CA Paris, 1re ch. H, 15 novembre 2005, n° ECOC0600128X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
TPS (Sté)
Défendeur :
Canal Plus (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mmes Horbette, Mouillard
Avoués :
SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Arnaudy & Baechlin
Avocats :
Mes Vogel, Théophile, Wilhelm, SCP Vogel & Vogel
Le secteur de la télévision à péage, caractérisé par le paiement, par les téléspectateurs, des programmes auxquels ils souhaitent avoir accès, se distingue de celui de la télévision gratuite commerciale, financé par la vente d'espaces publicitaires aux annonceurs.
Sur ce secteur interviennent, outre les câblo-opérateurs, la SA Canal Plus, qui reçu en 1983 une concession d'exploitation de la quatrième chaîne de télévision transformée en autorisation le 1er juin 1995 et depuis lors constamment renouvelée, la société Canal Satellite, filiale de la précédente, créée en 1992, et la société Télévision Par Satellite (ci-après la société TPS), lancée en décembre 1996, ces deux dernières proposent une offre payante de programmes et de services audiovisuels en mode numérique et par satellite.
Le 5 juin 1998, la société TPS a saisi le Conseil de la concurrence des " pratiques tarifaires et de couplage sur le marché de la télévision payante mises en œuvre par le groupe Canal Plus ", dénonçant à ce titre trois pratiques -des offres couplées d'abonnements à Canal Plus et à Canal Satellite, des pratiques de prix prédateurs pour l'offre d'abonnement à Canal Satellite, enfin des offres de remises et de promotion- qui ont donné lieu à la notification à la société Canal Plus, le 3 juillet 2003, de trois griefs d'abus de position dominante.
Par décision n° 05-D-13 du 18 mars 2005, le Conseil de la concurrence a décidé qu'il n'était pas établi que la société Canal Plus ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
LA COUR :
Vu le recours formé par la société TPS le 22 avril 2005,
Vu le mémoire déposé le 23 mai 2005 par la société TPS à l'appui de son recours soutenu par son mémoire en réplique du 6 septembre 2005 et par son mémoire en duplique du 16 septembre 2005, par lesquels cette dernière demande à la cour :
- à titre principal d'annuler la décision du Conseil de la concurrence pour violation du principe de séparation des fonctions d'instruction et de jugement, du principe contradictoire et de la publicité des débats, et, statuant à nouveau, de :
- constater que la société Canal Plus a violé les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce en mettant en œuvre des offres de couplage entre l'abonnement à Canal Plus et l'abonnement à Canal Satellite et en proposant l'abonnement à Canal Satellite au prix prédateur de 50 F,
- interdire à la société Canal Plus de proposer à l'avenir toute offre de couplage à l'égard du public, qu'il soit déjà ou non abonné à l'un ou l'autre des programmes ainsi qu'à l'égard des distributeurs en matière de commissionnement,
- interdire à la société Canal Plus de proposer à l'avenir toute offre qui serait prédatrice,
- infliger à la société Canal Plus les sanctions pécuniaires d'un montant que la cour estimera approprié et proportionnel à la gravité des violations du Code de commerce commises par la société Canal Plus,
- ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de la société Canal Plus dans les journaux suivants : les Echos, la Tribune, Libération, Le Monde, Le Figaro, Ecran Total, Le Film français ;
- à titre subsidiaire de :
- réformer la décision et statuer sur toutes les offres de couplage en cause,
- réformer la décision en ce qu'elle a considéré que les pratiques de couplage mises en œuvre par la société Canal Plus n'étaient pas constitutives d'abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce et que le prix de Canal Satellite à 50 F au sein de l'offre couplée ne constituait pas une pratique de prix prédateur contraire à l'article L. 420-2 du Code de commerce,
- interdire à la société Canal Pus de proposer à l'avenir toute offre de couplage à l'égard du public, qu'il soit déjà ou non abonné à l'un ou l'autre des programmes ainsi qu'à l'égard des distributeurs en matière de commissionnement,
- interdire à la société Canal Plus de proposer à l'avenir toute offre qui sera prédatrice,
- infliger à la société Canal Plus les sanctions pécuniaires d'un montant que la cour estimera approprié et proportionnel à la gravité des violations du Code de commerce commises par la société Canal Plus,
- ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de Canal Plus dans les journaux suivants : les Echos, la Tribune, Libération, Le Monde, Le Figaro, Ecran Total, Le Film Français,
- en tout état de cause de:
- condamner la société Canal Plus à lui verser 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu le recours incident formé la société Canal Plus le 27 mai 2005, contenant l'exposé complet de ses moyens, ainsi que ses mémoires en réplique du 6 septembre 2005 et en duplique du 16 septembre 2005, par lesquels cette dernière demande à la cour:
- sur le recours principal, de le rejeter,
- sur son recours incident, d'annuler et subsidiairement réformer la décision du Conseil de la concurrence et, statuant à nouveau, de :
- déclarer nulle la procédure qui s'est déroulée devant le Conseil, faute de désignation du rapporteur dès la saisine, compte tenu de la durée excessive de la procédure, et compte tenu du refus arbitraire du rapporteur d'instruire à charge et à décharge,
- déclarer prescrits les faits visés par la saisine,
- dire n'y avoir lieu à poursuivre la procédure dans ce dossier,
- plus subsidiairement, confirmer cette décision en ce qu'elle a considéré qu'elle n'avait pas commis d'infraction à l'article L. 420-2 du Code de commerce,
- en tout état de cause, condamner la société TPS à lui payer la somme de 60 000 euro au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile ;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence, en date du 12 juillet 2005,
Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, en date du 24 juin 2005,
Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience,
Ouï à l'audience publique du 27 septembre 2005, en leurs observations orales, les conseils des parties, ainsi que le représentant du ministre chargé de l'Economie et du Ministère public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer ;
Sur ce :
Sur la recevabilité du recours de la société Canal Plus
Considérant que, bien que la décision l'ait mise hors de cause après avoir retenu que les pratiques poursuivies n'étaient pas établies, la société Canal Plus a un intérêt à former un recours incident pour discuter les dispositions de cette décision écartant ses moyens tirés de l'irrégularité de la procédure suivie contre elle et de la prescription ; que son recours est donc recevable ;
Sur la recevabilité des mémoires
Considérant que l'article 8 du décret du 19 octobre 1987 dispose que le premier président de la cour d'appel ou son délégué fixe les délais dans lesquels les parties de l'instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour ;
Que le conseiller délégué a, par ordonnance du 30 mai 2005, invité les parties à déposer leurs mémoires en réplique pour le 6 septembre 2005 et en duplique pour le 16 septembre suivant ; que, négligeant ces prescriptions, et alors que l'affaire devait être plaidée le 27 septembre, la société Canal Plus a déposé un quatrième mémoire dit " en duplique sur le recours principal de TPS " le 22 septembre suivant, auquel cette dernière a répliqué le 26 septembre mais en demandant à titre principal le rejet du mémoire de la société Canal Plus ;
Considérant qu'aucune atteinte au principe de la contradiction ne justifie que la société Canal Plus, qui se borne à revendiquer le droit de toute personne poursuivie à s'exprimer en dernier, ce que les textes applicables en la cause n'exigent pas, et qui a été suffisamment mise en mesure de faire valoir ses moyens et de répliquer à ceux de la société TPS, s'affranchisse des délais qui lui ont été impartis conformément à l'article 8 précité que doivent donc être écartés comme tardifs les mémoires déposés les 22 et 26 septembre 2005 ;
Sur la régularité de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence
- sur les moyens invoqués par la société TPS
Considérant que cette société fait grief au Conseil de la concurrence, en premier lieu, d'avoir méconnu " le principe de séparation stricte entre les fonctions d'instruction et de jugement " en poursuivant l'instruction au cours de la séance et en interrogeant la société Canal Plus sur les économies de coûts réalisées grâce au couplage alors que ce point n'a pas été évoqué par le rapporteur, ni même d'ailleurs par la société Canal Plus dans ses conclusions, en second lieu, d'avoir violé le principe de la contradiction posé par l'article L. 463-1 du Code de commerce en soulevant d'office plusieurs moyens favorables à la société Canal Plus auxquels elle n'a pu répondre, enfin d'avoir tenu une séance à huis clos, certes conformément aux dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce, mais en violation de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Mais considérant, d'une part, que le principe d'impartialité, qui implique que l'autorité de décision soit indépendante de l'organe à qui est confiée l'instruction du dossier, ne fait pas obstacle à ce que le Conseil de la concurrence use de la faculté, qu'il tient de l'article L. 463-7 du Code de commerce, de procéder lui-même en séance aux investigations qu'il estime nécessaires, et qu'il exerce indépendamment de celle que lui confère l'article 33 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 de renvoyer l'affaire à l'instruction lorsque celle-ci lui paraît incomplète ; qu'en posant aux parties, au cours de la séance du 8 février 2005, diverses questions auxquelles ces dernières ont été mises en mesure de répondre contradictoirement, le Conseil de la concurrence n'a pas méconnu les principes invoqués, alors au surplus que la société TPS ne prétend pas avoir émis de réserves à cet égard, ni en séance, ni par une note qu'il lui était loisible d'adresser postérieurement ;
Considérant, en second lieu, que, tenu de se prononcer en fait et en droit sur les griefs notifiés, en particulier sur celui relatif à une pratique de prix prédateurs, le Conseil de la concurrence n'a pas violé le principe de la contradiction pour avoir retenu une analyse différente de celle proposée par le rapporteur, dès lors qu'il ne s'est fondé pour ce faire sur aucun élément qui n'eût été soumis au débat contradictoire ;
Considérant, d'autre part, que, si les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales sont applicables aux sanctions prévues par l'article L. 464-2 du Code de commerce, des impératifs de souplesse et d'efficacité, compatibles avec la protection des droits de l'Homme, peuvent justifier l'intervention préalable d'organes administratifs ou corporatifs et à fortiori juridictionnels, ne satisfaisant pas sous tous leurs aspects aux prescriptions (sic) forme du paragraphe 1er de l'article 6 précité, dès lors que les décisions qu'ils prennent subissent à posteriori, sur les points de fait, les questions de droit ainsi que la proportionnalité de la sanction prononcée avec la faute commise, le contrôle effectif d'un organe judiciaire offrant toutes les garanties au sens du texte susvisé ; que tel étant le cas en l'espèce, le grief tiré du défaut de publicité de la séance n'est pas fondé ;
- sur les moyens invoqués par la société Canal Plus
Considérant que cette société soutient qu'en désignant trois ans et demi après la saisine un rapporteur chargé d'instruire l'affaire, le Conseil de la concurrence a violé une formalité substantielle, de sécurité juridique, ainsi que les principes fondamentaux d'équité et de célérité du procès ; qu'elle invoque également la durée excessive de la procédure prétendant avoir été privée de la garantie d'un procès équitable, et fait valoir que le rapporteur a refusé de procéder à toute investigation à décharge, violant ainsi les principes d'impartialité et d'égalité des armes ;
Considérant, d'une part, que, si l'article 50 de l'ordonnance du 1er décembre 19(sic) devenu l'article L. 450-6 du Code de commerce, n'impose aucun délai pour la désignation du rapporteur, la procédure qui a été suivie en l'espèce devant le Conseil de la concurrence qui se singularise par la désignation d'un rapporteur plus de trois ans après la saisine et une décision rendue plus de sept ans après les pratiques concernées a subi un retard qu'aucune circonstance ne justifie et apparaît excessivement longue au regard des exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Que, toutefois, la durée excessive d'une procédure n'en justifie l'annulation que lorsqu'il est établi qu'elle a fait obstacle à l'exercice normal des droits de la défense ; qu'en l'espèce, l'annulation est pas encourue dès lors que la société Canal Plus n'a pas souffert de la déperdition des preuves qu'elle invoque ; qu'en effet, elle a été en mesure (§ 86 et de la décision) de démontrer que la société TPS avait effectué de nombreuses offres promotionnelles an même temps qu'elle, et sans avoir besoin de prouver que tel était aussi le cas des câblo-opérateurs ; qu'en outre, elle admet elle-même que la difficulté à déterminer les coûts, notamment de ceux spécifiquement liés à l'opération promotionnelle mise en œuvre à la fin de l'année 1997, résulte du fait que sa comptabilité analytique n'était pas, à l'époque des faits, ventilée offre par offre, aucun renseignement utile à cet égard ne pouvant être tiré des factures alors adressées à ses clients ;
Considérant, d'autre part, que sous couleur d'une violation du principe d'impartialité, la société Canal Plus se borne à critiquer les investigations du rapporteur qu'elle estime insuffisantes, et l'appréciation émise par ce dernier sur les éléments collectés, selon elle entachée d'imprécisions et d'erreurs manifestes, sans même invoquer une recherche précise qui lui aurait été refusée, et alors au surplus qu'elle-même avait toute latitude pour produire, tant devant le rapporteur qu'en séance, les éléments qui lui semblaient pertinents ; que ce moyen n'est donc pas fondé ;
Sur le fond
- sur la portée des griefs notifiés
Considérant qu'ont été notifiés à la société Canal Plus, le 3 juillet 2003, trois griefs d'abus de position dominante pour:
1) avoir procédé à des offres couplées d'abonnement de Canal Plus et de Canal Satellite,
2) avoir pratiqué un prix prédateur pour son offre d'abonnement au bouquet Canal Satellite à 50 F par mois,
3) avoir multiplié les offres commerciales consistant en remises et promotions de Canal Plus et de Canal Satellite ;
Que la société TPS ne contestant pas l'abandon du troisième grief par la décision déférée, seuls restent en discussion les deux premiers ;
Considérant à cet égard que c'est à tort que la société TPS soutient que le premier grief visait toutes les offres de couplage dont elle avait saisi le Conseil de la concurrence dont certaines, selon elle, s'étaient poursuivies jusqu'en septembre et octobre 1998 dès lors que l'examen de la notification de griefs révèle que, s'il a visé, en conclusion du rapport, "des offres couplées", le rapporteur n'a retenu à ce titre (page 8) que la seule offre commercialisée de septembre 1997 à janvier 1998, qui proposait l'abonnement aux deux produits Canal Plus et Canal Satellite pour un prix global inférieur à la somme des deux pris séparément ;
- Sur la prescription
Considérant que la société Canal Plus prétend que les pratiques en cause sont prescrites depuis le 5 juin 2001, aucun acte interruptif n'ayant été accompli au cours des trois années précédentes et la première audition n'ayant été effectuée par le rapporteur le 31 janvier 2002 ;
Considérant que l'article L. 462-7 du Code de commerce, en sa version applicable en la cause, dispose que le Conseil de la concurrence ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation de leur sanction ;
Qu'il suit de là, la saisine étant du 5 juin 1998, que le Conseil de la concurrence pouvait statuer sur les pratiques relevées au cours des trois années précédentes, (sic) jusqu'au 5 juin 1995, et à la condition de ne pas avoir laissé s'écouler entre-temps un délais de plus de trois ans sans effectuer un acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ;
Que les pratiques de couplage et de prédation visées par les deux premiers griefs résultaient de l'offre commerciale proposée du 1er septembre 1997 au 31 janvier 1998 et de l'exécution des contrats conclus à cette occasion avec les abonnés -qui caractérise la persistance des éléments matériel et intentionnel des infractions- qui s'est poursuivie jusqu'au 31 janvier 1999 ; que c'est donc à bon droit qu'ayant relevé que ces pratiques ont revêtu un caractère continu, le Conseil de la concurrence en a déduit que la prescription n'a recommencé à courir que le 1er février 1999 et qu'elle a été interrompue par l'audition du 31 janvier 2002 ;
Que, de toute façon, c'est avec raison également que le Conseil a relevé à titre subsidiaire qu'indépendamment du caractère continu de ces pratiques, le nouveau délai de trois ans qui a commencé à courir après la saisine a été interrompu par la communication qui en a été faite au Conseil supérieur de l'audiovisuel, le 21 octobre 1999, par la présidence du Conseil de la concurrence conformément à l'article 16 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, alors applicable, puis par l'avis subséquent que cet organisme a donné le 1er février 2000 ; qu'en effet, cette communication aux fins d'avis, qui est exigée du Conseil préalablement au prononcé de toute décision sur le fond et qui donne lieu à la délivrance d'un avis de nature à éclairer le Conseil sur le secteur concerné et les pratiques en cause, constitue, non un simple acte d'administration judiciaire comme le prétend la société Canal Plus, mais un acte tendant à la recherche, la constatation et la sanction de pratiques, et peu important qu'il n'ait pas été effectué par un rapporteur, la présidente du Conseil n'ayant pu, par l'accomplissement de cette mesure purement formelle, s'immiscer dans les fonctions d'instruction ;
Que la prescription n'était donc pas acquise lorsque le Conseil de la concurrence a statué ;
- Sur la position dominante du groupe Canal Plus
Considérant que la société Canal Plus ne discute plus sa position dominante sur le marché de la télévision payante à péage, telle que décrite par le Conseil de la concurrence aux points 51 à 54 de la décision, et dont il résulte, en substance, qu'à l'époque des faits, soit en 1997 et 1998, cette société détenait soit par elle-même (4 593 000) soit par sa filiale Canal Satellite (776 489) plus de 5 369 489 abonnés contre 320 000 pour la société TPS, sa part de marché étant d'ailleurs encore évaluée à 70% en 1999 et à 73% en 2003 ;
- Sur les pratiques
Considérant qu'ainsi qu'il a déjà été constaté, seules restent en discussion les pratiques de couplage et de prédation visées par les deux premiers griefs, qui résultaient d'une offre commerciale présentée du 1er septembre 1997 au 31 janvier 1998, par laquelle les sociétés Canal Plus et Canal Satellite proposaient l'abonnement à leurs deux produits respectifs à un prix global de 225 F, inférieur à la somme des prix de chaque produit vendu séparément (175 F et 98 F soit 273 F) ;
a) Sur l'offre couplée Canal Plus Canal Satellite
Considérant, tout d'abord, que, faisant valoir qu'elle ne dispose pas, à l'instar de la société Canal Plus, d'un produit "phare" comme la chaîne Canal Plus, la société TPS reproche au Conseil d'avoir méconnu le principe selon lequel une offre de couplage effectuée par une entreprise en position dominante est illicite si ses concurrents ne sont pas en mesure d'en proposer une similaire ; qu'elle ajoute que l'offre en cause avait un objet anticoncurrentiel, en ce qu'elle constituait un moyen de détourner artificiellement la clientèle de Canal Plus vers Canal Satellite à son détriment et ce, d'autant plus que le produit liant, Canal Plus, était incontournable, en ce qu'elle ne correspondait pas à la seule rétrocession aux consommateurs des économies de coûts dégagées par le couplage qui n'apportait au consommateur aucun avantage susceptible de les justifier, enfin en ce qu'elle avait un caractère fidélisant ;
Mais considérant qu'ainsi que le Conseil de la concurrence l'a retenu à juste titre le seul fait que la société Canal Plus soit en position dominante sur le marché de la télévision payante ne saurait justifier que lui soit, à priori et par principe, interdit le lancement d'offres couplant la chaîne Canal Plus en bouquet Canal Satellite ; qu'il convient donc de rechercher si, compte tenu de la structure du marché notamment, cette offre avait un objet anticoncurrentiel ou présentait des effets anticoncurrentiels ;
Qu'à cet égard, il convient de relever, tout d'abord, que les deux produits couplés étaient situés sur le même marché de la télévision payante ;
Qu'ensuite, c'est avec pertinence que le Conseil de la concurrence a relevé qu'au moment des faits, ce marché n'était plus un marché émergent dès lors qu'outre les opérateurs satellitaires (Canal Satellite et TPS), s'y côtoyaient déjà les câblo-opérateurs (Lyonnaise Câble, France Télécom Câble, NC Numéricâble) et Canal Plus, cette appréciation n'étant pas remise en cause par le fait que la société TPS n'y est entrée qu'en 1996 et que les câblo-opérateurs sont tenus par l'implantation géographique du câble ;
Que l'importance du nombre de ses abonnés et la forte position de la société Canal Plus sur les marchés des droits du cinéma et du sport -encadrée par ailleurs par l'autorité de la concurrence ainsi que la société TPS le rappelle an page 20 de son exposé des moyens- ne permettent pas pour autant de tenir la chaîne Canal Plus pour un produit "incontournable" sur le marché de la télévision à péage, alors au surplus qu'ainsi que le Conseil supérieur de l'audiovisuel le soulignait dans son avis, le bouquet TPS lui-même se distinguait par le fait qu'à l'exception de la Cinquième et de Arte, il reprenait l'offre hertzienne généraliste nationale privée et publique de façon exclusive, ce qui en faisait un " produit d'appel important " dans les zones connaissant des difficultés de réception hertzienne, et qu'en 1997, il disposait lui aussi de chaînes de sport et de cinéma (Eurosport Cinestar, Cinétoile) ; qu'au demeurant, au même moment, la société TPS proposait également des offres de couplage entre ses différents produits ;
Qu'en outre, il ne peut être considéré que l'offre en cause ait été mise en œuvre spécifiquement afin de contrecarrer le développement de TPS, la société Canal Plus ayant déjà en 1994 et 1995, proposé à ses abonnés un tarif spécial d'abonnement à Canal Satellite (105 F/mois au lieu de 136), sans qu'il soit démontré que le montant de cette remise ne représentait que le prix de la location du décodeur dont ces clients étaient dispensés ayant au moment des faits, compte tenu de l'apparition, un an plus tôt, de la technologie numérique, des raisons légitimes de stimuler la migration de ses abonnés analogiques, aussi bien de Canal Plus que de Canal Satellite, vers son offre numérique, la diffusion analogique de Canal Plus devant d'ailleurs cesser à la fin du mois de septembre 1997 et celle de Canal Satellite en octobre 1998 ;
Qu'au surplus, et en dépit de ce que soutient la société TPS, le couplage étant source de gains d'efficacité, puisqu'il permettait à la société Canal Plus de réaliser des économies de coûts -que cette dernière évalue, documents comptables à l'appui (pièce (sic) à 21 F au minimum- au titre de la gestion des paraboles offertes, de la gestion des abonnements et de la prospection commerciale, peu important à cet égard que la remise consentie soit supérieure au montant de cette économie, et qu'il conférait symétriquement un avantage au consommateur, qui n'avait plus qu'un seul interlocuteur, une seule facturation prélevée et un seul décodeur ;
Que, s'agissant des effets anticoncurrentiels, il doit être relevé que les effets de l'offre couplée étaient d'autant moins prononcés que subsistait pour le consommateur la possibilité d'acheter chacun des deux produits séparément et que l'offre en cause, qui n'a duré que cinq mois, n'a été diffusée que par marketing direct, son impact étant ainsi demeuré plus limité que si elle avait été relayée par une campagne nationale ; que la société TPS ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que l'offre était fidélisante au motif inopéra(sic) qu'elle visait à récompenser les clients déjà abonnés, alors qu'elle était ouverte à tous ; que surtout, il convient de relever, ainsi que le Conseil supérieur de l'audiovisuel l'a lui-même souligné sans être utilement contredit par la société TPS, qu'en fin d'année 1997, cette société a connu une forte progression (60 %), le nombre de ses clients augmentant de façon importante et régulière pendant cette période et même tout au long de l'année 1998, et c'est bien qu'elle n'ait pas hésité à augmenter simultanément son tarif, passé de 130 F par mois en janvier 1997 à 140 F à partir de septembre 1997, puis à 150 F en janvier 1998, peu important à cet égard que, dans le cadre de ses promotions, elle ait consenti des remises pour les premiers mois d'abonnement ;
Qu'ainsi, il ne résulte pas du dossier que la pratique de couplage ait eu un objet ou un effet anticoncurrentiel ;
b) sur le caractère prédateur du prix de l'offre couplée
Considérant que, pour écarter ce grief, le Conseil de la concurrence rappelle tout d'abord qu'il suppose que soient démontrés, non seulement la domination de l'entreprise mais encore un prix inférieur aux coûts pertinents et une stratégie d'éviction rendue crédible par la possibilité de récupération des pertes une fois le concurrent évincé du marché, cette possibilité devant s'apprécier au moment de la mise en œuvre de la stratégie.
Qu'il relève ensuite qu'au cas particulier, s'agissant d'un prix unique pour deux produits, l'appréciation du caractère prédateur du prix doit s'appliquer à l'offre couplée prise en son ensemble (225 F par mois), et non à la seule offre supplémentaire de Canal Satellite, et qu'il convient donc de vérifier si le prix de 225 F couvre le coût variable moyen d'un abonné achetant l'offre couplée ; qu'il retient que, compte tenu des économies de coûts effectuées par la société Canal Plus, dont le principe n'est pas contestable, il est hautement vraisemblable que la marge dégagée sur l'abonnement à Canal Plus du fait d'un prix très au-dessus du coût marginal d'un abonné à cette chaîne, estimée par la société TPS elle-même à 135 F, couvre la différence entre le prix additionnel de 50 F proposé pour l'abonnement à Canai Satellite dans l'offre couplée et les diverses estimations du coût marginal d'un abonné à Canal Satellite, variant entre 64F et 71 F selon les approches ; qu'il souligne enfin que la faible durée de la pratique en cause et la puissance financière de la société TPS, qui s'est également montrée capable d'émettre des offres couplées, rendaient improbable l'existence d'une stratégie d'éviction ;
Considérant que la société TPS - dont seuls seront examinés les moyens déposés dans le délai prévu à l'article 2 du décret n° 97-849 du 19 octobre 1987 à l'exclusion de ceux introduits dans ses mémoires en réplique, en particulier celui du 6 septembre 2005 et en duplique critique cette motivation, d'une part, en ce qu'elle exige le cumul de deux éléments, soit un prix inférieur aux coûts variables et la démonstration d'une stratégie d'éviction, en contradiction avec la jurisprudence communautaire (Akzo Chernie BV c/ Commission des Communautés européennes 03/07/91 Recueil 1991, p.I-03359), d'autre part, en ce qu'elle se fonde sur les coûts confondus des deux produits alors que, selon elle, seuls les coûts de Canal Satellite, inférieurs au prix de 50 F auquel ce produit était vendu devaient être pris en compte ;
Mais considérant, d'une part, que l'analyse à laquelle le Conseil a procédé est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes dès lors qu'après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le prix du produit ne couvrait pas ses coûts variables, écartant ainsi la première hypothèse de prix prédateurs définie par la décision invoquée, il a retenu que, de toute façon, il ne pouvait être considéré que la société Canal Plus ait poursuivi une stratégie d'éviction de la société TPS, excluant par là-même la seconde hypothèse de prédation, qui vise les cas où le prix, inférieur à la moyenne des coûts totaux (qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables) mais supérieur à la moyenne des coûts variables, est fixé dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent ;
Considérant, d'autre part, que la notion de prix prédateur devant s'apprécier au regard du produit effectivement offert à la vente, c'est à juste titre que, s'agissant des produits couplés, le Conseil a examiné le prix global des deux produits en cause ; qu'au demeurant, dans une telle approche, le seul fait que l'offre permît de s'abonner à Canal Satellite, en sus de Canal Plus, pour un supplément de 50 F au prix de 175 F demandé pour Canal Plus seul ne permet pas de considérer que cette différence représentait le " prix " du produit Canal Satellite, étant encore relevé que le contrat d'abonnement précisait qu'en cas de souscription simultanée aux deux produits, Canal Plus serait facturé 155 F au lieu de 175 F ;
Et considérant que la société TPS ne conteste pas davantage l'appréciation du Conseil quant au caractère non prédateur du prix pratiqué ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours de la société TPS doit être rejeté ;
Considérant enfin qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Déclare irrecevables les mémoires déposés le 22 et le 26 septembre 2005 ; Rejette les recours de la société TPS et de la société Canal Plus, Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elles exposés.