiers, et que dans ce cas les conditions dans lesquelles les marchandises ont été acquises sont sans importance pour l'octroi de la franchise ;

b) En ce qui concerne le trafic intracommunautaire, si le voyage d'un pays membre à un autre s'effectue en transit par le territoire d'un pays tiers ou au départ d'une partie du territoire de l'autre Etat membre dans lequel les taxes auxquelles la directive se réfère ne sont pas d'application aux marchandises qui y sont consommées, le voyageur doit pouvoir justifier que les marchandises transportées dans ses bagages ont été acquises aux conditions générales d'imposition du marché intérieur d'un des Etats membres et ne bénéficient d'aucun remboursement de taxes sur le chiffre d'affaires ou d'accises. Si le voyageur ne peut pas fournir la preuve précitée, il ne peut bénéficier que de la franchise plus limitée prévue pour le trafic de voyageurs entre les pays tiers et la Communauté.

38. Il y a lieu de répondre à la septième question que le Conseil, en adoptant les directives, a entendu instaurer progressivement un système complet de franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs, et que, par conséquent, il ne reste aux Etats membres, dans ce domaine, que la compétence limitée qui leur est reconnue par les directives pour accorder des franchises différentes de celles précisées dans les directives.

Sur la troisième, la cinquième et la huitième questions (sur les droits d'action conférés aux justiciables par les règlements et directives en cause)

39. Ces trois questions portent sur la possibilité pour un justiciable dont les intérêts sont affectés, soit par des dispositions législatives nationales incompatibles avec le droit communautaire, soit par l'application d'un acte communautaire illégal, d'agir devant les juridictions nationales en vue de faire prononcer l'interdiction de mesures contraires au droit communautaire.

40. Dans son ordonnance, le Finanzgericht expose que, selon la jurisprudence tant du Bundesverfassungsgericht que du Bundesverwaltungsgericht, les lois d'orientation de l'économie qui sont promulguées dans l'intérêt de certaines catégories et qui modifient la situation économique violent le principe d'égalité lorsqu'elles ne sont pas imposées pour le bien commun et lorsqu'elles lèsent arbitrairement des intérêts dignes de protection d'autres catégories. Il est indiqué que, dans un tel cas, le droit allemand reconnaît à tout intéressé un droit d'action. Posées dans ce contexte, les questions soulevées par la juridiction nationale visent, en substance, à savoir si ce droit d'action peut être exercé dans des conditions analogues dans le cadre de l'ordre juridique communautaire en ce sens notamment que, lorsqu'un justiciable, en tant que sujet de droit communautaire, est économiquement lésé par la non-application à des tiers, soit du fait d'un Etat membre, soit du fait de l'autorité communautaire, d'une règlementation communautaire, il pourrait agir devant les juridictions d'un Etat membre en vue de faire enjoindre aux autorités nationales d'appliquer la règlementation concernée ou de s'abstenir de la violer.

41. Il convient de remarquer d'abord qu'en vertu de l'article 189 du traité le règlement "est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout Etat membre". La directive "lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre", tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Selon la jurisprudence de la Cour, l'effet contraignant de la directive implique qu'une autorité nationale ne peut opposer à un particulier une disposition législative ou administrative nationale qui ne serait pas conforme à une disposition de la directive qui aurait toutes les caractéristiques nécessaires pour pouvoir être appliquée par le juge.

42. Il résulte de ces considérations qu'un justiciable peut faire valoir devant les juridictions nationales ses droits découlant du règlement.

43. De la même façon, un justiciable ne peut se voir opposer par une autorité nationale des dispositions législatives ou administratives qui ne seraient pas conformes à une obligation inconditionnelle et suffisamment précise de la directive.

44. En ce qui concerne le droit d'un opérateur économique d'exiger en justice que les autorités d'un Etat membre imposent à des tiers le respect d'obligations résultant de la règlementation communautaire, dans une situation juridique déterminée, alors que cet opérateur n'y est pas impliqué, mais est économiquement lésé par cette inobservation du droit communautaire, il convient, en premier lieu, de remarquer que, si le traité a créé un certain nombre d'actions directes qui peuvent être exercées le cas échéant par des personnes privées devant la Cour de justice, il n'a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national. Par contre, le système de protection juridique mis en œuvre par le traité, tel que l'exprime en particulier l'article 177, implique que tout type d'action prévu par le droit national doit pouvoir être utilisé pour assurer le respect des règles communautaires d'effet direct dans les mêmes conditions de recevabilité et de procédure que s'il s'agissait d'assurer le respect du droit national.

45. En ce qui concerne plus spécifiquement le règlement n° 3023-77, il est à remarquer que, en soi, ce règlement n'accordait aucune franchise. Il donnait aux autorités nationales la faculté d'accorder une franchise limitée. La conséquence qui découle de son invalidité est, dès lors, que les mesures nationales prises sur le fondement du règlement ne sont pas conformes au droit communautaire.

46. Il y a donc lieu de répondre aux troisième, cinquième et huitième questions de la manière suivante :

"Le système de protection juridique mis en œuvre par le traité, tel que l'exprime en particulier l'article 177, implique que tout type d'action prévu par le droit national doit pouvoir être utilisé devant les juridictions nationales pour assurer le respect des règles communautaires d'effet direct dans les mêmes conditions de recevabilité et de procédure que s'il s'agissait d'assurer le respect du droit national'.

Sur les dépens

47. Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, par le Gouvernement de la République française, par le Gouvernement du Royaume-Uni, par le Conseil des Communautés européennes et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht Hamburg, par ordonnance du 5 juin 1980, dit pour droit :

1) La franchise prévue par le règlement n° 1544-69, tel que modifié en dernier lieu par le règlement n° 3061-78, ne s'applique qu'aux marchandises contenues dans les bagages personnels de voyageurs en provenance d'un pays tiers. Cette franchise s'applique indépendamment de l'origine et de la provenance des marchandises, et des taxes douanières et fiscales dont elles ont été frappées avant leur importation sur le territoire communautaire. On ne saurait, toutefois, considérer comme voyageur en provenance d'un pays tiers au sens du règlement celui qui, au cours d'une croisière à partir d'un port dans un Etat membre, ne fait pas escale dans un pays tiers ou n'y fait qu'une escale symbolique sans y effectuer un séjour au cours duquel il aurait effectivement la possibilité de réaliser des achats.

2) Le règlement n° 1544-69 du Conseil, du 23 juillet 1969, contient une règlementation exhaustive concernant la franchise de marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs en provenance des pays tiers, qui ne laisse aux Etats membres aucune compétence pour accorder, dans le domaine couvert par le règlement, une franchise qui dépasserait celle prévue par le règlement.

3) Le règlement n° 3023-77 du Conseil, du 20 décembre 1977, relatif à certaines mesures destinées à mettre fin à des abus résultant de la vente des produits agricoles à bord des bateaux, n'est pas suffisamment motivé et est, dès lors, non valide.

4) En ce qui concerne le trafic entre pays tiers et la Communauté, la franchise prévue par la directive n° 69-169 du Conseil, du 28 mai 1969, concernant l'harmonisation des dispositions législatives, règlementaires et administratives relatives aux franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises perçues à l'importation dans le trafic international de voyageurs, n'est accordée qu'aux voyageurs qui atteignent le territoire douanier de la Communauté en provenance d'un pays tiers, et dans ce cas les conditions dans lesquelles les marchandises ont été acquises sont sans importance pour l'octroi de la franchise.

5) En ce qui concerne le trafic intracommunautaire, si le voyage d'un pays membre à un autre s'effectue en transit par le territoire d'un pays tiers ou au départ d'une partie du territoire de l'autre Etat membre dans lequel les taxes auxquelles la directive se réfère ne sont pas d'application aux marchandises qui y sont consommées, le voyageur doit pouvoir justifier que les marchandises transportées dans ses bagages ont été acquises aux conditions générales d'imposition du marché intérieur d'un des Etats membres et ne bénéficient d'aucun remboursement de taxes sur le chiffre d'affaires ou d'accises. Si le voyageur ne peut pas fournir la preuve précitée, il ne peut bénéficier que de la franchise plus limitée prévue pour le trafic de voyageurs entre les pays tiers et la Communauté.

6) En adoptant la directive n° 69-169 et les deuxième et troisième directives, du 12 juin 1972 et du 10 décembre 1978, la complétant, le Conseil a entendu instaurer progressivement un système complet de franchises des taxes sur le chiffre d'affaires et des accises pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs ; il ne reste par conséquent aux Etats membres, dans ce domaine, que la compétence limitée qui leur est reconnue par les directives pour accorder des franchises différentes de celles précisées dans les directives.

7) Le système de protection juridique mis en œuvre par le traité, tel que l'exprime en particulier l'article 177, implique que tout type d'action prévu par le droit national doit pouvoir être utilisé devant les juridictions nationales pour assurer le respect des règles communautaires d'effet direct dans les mêmes conditions de recevabilité et de procédure que s'il s'agissait d'assurer le respect du droit national."