CA Paris, 5e ch. A, 12 janvier 2005, n° 03-02283
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Soixante (SARL)
Défendeur :
ADA (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Baufume-Galland
Avocats :
Mes Urion, Balmann
La société ADA, laquelle gère un réseau d'agences de location de véhicules exploités sous l'enseigne " ADA " soit directement sous forme de succursales soit au travers de la passation de contrats de franchise, a conclu, le 19 octobre 1991, avec M. Tunesi, agissant tant en son nom personnel que pour le compte de la société Jean-Tunesi, un contrat de franchise d'une durée déterminée de sept ans confiant au franchisé, outre la transmission d'un savoir-faire ainsi que l'octroi d'une assistante permanente, l'exclusivité commerciale sur divers arrondissements du département de l'Isère.
Ce contrat a fait l'objet, en avril 1992, d'un transfert au profit de la société Soixante.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 juillet 1998 la société ADA communiquait à la société Soixante, en vue de " préparer l'éventuel renouvellement " de l'accord de franchise, le nouveau contrat-type en vigueur ainsi qu'un exemplaire du document d'information précontractuel tel que requis par la " loi Doubin ".
Cette démarche a été suivie en septembre 1998 d'un contrat téléphonique intervenu entre les parties.
Cependant, par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 octobre 1998, la société ADA notifiait à la société Soixante qu'elle ne renouvellerait pas son contrat de franchise et lui proposait en revanche de bénéficier d'une "franchise corner" pour la zone d'exclusivité de Pont-de-Chervy et ce sans assortir le nouveau contrat envisagé d'un droit d'entrée.
La société Soixante n'a pas donné suite à cette proposition et s'estimant lésée par le comportement jugé déloyal et de mauvaise foi de son franchiseur a, par acte du 11 août 2000, assigné ce dernier devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de divers dommages-intérêts correspondant, notamment, à la perte de valeur de fonds exploité ainsi qu'à celle des investissements commerciaux et publicitaires réalisés.
Par jugement du 7 novembre 2002, le tribunal saisi a débouté la société Soixante de ses prétentions tout en estimant néanmoins que la défenderesse n'avait pas respecté " un délai de préavis tenant compte des relations commerciales antérieures ".
Régulièrement appelante la société Soixante a, par conclusions enregistrées le 9 novembre 2004, prié la cour de :
- infirmer le jugement,
et statuant à nouveau
- dire et juger que la société ADA a manqué à son obligation de bonne foi contractuelle et agi de façon déloyale à l'occasion du non-renouvellement du contrat de franchise ayant lié les parties,
- dire et juger que les agissements de la société ADA ont fait échec à toute possibilité de cession du fonds de commerce considéré,
- constater que la société ADA, a rompu brutalement son contrat de franchise en ne respectant pas un délai de préavis suffisant,
- dire et juger que la société ADA aurait dû lui accorder un délai de préavis de 5 mois,
en conséquence,
- condamner la société ADA à lui payer, à titre de dommages-intérêts les sommes suivantes :
* 70 418,49 euro,
* 1 531,49 euro,
* 4 069,63 euro,
* 33 749,83 euro,
* 50 814,00 euro,
* 20 935,06 euro,
- condamner en outre celle-ci aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 8 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées le 2 novembre 2004 la société ADA a sollicité de la cour de :
- rejeter l'ensemble des demandes de la société Soixante,
- dire et juger qu'elle-même n'a pas commis de faute à l'égard de la société Soixante,
- constater qu'en toute hypothèse cette dernière ne justifie d'aucun préjudice en relation causale avec le non-renouvellement de son contrat de franchise,
- constater, en outre, que la société Soixante s'est toujours abstenue de verser aux débats le moindre bilan ou compte de résultat venant appuyer ses prétentions,
- rejeter en conséquence les prétentions de l'intéressé à toutes fins qu'elles comportent, à titre infiniment subsidiaire et avant-dire-droit,
- désigner un expert à l'effet de vérifier, documents comptables à l'appui, l'évolution des différents postes de résultats de l'appelante avant et après la fin des relations contractuelles litigieuses et de rechercher les éléments qui viendraient établir l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices allégués et le non-renouvellement du contrat,
- condamner la société Soixante aux dépens et au paiement d'une indemnité de 8 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce
Considérant que la société Soixante fait, tout d'abord, grief à la société ADA de ne pas avoir exécuté de bonne foi son obligation de recherche d'un accord afin de permettre le renouvellement du contrat de franchise dont elle bénéficiait et d'avoir ainsi directement méconnu l'article 2-2 de la convention souscrite le 19 octobre 1991 ; qu'il échet, toutefois, de rappeler que le non-renouvellement d'un contrat de franchise venu à expiration est un droit pour le concédant qui n'engage sa responsabilité qu'en cas d'abus dans l'exercice de celui-ci, abus dont la preuve incombe à celui qui s'en prétend victime ; qu'en l'espèce, l'article 2-2 dont il est excipé se borne à prévoir que " dans les six mois précédant l'arrivée du terme les parties se concerteront pour envisager la possibilité d'un renouvellement et en discuter les éventuelles conditions et modalités " ; que si cet article invite effectivement les parties à se rapprocher avant la fin du contrat pour faire le bilan de leurs relations contractuelles et envisager l'éventuelle poursuite de celles-ci, il n'impose aucune obligation de conclure un nouvel engagement ni même d'en négocier les modalités ; que la société ADA s'est ainsi conformée aux stipulations contractuelles en invitant, par un courrier en date du 27 juillet 1991, la société Soixante à " faire ensemble un bilan de notre partenariat au cours des années écoulées et parler de l'avenir de notre relation " ; que, par la suite, et par un nouveau courrier daté du 26 octobre 1998, elle a indiqué à la société franchisée, alors qu'aucune disposition légale ou contractuelle ne l'y contraignait, les raisons pour lesquelles elle n'avait pas souhaité renouveler le contrat mais avait désiré s'engager avec un autre partenaire répondant mieux aux nécessités de l'évolution de son enseigne; que, de même, si l'appelante soutient que la dissimulation par la société ADA de ses véritables intentions serait démontrée par les pourparlers que cette dernière aurait engagés avec la société ADEL pour pourvoir à son remplacement, il ressort de l'examen des pièces du dossier que cette dernière n'a débuté son activité que le 1er décembre 1998, soit plusieurs mois après la notification de la rupture du contrat de franchise en cause, et nul document ne démontre l'existence d'une quelconque concertation antérieure entre les intéressées.
Considérant que si la société Soixante prétend, en deuxième lieu, que la société ADA aurait adopté une aptitude particulièrement déloyale envers elle en dissimulation ses véritables intentions et en lui laissant croire à la reconduction de son contrat, il ressort de l'examen des pièces du dossier et notamment de la sommation interpellative en date du 7 décembre 1998 et régulièrement versée aux débats, que le dirigeant social de l'appelante avait lui-même informé son personnel des difficultés rencontrées concernant le renouvellement de son contrat ; que, par ailleurs, le courrier susmentionné adressé le 26 octobre 1998 par la société ADA à la société Soixante se réfère aux " différents entretiens " qu'elles ont eus et aux " raisons longuement évoquées " au cours de ceux-ci pour ne pas reconduire le contrat ; que la société appelante n'a, alors, contesté ni la réalité desdits entretiens ni l'objet de ceux-ci tel que rapporté ; que, de même, la lettre du 27 juillet 1998 par laquelle étaient adressés à la société Soixante des documents précontractuels d'information ainsi qu'un exemplaire du nouveau contrat-type en vigueur ne saurait s'analyser en une proposition formelle de reconduction dès lors qu'à deux reprises et de façon dépourvue de toute ambiguïté celle-ci n'évoquait qu'un simple " éventuel " renouvellement et nulle promesse de poursuite dans l'avenir de la collaboration existante ; que, plus généralement, la société Soixante ne rapporte la preuve d'aucune circonstance de fait ou de droit susceptible d'avoir créé chez elle une confiance légitime dans le maintien de la relation l'unissant à la société ADA ou même d'avoir entretenu une incertitude sur le sort de celle-ci ;
Considérant que la société Soixante reproche, en troisième lieu, à la société ADA la violation des dispositions de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce aux termes duquel "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan... de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale et respectant la durée minimale du préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ; que, cependant, le contrat litigieux a été conclu pour une durée déterminée et, le terme survenu, celui-ci a nécessairement pris fin conformément à la volonté des parties, lesquelles s'étaient prononcées pour un terme prédéfini ; que, par suite, et en l'absence, au surplus, de tout renouvellement antérieur dudit engagement, le refus de reconduction critiqué ne saurait s'analyser en une rupture brutale au sens de l'article précité, lequel ne peut donc recevoir application en l'espèce ;
Considérant, enfin, que si la société appelante impute, également, à la société ADA l'impossibilité qui a été la sienne de céder son fonds de commerce à l'issue du contrat de franchise et d'avoir ainsi perdu " la totalité du fruit de son travail " alors que, selon ses dires, le franchisé dispose " droit patrimonial sur sa clientèle... quelles que soient les circonstances de la rupture de son contrat ", il a été ci-dessus énoncé que le franchiseur n'avait commis aucune faute en ne renouvelant pas ledit contrat et en exerçant ainsi sa liberté de ne pas s'engager ; que, par suite, ne saurait lui être reproché le fait que le franchisé ne puisse valoriser un fonds désormais dépourvu de tout fondement contractuel ; qu'en tout état de cause, le franchiseur n'est pas tenu d'une obligation d'assistance à son franchisé en vue de sa reconversion et la société Soixante n'est pas fondée, ainsi qu'elle le sollicite dans ses écritures, à demander à la société ADA à lui trouver à cet effet un éventuel " repreneur " ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité ne peut être reprochée en l'occurrence à la société ADA ; qu'il y a lieu en conséquence et sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité du préjudice invoqué, de la débouter de ses demandes indemnitaires et de confirmer, sauf à substituer aux motifs retenus par les premiers juges ceux sus-exposés, le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société Soixante à verser à la société ADA la somme de 5 000 euro au titre des frais hors dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, reçoit l'appel jugé régulier en la réforme, Au fond, le rejetant, confirme le jugement, Déboute la société Soixante de l'ensemble de ses prétentions, La condamne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Baufumé-Galland, avoué, La condamne aussi à verser à la société ADA la somme de 5 000 euro au titre des fais hors dépens.