CA Paris, 25e ch. B, 21 janvier 2005, n° 03-19819
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Planquart
Défendeur :
Frères Nordin (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
Mmes Collot, Jaubert
Avoués :
SCP Bolling-Durand-Lallement, SCP Autier
Avocats :
Mes Lefevre, Chauchard
La cour statue sur l'appel déclaré à l'encontre du jugement rendu le 20 juin 2003 par le Tribunal de grande instance de Paris.
Virginie Lepoutre épouse Planquart a acquis, en avril ou mai 1998, dans le magasin lillois l'Atelier Conseils un bidon de produit dénommé " Hydrofugeant SP "fabriqué par la Sarl des Frères Nordin.
Alors qu'elle procédait, le 8 novembre 1998, à l'application de ce produit sur le carrelage de l'une des pièces de sa maison, elle a perdu connaissance et a dû être hospitalisée.
Le litige porte sur la demande de Mme Planquart à l'encontre de la Sarl des Frères Nordin afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice corporel et moral qu'elle estime avoir subi du fait de la défectuosité du produit fabriqué par cette société.
Un jugement du Tribunal de grande instance du 6 juillet 2000 a désigne en qualité d'expert technique Alain Karkleskind afin d'analyser le produit concerné et de donner un avis sur sa toxicité et sa dangerosité, et le docteur Michel Garnier afin de donner son avis sur le lien de causalité éventuel entre l'application du produit en question et les troubles allégués, lesquels ont déposé leur rapport le 29 juin 2001.
En ouverture de rapport le tribunal a statué ainsi qu'il suit :
- déboute Virginie Le poutre épouse Planquart de toutes ses demandes,
- condamne Virginie Lepoutre épouse Planquart à payer à la Sarl des Frères Nordin la somme de 1.200 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
- condamne Virginie Lepoutre épouse Planquart aux dépens qui incluront le coût de l'expertise.
aux motifs essentiels que l'information portée sur le produit incriminé était suffisante et que le produit présentait dés lors une sécurité normale.
Vu les conclusions de Mme Planquart appelante au visa des articles L. 222-1 et suivants du Code de la consommation et 1386-1 et suivants du Code civil, pour voir :
- à titre principal déclarer la Sarl Les Frères Nordin entièrement responsable du préjudicie par elle rencontré,
- à titre infiniment subsidiaire et sur le fondement de l'article 1386-13 du Code civil, ordonner un partage de responsabilité à hauteur de 75% pour la Sarl Les Frères Nordin et de 20% pour elle,
- condamner en réparation de ses préjudices la Sarl Les Frères Nordin à lui verser :
7 650 euro au titre du préjudice corporel,
3 000 euro au titre du préjudice moral,
A titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait que son préjudicie corporel n'était pas clairement établi :
- déclarer en tout état de cause, responsable la Sarl Les Frères Nordin de l'accident par elle subi le 8 novembre 1998,
- la condamner à lui verser la somme de 1 euro à titre de provision à valoir dans l'hypothèse ou des conséquences directes viendraient à surgir ultérieurement,
- la condamner à lui verser la somme de 3.000 euro au titre du préjudice moral,
en tout état de cause, condamner la Sarl Les Frères Nordin au paiement de la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions de la Sarl Les Frères Nordin intimée tendant au visa des articles 1386-1 et suivants du Code civil et L. 222-1 du Code de la consommation , à :
- confirmer le jugement, en tout état de cause, en ce qu'il a débouté Mme Planquart de l'intégralité de ses demandes,
- prononcer sa propre mise hors de cause,
- très subsidiairement, débouter Mme Planquart de ses demandes aux fins d'indemnisation d'un préjudice corporel et ramener celle concernant son préjudice moral à de plus propositions qui ne sauraient excéder la somme de 150 euro,
- reconventionnellement condamner Mme Planquart à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC,
- la condamner aux entiers dépens.
La cour, en ce qui concerne les faits et procédure, moyens et prétentions des parties se réfère au jugement et aux conclusions d'appel.
Cela étant exposé, la cour,
Considérant que pour critiquer le jugement qui l'a déboutée de ses demandes Mme Planquart soutient :
- que le malaise dont elle a été victime est dû à une inhalation importante de vapeurs trichloréthylène à l'occasion de l'application de l'Hydrofugeant SP fabriqué par la Sarl Les Frères Nordin,
- que le produit est défectueux dans la mesure où il a crée un danger pour l'utilisateur dans des conditions normales d'utilisation,
- que l'information mentionnée sur le bidon du produit est trop succincte eu égard aux risques encourus par l'utilisateur,
- que l'expert Karleskind constate que les recommandations d'usages n'ont pas été suffisamment alarmistes ;
Que la Sarl Les Frères Nordin intimée rétorque
- qu'elle n'a commis aucune faute dans l'information des usagers du produit,
- que subsidiairement le lien de causalité entre le dommage subi et le produit " Hydrofugeant SP " n'est pas établi ;
Sur le lien de causalité
Considérant que selon l'article L. 221-1 du Code de la consommation, les produits et services doivent, dans des conditions d'utilisation normales ou raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la sécurité des personnes ;
Qu'aux termes des articles 1386-1 et 1386-4 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, un produit étant défectueux au sens de ces texte lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, cette sécurité devant s'apprécier compte tenu de toutes circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut raisonnablement en être attendu et du moment de sa mise en circulation ;
Considérant que lors de l'expertise Mme Planquart a déclaré :
- concernant la description de l'accident (page 14 du rapport) que sur les conseils de la venderesse elle avait acheté en même temps plusieurs produits nécessaires pour l'entretien du sol qu'elle envisageait : alcool fin à venir, nettoyant SP Cristallisant, Décrassant Bleu SP Cire et Hydrofugeant, qu'elle a nettoyé la surface avec les trois premiers et a passé l'Hydrofugeant SP le lendemain avec 12 heures entre les deux poses puis deux heures l'après midi et que c'est à l'issue de ce traitement qu'elle a eu un malaise ayant nécessité son hospitalisation. ;
- concernant la mise en œuvre du produit (page 22 du rapport) elle a précisé qu'elle avait traité les carreaux de ciment recouvrant le sol d'une petite pièce de son habitation de 2,50 m x 3 à 4 m, distribuant un accès sur un jardin d'hiver et un jardin, normalement ventilée ;
Considérant qu'il convient de rappeler que selon l'expertise l'Hydrofugeant SP fabriqué par la Sarl Les Frères Nordin et mis en cause par la victime, est une solution à environ 6,5% d'une cire à la présence de trichloréthylène " ;
Que l'expert Karleskind indique que " la dangerosité des produits utilisés est principalement celle de l'Hydrofugeant SP, liée à la présence de trichloréthylène " ;
Considérant que l'expert technique Karleskind précise que le trichloréthylène est un solvant chloré non inflammable, doté d'une toxicité à l'égard de l'homme et que la commercialisation de préparations à base de ce produit, correspond à des emplois définis et spécifiques à usage domestique ;
Que l'expert s'est livré à une simulation d'utilisation en fonction de celle décrite par la victime, des caractéristiques du produit et de la configuration de la pièces permettant de retenir que :
- dans le cas extrême d'une absence totale de ventilation du local, la concentration en trichloréthylène est un solvant chloré non inflammable, doté d'une toxicité à l'égard de l'homme et que la commercialisation de préparations à base de ce produit, correspond à des emplois bien définis et spécifiques à usage domestique ;
- dans le cas d'une ventilation statique, sans vent, induisant un renouvellement de l'ordre de deux à trois volumes / heures de la pièce, le volume aurait été renouvelé à 1 à 1,5 fois, ce qui aurait encore laissé une concentration égale à 2,2 à 3 fois la VLE,
- la VLE n'aurait pu être abaissé que par un courant d'ait provoquant au minimum un renouvellement de cinq volumes / heures, sachant que la densité lourde des vapeurs de trichloréthylène ne facilite par leur élimination,
- la réglementation du travail impose pour les travailleurs le port de masque lorsque la concentration est supérieure aux valeurs limites d'exposition (Virginie Lepoutre épouse Planquart ne portait pas de masque) ;
Que ces éléments établissent un lien de causalité entre l'inhalation des vapeurs de trichloréthylène et le syndrome présenté par Mme Virginie Planquart ;
Considérant que de son côté l'expert médical Garnier qui a examiné la victime et son dossier médical incrime également parmi les produits utilisés la présence du trichloréthylène entrant dans la fabrication de l'Hydrofugeant ayant entraîné l'intoxication de la victime caractérisée par un déficit d'oxygène par inhalation d'un air contenant de grosses vapeurs de trichloréthylène ;
Que l'expert précise :
" il n'est pas possible d'établir avec certitude que le syndrome est la conséquence directe de la toxicité d'un ou des produits utilisés ou d'une mauvaises utilisation de ces mêmes produits dans une pièce insuffisamment aérée voir d'une réaction d'un de ces produits sur le sol.
La patiente présente actuellement une diminution de ses fonctions respiratoires objectivée par des explorations fonctionnelles respiratoires.
Il n'est pas possible d'établir un lien de causalité direct entre ce syndrome asphyxique aigu et la pathologie chronique actuelle " ;
Que toutefois, il affirme :
" Ce syndrome est la conséquence de l'utilisation de multiples solvants dont le trichloréthylène dans une pièce " ;
Qu'en définitive cette implication du trichloréthylène contenu dans l'Hydrofugeant SP n'est pas contredire par les différents moyens d'action toxique du produit envisagés par cet expert : toxicité directe, mauvaise utilisation, réaction d'un produit sur le sol, et que les conclusions de l'expert médical établissent un lien direct entre le malaise dont Virginie Lepoutre épouse Planquart a été victime le 8 novembre 1998 et les produits solvants, dont le trichloréthylène, dont elle s'est servie pour traiter le sol de son habitation ;
Considérant qu'il résulte par conséquent des conclusions des expert que le malaise dont Virginie Lepoutre épouse Planquart a été victime le 8 novembre 1998, et qui a entraîné son hospitalisation le même jour est dû à une inhalation important de vapeurs de trichloréthylène à l'occasion de l'application du produit l'Hydrofugeant SP fabrique par la Sarl Les Frères Nordin ;
Sur la responsabilité de la Sarl Les Frères Nordin
Considérant qu'il résulte des observations de l'expert technique Karleskind page 23 du rapport que :
- si le produit l'Hydrofugeant SP présente potentiellement un danger pour l'homme en raison de la toxicité de son principal composant, le trichloréthylène (environ 35%), sa commercialisation est licite,
- il était normalement étiqueté au regard de la réglementation en vigueur,
- les inscriptions réglementaires étaient parfaitement visibles ;
Que l'expert judiciaire se contente d'émettre une légère réserve, indiquant qu'en application de l'article 221-1 du Code de la consommation, les recommandations d'usage n'auraient pas été suffisamment alarmistes, précisant toutefois qu'il n'était pas possible dans un tel domaine de situer une limite ;
Que dés lors il convient de décrire les informations figurant sur le bidon du l'Hydrofugeant SP qui comporte :
1°) Sur l'une de ses faces, l'énonciation des précautions à prendre lors de l'utilisation, précédées du terme " Attention " :
- locaux ventilés ou port d'un masque,
- protection de la peau,
- se conformer à l'étiquette de réglementation,
2°) Sur l'un des côtés
- le symbole de danger " X " nocif (croix noire sur fond orangé),
- l'indication " Renferme du trichloroéthylène ",
- la mention suivante :
" R. 40 possibilité d'effets irrévisibles
Conseils de prudence
S. 23 Ne pas respirer les vapeurs
S. 36/37 Porter un vêtement de protection et des gants appropriés " ;
Considérant que Mme Planquart se réfère à la jurisprudence antérieure à la loi de 1998 pour reprocher à la Sarl Les Frères Nordin d'avoir fourni une information trop succincte eu égard aux risques encourus par l'utilisateur ;
Que Mme Planquart produit la pièce n° 16 intitulée " le nouvel étiquetage du trichloréthylène : la reclassification et ses conséquences " résultant d'une recherche sur internet et rappelant la réglementation en vigueur en 1998 avant la promulgation dans le journal officiel des CE n° L. 225 du 21 août 2001 de la directive 2001/59/CE de la commission du 6 août 2001 portant adaptation au progrès technique des dispositions relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses ;
Qu'il ressort de ce document que dans la réglementation en vigueur en 1998 le produit trichloréthylène était classé XN, R 40 ;
Que le symbole de nocivité était XN soit une croix de Saint André, et que la phase de risque principal était R 40 " possibilité d'effets irréversibles ", dont les mentions figurent bien sur le bison commercialisé par la Sarl des Frères Nordin ;
Considérant qu'en outre le grief selon lequel les éléments figurant sur la fiche toxicologique auraient dû être reportés sur l'étiquette est inopérant dés lors que l'expert judiciaire a rappelé dans son rapport que les fiches toxicologiques de l'INRS et les fiches de sécurité concernent uniquement des usages professionnels ;
Considérant qu'en réalité à la vue des photographies reproduites dans le rapport d'expertise et de la lecture des signalisations et indications spécialement de celles qui occupent la totalité de l'étiquetage du côté du flacon que la particulière nocivité du produit est parfaitement mise en évidence et est perceptible d'emblée par un utilisateur moyennement prudent et avisé ;
Que l'utilisateur est donc en mesure par les informations ainsi portées sur le flacon, de comprendre que des précautions d'emploi sont à prendre, que l'utilisation doit se faire avec prudence, qu'en particulier, il ne faut respirer les vapeurs émises par le produit sous peine de dommages graves, et qu'il convient donc, soit de ventiler les locaux, soit de porter un masque pendant l'application ;
Qu'il n'est démontré par Mme Planquart que les informations précitées figurant sur le bidon de manière apparente, ne lui permettaient pas d'apprécier la particulière nocivité du produit ;
Or, considérant qu'il ne ressort ni des opérations d'expertise ni des écritures de Mme Planquart qu'elle ait ventilé la pièce dont le sol était traité par le produit litigieux en ouvrant porte et fenêtre pour créer une circulation d'air ou qu'elle ait porté un masque pendant l'application ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont justement estimé que compte tenu des information portées sur son étiquetage, c'est-à-dire de sa présentation, l'Hydrofugeant SP fabriqué par la Sarl des Frères Nordin présentait la sécurité à laquelle ont peut s'attendre pour ce type de produit et pour l'usage auquel il est destiné, qu'il n'était donc pas défectueux au sens des textes précités et que la responsabilité de la Sarl des Frères Nordin ne peut être retenue ;
Considérant que par suite Mme Planquart sera déboutée de ses demandes et le jugement confirmé en toutes ses dispositions ;
Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du NCPC en cause d'appel ;
Par ces motifs ; Confirme le jugement en toutes ses dispositions ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne Mme Planquart aux dépens d'appel ; Admet la SCP Autier, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.