CA Paris, 5e ch. A, 2 mars 2005, n° 03-05628
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Kitch Moto (SARL)
Défendeur :
Suzuki France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Faucher, Roche
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Baskal Chalut-Natal
Avocats :
Mes Hutin-Houillon, Karsenty-Ricard
La société Suzuki France (ci-après Suzuki) a confié à la SARL Kitch Moto la distribution des motocycles et cyclomoteurs de marque Suzuki dont elle est l'importateur, par contrats de concession exclusive renouvelés depuis 1974. Un nouveau contrat proposé par la société Suzuki à ses concessionnaires pour mise en conformité avec les dispositions du règlement communautaire 2790-1999, a été signé entre le concédant et la société Kitch Moto le 8 février 2001. L'article 2 de ce contrat stipulait que le concessionnaire auquel était attribué en exclusivité un territoire défini en annexe à ce contrat soit la région de Marseille, s'interdisait toute vente active ou passive des produits à partir d'un lieu d'établissement non autorisé par Suzuki, ainsi que toute vente à des revendeurs non agréés.
Informée de la vente de plusieurs motocycles par la société Kitch Moto en dehors de son territoire contractuel, et après avoir dans un premier temps notifié le 31 mai 2001 un avertissement à son concessionnaire, la société Suzuki lui signifiait la résiliation à effet immédiat du contrat par lettre RAR du 11 octobre 2001.
C'est dans ces conditions qu'après avoir été déboutée par ordonnance du 25 janvier 2002 d'une action en référé contre la société Suzuki France visant à obtenir la poursuite de l'exécution du contrat sous astreinte, la société Kitch Moto l'a assignée le 19 mars 2002 devant le Tribunal de commerce de Paris, dénonçant le caractère brutal et abusif de la résiliation et demandant la condamnation du concédant à reprendre les relations contractuelles et à lui payer 795 463,73 euro de dommages-intérêts en réparation de son préjudice. La société Suzuki a conclu au rejet de ces demandes et demandé qu'il soit enjoint à la SARL Kitch Moto de déposer les enseignes Suzuki figurant encore sur le point de vente outre 7,622 euro de dommages-intérêts pour ce maintien abusif.
Par jugement contradictoire du 31 janvier 2003, le tribunal saisi a :
- considéré que le contrat de concession exclusive signé entre la société Suzuki et la société Kitch Moto et résilié le 11 octobre 2001, était un contrat à l'année civile et qu'il ne pouvait être résilié qu'à effet du 1er janvier 2002,
- dit que la résiliation était abusive, la faute commise par la société Kitch Moto ne justifiant pas une résiliation à effet immédiat,
- condamné en conséquence la société Suzuki à payer à la société Kitch Moto au titre des deux mois restant à courir jusqu'à la fin de l'année 2001, 84 000 euro à titre d'indemnité de préavis,
- ordonné la dépose des enseignes Suzuki France qui pourraient encore figurer sur le point de vente,
- " dit nulles et sans effet toutes demandes contraires au présent dispositif ",
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- dit les dépens à la charge des deux parties par moitié.
Régulièrement appelante le 24 mars 2003, la SARL Kitch Moto demande à la cour par conclusions enregistrées le 24 décembre 2004, vu les articles 1134 et 1149 du Code civil et l'article L. 442-6 du Code de commerce, de :
- réformer partiellement le jugement,
- dire et juger que la résiliation du contrat de concession du 8 février 2001 est abusive et brutale,
- condamner la société Suzuki à lui payer 1 809 218,37 euro en réparation de ses préjudices,
- débouter la société Suzuki de sa demande en paiement de 1 876,99 euro,
- condamner la société Suzuki à lui payer 15 000 euro pour ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Dans ses conclusions déposées le 17 janvier 2005, la société anonyme Suzuki France, intimée, prie la cour de :
- débouter la société Kitch Moto de toutes ses demandes formées sur son appel principal,
- déclarer la société Suzuki bien-fondée en son appel incident et infirmant le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné la dépose des enseignes,
- dire et juger que la société Kitch Moto a violé à plusieurs reprises les dispositions du contrat de concession, que la résiliation de ce contrat intervenue le 11 octobre 2001 est bien-fondée et qu'elle est intervenue dans des conditions exclusives de tout abus et de toute brutalité,
- débouter la société Kitch Moto de toutes ses demandes,
- faire interdiction à la société Kitch Moto sous astreinte de 150 euro par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, d'utiliser sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, l'enseigne et les signes distinctifs Suzuki,
- condamner la société Suzuki à lui payer 1 876,99 euro avec intérêts de droit à compter du 25 octobre 2004, outre 15 000 euro pour ses frais irrépétibles et aux dépens.
Sur ce,
Sur la validité du contrat de concession au regard du règlement d'exemption par catégorie 2790-1999 sur les restrictions verticales
Considérant que selon l'article 2 du contrat de concession signé entre la société Suzuki et la société Kitch Moto le 8 février 2001, " Le concessionnaire s'interdit toute vente active ou passive à partir d'un lieu d'établissement non autorisé par Suzuki France. Il s'interdit toute vente à des revendeurs non agréés. Tout approvisionnement auprès d'un revendeur, non agréé Suzuki dans l'Union européenne, sera considéré comme illicite. En cas de vente à un autre revendeur, le concessionnaire aura l'obligation de s'assurer que l'acheteur est un distributeur agréé Suzuki dans l'Union européenne ";
Considérant que si la société Kitch Moto invoque le règlement d'exemption 2790-1999 du 22 décembre 1999 du Conseil concernant l'application de l'article 81 § 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, pour dénoncer l'illicéité de l'interdiction de vente passive mentionnée dans l'article 2 du contrat de concession et se fonde sur les dispositions de l'article 4 b) de ce règlement prohibant la restriction concernant " le territoire dans lequel ou la clientèle à laquelle [le concessionnaire] peut vendre les biens, sauf : (...) la restriction des ventes actives vers un territoire exclusif ou à une clientèle exclusive réservés aux fournisseurs ou concédés par le fournisseur à un autre [concessionnaire], lorsqu'une telle restriction ne limite pas les ventes de la part des clients du [concessionnaire] ", pour soutenir que " seules les ventes actives hors réseau peuvent être interdîtes " et demander à la cour de déclarer nul l'article 2 du contrat de concession, il échet d'observer, d'abord, que l'appelant ne précise pas en quoi les clauses qu'il critique limiteraient les ventes de la part de ses clients, ensuite, que la clause de localisation prévue par cet article n'est pas contraire aux dispositions de l'article 4 c) du règlement susvisé, qui permettent au fournisseur " d'interdire à un membre du système d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ";
Qu'il suit que la demande de la société Kitch Moto, tendant à voir prononcer l'annulation de l'article 2 du contrat de concession, ne peut qu'être rejetée;
Sur la résiliation du contrat
Considérant que l'article 17 du contrat de concession, intitulé " Résiliation anticipée ", est ainsi rédigé : " En cas de manquement par l'une des parties à l'une des obligations découlant du présent contrat, le contrat pourra être résilié de plein droit un mois après la mise en demeure d'exécuter l'obligation restée infructueuse ";
Considérant qu'il est constant que la société Suzuki a été informée par l'un de ses concessionnaires la société Perrault à Angers, qu'une moto 103411 GSF 600 auparavant livrée à la société Kitch Moto et non déclarée vendue par elle, avait été vendue à un client final le 20 décembre 2000 par une société Moto Plein Phare sise à Angers, étrangère au réseau Suzuki ; que par courrier du 27 avril 2001, la société Perrault dénonçait la vente de deux autres motos numérotées 109131 GSF 600 N et 115186 SV650SY également vendues par la société Moto Plein Phare ; que par courrier du 10 mai 2001, la société Pro Stock concessionnaire Suzuki à Anglet, informait la société Suzuki de la vente de deux autres motos neuves numérotées 11180 GSF 600 SKY1 et 117236 SV650 SK1 par une société Euro Moto Trajectoire alors qu'elles avaient été livrées à Kitch Moto;
Que les demandes d'explications adressées par la société Suzuki à son concessionnaire, la première le 21 janvier 2001, ont reçu des réponses successives, contradictoires et partielles, la société Kitch Moto déclarant tout d'abord dans un courrier du 13 mars 2001 que la moto 103411 GSF 600 vendue à Angers "faisait partie d'un lot de motos endommagées lors des inondations de l'hiver 2000 à Marseille " et qu'ayant "fait l'objet d'un remboursement par différence de valeur " elle avait été " récupérée par le mandataire de [sa] compagnie", puis dans un nouveau courrier du 10 mai 2001 que la moto litigieuse, qui " en aucun cas ne faisait partie des machines endommagées lors des inondations de l'hiver 2000 à Marseille ", son précédent courrier ayant été établi "pour éviter les problèmes inhérents à une vente hors secteur ", avait été vendue à une société DCF à Mulhouse également étrangère au réseau, enfin le 30 août 2001 en réponse au courrier du 25 juillet 2001 du concédant la mettant en demeure de fournir la liste complète et précise des motos endommagées, celle des motos ayant fait l'objet de ventes hors secteur, ainsi que les coordonnées de sa compagnie d'assurances et de son mandataire, que " ces véhicules " avaient été vendus par ses soins à une société Miami Bike à Marseille, n'appartenant pas au réseau Suzuki, la société Kitch Moto ajoutant dans ce courrier considérer l'incident comme "clos";
Considérant que si la société Kitch Moto fait valoir qu'elle a fait l'objet d'un avertissement solennel par courrier du 31 mai 2001 de son concédant et que ce courrier visait non seulement la moto numérotée 103411 vendue hors secteur à Angers mais également les quatre autres véhicules, et soutient que la société Suzuki est dans l'impossibilité de justifier d'incidents survenus depuis cette date, il y a lieu de relever que le courrier RAR du 31 mai 2001 de la société Suzuki notifiant à la société Kitch Moto un avertissement solennel faisait une claire distinction entre les griefs considérés comme établis -cinq ventes hors secteur- sur lesquels était fondée cette sanction, et la poursuite de l'instruction de cette affaire relativement, d'une part, à d'autres ventes de véhicules neufs hors secteur tant à la société DCF en 2000 qu'à d'autres agents non agréés sur le territoire français en 2001 selon les déclarations du dirigeant de la société Kitch Moto faites au concédant le 16 mai 2001 et rappelées dans ce courrier qui n'a pas été démenti sur ce point par l'appelant, et, d'autre part, aux véhicules endommagés par un dégât des eaux survenu à Marseille au cours de l'hiver 2000 selon les affirmations réitérées à plusieurs reprises par la société Kitch Moto sans être assorties de la moindre justification; que ce courrier impartissait un délai de trente jours au concessionnaire pour fournir " la liste complète des motos concernées tant par les ventes hors secteur que par le dégât des eaux " ;
Considérant que le courrier RAR du 25 juillet 2001 de la société Suzuki qui mettait à nouveau " officiellement en demeure" son concessionnaire, visait expressément l'article 2 du contrat de concession ainsi que la clause résolutoire; qu'un nouveau courrier RAR de mise en demeure a été adressé le 6 septembre 2001 à la société Kitch Moto renouvelant la même demande, dans le même délai, sous la même sanction;
Que la société Kitch Moto n'a jamais répondu à ces interpellations successives;
Considérant que la société Suzuki était dès lors bien-fondée à mettre en application la clause résolutoire de plein droit inscrite à l'article 17 du contrat de concession et à résilier ce contrat sans préavis ni indemnité conformément aux stipulations convenues entre les parties, les griefs énoncés dans son courrier de résiliation du 11 octobre 2001 notamment le refus de réponse à ses précédentes demandes et en particulier à celle du 6 septembre 2001, ne pouvant être confondus avec les reproches ayant motivé l'avertissement solennel notifié le 31 mai précédent, les déclarations successives, les mensonges et les refus opposés aux demandes légitimes du concédant constituant en tout état de cause, de la part du concessionnaire, une faute grave justifiant la résiliation du contrat;
Sur les demandes de la société Suzuki France
Considérant que les dispositions de la décision attaquée, relatives à la dépose des enseignes, ne font pas l'objet de contestation; qu'il n'est ni démontré ni même allégué par la société Suzuki que la société Kitch Moto n'ait pas déféré à l'injonction qui lui a été faite par cette décision; que la demande de l'intimée tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte n'est pas justifiée;
Considérant que la société Suzuki demande à la cour la condamnation de la société Kitch Moto à lui verser 1 876,99 euro restés impayés et verse aux débats ses factures ainsi que le courrier de mise en demeure adressé le 25 octobre 2004 à l'appelante; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande et de condamner la société Kitch Moto à payer cette somme augmentée d'intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure;
Considérant qu'il y a lieu d'infirmer partiellement la décision entreprise;
Qu'il est équitable que la société Suzuki soit indemnisée de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, pour lesquels lui seront alloués 3 000 euro;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, Infirme le jugement sauf en ses dispositions concernant l'injonction faite à la société Kitch Moto de déposer les enseignes Suzuki France; Et statuant à nouveau, Déboute la société Kitch Moto de toutes ses demandes, Y ajoutant, Condamne la société Kitch Moto à payer à la Société Suzuki 1 876,99 euro augmentés d'intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2004, Condamne la société Kitch Moto à payer à la société Suzuki 3 000 euro pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct pour la SCP Baskal Chalut-Natal, avoué.