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Décisions

CJCE, 16 juin 1966, n° 57-65

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Firma Alfons Lütticke GmbH

Défendeur :

Hauptzollamt de Sarrelouis

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Wendt.

CJCE n° 57-65

16 juin 1966

LA COUR,

1. Sur les deux premières questions

Attendu que, par sa première question, le Finanzgericht du land de Sarre demande à la Cour de dire si l'article 95, alinéa 1, du traité a des effets directs et crée pour les particuliers des droits individuels dont les juridictions nationales doivent tenir compte ;

Que, pour le cas où la réponse serait négative, le Finanzgericht pose la question de savoir si, a compter du 1er janvier 1962, l'alinéa 3 dudit article, conjointement avec l'alinéa 1, produit les effets et crée les droits susvisés ;

Attendu qu'il y a lieu de traiter ensemble les deux questions et de préciser d'abord les rapports entre lesdits alinéas de l'article 95 ;

Attendu que l'article 95, alinéa 1, énonce, en tant que règle générale et permanente de l'ordre communautaire, que la charge des impositions intérieures frappant les produits des autres Etats membres ne doit pas être supérieure à celle grevant les produits nationaux similaires ;

Qu'un tel régime, souvent adopté par le traité pour assurer l'égalité des ressortissants de la Communauté à l'égard des législations nationales, constitue en matière fiscale le fondement indispensable du Marché commun ;

Qu'afin de faciliter l'adaptation des législations nationales à cette règle, l'alinéa 3 de l'article 95 donne aux Etats membres un délai allant jusqu'au début de la deuxième étape de la période transitoire, c'est-à-dire jusqu'au 1er janvier 1962, pour éliminer ou corriger les " dispositions existant à l'entrée en vigueur du présent traité qui sont contraires aux règles ci-dessus " ;

Qu'ainsi l'article 95 contient une règle générale pourvue d'une simple clause suspensive quant aux dispositions existant à son entrée en vigueur ;

Qu'il convient d'en conclure qu'à l'expiration dudit délai la règle générale sort la totalité de ses effets sans réserve ;

Attendu qu'il convient d'aborder les questions soulevées par le Finanzgericht à la lumière des considérations qui précèdent ;

Attendu que l'article 95, alinéa 1, énonce une interdiction de discrimination qui constitue une obligation claire et inconditionnelle ;

Qu'à l'exception de l'alinéa 3 cette obligation n'est assortie d'aucune condition, ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte soit des institutions de la Communauté, soit des Etats membres ;

Que cette interdiction est donc complète, juridiquement parfaite et, en conséquence, susceptible de produire des effets directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et leurs justiciables ;

Que le fait, par cet article, de designer les Etats membres comme sujets de l'obligation de non-discrimination n'implique pas que les particuliers ne puissent en être les bénéficiaires ;

Attendu, en ce qui concerne l'alinéa 3 de l'article 95, qu'il comporte, il est vrai, pour les Etats membres une obligation d'" éliminer " ou de " corriger " les dispositions contraires aux principes énoncés aux alinéas précédents ;

Que cependant ladite obligation ne laisse aux Etats membres aucune marge d'appréciation quant à la date à laquelle ces opérations doivent être intervenues, c'est-à-dire avant le 1er janvier 1962 ;

Qu'à partir de cette date il suffit au juge national de constater, le cas échéant, que les actes d'exécution des règles nationales entreprises sont intervenues après cette date, pour admettre en tout cas les effets directs de l'alinéa 1 ;

Qu'ainsi la disposition de l'alinéa 3 ne fait obstacle à l'application de la règle générale qu'en ce qui concerne les actes d'exécution, intervenus avant le 1er janvier 1962, de dispositions existant à l'entrée en vigueur du traité ;

Attendu que, dans les observations tant écrites qu'orales qu'ils ont présentées au cours de la procédure, trois gouvernements se sont bases sur l'article 97 pour soutenir une interprétation différente de l'article 95 ;

Que ledit article, en permettant aux Etats membres qui perçoivent la taxe sur le chiffre d'affaires d'après le système de la taxe cumulative à cascade la fixation de taux moyens par produit ou groupe de produits, constitue une règle spéciale d'adaptation de l'article 95 et que cette règle, par sa nature, n'est pas susceptible d'engendrer des effets directs dans les relations entre les Etats membres et leurs justiciables ;

Que cette situation, particulière à l'article 97, ne saurait en tout cas interférer sur l'interprétation de l'article 95 ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que, sans préjudice de l'exception de l'alinéa 3 pour les dispositions existant à l'entrée en vigueur du traité jusqu'au 1er janvier 1962, l'interdiction de l'article 95 a des effets directs et crée pour les particuliers des droits individuels dont les juridictions nationales doivent tenir compte.

2. Sur la troisième question

Attendu que, par sa troisième question, le Finanzgericht demande à la Cour de dire si " l'article 95, alinéas 1 et 3, du traité CEE, conjointement avec l'article 12 ou l'article 13 de ce traité, à... des effets directs et crée... pour les particuliers des droits individuels dont les juridictions nationales doivent tenir compte " ;

Attendu que, cette question n'ayant été soulevée que pour le cas où la Cour répondrait négativement aux deux premières questions, il n'y a pas lieu d'y répondre ;

Qu'il convient cependant de préciser que les articles 12 et 13, d'une part, et 95, d'autre part, ne sauraient être appliqués conjointement à une seule et même espèce ;

Que les taxes d'effet équivalant à des droits de douane, d'une part, et les impositions intérieures, d'autre part, sont soumises à des régimes différents ;

Qu'à cet égard il y a lieu de remarquer qu'une taxe destinée à compenser l'effet d'une imposition intérieure participe de ce fait à la nature intérieure de l'imposition dont il vise à compenser l'effet.

Dépens

Attendu que les frais exposés par le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, par la Commission de la Communauté économique européenne et par les Gouvernements de la République Fédérale d'Allemagne et du Royaume de Belgique, qui ont soumis leurs observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

Que la procédure revêt, à l'égard des parties au litige pendant devant le Finanzgericht du land de Sarre, le caractère d'un incident soulevé devant cette juridiction et que la décision sur les dépens incombe dès lors à cette juridiction ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Dit pour droit :

1) l'article 95, alinéa 1, produit des effets immédiats et engendre pour les justiciables des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder ;

2) du fait de l'article 95, alinéa 3, l'alinéa 1 ne s'applique aux dispositions existant à l'entrée en vigueur du traité qu'à partir du début de la deuxième étape de la période transitoire,

Et décide :

Il appartient au Finanzgericht du land de Sarre de statuer sur les dépens de la présente instance.