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Décisions

Conseil Conc., 7 novembre 2005, n° 05-D-59

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'Internet haut débit

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Lescop par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Pinot, MM. Honorat, Charrière-Bournazel, Combe, Piot, Bidaud, membres.

Conseil Conc. n° 05-D-59

7 novembre 2005

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 29 novembre 1999, sous les numéros F 1185 et M 249, par laquelle la société 9 Télécom Réseau a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom sur le marché de gros du haut débit par ADSL ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société 9 Télécom Réseau et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 30 mars 2000 ; Vu la décision n° 04-D-18 du 13 mai 2004 et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 11 janvier 2005 ; Vu les avis n° 99-582 du 7 juillet 1999, n° 00-28 du 7 janvier 2000, n° 01-327 du 28 mars 2001, n° 01-548 du 19 juin 2001, n° 02-346 du 8 mars 2002 et n° 02-594 du 15 juillet 2002 de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), devenue ARCEP ; Vu les observations présentées par les sociétés France Télécom et Neuf Télécom (anciennement 9 Télécom Réseau) et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés France Télécom et Neuf Télécom entendues lors de la séance du 13 septembre 2005 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 29 novembre 1999 sous le numéro F 1185, la société 9 Télécom Réseau (ci-après Neuf Télécom) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le cadre du développement de la technologie ADSL en France. Cette saisine était assortie d'une demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro M.249.

2. Dans sa saisine, Neuf Télécom reproche à France Télécom de proposer à ses concurrents un accès au marché de la fourniture d'accès à Internet par les technologies xDSL (et notamment ADSL) qui repose exclusivement sur une simple revente des offres de France Télécom, les plaçant donc en état de dépendance économique vis-à-vis de l'opérateur historique. Etant donné que les concurrents potentiels de France Télécom ne disposaient pas de solutions alternatives pour fournir leurs propres services, ils étaient, selon Neuf Télécom, réduits à un rôle de distributeurs des services de France Télécom et ne pouvaient, en conséquence, être présents sur le marché de l'accès à haut débit via les technologies xDSL en tant que concurrents de France Télécom. Neuf Télécom constatait que, ce faisant, France Télécom " ne permet pas le libre exercice de la concurrence par des opérateurs tiers ".

3. Neuf Télécom soutient que " France Télécom abuse de sa position dominante sur le marché des services d'accès à haut débit via les technologies xDSL :

- en refusant de proposer aux opérateurs tiers une offre d'interconnexion en mode ATM et une offre de dégroupage de la paire de cuivre empêchant en conséquence la concurrence de s'exercer sur le marché en cause ;

- en cherchant à placer les opérateurs et FAI [fournisseurs d'accès Internet] tiers en situation de dépendance économique, la seule possibilité pour eux étant de devenir des distributeurs des services de France Télécom ;

- en pratiquant des conditions discriminatoires et en amenuisant les marges bénéficiaires ;

- en cherchant à consolider sa position sur le marché concerné ;

- en refusant de rendre publics les règles d'imputation et les documents comptables relatifs au dégroupage de la paire de cuivre. "

4. Neuf Télécom estime que ces pratiques de France Télécom contreviennent aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, maintenant codifiées à l'article L. 420-2 du Code de commerce.

B. LES FAITS CONSTATÉS

1. LE CONTEXTE

a) La technologie ADSL

5. L'ADSL est une technique d'accès à " bande passante large ", obtenue grâce à la numérisation des lignes téléphoniques de cuivre et qui nécessite de placer des " filtres électroniques ", d'une part, chez l'abonné et, d'autre part, au niveau des multiplexeurs d'accès (DSLAM). Elle concilie la connexion à Internet et les services de voix en offrant un accès à haut débit, multimédia, tout en laissant disponible la ligne téléphonique pour recevoir et donner des appels. Elle permet, en outre, d'offrir à l'abonné une connexion permanente et illimitée en durée. Son débit était à la fin de l'année 1999 de 500 kb/s ou 1000 kb/s en voie descendante et de respectivement 128 kb/s ou 256 kb/s en voie montante.

6. L'architecture technique de l'accès Internet haut débit via l'ADSL peut être résumée selon le schéma suivant :

7. La technologie ADSL permet d'utiliser la paire de cuivre classique simultanément pour le téléphone et une connexion Internet haut débit. Elle tire parti pour cela des fréquences de la ligne téléphonique jusqu'alors restées inutilisées (fréquences supérieures à 4 000 Hz). Le téléphone utilise les fréquences basses, et le haut débit les fréquences hautes, grâce à un modem et à un filtre installés chez l'utilisateur : la technologie ADSL permet donc une connexion Internet permanente et indépendante de l'utilisation faite du téléphone. Elle permet des débits plus élevés que ceux permis par l'utilisation des fréquences basses. Les lettres " IP " signifient " Protocole Internet " et désignent la façon dont les signaux émis ou reçus par l'ordinateur d'un utilisateur d'Internet sont conditionnés. Ce sont des signaux en mode IP qui sont émis par l'ordinateur via le modem et le filtre. Le FAI (fournisseur d'accès Internet) reçoit et gère également des signaux en mode IP. En revanche, pour transporter ces signaux sur son réseau, France Télécom utilise un véhicule intermédiaire, " le mode ATM ", qui est une couche d'instructions qui se rajoutent aux données IP brutes. Lors de la livraison des données au point de présence du FAI, il enlève la couche ATM et livre donc " en mode IP ".

8. Le réseau de France Télécom relie environ 34 millions de prises téléphoniques à environ 12 000 centraux téléphoniques ou répartiteurs, via les paires de cuivre. Le trafic issu des répartiteurs est, de façon schématique, regroupé dans des commutateurs, reliés entre eux par des " dorsales ". Les équipements propres au transport des données issues des fréquences hautes de la paire de cuivre (données ADSL), tels que les DSLAM et les Broadband Access Server (BAS) représentés dans le graphique ci-dessus, sont installés à ces différents niveaux. Le déploiement par les opérateurs tiers de leur propre réseau s'est fait, depuis l'ouverture du secteur à la concurrence, progressivement, en partant de l'aval (voir le schéma ci-dessus) et en remontant peu à peu vers les répartiteurs en amont, les mettant ainsi en mesure de prendre livraison du trafic à un niveau de plus en plus capillaire et donc d'assurer eux-mêmes une partie de plus en plus importante du transport.

9. Les options 1, 3 et 5, sont propres au trafic ADSL et correspondent à des prestations de livraison de données offertes par France Télécom aux opérateurs concurrents ou aux FAI. Elles se situent à différents niveaux du réseau de France Télécom.

* L'option 1 permet à un concurrent de France Télécom d'installer ses équipements dans les répartiteurs et de prendre ainsi livraison directement à la sortie de la paire de cuivre du client final (point de branchement du dégroupage). Ce concurrent transporte ensuite les signaux IP sur son propre réseau, selon la technologie de transport des données de son choix. Les coûts du transport de données sur les réseaux concurrents peuvent être plus bas que ceux du réseau de France Télécom et le concurrent est en mesure de proposer un service différent de celui de France Télécom, par exemple en termes de débit.

* L'option 3 consiste à autoriser un opérateur tiers à prendre livraison des données IP, que France Télécom a déjà enrichies d'une couche ATM, à un niveau intermédiaire du réseau de France Télécom, soit une quarantaine de points regroupant le trafic régional. Le trafic est alors récupéré entre les équipements DSLAM et Broadband Access Server du réseau de France Télécom. Le transport des données jusqu'au point de présence du FAI est ensuite assuré par l'opérateur concurrent, qui peut ainsi valoriser son propre réseau sur cette partie du transport et contrôler, mais en partie seulement, les paramètres de qualité du service rendu aux FAI (fournisseur d'accès Internet), comme le débit. Il est, cependant, contraint par les choix technologiques effectués par France Télécom sur la partie de réseau située entre l'abonné et les points de livraison " ATM ".

* Dans l'option 5, France Télécom assurait lui-même, à l'époque des faits, la totalité du traitement jusqu'à un point de présence national de livraison au FAI (option 5 nationale). Une option plus récente permet au trafic d'être également livré en 17 points régionaux (option 5 régionale) puis transporté ensuite par un opérateur. Dans les deux cas, le trafic est livré en " mode IP " et l'opérateur concurrent ne peut plus, alors, modifier les paramètres de qualité du service.

10. Dans l'option 1, le rôle de France Télécom se limite au transport du signal sur la paire de cuivre de l'abonné : l'essentiel de la valeur ajoutée provient du travail de l'opérateur téléphonique concurrent de France Télécom. Dans l'option 3, France Télécom et son concurrent se partagent les rôles ainsi que la valeur ajoutée. Mais dans l'option 5, c'est France Télécom qui effectue l'essentiel du travail et se trouve à la source de presque toute la valeur ajoutée produite ; son concurrent n'exécute que l'ultime étape des opérations : le transport " en mode IP " du signal entre la sortie des installations de France Télécom et le point d'entrée dans le FAI, la valeur ajoutée étant alors très réduite.

b) La mise en place des accès haut débit par ADSL en 1999

11. Au cours de l'année 1998, France Télécom a expérimenté la technologie ADSL sur des zones géographiques limitées, avec sa filiale France Télécom Interactive. Dans le cadre de ses expérimentations, France Télécom proposait à ses clients un service comprenant l'accès proprement dit à l'ADSL et le service Wanadoo.

12. Le succès des expérimentations techniques a conduit France Télécom à demander, les 22 et 28 avril 1999, l'homologation des tarifs d'offres basées sur la technologie ADSL, sur une zone limitée aux six premiers arrondissements de Paris et aux villes de Vanves, Neuilly-sur-Seine et Issy-les-Moulineaux, et pour un service expérimental.

13. Offrir à un client final le service de l'Internet haut débit par l'ADSL suppose que deux conditions soient réunies. En premier lieu, l'ordinateur du client final doit pouvoir recevoir et émettre les signaux en ADSL : c'est l'objet des " services Netissimo " qui sont proposés au client final. En second lieu, le FAI auquel ce client final est abonné doit pouvoir traiter les signaux envoyés ou reçus par ce même client : c'est l'objet des " services Turbo IP et LL " qui sont proposés au FAI. En conséquence, ces offres comprenaient :

- Netissimo, un service permettant à un client final de disposer d'une ligne ADSL lui ouvrant l'accès au FAI de son choix (1).

- Turbo IP, un service permettant à un FAI de devenir accessible pour les clients de Netissimo. Avec Turbo IP, les FAI pouvaient proposer à leurs clients, disposant d'un accès haut débit Netissimo, des services d'accès Internet à haut débit par ADSL. Turbo IP ne s'adressait donc qu'aux FAI (2).

14. Par ailleurs, cette homologation tarifaire concernait également Turbo LL, un service expérimental (l'expérimentation devait se terminer le 31 décembre 1999) de liaisons ATM entre un site central et des extrémités desservies par des lignes ADSL.

15. Comme l'indiquait l'ART dans son avis n° 99-582 du 7 juillet 1999 relatif à cette homologation, " si Turbo LL est un service à part entière, permettant une liaison de bout en bout en ATM, Netissimo et Turbo IP ne peuvent pas se comprendre indépendamment l'un de l'autre : un client souhaitant accéder à Internet par ADSL doit acheter à la fois Netissimo à France Télécom et un service Internet à haut débit à un ISP [Internet supply provider, soit, en français, FAI], cet ISP étant lui-même relié au dispositif ADSL de France Télécom grâce à Turbo IP ".

16. Le 7 juillet 1999, dans son avis n° 99-582, l'ART a rendu un avis favorable sur le lancement des offres ADSL de France Télécom. Cet avis était assorti de plusieurs conditions et réserves, visant notamment à garantir des conditions d'égalité de concurrence entre les FAI pour la fourniture de services Internet par ADSL au client final :

- " France Télécom doit commercialiser de manière séparée le service Netissimo et ses services d'accès à Internet (Wanadoo ou autre), et elle doit informer ses clients ou prospects de manière égale sur les ISP [FAI] accessibles par ADSL ;

- France Télécom ne doit pas subordonner l'accès à Netissimo à l'abonnement du client à son service téléphonique ;

- Enfin, France Télécom doit offrir aux ISP [FAI], dans le cadre de leur contrat Turbo IP, la possibilité d'une commercialisation indirecte de Netissimo par l'ISP [FAI], y compris dans le cas de Netissimo 1 ".

17. Par ailleurs, l'ART notait qu'" il est indispensable, au regard des règles du droit des télécommunications et de la concurrence, et afin de répondre aux besoins des utilisateurs, que France Télécom propose aux opérateurs tiers une offre leur permettant de fournir à leur tour des services de même nature que Netissimo ou Turbo IP, en étant maîtres des éléments techniques et commerciaux essentiels de ces services " et que " la fourniture d'une telle offre est une condition nécessaire au développement des services de données à hauts débits ".

18. Pour l'ART, l'offre Turbo IP ne répond pas à cette préoccupation : " France Télécom ne propose pas aux opérateurs d'autre offre que Turbo IP. En particulier, un opérateur ne peut pas se fournir auprès de France Télécom en lignes ADSL ou même en transport de données ATM sur ADSL. Il doit acheter à France Télécom le service Turbo IP, comprenant l'accès aux lignes ADSL, le transport de données ATM et les services IP.

Ceci se traduit par le fait que France Télécom est seule à maîtriser les paramètres de qualité des services IP rendus par les différents opérateurs ou ISP [FAI] raccordés à son dispositif, en termes de débits affichés (500 kbit/s et 1 Mbit/s) et de débits effectifs, mais aussi en termes de contrôle d'accès (authentification des clients) ou encore d'attribution des adresses IP (fonctions effectuées par l'intermédiaire du proxy Radius de France Télécom). Par ailleurs, France Télécom impose la disposition géographique et la taille de ses plaques, ainsi que la localisation des points de connexion ; elle limite ainsi considérablement l'autonomie technique et opérationnelle des opérateurs et des ISP [FAI] dans la fourniture de services ADSL.

France Télécom ajoute à la ligne téléphonique ADSL des prestations de transport de données IP ainsi que des prestations commerciales, qui pourraient être fournies par des opérateurs concurrents. Or, selon les évaluations menées par l'Autorité, la valeur de ces prestations correspond à environ la moitié du coût total de l'ensemble constitué de Netissimo et Turbo IP.

Au total, le schéma proposé limite le champ technique et géographique de l'intervention des opérateurs tiers. Il réduit la diversité technique des offres possibles, notamment en termes de débits et de qualité de service, ainsi que le champ de la concurrence par les prix, limitée ici aux offres des ISP [FAI].

Cette situation pose un problème au regard des règles de concurrence, France Télécom usant de sa situation sur la boucle locale pour imposer aux opérateurs tiers et aux ISP [FAI] ses services de transport de données IP, au détriment de la diversité technique et commerciale des offres au client final et de la concurrence par les prix.

L'Autorité estime que le principe selon lequel un opérateur doit pouvoir fournir des offres équivalentes à l'ensemble constitué par Netissimo et Turbo IP, en achetant à France Télécom un service ne comprenant pas la couche des services IP, est essentiel. Cette ouverture est analogue à la possibilité pour un opérateur de transport IP de fournir des communications d'accès à Internet en achetant à France Télécom un service d'interconnexion indirecte. Or, à ce jour, l'Autorité n'a pas connaissance de projets d'offres de France Télécom permettant une telle ouverture concernant l'accès à Internet par ADSL. ".

19. De même, elle considère que le service Turbo LL ne répond pas non plus à ce besoin : " Mais en pratique, outre le fait que Netissimo et Turbo IP sont des offres commerciales alors que Turbo LL n'est qu'une expérimentation, les caractéristiques de ce dernier service sont différentes de celles de Netissimo et Turbo IP : le débit de Turbo LL est de 2 Mbit/s, contre 500 kbit/s ou 1 Mbit/s pour Netissimo et Turbo IP ; le transport ATM n'est pas de même qualité : les débits de Turbo LL sont soit garantis (CBR : Constant Bit Rate) soit variables (VBR : Variable Bit Rate), alors que le niveau de transport ATM supportant Netissimo et Turbo IP n'offre aucune garantie de débit (UBR : Unspecified Bit Rate). Ces différences de " réglage technique " conduisent à des différences de tarifs, et à ce qu'un opérateur achetant Turbo LL ne puisse pas fournir aux clients finals et aux ISP [FAI] une offre concurrençant le couple constitué par Netissimo et Turbo IP ".

20. Le 12 juillet 1999, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a homologué les décisions tarifaires relatives à Netissimo et Turbo IP et au service expérimental Turbo LL.

21. A la suite d'une saisine déposée le 26 mai 1999 par la société Grolier Interactive, le Conseil de la concurrence, par sa décision n° 99-MC-06 du 23 juin 1999, a enjoint à France Télécom, à titre conservatoire, " de suspendre la commercialisation de toute offre d'accès haut débit à Internet par la technique de l'ADSL pendant une période de quinze semaines suivant la " recette " des équipements, date à partir de laquelle France Télécom s'est engagée à communiquer à tous les FAI qui lui en feraient la demande les informations qui leur sont nécessaires à la mise en place de leur offre d'accès à Internet par ADSL ". De ce fait, l'ouverture effective de Netissimo et Turbo IP dans les six premiers arrondissements de Paris ainsi que dans les communes d'Issy-les-Moulineaux, Vanves et Neuilly-sur-Seine, n'a eu lieu que le 3 novembre 1999.

22. Certains FAI (Club Internet, Wanadoo, World Net et Nerim) annonçaient également l'ouverture commerciale de leurs offres. Ce même 3 novembre, un article du quotidien " les Echos " indiquait que " cette offre [ADSL de France Télécom], qui reste limitée à quelques arrondissements parisiens et 6 communes d'Ile-de-France, devrait être rapidement étendue géographiquement. D'ici à la fin de l'année, d'autres arrondissements parisiens, Lyon, Lille et Strasbourg seront ouverts. Entre 100 et 200 villes supplémentaires devraient bénéficier de ce service en 2000 et autant en 2001 ". France Télécom a confirmé ce calendrier à Neuf Télécom en lui présentant ses offres de revente le 16 et le 23 novembre 1999. L'ART, dans sa décision n° 99-1153 du 24 décembre 1999, constatait également que le déploiement des offres ADSL de France Télécom était plus large pour le quatrième trimestre 1999 que celui prévu dans la demande d'homologation tarifaire du 12 juillet 1999 (une trentaine de villes supplémentaires). En conséquence, l'ART mettait France Télécom en demeure de procéder aux demandes d'homologation tarifaire nécessaires en vue de ce déploiement.

23. Le 25 novembre 1999, France Télécom faisait parvenir au ministère un bilan de la commercialisation des offres ADSL et des offres de commercialisation indirecte. France Télécom concluait que " le succès de ce lancement conforte France Télécom dans sa conviction que l'ADSL et les services qui en découlent constituent une réponse tout à fait appropriée aux besoins de débits et de tarifications forfaitaires exprimés par l'ensemble du marché et des utilisateurs ".

c) La consultation publique de l'ART

24. Le 1er avril 1999, l'ART lançait une large consultation publique sur le développement de la concurrence sur le marché local en France. Cette consultation s'est achevée en juin 1999. Elle a permis de recueillir l'avis des acteurs sur les 5 options envisageables pour la mise en œuvre de l'accès à la boucle locale filaire de France Télécom.

25. Le 17 septembre 1999, lors d'une réunion entre l'AFOPT (Association Française des Opérateurs Privés en Télécommunications), l'AOST (Association des Opérateurs de Services de Télécommunications) et l'ART, les opérateurs tiers rappelaient qu'ils demandaient la mise en place de l'option 3 de la consultation publique (accès au circuit virtuel permanent) couplée à une revente de Netissimo, pour le 1er janvier 2000 au plus tard " afin de ne pas laisser FT préempter le marché de l'ADSL ", et la mise en place de l'option 1 (dégroupage de la paire de cuivre) pour le 1er septembre 2000. Sur la tarification de l'option 3, M. X, représentant de l'AFOPT-AOST, alors chef du service interconnexion et opérateurs de Neuf Télécom, précisait que " la revente de Netissimo permet d'envisager (i) de fixer un pricing de type retail minus et non cost plus et ce faisant (ii) de partager avec FT les risques liés aux investissements nécessaires pour le développement d'un marché de la large bande en France ".

26. Le 29 octobre 1999, l'ART publiait un communiqué de presse présentant la synthèse de sa consultation publique sur le développement de la concurrence sur le marché local. Elle mettait également en ligne une synthèse détaillée des réponses des différents acteurs. Elle présentait à nouveau dans ce document les différentes options permettant d'accéder à la boucle locale et précisait notamment que " l'option la plus souvent préconisée est assurément l'accès à la paire de cuivre (option 1) " et que " l'accès à un circuit virtuel permanent (option 3) est en général perçu comme un complément souhaitable ".

27. Le 8 décembre 1999, l'ART envoyait à Neuf Télécom (et aux autres opérateurs concernés) une demande d'avis, en l'invitant à répondre avant le 15 décembre 1999, sur la mise en place de groupes de travail sur le dégroupage de la paire de cuivre de France Télécom. En pièces jointes, l'ART proposait une série d'orientations, un calendrier de travail ainsi qu'une description détaillée de l'option 3. Neuf Télécom a répondu à ce courrier le 15 décembre 1999.

28. La synthèse définitive des contributions à la consultation publique a été publiée en décembre 1999 et reprenait en grande partie les éléments déjà présentés en octobre 1999, dont les deux options privilégiées par les acteurs :

- l'accès à la paire de cuivre (option 1), consistant en la fourniture par France Télécom de paires de cuivre nues à l'opérateur entrant, lequel installe ses propres équipements sur ces paires. L'accès aux paires de cuivre permet à l'opérateur entrant de fournir l'ensemble des services à haut débit, mais également à bas débit ;

- l'accès au circuit virtuel permanent (option 3), consistant en la fourniture de transport de données à haut débit entre l'abonné et un point de présence de l'opérateur, un circuit virtuel étant dédié à chaque raccordement à haut débit. La mise en œuvre de cette option permet au client d'être le client du nouvel opérateur pour un service de transport de données à haut débit ; tout en restant client de France Télécom pour le service téléphonique.

29. Le 22 décembre 1999, l'ART organisait une réunion avec France Télécom et tous les acteurs concernés en vue de planifier un programme et un calendrier de travail pour la mise en œuvre du dégroupage de la paire de cuivre. France Télécom a donné à cette occasion son accord de principe sur le dégroupage (option 1) et s'est déclarée disposée à participer aux travaux engagés sur la définition des modalités techniques de cet accès, et à mettre en place des expérimentations au cours de l'année 2000.

30. Le calendrier proposé par l'ART envisageait une mise en œuvre des premières expérimentations techniques en juin 2000. L'ART estimait, par ailleurs, indispensable que France Télécom fournisse de façon transparente et non discriminatoire aux opérateurs toutes les informations sur les conditions techniques d'accès à la paire de cuivre.

2. LES DEMANDES DE NEUF TÉLÉCOM RELATIVES À UNE INTERCONNEXION EN MODE ATM

31. Le 14 septembre 1999, Neuf Télécom adressait à France Télécom un courrier dans lequel elle notait que " les offres ADSL (turbo IP et Netissimo) de France Télécom ont été homologuées par le ministre en charge des Télécommunications le 12 juillet 1999, après avis de l'ART (avis n° 99-582 en date du 7 juillet 1999). La commercialisation de ses services par France Télécom sera donc bientôt effective. Ces services ont suscité l'intérêt de certains de nos clients, en particulier des entreprises et fournisseurs d'accès à Internet, qui nous ont sollicités pour obtenir des offres de service de même nature. Nous vous remercions de nous avoir présenté vos offres liées à l'ADSL, destinées aux fournisseurs d'accès à Internet le 21 juillet dernier. Cependant, ces offres ne correspondent ni à nos besoins, ni aux attentes de nos clients. En outre, comme le précise l'Autorité de Régulation des Télécommunications dans son avis mentionné ci-dessus : Il est indispensable au regard des règles du droit des télécommunications et de la concurrence, et afin de répondre aux besoins des utilisateurs que France Télécom propose aux opérateurs tiers une offre leur permettant de fournir à leur tour des services de mêmes nature que Nettissimo et Turbo IP, en étant maîtres des éléments techniques et commerciaux essentiels de ces services (notamment zones géographiques, qualité, couche des services IP). Pour pouvoir répondre aux attentes de nos clients, et en notre qualité d'opérateur titulaire d'une licence L. 33-1 [du Code des postes et télécommunications], nous vous serions reconnaissants de nous communiquer, dans les meilleurs délais, les conditions d'une offre qui nous permettrait de satisfaire la demande de nos clients. En tout état de cause, nous souhaiterions que ces négociations puissent aboutir dans des délais compatibles avec le calendrier de commercialisation des offres ADSL de France Télécom. ".

32. Neuf Telecom établissait ensuite la liste des caractéristiques auxquelles elle souhaitait que l'offre réponde, dont notamment : " L'offre d'interconnexion devra se situer au niveau ATM et permettre une transparence totale des services proposés au regard de la couche ATM, notamment le service IP ou tout autre applicatif (...) ". Elle demandait également que l'offre soit " exhaustive tant en terme de QoS [qualité de service] ATM que de granularité des débits " et concluait : " Nous tenons à souligner, enfin, que nous concevons cette offre de France Télécom comme un complément de l'interconnexion au répartiteur principal de lignes d'abonné (option 1 de la consultation de l'Autorité de Régulation des Télécommunications sur le dégroupage de la boucle locale), permettant l'accès à la paire de cuivre nue, qui reste selon nous la meilleure solution pour développer la concurrence et l'innovation sur la boucle locale ".

33. Le 19 octobre 1999, lors d'un comité de pilotage de l'interconnexion avec Neuf Télécom, France Télécom indiquait, concernant une interconnexion en mode ATM, " que des discussions sont possibles sur ce point mais qu'elles ne se situent pas dans le cadre de l'interconnexion. FT [France Télécom] préfère parler d'une offre de " vente en gros d'ADSL ". France Télécom ajoutait que " sous toute réserve, elle sera en mesure de faire une offre de ce type vers la fin du mois de décembre. FT ne souhaite pas à ce stade donner de précisions sur les caractéristiques de cette offre ". En réponse, Neuf Télécom affirmait à France Télécom que " l'on se trouve dans une situation où un contentieux est possible " et demandait " instamment à FT de lui communiquer, sous une semaine et en tout état de cause avant le lancement commercial de l'offre ADSL de FT, son offre permettant à 9TR [Neuf Télécom] de lancer un service concurrent à celui de FT avant la fin de l'année ".

34. Le 22 octobre 1999, Neuf Télécom informait le ministre de la position exprimée par France Télécom lors de la réunion du 19 octobre 1999. Le même jour, elle réitérait sa demande par courrier auprès de France Télécom : " Nous faisons suite à la réunion du comité de pilotage qui s'est tenue le 19 octobre entre nos services et notamment notre discussion sur les conditions de l'offre d'interconnexion en mode ATM que 9 Télécom, dans l'attente de la mise en place d'une solution de dégroupage de la paire de cuivre, a demandé, le 14 septembre 1999, à France Télécom de lui présenter afin d'être en mesure de fournir dès janvier 2000 des services de même nature que les offres de France Télécom pour l'accès haut débit à Internet. Lors de cette réunion, France Télécom nous a indiqué qu'elle envisage, sous toute réserve, de proposer aux opérateurs une offre dite " vente en gros d'ADSL " vers la fin du mois de décembre 1999, sans en préciser les caractéristiques opérationnelles, techniques et financières ".

35. Lors d'une réunion de négociation du 27 octobre 1999, France Télécom indiquait " qu'elle fera début novembre une annonce importante concernant la commercialisation de ses offres ADSL et une offre de vente en gros d'ADSL aux opérateurs. Cette annonce devrait répondre, selon FT, à la demande de 9TR ".

36. Dans un courrier du 2 novembre 1999 à Neuf Télécom, France Télécom confirmait " [qu'elle] travaille à l'élaboration d'une offre de vente en gros de ses services Netissimo, destinées aux opérateurs tiers pour leur permettre d'offrir des services équivalents à ceux de France Télécom. Une annonce officielle de France Télécom interviendra sur ce point dans le courant de la semaine 44 ".

37. Le 5 novembre 1999, à la suite des annonces publiques de France Télécom concernant l'accélération du déploiement de ses services ADSL, Neuf Télécom lui demandait par courrier son accord de principe, avant le 19 novembre 1999, sur une offre d'accès à la paire de cuivre et une phase de test à partir du 1er juin 2000.

38. Le 9 novembre 1999, lors d'une réunion (cotes 201 à 204 du Rapport), France Télécom affirmait à Neuf Télécom " qu'elle n'est pas en mesure de lui remettre ce jour une proposition de vente en gros d'ADSL ". Cette proposition, précise FT, " est en cours de validation interne et devrait être proposée aux opérateurs dans les prochaines semaines (...). L'offre de FT réside dans une offre de revente des produits Netissimo 1 et 2 où l'opérateur tiers installe ses équipements chez le client d'après une liste d'équipements compatibles établie par FT, la maintenance de la ligne étant assurée par FT ". Neuf Télécom répliquait que cette offre " ne répond que partiellement à sa demande telle que formulée dans son courrier du 14 septembre qui vise également une offre d'interconnexion en mode ATM ". France Télécom indiquait alors qu'" une telle offre n'est pas envisagée à court terme ".

39. Le 10 novembre 1999, France Télécom informait Neuf Télécom qu'elle était prête à lui présenter les conditions tarifaires et techniques de " son offre de vente en gros de ses services Netissimo ". Le même jour, Neuf Télécom prenait acte par courrier adressé à France Télécom et constatait, après rappel des différentes demandes précédentes, que " cette position de France Télécom ne répond pas à [ses] demandes, compromet le positionnement de 9 Télécom en tant qu'opérateur de services à haut débit " puisqu'elle ne comportait pas d'offre d'interconnexion en mode ATM. Elle ajoutait qu'elle se réservait " le droit d'engager toute action nécessaire à son développement sur le marché des services à haut débit ". Elle rappelait également qu'" au cours de cette même réunion [du 9 novembre 1999], vous [D. Y, Directeur DIVOP de France Télécom] nous avez confirmé qu'en tout état de cause, France Télécom ne nous soumettrait pas d'offre d'interconnexion en mode ATM à court terme ".

40. Le 16 novembre 1999, France Télécom présentait à Neuf Télécom son offre de revente Netissimo 1 et 2.

41. Le 17 novembre 1999, Neuf Télécom envoyait un courrier à France Télécom dans lequel elle constatait que cette offre de revente ne correspondait pas à une offre d'interconnexion en mode ATM.

42. Dans un courrier du 24 novembre 1999, France Télécom écrivait à Neuf Télécom que " l'examen détaillé des questions de nature opérationnelle posées par votre courrier [du 5 novembre relatif à l'accès à la paire de cuivre nue] est prématuré et qu'il convient que les pouvoirs publics définissent préalablement le cadre dans lequel un tel dégroupage serait susceptible d'intervenir en France ".

43. Le 29 novembre 1999, Neuf Télécom saisissait le Conseil de la concurrence, assortissant cette saisine d'une demande de mesures conservatoires.

44. Le 16 décembre 1999, France Télécom informait par courrier Neuf Télécom de la finalisation de l'offre de revente IP/ADSL, de Netissimo 1 et 2 et l'invitait à faire part de ses intentions concernant cette offre. Le 3 janvier 2000, Neuf Télécom répondait à ce courrier du 16 décembre 1999 en demandant à France Télécom de lui communiquer le projet de contrat de revente IP/ADSL tout en la renvoyant à son courrier du 14 septembre 1999 dans lequel elle proposait de discuter avec France Télécom des conditions d'une offre d'interconnexion en mode ATM.

3. L'OFFRE DE REVENTE DE NETISSIMO 1 ET 2 PROPOSÉE PAR FRANCE TÉLÉCOM EN NOVEMBRE 1999, DÉNOMMÉE " IP/ADSL "

45. Cette offre de France Télécom faisait suite aux réserves émises par l'ART dans son avis n° 99-582 relatif aux décisions tarifaires concernant les services Netissimo et Turbo IP : " France Télécom doit offrir aux ISP [FAI], dans le cadre de leur contrat Turbo IP, la possibilité d'une commercialisation indirecte de Netissimo ". France Télécom, lors d'une réunion avec Neuf Télécom le 16 novembre 1999, présentait cette offre comme une offre de " revente des services Netissimo 1 & 2 ". La dénomination " IP/ADSL " est apparue le 22 novembre lors d'une nouvelle présentation. Entre temps, divers éléments ont changé, notamment les niveaux de remises sur le prix d'achat des services Netissimo 1 et 2 pour les opérateurs et les FAI. Selon France Télécom, " cette offre a été mise en place pour permettre aux opérateurs et FAI de fournir des services de même nature que Netissimo et ce dès le 25 janvier 2000 pour les plaques ouvertes à ce jour. (...) Cette offre reprend les caractéristiques techniques de l'offre Netissimo, il s'agit d'un service de connexion IP à des FAI à l'Internet, Intranet ou Extranet qui comporte deux niveaux de services permettant la commercialisation de débits équivalents à Netissimo 1 et Netissimo 2 ".

46. Le service " IP/ADSL " s'adressait aux opérateurs et aux FAI. Il reposait sur les composantes techniques des services Netissimo de France Télécom et couvrait les mêmes zones géographiques. Il était composé de :

- IP/ADSL 1 comprenant une connexion permanente, une durée de connexion illimitée, un volume de données échangées illimité, un débit en voie descendante de 500 kb/s et en voie montante de 128 kb/s, et une interface Ethernet ;

- IP/ADSL 2 comprenant une connexion permanente, une durée de connexion illimitée, un volume de données échangées illimité, un débit en voie descendante de 1 000 kb/s et en voie montante de 256 kb/s et une interface Ethernet ou ATM.

Les conditions tarifaires du service " IP/ADSL " dépendaient des engagements de volume annuel que l'opérateur ou le FAI communiqueraient à France Télécom lors de la signature du contrat ou lors du renouvellement des engagements (tous les 12 mois). Il était prévu qu'à la fin d'une période de 12 mois, France Télécom procèderait à un ajustement qui serait fonction de l'engagement annuel pris par l'opérateur ou le FAI. Si l'engagement n'était pas atteint, le prix serait majoré et si l'engagement était dépassé, le prix serait minoré. Les minorations ou les majorations de prix dépendaient du niveau d'engagement pris et du volume réel réalisé par l'opérateur ou le FAI.

47. Pour pouvoir souscrire à ce contrat, l'opérateur tiers ou le FAI devait d'abord conclure dans le cadre de son propre déploiement commercial le contrat Turbo IP auprès de France Télécom. " IP/ADSL " était donc indissociable de Turbo IP.

48. Pour chaque commande, France Télécom devait informer l'opérateur ou le FAI de la faisabilité technique du service " IP/ADSL " dans un délai de 3 jours ouvrés. Dans le cadre des contrats passés avec les opérateurs et les FAI, France Télécom assurait la mise en place d'un dispositif d'information sur le déploiement géographique du service, une prestation de guichet unique de gestion des commandes (création, modification, suppression d'abonnements), un service après-vente (traitement des incidents sur la ligne ADSL) et, en option, une prestation d'installation chez le client final. Le planning d'ouverture des plaques était communiqué sur quatre mois glissants.

49. L'opérateur ou le FAI client de " IP/ADSL " devait fournir à France Télécom une prévision de commandes par plaque portant sur les trois prochains mois pour que France Télécom puisse assurer la meilleure gestion possible des capacités nécessaires à l'ensemble des opérateurs ou FAI. Il prenait en charge (sauf s'il avait souscrit à l'option d'installation) la fourniture du modem client, du ou des filtres et du cordon reliant le modem aux filtres et, la fourniture d'un kit de connexion. Tous ces équipements devaient être conformes à la liste de référence établie par France Télécom.

4. L'OFFRE " ADSL CONNECT ATM " DE FRANCE TÉLÉCOM

50. Dans sa décision n° 00-MC-01 du 18 février 2000, le Conseil a constaté que " que l'offre de revente IP/ADSL présentée par France Télécom ne permet aux opérateurs tiers d'accéder au marché qu'en tant que distributeurs du service de France Télécom, et non comme fournisseurs de leurs propres services, et ne leur permet de maîtriser ni leurs coûts ni leurs marges ". Le Conseil a conclu que " l'attitude dilatoire de France Télécom est susceptible d'avoir pour objet et pour effet de limiter la concurrence à la seule commercialisation des services que cette société produit et d'empêcher le développement de la concurrence sur les services, dans un contexte où celui-ci repose largement sur l'accès à la boucle locale " et qu'" il ne peut être exclu que le refus de France Télécom de permettre aux opérateurs tiers d'accéder au marché comme fournisseurs de services concurrents, en leur accordant un accès au circuit virtuel permanent, soit de nature à fausser le jeu de la concurrence entre France Télécom et les autres opérateurs de télécommunications et constitue une pratique prohibée par les dispositions du titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ".

51. En ce qui concernait la demande de mesures conservatoires, le Conseil a constaté qu'" en séance, France Télécom n'a pas estimé que l'accès au circuit virtuel soit techniquement impossible, mais a soutenu qu'une telle offre ne pouvait se faire qu'à un coût économiquement élevé " sans pour autant apporter d'éléments précis à ce sujet. Par ailleurs, le Conseil a estimé que " si l'offre de France Télécom d'un service d'accès à haut débit à Internet constitue pour les clients finals et pour les fournisseurs de services une innovation porteuse d'un progrès incontestable, en termes de capacité de réseau et de rapidité d'accès, comme en témoigne d'ailleurs l'attente qu'elle suscite chez les usagers résidentiels et professionnels d'Internet, la mise en œuvre de cette innovation, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, elle implique l'accès à des infrastructures détenues en quasi-monopole, ne doit pas se faire dans des conditions telles qu'elle interdit dans les faits aux autres opérateurs de télécommunication de commercialiser leurs propres services d'accès à haut débit à Internet, concurrents de ceux de l'opérateur historique " et " qu'à cet égard, la restriction de concurrence intervenant au moment du lancement de l'innovation revêt un caractère grave et immédiat nécessitant l'adoption de mesures d'urgence ".

52. Le Conseil a donc enjoint à la société France Télécom " de proposer aux opérateurs tiers, dans un délai maximum de huit semaines à compter de la notification de la présente décision, une offre technique et commerciale d'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à Internet à haut débit par la technologie ADSL ou toute autre solution technique et économique équivalente permettant aux opérateurs tiers l'exercice d'une concurrence effective, tant par les prix que par la nature des prestations offertes ".

53. Le recours formé par France Télécom contre la décision n° 00-MC-01 du Conseil de la concurrence a été rejeté par la Cour d'appel de Paris le 30 mars 2000.

54. Le 18 avril 2000 France Télécom présentait aux opérateurs tiers une offre dénommée " ADSL Connect ATM" qui devait être disponible à partir du 2 mai 2000 pour une durée d'un an. Cette offre comportait, en premier lieu, la collecte des flux de trafic des abonnés jusqu'au point de présence de l'opérateur situé sur la même plaque ADSL et était couplée, en second lieu, à une offre de revente du service Netissimo de France Télécom.

55. Ce tarif de l'offre " ADSL Connect ATM " du 18 avril 2000 faisait l'objet d'une saisine de l'ART pour règlement de différend de la part de la société Liberty Surf. Dans sa décision n° 01-253 du 2 mars 2001, l'ART a estimé que " ADSL Connect ATM " était une offre d'accès au sens des dispositions de l'article L. 34-8 du Code des postes et télécommunications en vigueur à l'époque et qu'elle devait en conséquence respecter les principes de non-discrimination " en offrant les mêmes conditions et la même qualité que pour ses propres services ou pour ceux de ses filiales et associés ", d'objectivité et de transparence. L'ART a considéré que les tarifs de l'offre " ADSL Connect ATM " devaient être établis à un niveau tel qu'ils permettent à Liberty Surf, compte tenu des coûts propres qu'elle supporte par ailleurs, de proposer aux FAI des offres de collecte qui leur laissent la possibilité de concurrencer les offres de détail présentes sur le marché et, notamment, celles du groupe France Télécom. Pour que l'offre de Liberty Surf aux FAI soit compétitive, elle ne devait donc pas excéder le tarif des offres de détail d'accès à Internet à haut débit, tel que celui du pack ADSL de Wanadoo, diminué d'un montant correspondant à la rémunération du FAI. L'ART a également considéré que le tarif d' "ADSL Connect ATM " devait permettre une juste rémunération de France Télécom compte tenu des coûts supportés pour la fourniture de ce service. Outre les coûts techniques liés à l'utilisation du réseau, aux prestations et aux équipements spécifiques, l'Autorité a considéré que le coût supporté par France Télécom comprenait, outre une rémunération du capital estimée à 15 %, des charges d'exploitation et une contribution équitable aux coûts communs. Sur la base de cette étude, l'ART a fixé des tarifs significativement inférieurs à ceux proposés initialement par France Télécom le 18 avril 2000. France Télécom disposait de 4 semaines pour se mettre en conformité avec cette décision de l'ART.

56. France Télécom annonçait, dans le même temps, la mise en place d'une nouvelle offre " ADSL Connect ATM ", destinée à se substituer à la première, et qui ne devait être disponible qu'en octobre 2000, une phase expérimentale devant toutefois être lancée à compter du 1er juillet 2000. Cette offre consistait en une prestation de transport de données en mode ATM entre un point de présence de l'opérateur tiers et des abonnés situés sur une même plaque ADSL. Elle faisait l'objet de négociations au cours de l'année 2000 et, le 1er décembre 2000, France Télécom transmettait aux opérateurs une nouvelle proposition tarifaire concernant l'offre " ADSL Connect ATM ".

57. Neuf Télécom a saisi le Conseil le 15 février 2001 du non-respect par France Télécom de l'injonction prononcée à son encontre dans la décision n° 00-MC-01.

58. Dans un avis n° 01-327 du 28 mars 2001 rendu au Conseil dans le cadre de cette procédure, l'ART a estimé que :

* l'offre " ADSL Connect ATM " correspondait à l'offre dite " d'option 3 " du dégroupage identifiée par les opérateurs lors de la consultation publique menée par l'ART en 1999 ;

* l'offre " ADSL Connect ATM " présentait " également, dans sa forme technique, les principales caractéristiques de l'offre demandée par 9 Télécom dans le cadre de sa saisine initiale du Conseil du 29 novembre 1999 " ;

59. Dans sa décision n° 04-D-18 en date du 13 mai 2004, dont l'analyse a été confirmée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 11 janvier 2005, le Conseil a observé, comme l'ART, que l'offre " ADSL Connect ATM " présentait la nature technique demandée par Neuf Télécom, mais, s'agissant des conditions économiques de cette offre, il a constaté que " le tarif de l'offre ADSL Connect ATM proposé aux opérateurs le 1er décembre 2000 (...) ne permettait pas à ceux-ci de concurrencer de manière effective les offres de France Télécom destinées aux FAI. Une marge positive entre, d'une part, les reversements que les opérateurs auraient dû effectuer à France Télécom au titre de cette offre, augmentés de leurs coûts propres et, d'autre part, les recettes qu'ils auraient pu percevoir auprès des FAI en leur proposant des offres ADSL équivalentes à celles offertes par France Télécom, ne pouvait en effet être dégagée que dans des conditions d'activité ne correspondant pas à l'exercice d'une concurrence effective (...) En conséquence, il y a lieu de constater que, à la date du 1er décembre 2000, la société France Télécom ne se conformait pas à l'injonction prononcée par le Conseil le 18 février 2000 ". Dans la décision précitée, le Conseil a estimé que " le non-respect d'injonction du Conseil a permis à France Télécom de fermer à ses concurrents le seul canal technique qui leur restait ouvert, l'option 3, et de rester sur le marché en position de monopole. (...) ".

5. L'EVOLUTION DES OFFRES " IP/ADSL " ET " ADSL CONNECT ATM " DE 2001 À 2002

60. Dans l'avis n° 01-327 du 28 mars 2001 rendu au Conseil dans le cadre de la procédure de non respect de l'injonction prononcée dans la décision n° 00-MC-01, l'ART a estimé que les tarifs de l'offre fixés par sa décision n° 01-253 étaient valables en 2001 et basés sur un test de ciseau tarifaire construit à partir des tarifs de France Télécom alors en vigueur mais que toute baisse des tarifs des offres de collecte (type option 5) proposées par France Télécom aurait pour effet de " générer un effet de ciseau tarifaire à l'encontre [des opérateurs tiers utilisant " ADSL Connect ATM "] les empêchant d'entrer ou de se maintenir sur le marché ".

61. Les ajustements des conditions de l'offre " ADSL Connect ATM " imposés par la décision de règlement de différend n° 01-253 ont été rendus disponibles le 1er juin 2001 et communiqués à l'ART le 6 juin 2001. France Télécom avait cependant, dès le 13 avril 2001, déposé auprès de l'ART une demande d'avis sur une décision tarifaire par laquelle elle entendait faire évoluer à la baisse le tarif des offres " collecte IP/ADSL " (anciennement Turbo IP, cf. §13 ci-dessus) et " IP/ADSL " (cf. § 45 et 46 ci-dessus).

62. Dans l'avis n° 01-548 en date du 19 juin 2001, l'ART soulignait que ces nouvelles conditions proposées par France Télécom étaient de nature à permettre aux FAI de lancer leurs offres en concurrence avec Wanadoo dans des conditions plus satisfaisantes. Mais, elle constatait également que, compte tenu de ces évolutions, les conditions de l'offre " ADSL Connect ATM " rendues disponibles à compter du 1er juin 2001 ne permettaient pas à des opérateurs tiers de proposer aux FAI, de façon profitable, des offres de collecte de trafic haut débit concurrentes de celles proposées par France Télécom. Ainsi, l'ART estimait que " le nouveau contexte de marché résultant des offres IP de France Télécom justifie une révision sensible des tarifs de l'offre ADSL Connect ATM ". L'ART a néanmoins émis un avis favorable concernant les nouvelles offres " collecte IP/ADSL " et " IP/ADSL " sous réserve que France Télécom prenne l'engagement ferme de réviser les conditions de l'offre " ADSL Connect ATM " au plus tard le 1er janvier 2002.

63. Le 8 mars 2002, France Télécom déposait à l'ART des projets de décisions tarifaires relatives à des évolutions des conditions des offres " collecte IP/ADSL " et " IP/ADSL ". Celles-ci faisaient l'objet de l'avis n° 02-346 en date du 30 avril 2002, dans lequel l'ART constatait que ces nouveaux tarifs destinés aux FAI mettaient les opérateurs dans l'impossibilité de proposer des offres concurrentes économiquement viables, compte tenu des conditions qui leur étaient proposées pour l'accès au réseau de France Télécom via l'option 3 (" ADSL Connect ATM ") ou l'option 1 (dégroupage) et que de ce fait, "les FAI conserveraient France Télécom comme unique fournisseur sur le marché de la collecte ". En conséquence, elle émettait un avis défavorable concernant les évolutions tarifaires prévues par France Télécom et l'invitait à ne déposer de nouvelles décisions tarifaires relatives aux offres " collecte IP/ADSL " et " IP/ADSL " que parallèlement à la modification des conditions techniques et tarifaires de son offre " ADSL Connect ATM ".

64. Le 15 juillet 2002, France Télécom déposait de nouvelles décisions tarifaires à l'ART concernant les offres " collecte IP/ADSL " et " IP/ADSL " et l'informait des modifications prévues en ce qui concernait l'offre " ADSL Connect ATM ". Dans l'avis n° 02-594, l'ART constatait que les évolutions tarifaires proposées laissaient un espace économique suffisant à un opérateur tiers utilisant l'option 3 et pratiquant des prix comparables à France Télécom sur le marché de la collecte. Enfin, pour éviter les effets de décalage temporel qui auraient rendu ces évolutions incohérentes, l'ART a exigé que les conditions techniques et financières des offres aux opérateurs soient prêtes au plus tard le 15 septembre 2002, pour permettre à celles destinées aux fournisseurs d'accès de s'appliquer le 15 octobre 2002.

65. Dans sa décision n° 04-D-18 en date du 13 mai 2004, le Conseil a apprécié l'importance du dommage à l'économie en considérant qu' " il y a lieu de prendre en considération le fait que la société France Télécom, par la persistance de son comportement anticoncurrentiel et malgré l'injonction du Conseil, a vidé de son contenu la mise en œuvre de l'option 3, pourtant définie à la suite de la consultation des opérateurs nationaux par le régulateur sectoriel et selon les orientations européennes. Le marché de l'option 3 est resté durablement fermé jusqu'à ce que l'ART obtienne, à compter d'octobre 2002, un ensemble de baisses de prix permettant de débloquer la situation. (...) Au total, les opérateurs tiers ont été exclus du marché naissant de la fourniture en gros des accès ADSL et les FAI ont dû faire face à un fournisseur se maintenant artificiellement en situation de quasimonopole, pour des prestations qui constituent une part importante de leurs charges et conditionnent largement leur rentabilité ou les prix qu'ils sont en mesure de proposer aux consommateurs. "

C. LES GRIEFS NOTIFIÉS

66. Sur la base des constations qui précèdent, une notification de griefs a été envoyée à France Télécom, le 8 septembre 2004, comportant les griefs suivants :

- " en autorisant l'accès de ses concurrents à son réseau local dans des conditions restrictives injustifiées, France Télécom empêche, restreint et fausse le jeu de la concurrence entre elle et les autres opérateurs de réseau ou FAI sur le marché de détail et sur le marché amont du haut débit par ADSL. Mise en œuvre par une entreprise disposant d'une position dominante sur le marché amont du haut débit par ADSL, cette pratique contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 1 du Code de commerce " (ci-après le grief 1).

- " en refusant la demande faite par Neuf Télécom d'accès au circuit virtuel permanent en mode ATM (option 3 ou toute autre solution équivalente) à sa boucle locale, France Télécom empêche, restreint et fausse le jeu de la concurrence sur le marché de détail et amont du haut débit par l'ADSL. Mise en œuvre par une entreprise disposant d'une position dominante sur le marché amont du haut débit par ADSL, cette pratique contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 1 du Code de commerce " (ci-après le grief 2).

II. Discussion

A. SUR LE MARCHÉ AMONT DU HAUT DÉBIT PAR ADSL ET LA POSITION DE FRANCE TÉLÉCOM SUR CE MARCHÉ, A L'ÉPOQUE DES FAITS

67. France Télécom soutient que la définition du marché pertinent retenue dans la notification de griefs est confuse dans la mesure où sont mentionnés trois " segments " : l'accès physique au réseau de la boucle locale jusqu'au DSLAM ; le transport reliant le DSLAM au site du FAI et l'accès Internet proprement dit, qui fait intervenir un FAI servant de porte d'entrée au réseau mondial de l'Internet, alors que cette dernière prestation ne relèverait pas de l'activité d'opérateur de télécommunications ; enfin " la boucle locale de France Télécom ". Elle objecte que les offres disponibles sur un marché ainsi défini comprendraient à la fois des prestations fournies par les opérateurs aux autres opérateurs et aux FAI, soit des offres de gros, et les offres des FAI à leurs clients finals, soit des offres de détail. Elle prétend mal identifier les segments où auraient pris place les pratiques qui lui sont reprochées.

68. France Télécom soutient aussi qu'un marché amont des prestations permettant aux FAI de bâtir leurs offres de détail doit inclure le câble.

69. S'agissant du caractère " confus " de la notification de griefs, cette dernière rappelle et décrit les trois segments qui voient transiter les signaux porteurs de la communication Internet : la boucle locale constituée de la paire de cuivre de l'abonné (premier segment) ; les installations des opérateurs téléphoniques concernés par l'acheminement de ces signaux (deuxième segment) ; enfin la " toile " qui commence aux installations des FAI (troisième segment). France Télécom ne peut raisonnablement prétendre que cette description exhaustive du parcours Internet l'aurait fait se méprendre quant à l'identification des segments -les deux premiers- sur lesquels ont pris place les pratiques qui lui sont reprochées. L'argument doit être écarté.

70. S'agissant du câble, l'ART, dans son avis n° 00-28, considérait qu'il ne constituait pas une alternative pour les FAI : " si les offres des câblo-opérateurs, en terme de débits offerts et de niveaux tarifaires, paraissent comparables à celles offertes par l'ADSL, les premières sont nécessairement limitées géographiquement aux zones de déploiement du câble, tandis que le mode de déploiement de l'ADSL, sur les lignes téléphoniques existantes de France Télécom, permet d'envisager à terme une quasi-universalité d'accès, à l'exception des lignes de longueur trop importante : le mode de déploiement du câble, qui se réalise nécessairement par zones géographiques, est en effet distinct de celui de l'ADSL, qui peut s'effectuer par groupe de lignes. En outre, la mise à niveau des réseaux câblés pour offrir des services d'accès à Internet nécessite des investissements coûteux de la part des opérateurs et la résolution de problèmes techniques propres à ce type d'accès. La situation juridique des réseaux du Plan Câble, qui semble désormais résolue à la suite de la création récente de deux sociétés communes entre les anciens exploitants commerciaux et l'exploitant technique France Télécom, a retardé l'engagement de tels investissements ".

71. France Télécom faisait elle-même, dans le dossier accompagnant ses demandes d'homologation tarifaire relatives aux offres Netissimo, en avril 1999, une distinction entre le haut débit par le câble et par l'ADSL et faisait valoir les potentialités spécifiques de l'ADSL : " les offres Internet par le câble sont des offres dites " groupées " comprenant à la fois l'accès Réseau (le câble) et l'accès Internet, ne permettant pas à l'abonné de choisir son fournisseur d'accès à Internet " alors que " avec l'accès Internet par ADSL de France Télécom le client peut s'abonner au service IP (Internet, Intranet, Extranet) de son choix dès lors que celui-ci est raccordé aux plaques ouvertes par France Télécom " et " les offres Internet par le câble sont distribuées sur le réseau câblé en même temps que des offres de télévision par câble. La cible est donc résolument résidentielle. L'ADSL, distribué sur le réseau téléphonique, s'adresse indifféremment aux résidentiels, aux professionnels ainsi qu'aux entreprises ".

72. Le câblo-opérateur Noos, interrogé dans le cadre de l'instruction, confirmait cette analyse le 30 juillet 2004 : " une offre d'accès Internet aux FAI aurait été particulièrement difficile compte tenu du caractère propriétaire des technologies utilisées par les câblo-opérateurs à cette époque. Ce n'est qu'à partir de 2001 que l'introduction progressive de la norme DOCSIS a permis de réduire l'hétérogénéité des réseaux ; elle ouvre la possibilité de principe d'une offre multi-ISP [multi FAI] mais qui n'a jamais été mise en œuvre ".

73. Il n'était donc pas, à l'époque des faits, techniquement possible de donner un accès haut débit via le câble à plusieurs FAI. De fait, le développement de l'accès haut débit à Internet s'est fait à travers des partenariats entre le câblo-opérateur gestionnaire du réseau câble de la zone urbaine concernée et un FAI. Sur les réseaux France Télécom Câble étaient proposés aux abonnés les services de la filiale de France Télécom FTI, puis Wanadoo. Noos disposait de son propre FAI : Noosnet ; NC Numéricâble travaillait avec AOL ; UPC a créé son propre FAI : Chello. Les autres petits câblo-opérateurs implantés régionalement ne proposaient pas de services Internet ou présentaient leurs propres offres. En tout état de cause, pour un FAI souhaitant offrir des accès haut débit, la couverture était trop réduite pour constituer une alternative à l'ADSL. Il n'y a donc pas lieu d'inclure le câble dans le marché de l'ADSL en cause dans l'espèce.

74. Au total, sur le marché de gros du haut débit, il apparaît que France Télécom détenait sur ce marché, à l'époque des faits, une situation de monopole. En effet, afin de vendre à leurs clients des offres d'accès à Internet par l'ADSL, dont la technique est décrite ci-dessus aux § 5 et 6, les FAI doivent être en mesure de raccorder au réseau téléphonique leur point de connexion au réseau Internet et d'y recevoir le trafic, d'abord collecté sur la boucle locale reliant chaque abonné au répartiteur (segment 1), puis transporté sur le réseau (segment 2). A l'époque des faits, seule France Télécom était en mesure d'offrir cette prestation sur le segment 1, du fait de son quasi-monopole sur la boucle locale de cuivre. Sur le segment 2, l'ART note dans son avis n° 00-28 que : " Au sein de la chaîne de services ADSL, le champ d'intervention des opérateurs concurrents ayant déployé des infrastructures de transmission est aujourd'hui limité à la fourniture aux ISP [FAI] d'une prestation de transport de données en mode IP entre les plaques départementales ADSL définies par France Télécom : l'offre Turbo IP de base comprenant l'acheminement des flux IP jusqu'au site utilisateur présent dans le cœur de plaque, ce n'est qu'à partir de ces points que les opérateurs concurrents peuvent proposer une prestation de transport IP, en prolongeant la liaison jusqu'au site de l'ISP [FAI] supposé centralisé. Il est à noter également que, sur ce segment, la position de France Télécom, par le biais de sa filiale Transpac, est prépondérante. ". Le monopole de France Télécom s'étendait donc, dans les faits, sur une large part du réseau en ce qui concerne le trafic haut débit ADSL et l'opérateur historique était le seul à offrir des prestations de gros aux FAI pour leur permettre de bâtir des offres de détail d'accès Internet ADSL.

75. France Télécom a ainsi commercialisé, à partir de novembre 1999, l'offre Turbo IP recouvrant les segments 1 et 2 mais qui nécessitait un abonnement en parallèle à son produit Netissimo (cf. ci-dessus § 13), ainsi qu'un service expérimental de liaisons ATM entre un site central et les extrémités desservies par des lignes ADSL. A partir de janvier 2000, France Télécom a également proposé une offre dénommée " IP/ADSL ", cumulant la revente des accès Nettisimo et le transport jusqu'au point de présence du FAI (option 5 de la consultation de l'ART du 1er avril 1999).

76. France Télécom détenait donc, à l'époque des faits, un monopole de fait sur les offres de gros d'accès haut débit à l'ADSL.

B. SUR LES PRATIQUES

1. SUR LE GRIEF RELATIF AU REFUS DE FAIRE DROIT A LA DEMANDE D'ACCÈS DE NEUF TÉLÉCOM (GRIEF N° 2)

77. Il est reproché à France Télécom d'avoir abusé de la position dominante qu'elle détenait sur le marché amont de l'accès haut débit à Internet en refusant l'accès au circuit virtuel permanent en mode ATM demandé par Neuf Télécom, puis en ne lui ouvrant l'accès à son réseau que dans des conditions restrictives injustifiées. L'abus résulte de ce qu'une entreprise en position dominante sur un marché ne peut protéger cette position dominante en refusant l'accès à une infrastructure à laquelle les entreprises opérant sur un marché connexe (aval ou amont) doivent nécessairement avoir accès pour concurrencer l'entreprise détentrice de l'infrastructure. Avant le dégroupage effectif de la boucle locale, constituent une telle infrastructure la boucle locale et son prolongement au sein des installations de France Télécom jusqu'au point où la connexion en mode ATM devenait possible pour un concurrent de France Télécom (c'est-à-dire jusqu'au Broadband Access Server exclu).

Sur la qualification de facilité essentielle de la boucle locale et de son prolongement

78. Dans le cadre de l'avis n° 02-A-08 du 22 mai 2002, le Conseil a rappelé les conditions d'applicabilité du principe limitant la liberté économique du détenteur d'une infrastructure essentielle, définies par la jurisprudence " La limitation de la liberté contractuelle du détenteur d'une infrastructure essentielle s'applique lorsque :

* En premier lieu, l'infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole (ou une position dominante) ;

* En deuxième lieu, l'accès à l'infrastructure est strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure détient un monopole (ou une position dominante) ;

* En troisième lieu, l'infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère ;

* En quatrième lieu, l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées ;

* En cinquième lieu, l'accès à l'infrastructure est possible ".

79. Conformément à la jurisprudence tant nationale que communautaire, les premier, deuxième, troisième et cinquième critères permettent de qualifier l'infrastructure " d'essentielle ", le quatrième critère servant, quant à lui, à qualifier d'éventuels abus de position dominante relatifs à la détention de ce type d'infrastructures.

80. Le caractère essentiel de l'infrastructure détenue par France Télécom doit s'apprécier au regard du type d'accès demandé par Neuf Télécom. La portion du réseau concernée a été schématisée (cf. § 6 ci-dessus) et décrite par l'ART dans son avis n° 00-28 : " L'opérateur tiers collecte le trafic en mode ATM, en amont du Broadband Access Server, au niveau d'un point d'accès au dorsal ATM de France Télécom, situé dans la plaque définie par France Télécom. Un circuit virtuel permanent ATM, affecté à chaque connexion, est créé entre le modem ADSL installé chez l'abonné et le multiplexeur ATM de l'opérateur tiers ". La demande concerne donc l'accès à la boucle locale et à la partie du réseau située entre le répartiteur et le Broadband Access Server.

81. S'agissant de la première condition, France Télécom détient en quasi-monopole la boucle locale (paire de cuivre). L'ART note en effet, dans son avis n° 00-28 : " l'ouverture à la concurrence s'est manifestée principalement par le déploiement de boucles optiques de raccordement d'entreprises sur des zones à fort potentiel, le développement sur le câble de services d'accès à Internet et de services téléphoniques et la mise en œuvre d'expérimentation de boucle locale radio ". En l'absence de dégroupage, elle était la seule, à l'époque des faits, à pouvoir offrir des prestations incluant l'accès à la boucle locale. Ainsi, il a été montré ci-dessus qu'elle était en monopole sur le marché amont de l'accès haut débit par l'ADSL, avec des offres qui empruntaient non seulement la boucle locale, mais également les autres éléments de son réseau, jusqu'au point de présence du FAI.

82. La deuxième condition est également vérifiée puisque, ainsi qu'il a déjà été relevé cidessus, les opérateurs souhaitant concurrencer les offres de France Télécom à destination des FAI devaient obligatoirement avoir accès à la boucle locale de cuivre et, en l'absence de dégroupage, à la portion de réseau au dessus du Broadband Access Server. En particulier, ils ne pouvaient proposer des offres équivalentes sur les réseaux câblés. De plus, ni l'offre Turbo IP, ni l'offre expérimentale Turbo LL ne pouvaient permettre à un opérateur de fournir aux FAI une offre concurrençant le couple constitué par Netissimo et Turbo IP (cf. ci-dessus § 18 et 19).

83. En ce qui concerne la troisième condition, l'ART dans son avis n° 00-28 constatait que " l'ampleur des investissements nécessaires ne permet raisonnablement pas d'envisager la duplication, pour une partie géographique significative du territoire, de la boucle locale de France Télécom ". De plus, en l'absence de dégroupage, aucun opérateur ne pouvait, à l'époque des faits, amener le trafic sous le répartiteur, en amont du Broadband Access Server.

84. Enfin, la cinquième condition est également satisfaite puisque l'accès à la boucle locale de France Télécom et son prolongement jusqu'au Broadband Access Server exclu est techniquement possible comme l'a démontré l'existence des offres faites par France Télécom (Netissimo, " IP/ADSL ", Turbo IP, " ADSL Connect ATM ", ...).

Sur la nature de la demande initiale de Neuf Télécom et le refus de France Télécom

85. Pour sa défense, France Télécom rappelle que la pratique qui lui est reprochée selon les termes du grief n° 2 est d'avoir refusé " la demande faite par Neuf Télécom d'accès au circuit virtuel permanent en mode ATM (option 3 ou toute autre solution équivalente) à sa boucle locale ", grief qui reprend les termes de l'injonction prononcée par le Conseil dans sa décision 00-MC-01. Elle rappelle aussi que, dans son courrier du 14 septembre 1999 notamment, Neuf Télécom lui adressait " une demande d'interconnexion en mode ATM ". Elle souligne qu'une " offre d'interconnexion ne peut être confondue et assimilée avec une offre d'accès ". Elle en déduit qu'en lui reprochant d'avoir refusé une demande qui ne lui était pas faite, le grief est " entaché d'une erreur de fait manifeste et grave ". Elle ajoute que la demande d'interconnexion de Neuf Télécom était incompatible avec la réglementation en vigueur puisqu'une demande d'interconnexion équivaut à une demande d'inscription au catalogue d'interconnexion, de sorte que le grief méconnaît " la réalité même du contexte des faits litigieux ". Elle en conclut que le grief est entaché de nullité. Elle précise en outre qu'" elle n'a pas refusé d'étudier la demande de Neuf Télécom " puisque, lors de la réunion du 19 octobre 1999 du comité de pilotage de l'interconnexion, elle lui a répondu que " des discussions sont possibles sur ce point [la demande d'interconnexion en mode ATM] mais ne se situent pas dans le cadre de l'interconnexion ". Elle ajoute, enfin, qu'il était prématuré d'étudier des demandes d'accès avant que l'ART n'ait publié les conclusions de sa consultation publique, en décembre 1999.

86. Il est exact que le terme " interconnexion " renvoie aux conditions tarifaires de l'offre, comme le confirment par ailleurs les références faites par Neuf Télécom au catalogue d'interconnexion, rappelées par France Télécom dans ses observations. En effet, si le II de l'article L. 34-8 du Code des postes et télécommunications, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001, disposait que les " tarifs d'interconnexion rémunèrent l'usage effectif du réseau de transport de desserte et reflètent les coûts correspondants ", il prévoyait, s'agissant des conditions d'accès que " les mêmes exploitants doivent, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, assurer un accès à leur réseau aux utilisateurs et fournisseurs (...) ". Toutefois, si les termes du courrier de Neuf Télécom renvoyaient à des prétentions tarifaires, contestées par France Télécom et qui ont été, par la suite, considérées comme injustifiées (cf. avis n° 01-253 de l'ART au § 55), il n'en résultait pour autant aucune ambiguïté sur la nature de la prestation demandée par Neuf Télécom qui était clairement décrite et correspond à l'option 3 de la consultation publique de l'ART.

87. En effet, le courrier adressé par Neuf Télécom, le 14 septembre 1999, et reproduit ci-dessus au § 31 précisait : " Nous vous remercions de nous avoir présenté vos offres liées à l'ADSL, destinées aux fournisseurs d'accès à Internet le 21 juillet dernier. Cependant ces offres ne correspondent ni à nos besoins, ni aux attentes de nos clients. En outre, comme le précise l'Autorité de Régulation des Télécommunications dans son avis mentionné ci-dessus [avis n° 99-582 en date du 7 juillet 1999] : il est indispensable au regard des règles du droit des télécommunications et de la concurrence, et afin de répondre aux besoins des utilisateurs que France Télécom propose aux opérateurs tiers une offre leur permettant de fournir à leur tour des services de mêmes nature que Nettissimo et Turbo IP, en étant maîtres des éléments techniques et commerciaux essentiels de ces services (notamment zones géographiques, qualité, couche des services IP) ". De plus, Neuf Télécom donnait ensuite la liste des caractéristiques auxquelles elle souhaitait que l'offre réponde, dont notamment : " L'offre d'interconnexion devra se situer au niveau ATM et permettre une transparence totale des services proposés au regard de la couche ATM, notamment le service IP ou tout autre applicatif (...) ".

88. Les termes de ce courrier reprennent effectivement en partie ceux de l'avis de l'ART n° 99-582 en date du 7 juillet 1999 qui concluait : " la fourniture d'une telle offre est une condition nécessaire au développement des services de données à hauts débits ". Enfin, l'ART, dans son avis n° 00-28 en date du 7 janvier 2000, présentait comme suit la demande de Neuf Télécom : " La demande de 9 Télécom d'une offre conforme à l'option 3

- a) Description - L'offre du type " option 3 " de la consultation publique demandée par 9 Télécom se présente schématiquement de la façon suivante :... ".

89. De plus, France Télécom peut d'autant moins justifier son refus d'accès par le fait que ce qui lui avait été demandé était une offre d'interconnexion, qu'elle n'a pas entamé de négociations avec Neuf Télécom sur les conditions tarifaires de la prestation demandée. En revanche, France Télécom a entretenu, entre le 14 septembre et le 9 novembre, la confusion entre la réponse attendue par Neuf Télécom à sa demande et l'offre " IP/ADSL " qu'elle s'apprêtait à proposer, et donc sur la nature de la prestation et non sur ses conditions tarifaires.

90. Ainsi, France Télécom a bien indiqué, le 19 octobre 1999, lors d'un comité de pilotage de l'interconnexion avec Neuf Télécom, que " des discussions sont possibles sur ce point [une interconnexion en mode ATM] mais qu'elles ne se situent pas dans le cadre de l'interconnexion ". Elle a toutefois ajouté " FT [France Télécom] préfère parler d'une offre de " vente en gros d'ADSL " et " sous toute réserve, elle sera en mesure de faire une offre de ce type vers la fin du mois de décembre. FT ne souhaite pas à ce stade donner des précisions sur les caractéristiques de cette offre ". Il ressort de ce procès-verbal que France Télécom ne discutait pas les conditions tarifaires de la prestation demandée par Neuf Télécom, mais sa nature même en proposant à sa place une offre de revente en gros telle que celle qui sera rendue publique en décembre 1999, sous la dénomination " IP/ADSL ".

91. De même, le 27 octobre 1999 lors d'une réunion avec Neuf Télécom, France Télécom continuait à entretenir l'ambiguïté en annonçant qu'" elle fera début novembre une annonce importante concernant la commercialisation de ses offres ADSL et une offre de vente en gros d'ADSL aux opérateurs. Cette annonce devrait répondre, selon FT, à la demande de 9TR ". Dans un courrier du 2 novembre 1999, France Télécom confirmait encore à Neuf Télécom qu'elle " travaille à l'élaboration d'une offre de vente en gros de ses services Netissimo, destinée aux opérateurs tiers pour leur permettre d'offrir des services équivalents à ceux France Télécom. Une annonce officielle de France Télécom interviendra sur ce point dans le courant de la semaine 44 ".

92. Quant au caractère prématuré de la demande de Neuf Télécom, France Télécom n'a jamais suggéré à Neuf Télécom, tout au long de cette période, d'attendre les résultats de la consultation publique de l'ART avant d'entamer des discussions. Il convient d'ailleurs de noter que l'ART a publié, le 29 octobre 1999, sur son site Internet, un communiqué de presse présentant la synthèse de la consultation publique et mis en ligne un document préliminaire duquel il ressortait clairement que l'option 3 était demandée par les opérateurs.

93. Finalement, le 9 novembre 1999, France Télécom informait Neuf Télécom qu'une offre d'interconnexion en mode ATM " n'est pas envisagée à court terme ".

Sur les intentions réelles de Neuf Télécom et le positionnement de la demande du 14 septembre 1999 dans le cadre des négociations menées par l'ART

94. France Télécom fait également valoir que Neuf Télécom avait écrit, en réponse à la consultation technique de l'ART, qu'" il serait illusoire de penser que des négociations commerciales en dehors de règles préalablement définies par l'ART, pourront aboutir à une mise en œuvre effective et rapide [des offres] " et en déduit que la demande de Neuf Télécom du 14 septembre 1999 était en réalité un moyen de forcer l'intervention réglementaire de l'ART. Elle soutient que si la demande de Neuf Télécom avait été sérieuse, celle-ci aurait saisi l'ART d'une demande de règlement de différend.

95. France Télécom avance encore qu'en septembre 1999, l'ART n'avait pas encore rendu ses conclusions sur la consultation ni défini ses orientations et que ce n'est qu'en décembre 1999 que les conclusions de l'ART ont permis d'identifier l'option 3 comme l'une des options privilégiées par les opérateurs. Elle rappelle que, dans sa décision de mesures conservatoires du 18 février 2000, le Conseil s'est appuyé sur ces conclusions de décembre 1999 pour justifier sa décision et qu'il était légitime d'attendre ces conclusions avant d'engager unilatéralement les négociations avec Neuf Télécom. France Télécom note enfin que le Conseil, dans sa décision n° 00-MC-01, s'était fondé sur le fait que l'ART avait, s'agissant de l'option 1, établi un calendrier de travail accepté par France Télécom, pour rejeter la demande de Neuf Télécom sur ce point.

96. Le Conseil a rappelé à de nombreuses reprises (cf. notamment avis n° 04-A-17 du 14 octobre 2004) que l'existence d'un cadre réglementaire spécifique assurant la régulation de l'ouverture à la concurrence du secteur ne place pas celui-ci en dehors du champ d'application des dispositions du livre IV du Code de commerce. Rien ne s'oppose donc à ce qu'un opérateur saisisse le Conseil et soutienne parallèlement l'ouverture de négociations sous l'égide de l'autorité sectorielle.

97. En tout état de cause, à aucun moment France Télécom n'a fait valoir à Neuf Télécom que le caractère unilatéral de sa demande était inapproprié et ne l'a renvoyé à un cadre multilatéral de discussions.

98. De plus, le parallèle établi entre la position du Conseil sur l'option 1 et celle sur l'option 3 est sans pertinence dans la mesure où l'ART elle-même décrivait clairement deux états des lieux différents et notait dans son avis n° 00-28 : " Sa mise en œuvre effective [du dégroupage] nécessite cependant au préalable la définition de modalités techniques et fonctionnelles complexes. Elle nécessitera également des investissements importants de la part des opérateurs entrants pour le déploiement de leurs infrastructures jusqu'aux répartiteurs locaux de France Télécom, au nombre de 10 000 environ. Elle ne semble donc pas pouvoir être immédiatement mise en place. Or, en l'absence de cette offre, les ISP [FAI] demeurent face à un seul fournisseur, France Télécom, et une seule offre Turbo IP pour la collecte des données et la fourniture de leurs services d'accès à Internet aux clients finals. Pour cette raison, la mise à disposition immédiate d'une solution qui permette aux opérateurs entrants d'offrir aux ISP [FAI] des services de collecte ADSL dans des conditions équivalentes à celles dans lesquelles France Télécom a été autorisée à fournir ses propres services, est nécessaire afin de permettre aux opérateurs de limiter leur retard par rapport à France Télécom dans le lancement de leurs offres ADSL ". L'autorité concluait ainsi son avis: " Si la demande de 9 Télécom en ce qui concerne l'accès aux paires de cuivre paraît compatible avec le dispositif proposé par l'Autorité à la mise en œuvre duquel France Télécom a accepté de s'engager, en revanche, la demande d'une "offre-opérateur" est aujourd'hui clairement insatisfaite. Les expériences étrangères et l'offre actuelle Turbo LL laissent cependant penser qu'elle est techniquement réalisable à court terme. ".

Sur le caractère insuffisant de l'option 5

99. France Télécom conteste aussi avoir refusé l'accès à son réseau en affirmant que " dès lors que l'accès à l'infrastructure était garanti [par l'option 5], qu'il permettait aux acteurs du marché de proposer des offres aussi efficaces que celles proposées par l'opérateur propriétaire de l'infrastructure, il n'y avait pas lieu de faire droit aux demandes des opérateurs aboutissant à créer une prestation nécessitant au demeurant une modification des réseaux de France Télécom uniquement pour permettre aux acteurs du marché d'être plus efficaces et plus innovants sur les marchés concernés ".

100. Or, comme l'a indiqué l'ART, d'abord dans son avis n° 99-582 (cf. § 18 et 19 ci-dessus), puis, le 29 octobre 1999, dans le communiqué de presse et la synthèse de la consultation sur le développement de la concurrence sur le marché local, dont la version définitive a été publiée en décembre 1999, les options 4 et 5 étaient considérées comme des options transitoires permettant aux entrants d'être présents sur le marché sans attendre la mise en œuvre des options 1, 2 ou 3. Elle expliquait que les options 4 et 5 ne permettaient aucune différenciation par rapport à l'opérateur de boucle locale (France Télécom) en termes de services, ne permettaient pas aux opérateurs d'exploiter l'ensemble des infrastructures que certains d'entre eux avaient déjà déployées en propre et, en tout état de cause, n'incitaient pas à l'investissement dans les infrastructures locales. Elle précisait dans la consultation publique que " l'accès à un circuit virtuel permanent (option 3) est en général perçu comme un complément souhaitable, voire indispensable, à cette première option [dégroupage], soit pour permettre à un nouvel entrant d'offrir un service plus rapidement dans l'attente d'utiliser le dégroupage de la paire de cuivre moins rapide à mettre en œuvre, soit pour lui permettre d'accéder à certains types de lignes difficilement accessibles autrement (celles raccordées sur des URAD, par exemple), voire de compléter géographiquement son offre ".

101. L'ART a repris cette analyse dans son avis n° 00-28 s'agissant de l'offre " IP/ADSL " dont la disponibilité a été annoncée par France Télécom en décembre 1999 : " Il apparaît en effet que, pour un opérateur, une simple offre de revente du service Netissimo couplée à l'achat de Turbo IP, ne permet pas, pratiquement et économiquement, d'intervenir sur le marché de l'ADSL ".

102. La circonstance que l'accès demandé était de nature à permettre aux opérateurs des offres plus innovantes que celles offertes par France Télécom et d'être ainsi plus efficaces, ne peut justifier le refus de France Télécom. Au contraire, dans l'arrêt Magill du 6 avril 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que constituait un abus le refus de communiquer des informations qui revêtaient les caractéristiques d'une facilité essentielle comme décrites ci-dessus, alors qu'elles étaient nécessaires afin de mettre sur le marché un produit nouveau, non proposé par le détenteur des informations.

103. Il ressort de ce qui précède que la demande adressée le 14 septembre 1999 à France Télécom par Neuf Télécom portait sur un accès à une infrastructure essentielle. L'accès à la boucle locale et à la couche ATM, en amont du Broadband Access Server, était en effet indispensable aux opérateurs pour que ceux-ci puissent proposer aux FAI des offres de gros, concurrentes de celles de France Télécom. Alors que cet accès était possible, il a été refusé de façon injustifiée par France Télécom. Cette demande était en effet sans ambiguïté quant à la nature de la prestation demandée et renvoyait clairement aux recommandations faites précédemment par l'ART (avis n° 99-582 du 7 juillet 1999) en vue de la mise en place d'une telle prestation. Or, France Télécom a adopté, jusqu'au 9 novembre, une attitude dilatoire en annonçant une offre qui devait, selon elle, répondre à la demande de Neuf Télécom, alors qu'en fait, elle ne préparait qu'une offre de revente de ses propres services, dont l'ART a déjà souligné qu'elle ne résolvait pas les problèmes de concurrence. Enfin, le 9 novembre 1999, elle faisait savoir à Neuf Télécom que sa demande " n'est pas envisagée à court terme ".

Sur la durée de la pratique

104. La commission de la pratique de refus d'accès, correspondant au second grief notifié, était donc avérée le 9 novembre 1999. La société saisissante prétend que la pratique aurait commencé bien avant, dès 1998, avec l'expérimentation de l'ADSL par France Télécom, dont le caractère confidentiel aurait déjà permis de tenir les opérateurs à l'écart. Mais ces éléments sont insuffisants pour établir une date de commencement de la pratique plus précoce. Par ailleurs, France Télécom conteste avoir commis la pratique, mais, à la supposer établie, estime que celle-ci aurait cessé au moment de la saisine du Conseil par Neuf Télécom.

105. Dans sa décision n° 00-MC-01 rendue le 18 février 2000, le Conseil constatait que " en séance, France Télécom n'a pas estimé que l'accès au circuit virtuel permanent soit techniquement impossible, mais a soutenu qu'une telle offre ne pouvait se faire qu'à coût économique élevé ; qu'elle n'a toutefois apporté aucun élément précis étayant cette information ; qu'elle ne l'avait pas fait davantage auparavant, en réponse à la demande formulée par 9 Télécom ". Dans le même sens, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 mars 2000 rappelait que " France Télécom qui se borne à soutenir que les mesures prononcées sont soit techniquement impossibles, soit économiquement insatisfaisantes, n'articule aucun moyen d'annulation ". A la date du 30 mars 2000, l'accès demandé par Neuf Télécom n'avait donc toujours pas été fourni.

106. Le Conseil a ensuite été conduit à constater, dans sa décision n° 04-D-18 (cf. ci-dessus § 59) que le tarif de l'offre " ADSL Connect ATM ", rendue disponible par France Télécom le 1er décembre 2000, du fait de sa structure et de son niveau, ne permettait pas aux opérateurs de concurrencer de manière effective les offres de France Télécom destinées aux FAI. Il a précisé qu'il ressortait de la décision de l'ART n° 01-243 de règlement de différend entre France Télécom et Liberty Surf, que les coûts encourus par France Télécom pour la fourniture de ce service étaient significativement inférieurs à ce tarif et que cette société était donc en mesure de baisser le prix de son offre de décembre 2000, afin de permettre aux autres opérateurs concurrents d'exercer une concurrence effective. Il en ressort que les conditions de l'offre " ADSL Connect ATM " du 1er décembre 2000 étaient restrictives et injustifiées et que cette offre n'a donc pas mis fin au refus d'accès à son réseau opposé par France Télécom à Neuf Télécom.

107. A la suite du règlement de différend entre Liberty Surf et France Télécom (décision n° 01-253 du 2 mars 2001, cf. § 55), France Télécom a baissé les tarifs de l'offre " ADSL Connect ATM " à compter du 1er juin 2001. Toutefois, elle avait antérieurement, dès le 13 avril 2001, déposé auprès de l'ART une demande d'avis sur une décision tarifaire par laquelle elle entendait faire évoluer à la baisse le tarif des offres " collecte IP/ADSL " et " IP/ADSL ". Ces tarifs ont été homologués par le ministre de l'Economie mais conduisaient, selon les constatations faites par l'ART dans son avis n° 01-549 du 19 juin 2001 (cf. § 62 ci-dessus), à reconstituer l'effet de ciseau tarifaire qui aurait dû être supprimé par la baisse des tarifs d'" ADSL Connect ATM " du 1er juin 2001. La permanence de cet effet de ciseau tarifaire était à nouveau constatée par l'ART dans un avis n° 02-346 du 30 avril 2002. Seule l'évolution des conditions tarifaires de l'offre " ADSL Connect ATM " en date du 15 septembre 2002 permettait de ménager aux opérateurs un espace économique suffisant pour bâtir des offres aux FAI, concurrentes de celles de France Télécom, dans des conditions viables.

108. Ainsi, en dépit du contrôle des équilibres concurrentiels sur le marché de gros de l'accès haut débit ADSL, exercé par l'Autorité de régulation sectorielle, les instruments réglementaires mis à la disposition de cette Autorité ne lui ont pas permis de mettre fin aux conditions restrictives injustifiées imposées par France Télécom à Neuf Télécom, et aux autres opérateurs. De même, l'injonction adressée par le Conseil dans sa décision de mesures conservatoires n° 00-MC-01 n'a pu mettre fin à la pratique du fait du non respect de cette injonction par France Télécom, non respect sanctionné par le Conseil dans sa décision n° 04-D-18, puis sanctionné plus sévèrement par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 11 janvier 2005. Après avoir pris la forme d'un simple refus, le refus d'accès a pris celle de conditions restrictives injustifiées. Il convient de rappeler que les tarifs de l'offre " ADSL Connect ATM " n'étaient pas, dans l'ancien cadre réglementaire, soumis à homologation du ministre de l'Economie, tandis que ceux des offres dites " option 5 " l'étaient. En ne baissant les tarifs de l'option 3 que concomitamment aux baisses des tarifs de l'option 5, France Télécom a constamment maintenu l'effet de ciseau tarifaire.

109. Il résulte des analyses et des constatations convergentes de l'ART et du Conseil que la commission de la pratique, avérée le 9 novembre 1999, n'a pris fin que le 15 septembre 2002.

Sur les effets de la pratique

110. France Télécom fait valoir que " l'offre IP/ADSL n'a donc pas ralenti le développement des offres reposant sur le dégroupage (ou accessoirement ADSL Connect ATM) (...) mais a permis aux opérateurs et FAI d'être présents sur le marché en attendant le dégroupage ".

111. Ce n'est toutefois pas le constat qui a été fait par l'ART en avril 2002 (cf. avis n° 02-346) qui, au contraire, était " amenée à constater à ce stade une situation de blocage de la concurrence sur le marché de l'ADSL ". L'Autorité note à cette occasion que, du fait des propositions tarifaires faites par France Télécom s'agissant de l'option 5, " les FAI conserveraient France Télécom comme unique fournisseur sur le marché de la collecte ", car les opérateurs susceptibles d'intervenir sur ce marché en seraient empêchés compte tenu du coût qu'ils subiraient. Mais l'Autorité note que l'effet du ciseau s'aggraverait avec les tarifs envisagés par France Télécom : il préexistait donc aux baisses proposées pour l'option 5. L'Autorité est ainsi conduite à considérer que les conditions tarifaires consenties, d'une part aux FAI et, d'autre part, aux opérateurs ont pour effet d'empêcher l'entrée sur le marché d'opérateurs concurrents.

112. Elle relève également que cette absence de concurrence laisse, dans une large mesure, France Télécom à même de développer une politique tarifaire maintenant cette situation de dominance. Elle constate ainsi que le prix moyen de l'accès sur lequel la concurrence potentielle est faible compte tenu du blocage du dégroupage, ne baisse que de 15 %, alors que celui de la collecte de trafic, c'est-à-dire du segment sur lequel les opérateurs pourraient concurrencer France Télécom, baisse de l'ordre de 45 %. L'Autorité constate ainsi que les baisses les plus importantes sont faites sur le marché le plus immédiatement susceptible de devenir concurrentiel et dégradent les conditions d'entrée des opérateurs alternatifs sur ce marché.

113. De fait, l'option 3 qui devait permettre aux opérateurs tiers d'entrer sur le marché de gros du haut débit par l'ADSL n'a pas rempli cet objectif. Le Conseil a noté dans sa décision n° 04-D-18 qu'en mai 2003, seuls 2 400 accès " ADSL Connect ATM " avaient été souscrits sur plus de 1,4 millions d'accès ADSL. En restreignant l'accès des opérateurs alternatifs au marché, France Télécom a empêché le jeu de la concurrence par les prix qui aurait pu bénéficier aux FAI. Elle a également freiné l'innovation comme elle le reconnaît d'ailleurs en objectant qu'elle n'avait pas à fournir une prestation permettant " aux acteurs du marché d'être plus efficaces et plus innovants sur les marchés concernés ".

114. La pratique est également susceptible d'avoir eu un effet restrictif de concurrence sur le marché de détail de l'accès à Internet par l'ADSL, sur lequel France Télécom est présente à travers sa filiale FTI devenue Wanadoo.

115. Il résulte de ce qui précède qu'en refusant, du 9 novembre 1999 au 15 septembre 2002, l'accès à son réseau demandé par Neuf Télécom, France Télécom a abusé de sa position dominante sur la boucle locale et son prolongement jusqu'au Broadband Access Server exclu, ce qui a eu pour objet et pour effet de maintenir artificiellement son quasi-monopole sur le marché amont du haut débit par l'ADSL, pratique illicite au regard des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

2. SUR LE GRIEF D'AVOIR SOUMIS L'ACCÈS DE SES CONCURRENTS À SON RÉSEAU LOCAL A DES CONDITIONS RESTRICTIVES INJUSTIFIÉES (GRIEF N° 1)

116. La notification de griefs et le rapport d'instruction reprochent à France Télécom (grief n° 1) de n'avoir autorisé l'accès des opérateurs à son réseau que dans des conditions restrictives injustifiées, les seules offres de gros leur étant proposées étant les offres de revente en gros des produits de France Télécom destinés aux FAI. Mais les offres de revente en gros des produits de France Télécom, correspondant à l'option 5, ne sont constitutives de conditions restrictives injustifiées que parce qu'elles sont restées les seules à être proposées, dès lors que l'offre de connexion en mode ATM n'a pas été ouverte du fait du refus d'accès à l'infrastructure essentielle que constituent la boucle locale et son prolongement. Le grief n° 2 doit donc être confondu avec le grief n° 1 examiné ci-dessus. Il ne s'agit pas d'une pratique distincte.

117. France Télécom allègue que, dès lors que les deux griefs n'incriminent qu'une seule pratique, " ils sont entachés d'une incohérence manifeste et grave qui les affectent d'irrégularité ".

118. Mais les deux griefs retenus ne sont pas, au contraire, incohérents. La pratique relevée dans le premier ne revêt un caractère illicite que du fait de celle dénoncée dans le second : le premier grief est, en réalité, inclus dans le second dont il n'est que la conséquence mécanique. Or il est constant que le Conseil peut, sans irrégularité, ne retenir qu'une partie des griefs notifiés. Le moyen doit être écarté.

3. SUR LES DEMANDES DE NEUF TELECOM PORTANT SUR LE DÉGROUPAGE

119. Dans ses observations, Neuf Télécom rappelle qu'elle demandait au Conseil de la concurrence de constater que France Télécom refusait de proposer aux opérateurs tiers " une offre de dégroupage de la paire de cuivre empêchant en conséquence la concurrence de s'exercer sur le marché en cause ".

120. Cependant, il ressort de l'examen des divers courriers adressés à France Télécom avant le 29 novembre 1999, date de la saisine du Conseil (cf. ci-dessus § 31 à 43) que Neuf Télécom demandait une offre d'interconnexion en mode ATM qui lui permette d'offrir à ses clients, entreprises et FAI, des services ADSL de même nature que ceux dont le lancement avait été annoncé pour janvier 2000, demande examinée ci-dessus. Neuf Télécom avait obtenu, à la suite d'un courrier du 5 novembre 1999, un accord de principe assorti d'un calendrier de mise en œuvre du dégroupage.

121. Par ailleurs, en ce qui concerne l'accord de principe et le calendrier du dégroupage, l'ART dans son avis n° 00-28 relevait qu'au cours de la réunion du 22 décembre 1999 avec France Télécom et l'ensemble des opérateurs alternatifs, France Télécom avait donné son accord de principe sur le dégroupage en se déclarant " disposée à participer aux travaux engagés sur la définition des modalités techniques de cet accès, et à permettre la mise en place d'expérimentations au cours de l'année 2000 ". L'ART précisait également que " la demande de 9 Télécom d'une offre permettant aux opérateurs tiers de débuter les tests à partir du 1er juin 2000 est conforme à ce calendrier " et concluait que " la demande de 9 Télécom en ce qui concerne l'accès aux paires de cuivre paraît compatible avec le dispositif proposé par l'Autorité à la mise en œuvre duquel France Télécom a accepté de s'engager ".

122. France Télécom a donc répondu à la demande de Neuf Télécom en tant qu'elle tendait à obtenir un accord de principe et un calendrier pour le dégroupage de la paire de cuivre. Dès lors que Neuf Télécom, à la date de sa saisine, n'avait pas demandé une offre de dégroupage de la paire de cuivre à France Télécom, elle ne peut prétendre que France Télécom lui a refusé ce type d'accès. Aucune pratique n'est donc établie qui prendrait son origine avant le 29 novembre 1999, date de la saisine, et qui concernerait le comportement de France Télécom quant au dégroupage de la boucle locale. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer le dossier à l'instruction afin qu'un grief soit notifié sur ce point.

C. SUR LES SANCTIONS

123. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.

124. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non-exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné (...) et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. ".

1. SUR " LA GRAVITÉ DE LA PRATIQUE "

125. France Télécom est l'opérateur historique dans le secteur des télécommunications. A ce titre, cette société dispose d'une position privilégiée en tant que propriétaire de la boucle locale filaire (paire de cuivre). Cette boucle locale présente les caractéristiques d'une infrastructure essentielle dont l'accès commande l'entrée sur de nombreux marchés des communications électroniques. A l'époque des faits, le dégroupage de la boucle locale filaire n'était pas effectif, sa mise en œuvre n'ayant commencé qu'au début de 2003. La facilité essentielle propriété de France Télécom est donc constituée, à l'époque et en l'espèce, de la boucle locale filaire et de son prolongement vers l'aval des installation de l'opérateur téléphonique jusqu'aux points de branchement de l'option 3 (entre DSLAM et Broadband Access Server). Cette position stratégique lui donne la capacité de contrôler la structure et le niveau des coûts de ses concurrents usant de cette facilité essentielle, et donc la partie de la chaîne de valeur couvrant les marchés dépendant de cet usage. Cette position donne à France Télécom une responsabilité particulière sur les marchés concernés, dans le contexte général de l'ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence et dans le cadre particulier du développement de nouvelles technologies et de nouveaux services, comme l'Internet et l'ADSL. La présence de France Télécom sur l'ensemble des marchés des communications électroniques, tant en ce qui concerne les marchés de gros que les marchés de détail, accroît encore cette responsabilité. Dans de nombreux avis, le Conseil a mis en garde France Télécom sur son obligation d'éviter tout comportement de nature à évincer la concurrence sur les marchés concernés.

126. La pratique reprochée à France Télécom a consisté à refuser l'accès de ses concurrents au point de branchement de l'option 3 (entre DSLAM et Broadband Access Server), en s'abstenant d'ouvrir le service de l'option 3 du 9 novembre 1999 au 1er décembre 2000, puis, une fois le service ouvert, en maintenant l'effet de ciseau tarifaire entre le coût de ce service et celui de l'option 5. Cette pratique a permis à l'opérateur téléphonique France Télécom de préempter le marché de gros de fourniture du service Internet ADSL, de s'y maintenir en position de quasi-monopole, et de contraindre le marché de détail des services Internet ADSL. Les FAI concurrents de Wanadoo ont été tributaires des tarifs de l'option 5, dont France Télécom détenait l'exclusivité, et contraints par les caractéristiques de débit imposées par France Télécom dans la conception de leurs offres de détail. Cette pratique a été poursuivie pendant près de trois ans, malgré les injonctions du Conseil et les avertissements donnés par l'ART dans ses avis et décisions sur le caractère anticoncurrentiel de ce comportement.

127. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que les pratiques de France Télécom établies dans la présente affaire sont extrêmement graves.

2. SUR " L'IMPORTANCE DU DOMMAGE CAUSÉ À L'ÉCONOMIE "

128. La société saisissante a proposé au Conseil de retenir un chiffrage précis de la valeur du dommage causé à l'économie. La méthode qu'elle utilise consiste à observer le taux de croissance du marché de détail de l'Internet ADSL, toutes options (1, 3 ou 5) confondues au niveau du marché de gros, à partir de la date où les pratiques de préemption de ce marché de gros par France Télécom ont cessé, soit le 4ème trimestre 2002. Ce taux de croissance est ensuite appliqué, mutatis mutandis, à la situation du marché de détail observé au 4ème trimestre 1999, de façon à reconstituer ce qu'aurait été ce marché de détail si les pratiques de France Télécom n'avaient pas eu lieu. Neuf Télécom avance une évaluation du dommage à l'économie de 283 millions d'euro.

129. Toutefois, l'application dès le 4ème trimestre 1999 des taux de croissance du marché observés à partir du 4ème trimestre 2002 suppose que la structure des courbes d'offre et de demande ayant permis cette vive croissance aurait permis la même croissance trois ans plus tôt. Mais l'équipement en micro-ordinateurs est une condition préalable à l'installation d'un service Internet. Or le taux d'équipement des ménages en micro-ordinateurs était plus faible fin 1999 que son niveau atteint fin 2002 de sorte qu'il est douteux que la croissance de l'Internet ADSL observée fin 2002 eut été possible dès fin 1999. De même, il n'est pas certain que les prix de la courbe d'offre observés fin 2002 auraient pu l'être dès la fin 1999 : la baisse des prix observée entre ces deux dates doit beaucoup à la baisse des prix internationaux des composants électroniques, baisse qui est indépendante de la date d'ouverture du marché de gros français de l'ADSL, de sorte qu'il est douteux que les prix offerts fin 2002 auraient pu l'être dès la fin 1999.

130. Pour ces raisons, le Conseil ne peut reprendre à son compte le chiffrage précis proposé, chiffrage qui n'est d'ailleurs pas exigé par les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce, qui prévoient que les sanctions soient " proportionnées à l'importance du dommage ".

131. En l'espèce, l'importance du dommage à l'économie doit s'apprécier en prenant en compte que la pratique reprochée à France Télécom s'est traduite par un retard important pris par l'entrée des opérateurs concurrents sur ce marché. Ce n'est qu'à partir du début de l'année 2003 que des offres alternatives à l'option 5 de France Télécom ont été proposées par des opérateurs téléphoniques concurrents de France Télécom, basées sur la mise en œuvre effective du dégroupage de la boucle locale (l'option 1), et par des offres basées sur l'utilisation des possibilités offertes par l'option 3. Dans l'avis n° 05-A-03 du 31 janvier 2005, le Conseil de la concurrence constatait que la part de marché des opérateurs alternatifs sur l'offre de gros nationale (option 5) était passé de 0 % en janvier 2003 à 56 % en octobre 2004.

132. En empêchant le jeu de la concurrence dont auraient pu bénéficier les FAI sous forme d'innovations ou de baisses tarifaires, et qu'ils auraient pu répercuter sur leurs offres de détail, la pratique a également eu des effets sur le marché de détail de l'accès à Internet par l'ADSL. Ce n'est qu'à partir de décembre 2003, et surtout au cours de l'année 2004, que les premiers effets de l'intensification de la concurrence ont été ressentis : offre " triple play " (TV, ADSL, Téléphonie illimitée), débit crête jusqu'à 20 Mbit/s, fortes baisses des prix sous le seuil psychologique de 15 euro. Le taux de pénétration du DSL, c'est-à-dire toutes technologies xDSL confondues, n'étaient que de 3 % à fin septembre 2002, soit le 10ème rang européen. Il est, deux ans plus tard, remonté au 4ème rang européen, avec 16 % (cf. rapport annuel de l'ART pour 2004, p. 94).

133. Au vu de l'ensemble des éléments relatifs à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause dans la présente affaire, et sans chercher à en donner un chiffrage d'une précision illusoire, il y a lieu de considérer que cette importance est forte.

3. SUR L'APPLICATION DE LA RÈGLE NON BIS IN IDEM À LA DÉTERMINATION DE LA SANCTION

134. La défenderesse soutient que, au cas où le Conseil déciderait de lui imposer une sanction pécuniaire, celle-ci ne pourrait, sans violer la règle non bis in idem, sanctionner les mêmes faits et tenir compte du même dommage à l'économie que celui déjà " sanctionné " par la décision n° 04-D-18, sanction aggravée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 11 janvier 2005.

135. Le principe non bis in idem interdit de punir deux fois les mêmes faits. Mais, en l'espèce, les pratiques reprochées dans la présente affaire et celles sanctionnées par la décision n° 04-D-18 du Conseil de la concurrence sont différentes. Les premières sont des pratiques anti-concurrentielles, dont la sanction est régie pas les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce. Elles ont consisté à avoir préempté le marché de gros de l'ADSL entre le 9 novembre 1999 et le 15 septembre 2002, France Télécom ayant refusé, pendant toute cette période, de permettre l'accès demandé par Neuf Télécom à son réseau. Les secondes consistent dans l'inexécution par France Télécom des injonctions adressées le 18 février 2000, comportement réprimé par les dispositions de l'article L. 464-3 du Code de commerce qui renvoient à celles de l'article L. 464-2 pour fixer les " limites " de la sanction applicable. L'élément punissable n'est pas le même : l'infraction aux règles de concurrence dans le premier cas, le refus de respecter une injonction du Conseil dans le second. La gravité de ces pratiques ne peut d'ailleurs être appréciée de la même façon : en fonction de la nature, de la durée et des effets de l'abus de position dominante dans le premier cas ; de manière plus forfaitaire dans le deuxième, dès lors que, comme l'a jugé la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 11 janvier 2005, le fait de ne pas respecter une injonction claire et dépourvue d'ambiguïté du Conseil de la concurrence revêt, " en soi ", un caractère de " gravité exceptionnelle ".

136. La circonstance que, pour respecter les critères fixés par l'article L. 464-2 du Code de commerce auxquels renvoient implicitement les dispositions de l'article L. 464-3, la Cour d'appel ait tenu compte dans sa sanction prononcée le 11 janvier 2005 de " l'importance du dommage causé à l'économie " par le refus de respecter les injonctions du Conseil, dommage qui se confond en partie avec celui né des pratiques en cause dans la présente affaire, n'interdit pas au Conseil de prononcer une sanction pour réprimer ces dernières.

137. La mission du Conseil ne consiste pas, à la différence du juge civil, à réparer en argent le préjudice causé de manière directe et certaine par un comportement - réparation qui ne peut excéder le montant de ce préjudice - : il s'agit pour lui de réprimer le comportement en cause, en fixant le montant de la sanction pécuniaire à un niveau qui, pour être dissuasif, doit être établi en proportion avec le dommage causé à l'économie, c'est-à-dire avec la perte de surplus économique subi par les entreprises concurrentes, les entreprises clientes et, in fine, les consommateurs finals, du fait du fonctionnement moins concurrentiel du marché en cause.

138. Aucun obstacle juridique ne s'oppose donc à ce que deux sanctions successives, infligées à raison de pratiques différentes, prennent en compte, pour calculer leur montant, un critère partiellement commun.

4. SUR LA SITUATION DE L'ENTREPRISE

139. S'agissant de la situation particulière de l'entreprise, France Télécom, comme il vient d'être dit, a déjà subi une sanction pour sa pratique de non respect d'injonction, pratique différente mais connexe à celle présentement examinée.

140. Aussi, dans un souci d'équité, le Conseil de la concurrence tient compte, pour fixer la sanction due au titre de la présente décision, de l'amende de 40 millions d'euro à laquelle France Télécom a déjà été condamnée pour ne pas avoir respecté les injonctions prononcées par le Conseil : dans le contexte propre à l'espèce, et compte tenu de la motivation de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, il s'agit d'un élément qui doit être pris en compte pour atténuer la sanction qui serait normalement due au titre du grief retenu.

141. En effet, il a été rappelé plus haut que les dommages à l'économie, pris en compte dans la présente décision et ceux pris en compte dans la décision du Conseil puis dans l'arrêt de la cour d'appel sanctionnant le non respect de l'injonction prononcée par le Conseil, présentent une zone de recouvrement et se confondent en partie : il y a lieu d'en tenir compte dans le prononcé de la sanction.

142. Le chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours de l'année 2004 par France Télécom s'est élevé à 19,7 milliards d'euro. Compte tenu des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 80 millions d'euro.

Décision

Article 1er : Il est établi que la société France Télécom a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 2 : Il est infligé à la société France Télécom une sanction pécuniaire de 80 millions d'euro.