Livv
Décisions

CJCE, 17 mai 1972, n° 93-71

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Leonesio

Défendeur :

Ministero dell'agricoltura e foreste

CJCE n° 93-71

17 mai 1972

LA COUR,

1. 1) Attendu que, par ordonnance du 3 novembre 1971, parvenue au greffe de la Cour le 17 novembre 1971, le "Pretore" de Lonato a soumis à celle-ci deux questions tendant à l'interprétation du règlement (CEE) n° 1975-69 du Conseil, du 6 octobre 1969, et du règlement (CEE) n° 2195-69 de la Commission, du 4 novembre 1969, relatifs notamment à l'octroi de primes aux exploitants agricoles procédant à l'abattage de leurs vaches laitières ;

2. Que, par la première question, il est demandé à la Cour de dire "si les dispositions du règlement n° 1975-69 et du règlement n° 2195-69 sont directement applicables dans l'ordre juridique italien et, dans l'affirmative, si elles ont engendré pour les particuliers des droits individuels que les juridictions nationales doivent sauvegarder" ;

Que la deuxième question tend en substance à savoir si, lorsque sont remplies les conditions visées à l'article 5, paragraphes 1 et 2, et aux articles 6 et 9 du règlement n° 2195-69, ces règlements, pour autant qu'ils concernent la prime à l'abattage, confèrent à l'exploitant agricole intéressé, à l'égard de l'Etat membre dont il relève, un droit au paiement de cette prime, droit que le juge national doit sauvegarder immédiatement et que ledit Etat ne peut soumettre à des conditions supplémentaires, notamment quant au délai de paiement résultant de l'article 10 du règlement n° 2195-69 ;

3. Que ces questions ont été posées eu égard au fait que la requérante au principal, estimant avoir rempli toutes les conditions auxquelles les règlements susvisés soumettent l'octroi d'une prime à l'abattage de vaches laitières, a saisi le "Pretore" de Lonato d'une demande "d'injonction" tendant à condamner le ministère italien de l'Agriculture et des Forêts au paiement de cette prime ;

Qu'en outre, il résulte du dossier que les autorités nationales, tout en allouant la prime par "autorisation provisoire", en ont suspendu le paiement au motif que celui-ci serait subordonné à l'adoption préalable, par le Parlement italien, de dispositions législatives accordant les crédits nécessaires ;

4. Attendu que les deux questions étant intimement liées, il convient d'y répondre conjointement ;

5. 2) Attendu qu'aux termes de l'article 189, alinéa 2, du traité, le règlement "a une portée générale" et "est directement applicable dans tout Etat membre" ;

Que, dès lors, en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des sources du droit communautaire, il produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de protéger ;

6. Que, s'agissant de droits de créance à faire valoir contre l'Etat, ces droits prennent naissance lorsque les conditions prévues par le règlement sont remplies, sans qu'il soit possible de subordonner leur exercice, sur le plan national, à des dispositions d'application, autres que celles qui pourraient être exigées par le règlement même ;

Que c'est à la lumière de ces considérations qu'il y a lieu de répondre aux questions posées ;

7. 3) Attendu qu'en ce qui concerne les conditions que l'exploitant agricole doit avoir remplies pour pouvoir prétendre au paiement de la prime, le débiteur de celle-ci et le délai dans lequel le paiement doit intervenir, il convient de se reporter aux articles 1 à 4 et 12 du règlement n° 1975-69 ainsi qu'aux articles 3, 7, 9 et 10 du règlement n° 2195-69 ;

8. Qu'aux termes de l'article 1 du règlement n° 1975-69, "les exploitants agricoles détenant au moins deux vaches laitières peuvent bénéficier, sur leur demande, et dans les conditions définies ci-dessous, d'une prime à l'abattage "fixée à 200 unités de compte par vache laitière abattue, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du même règlement ;

9. Qu'en vertu de l'article 2 de ce règlement, "l'octroi de la prime est subordonné, notamment, à l'engagement écrit du bénéficiaire, a) de renoncer totalement à la production de lait et, b) de faire procéder, au cours d'une période à déterminer et au plus tard le 30 avril 1970, à l'abattage de toutes les vaches laitières faisant partie de son exploitation" ;

10. Que l'article 4, paragraphe 1, du même règlement dispose que, "pour les exploitants agricoles détenant deux à cinq vaches laitières, la prime est versée lorsque le demandeur apporte la preuve qu'il a rempli l'engagement visé à l'article 2, sous b)" ;

11. Que l'article 12 dudit règlement, en précisant que "le Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole, section orientation, rembourse aux Etats membres 50 % des primes" en cause, implique que les Etats membres sont débiteurs de ces primes à l'égard des exploitants agricoles ;

12. Qu'aux termes de l'article 3 du règlement n° 2195-69, "la demande d'octroi de la prime est déposée au cours de la période allant du 1er au 20 décembre 1969 auprès de l'autorité compétente désignée par chaque Etat membre" et devait contenir certaines indications et déclarations ;

13. Que l'article 7 de ce règlement précise que "la période d'abattage visée à l'article 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1975-69 est comprise entre le 9 février et le 30 avril 1970" ;

14. Que l'article 9 du même règlement détermine la façon dont l'exploitant doit apporter la preuve prévue à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1975-69 ;

15. Qu'aux termes de l'article 10 du règlement n° 2195-69, "le versement de la prime visée à l'article 4, paragraphe 1,... du règlement n° 1975-69 intervient dans un délai de deux mois à partir de l'établissement de la preuve de l'abattage conformément à l'article 9 du présent règlement" ;

16. Attendu qu'il résulte de l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 2195-69 que l'octroi de la prime était subordonné en outre à la constatation, par la Commission, "qu'il peut être donné suite aux demandes déposées", constatation intervenue, pour toutes les demandes présentées au titre de l'article 3 dudit règlement, aux termes de l'article 1, lettre a), du règlement n° 140-70 ;

17. Attendu, ensuite, qu'aux termes de l'article 10 du règlement n° 1975-69, la Commission était habilitée à autoriser les Etats membres "à imposer des conditions supplémentaires" pour l'octroi de la prime dont il s'agit, et que l'article 19 du règlement n° 2195-69 énonce de telles conditions en enjoignant aux Etats membres de communiquer à la Commission, le cas échéant, les dispositions qu'ils auraient arrêtées en application de cet article ;

Qu'il est cependant constant que l'Italie n'a pas fait usage de ces facultés ;

Qu'il est en outre également constant que la République italienne a pris les mesures techniques prévues par les articles 4, 5, paragraphe 2, 6, 8 et 11 du règlement n° 2195-69 ;

18. 4) Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, du moment où toutes les conditions prévues par les règlements n° 1975-69 et n° 2195-69 étaient remplies, ceux-ci conféraient aux exploitants agricoles un droit au paiement de la prime d'abattage par l'Etat membre dont ils relèvent, droit que les juridictions nationales doivent sauvegarder et qui pouvait être exercé, en chaque cas d'espèce, dès l'expiration de la période de deux mois consécutive à l'établissement de la preuve de l'abattage, prévue à l'article 10 du règlement n° 2195-69 ;

19. Attendu qu'à partir de ce moment, les règlements cités confèrent à l'exploitant agricole le droit d'exiger le paiement de la prime, sans que l'Etat membre concerné puisse tirer argument de sa législation ou de sa pratique administrative pour s'opposer à un tel paiement ;

Que cette constatation est renforcée par le septième considérant du règlement n° 2195-69, qui souligne la nécessité "d'assurer que les primes soient payées dans tous les Etats membres dans les mêmes délais" ;

20. Attendu, toutefois, que le Gouvernement italien fait valoir que les règlements en cause n'auraient pas engendré le droit au versement de la prime tant que le législateur national n'aurait pas voté les crédits nécessaires à cet effet ;

21. Attendu qu'aux termes de l'article 5, alinéa 1, du traité, "les Etats membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté" ;

Que si l'objection de la République italienne devait être retenue, elle conduirait à placer les exploitants agricoles de cet Etat dans une situation plus défavorable que celle de leurs homologues des autres Etats membres, en méconnaissance de la règle fondamentale qui impose l'application uniforme des règlements dans l'ensemble de la Communauté ;

Que d'ailleurs, les règlements n° 1975-69 et n° 2195-69, énumérant de manière exhaustive les conditions dont dépend la naissance des droits individuels en cause, n'y font pas figurer des considérations d'ordre budgétaire ;

22. Que les règlements communautaires, pour s'imposer avec la même force à l'égard des ressortissants de tous les Etats membres, s'intègrent au système juridique applicable sur le territoire national, qui doit laisser s'exercer l'effet direct prescrit à l'article 189, de telle sorte que les particuliers peuvent les invoquer sans que leur soient opposables des dispositions ou pratiques de l'ordre interne ;

23. Que les dispositions budgétaires d'un Etat membre ne sauraient donc entraver l'applicabilité immédiate d'une disposition communautaire et, par voie de conséquence, l'échéance des droits individuels qu'une telle disposition confère aux particuliers ;

24. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement et que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le "Pretore" de Lonato, conformément à l'ordonnance rendue par cette juridiction le 3 novembre 1971, dit pour droit :

1) Le règlement communautaire produit des effets immédiats et est, comme tel, apte à conférer aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont l'obligation de protéger.

Les droits de créance à faire valoir contre l'Etat, conférés par un tel règlement, prennent naissance lorsque les conditions prévues par le règlement sont remplies, sans qu'il soit possible de subordonner leur exercice, sur le plan national, à des dispositions d'application, autres que celles qui pourraient être exigées par le règlement même.

2) Du moment où toutes les conditions prévues par les règlements n° 1975-69 et n° 2195-69 étaient remplies, ceux-ci conféraient aux exploitants agricoles un droit au paiement de la prime d'abattage par l'Etat membre dont ils relèvent, droit que les juridictions nationales doivent sauvegarder et qui pouvait être exercé, en chaque cas d'espèce, dès l'expiration de la période de deux mois consécutive à l'établissement de la preuve de l'abattage, prévue à l'article 10 du règlement n° 2195-69.

A partir de ce moment, les règlements cités confèrent à l'exploitant agricole le droit d'exiger le paiement de la prime, sans que l'Etat membre concerné puisse tirer argument d'un élément quelconque de sa législation ou de sa pratique administrative pour s'opposer à un tel paiement.