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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 15 juin 2005, n° 03-15008

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hidoux (ès qual.), Automobiles de Gap et des Alpes (SA), Martin-Prevel

Défendeur :

Automobiles Citroën (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Roche, Mme Kermina

Avoués :

Me Louis-Charles Huyghe, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot

Avocats :

Mes Chevallier, Munnier

T. com. Paris, du 16 juin 2003

16 juin 2003

Le 1er décembre 1984 la société Automobiles Citroën a confié à la société Automobiles de Gap et des Alpes, dont M. Martin-Prevel était le président directeur général, la concession de sa marque sur le secteur des Hautes-Alpes et d'une partie des Alpes de Haute Provence et ce pour une durée déterminée expirant le 31 décembre 1987. Le 1er janvier 1988 un nouveau contrat de concession à durée indéterminée était signé entre les parties.

Cependant par jugement du 30 juin 1992 le Tribunal de commerce de Gap ouvrait une procédure de règlement judiciaire à l'encontre de la société Automobiles de Gap et des Alpes dont la liquidation judiciaire devait être prononcée le 30 décembre suivant.

Estimant que la fixation par la société Automobiles Citroën d'objectifs de vente "artificiellement hauts" pour les années 1990 et 1991 avait été à l'origine de l'absence de rentabilité de la concession et, par là même, de la procédure collective sus rappelée M. Martin-Prevel, à titre personnel, ainsi que Me Hidoux, ès qualités de liquidateur de la société Automobiles de Gap et des Alpes, ont par acte du 2 février 1994, assigné l'intéressée devant le Tribunal de commerce de Gap en réparation du préjudice qu'ils déclaraient avoir subi.

Par jugement du 20 janvier 1995, confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Grenoble du 19 septembre 1995, le Tribunal de commerce de Gap s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris s'agissant des demandes formées par Me Hidoux ès qualités.

En l'absence de diligence de la part de ce dernier, le Tribunal de commerce de Paris devant lequel les prétentions de celui-ci avaient été portées a, par jugement du 15 novembre 1999, constaté la péremption de l'instance. C'est dans ces conditions que par acte du 18 janvier 2001 Me Hidoux ès qualités, a engagé, pour les mêmes motifs que ceux à l'origine de sa précédente action, une nouvelle instance en dommages et intérêts à l'encontre de la société Automobiles Citroën.

M. Martin-Prevel s'est joint à l'instance en reprenant les demandes initialement présentées auprès du Tribunal de commerce de Gap, et ce, afin qu'il soit statué en une seule et même décision.

Par le jugement présentement déféré du 16 juin 2003 le Tribunal de commerce de Paris a débouté les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions.

Régulièrement appelants Me Hidoux, ès qualités, ainsi que M. Martin-Prevel ont, par conclusions enregistrées le 21 novembre 2003, prié la cour de condamner la société Automobiles Citroën à payer les sommes suivantes:

- au titre du préjudice subi par la société Automobiles de Gap et des Alpes 1 457 075,20 euro, outre 15 244,90 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- au titre du préjudice subi par Monsieur Martin-Prevel à titre personnel:

* privation des investissements en capital et en compte courant 114 336,76 euro mise en œuvre de son engagement de caution

* privation de carrière évaluée en rapport avec la perte prévisible de ses avantages salariaux et sociaux ainsi que de tout espoir de valorisation des actions de la société 914 694,10 euro

* perte de revenus 457 347,05 euro

* préjudice moral 76 224,51 euro

outre 15 244,90 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions enregistrées le 23 mars 2004 la société Automobiles Citroën a sollicité de la cour de:

- confirmer le jugement,

- débouter Me Hidoux, ès qualités, et M. Martin-Prevel de toutes leurs demandes comme étant irrecevables et non fondées,

- condamner chacun d'eux aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Sur ce,

Considérant que si les appelants reprochent à l'intéressée la seule fixation d'objectifs de vente trop élevés, lesquels seraient à l'origine directe du dépôt de bilan de la société concessionnaire et des préjudices multiples en résultant pour chacun d'eux, il convient tout d'abord, de rappeler que le règlement communautaire d'exemption n° 123-85 afférent aux accords de distribution de véhicules automobiles énonçait dans sa rédaction applicable au moment des faits et en son article 4 : "ne fait pas obstacle à l'application des articles 1, 2, et 3 l'engagement par lequel le distributeur s'oblige à s'efforcer d'écouler dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimum de produits contractuels, que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur, si les parties ne se mettent pas d 'accord à ce sujet "; que, par ailleurs, il échet de souligner qu'une clause d'objectifs insérée dans un contrat de concession automobile n'est pas contraire, en elle même, à l'article 81 du traité instituant la communauté européenne dès lors qu'elle contribue, dans l'intérêt du consommateur final, à maintenir une concurrence effective entre les concessionnaires et, en prévenant toute inaction ou passivité commerciale de leur part, à assurer la fluidité des marchés locaux ainsi qu'à empêcher la paralysie des règles normales de commerce née de l'exclusivité réciproque à laquelle les parties s'engagent mutuellement ; que toutefois, les objectifs assignés se doivent d'être fixés de manière objective en fonction des performances commerciales concrètes réalisées par la marque considérée sur le territoire national ainsi qu'au regard des spécificités locales du marché sur le territoire même de la concession;

Considérant, en l'espèce, que la société intimée verse aux débats une note explicitant, de façon précise et détaillée, le mode de calcul retenu pour l'ensemble des concessions et succursales de son réseau pour les années 1989 et 1999 ; que la méthode arrêtée se fonde, de façon à la fois concrète et objective tant sur les performances de la marque au niveau national et régional que sur les résultats antérieurs du concessionnaire concerné, permettant ainsi d'arrêter, à l'issu d'un calcul mécaniste, nécessairement exclusif de tout caractère discriminatoire ou subjectif, les objectifs assignés pour chaque année à la société Automobiles de Gap et des Alpes; que c'est également ainsi que, prenant acte de la baisse générale d'activité du secteur automobile en 1990 et quantifiant celle-ci, le concédant a fixé à ses concessionnaires des objectifs de vente pour l'année 1991 en baisse significative par rapport à ceux de l'année précédente que, plus précisément, la société Automobiles de Gap et des Alpes s'est vue attribuer un objectif de vente de seulement 876 véhicules neufs en 1991 contre 978 en 1990, soit une baisse de 10,5 % alors que la contraction du marché correspondant n'avait été pendant la période considérée que de 7,1 % ; qu'au demeurant il sera relevé que M. Martin-Prevel dans son rapport d'activité sur l'exercice 1990 indique lui même que le compte de résultat prévisionnel 1991 a été établi en tenant compte de l'hypothèse de vente de 896 véhicules et que cette prévision lui paraît "raisonnable"; que, dès lors, en allouant un objectif de 876 véhicules neufs pour ladite année la société Automobiles Citroën ne saurait présentement se voir imputer un quelconque abus de droit de la part de son ancien concessionnaire; que ce dernier, en tout état de cause, n'établit ni même n'allègue s'être jamais opposé, pendant toute la durée de la concession, aux exigences de la société intimée, laquelle n'a fait que mettre en œuvre les stipulations d'un contrat, elles-mêmes conformes aux dispositions du règlement communautaire sus-rappelé ; que, plus généralement, les paramètres chiffrés produits par la société Automobiles Citroën à l'appui de sa détermination annuelle des objectifs alloués à l'intéressée ainsi que des ajustements opérés en fonction de l'évolution du marché n'ont fait l'objet d'aucune contestation ou critique utile de la part des appelants; qu'enfin et tout état de cause il sera observé que tant la vente de véhicules d'occasion que celle des pièces de rechange étaient indépendantes de la fixation des objectifs de vente litigieux et qu'ainsi les appelants ne sauraient imputer à ces derniers les difficultés des deux activités concernées ; que, par suite, en l'absence de toute faute démontrée de la part de l'intimée dans l'imposition à la société Automobiles de Gap et des Alpes de ses objectifs particuliers de vente pour les années 1990 et 1991, objectifs dont, au delà des affirmations non corroborées des appelants, rien ne démontre l'irréalisme commercial ou l'absence de rationalité économique au regard du marché local spécifique, Me Hidoux, ès qualités, ainsi que M. Martin-Prevel ne peuvent qu'être déboutés de l'ensemble des demandes indemnitaires formées de ce chef et ce, sans qu'il soit besoin d'apprécier la réalité et l'effectivité du préjudice dont ils font, chacun, état; qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré rejetant leurs prétentions;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande dans les circonstances de l'espèce de ne pas faire droit à la demande présentée par la société intimée sur le fondement de l'article susvisé ;

Par ces motifs, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, le rejetant, confirme le jugement, Déboute les appelants de l'ensemble de leurs prétentions, Les condamne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit de la SCP Bourdais-Virenque-Oudinot, avoués, Rejette la demande formée par la société Automobiles Citroën sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.