CA Paris, 25e ch. A, 10 décembre 1999, n° 1997-09207
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
EAS (SARL)
Défendeur :
AJP (SARL), NAVI (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briottet
Conseillers :
Mme Deurbergue, Bernard
Avoués :
SCP Bernabe-Ricard-Chardin-Cheviller, SCP Lagourgue, SCP Menard-Scelle-Millet
Avocats :
Mes Monod, Lamond, Deltombe
Par jugement du 28 janvier 1997, le Tribunal de commerce de Créteil a :
- débouté la SARL EAS, acquéreur d'un véhicule automobile de l'action qu'elle avait formée contre la SARL AJP, vendeur, tendant à obtenir réparation du préjudice consécutif au rattachement du dit véhicule à une année modèle fallacieuse, préjudice évalué à 271 005,55 F et 50 000 F, et la condamnée aux frais d'expertise ainsi qu'aux dépens :
- débouté également la SARL AJP de son exception d'irrecevabilité et de sa demande en garantie formée contre la SA NAVI importateur du véhicule ;
- mis hors de cause la SA NAVI.
La SA EAS interjette appel ; - Elle précise que le fondement de son action repose sur le défaut de conformité et qu'en l'espèce, alors qu'il est patent que l'appellation "année modèle" et celle de "millésime" recouvrent une réalité totalement distincte, l'expert avait formellement relevé que l'acte de vente portait une fausse déclaration en attribuant comme année modèle celle du "millésime" laquelle est seulement celle de la première immatriculation du véhicule ; qu'en l'espèce l'année modèle était 1989 et non 1994 ; - Elle ajoute que ce défaut dûment constaté suffisait et qu'il n'y avait pas lieu de rechercher comme l'avait fait le Tribunal si l'utilisation du véhicule avait été affectée car, en tout cas, le prix en subissait la répercussion ; - que fixé à l'achat à 366 575 F, il aurait dû être substantiellement moindre, de l'ordre de 240 000 F, que d'autre part, des différences techniques minorantes s'y greffaient : dimension des pneus, caractéristiques des amortisseurs, rapport de pont, couple du moteur, nombre d'airbags ; - Elle réclame donc l'indemnisation précitée en principal et accessoire, subsidiairement celle de 126 575 F correspondant à la différence de prix outre 20 000 F de frais irrépétibles.
La SA NAVI excipe de l'irrecevabilité à agir de la SARL EAS puisque cette dernière n'était pas l'acquéreur propriétaire du véhicule, l'ayant eu seulement à disposition en vertu d'un contrat de crédit bail. - Elle souligne que la carte grise est au nom de l'organisme de crédit Sofinroute et que le contrat comportant offre d'achat à son terme n'est pas encore venu à expiration ; - Elle note encore qu'aucun lien contractuel ne la relie à la SARL EAS, qu'elle est étrangère aux négociations passées entre cette dernière et la SARL AJP qui est son concessionnaire et à laquelle elle l'avait cédé ; - Elle soutient aussi que le véhicule de marque Chevrolet fabriqué par le groupe américain General Motors avait ses règles propres et que celui-ci avait attesté que le dit véhicule vendu répondait bien au millésime 1994 ; - Elle estime que le rapport de l'expert n'est pas clair et que, de surcroît la SARL EAS se trouve à l'origine de la confusion juridique puisque d'emblée elle avait placé le débat sur le fondement de la garantie des vices cachés ; - Elle s'insurge donc d'un recours injuste et conclut à l'octroi de 15 000 F de frais irrépétibles.
La SARL EAS répond qu'elle est devenue propriétaire du véhicule, ayant payé le prix à Sofinroute le 7 décembre 1995 qui lui a délivré un certificat et rappelle qu'elle avait agi précédemment en vertu du mandat stipulé au contrat de crédit-bail, tandis qu'il est de droit que les actions entre acquéreurs successifs sont soumises aux dispositions contractuelles ; - Elle rejette avec force l'argumentaire de la société NAVI et revendique la stricte application du décret du 4 octobre 1978 relatif aux fraudes et falsifications en matière automobile, relevant que l'expert avait dégagé l'avis émis après consultation du Groupe General Motors d'où il ressortait bien que le véhicule litigieux avait été fabriqué le 8 juin 1992, la lettre N figurant sur le numéro de châssis l'attestant péremptoirement ; - Elle observe que si en 1993 le Groupe General Motors a invoqué ses propres règles quant aux millésimes année-modèle- année de fabrication, ces règles particulières doivent céder alors que le véhicule était vendu en France par des sociétés professionnelles y ayant leur siège ; - que la société NAVI important le véhicule en 1992, ne pouvait ignorer qu'il avait été construit antérieurement et qu'elle l'a néanmoins cédé à la SARL AJP comme étant un véhicule de l'année modèle 94 ; - Elle réitère que l'effectivité d'un usage normal est inopérante, pas plus que ne l'est une éventuelle dégradation ultérieure telle la précarité de l'investissement représenté ;
La SARL AJP renouvelle la formulation de son appel en garantie contre la société NAVI laquelle par trois fois avait fait état du millésime 1994 (facture et certificat de cession du 28 novembre 1994, attestation du 13 mars 1995) ; - Elle sollicite de la SARL EAS 12 000 F de frais irrépétibles ;
La société NAVI estime qu'en sa qualité de professionnel elle doit assumer seule la responsabilité encourue.
Sur quoi,
Considérant que l'article 2 du décret du 4 octobre 1978 inséré en appendice au Code de la consommation stipule "Tout véhicule automobile "conforme à l'un des modèles dont le fabricant a fixé les caractéristiques pour une année déterminée est désigné par le millésime de la dite année appelée année modèle. Dans les transactions portant sur des véhicules automobiles neufs "ou d'occasion, d'origine française ou étrangère, la dénomination de ces "véhicules doit comporter l'indication du millésime de l'année modèle "complétée, en ce qui concerne les véhicules d'occasion par la mention du mois "et de l'année de la première mise en circulation ..." ;
Considérant qu'il résulte des éléments du débat que le bon de commande passé le 16 février 1995 par la SARL EAS à la SARL AJP, concessionnaire de la marque Chevrolet, portait sur un véhicule de cette marque "Corvette LTI Cabriolet", spécifié de l'année modèle 1994 pour un prix de 366 575 F ; - que si un contrat de pure location sans promesse de vente a d'abord été réalisé par la SARL EAS avec l'organisme de crédit Sofinroute le 18 février 1995, la SARL EAS a finalement racheté le véhicule à l'organisme de crédit le 13 décembre 1995, moyennant un prix de 486 680,77 F ;
Considérant, d'autre part que l'expert Huet, désigné en référé constatait que les caractéristiques de la voiture litigieuse correspondaient à une "Corvette" fabriquée avant le 1er septembre 1992 ; - que la date du 14 août 1992 indiquée sur la carte grise correspond à celle du dédouanement, que la date prévue pour le contrôle technique 14 août 1996 montre bien qu'une remontée de 4 années situe encore une fabrication en 1992 ; - que le Groupe General Motors interrogé a répondu que le véhicule était sorti de ses chaînes de montage le 8 juin 1992 - que la lettre N du numéro de châssis corrobore ce fait ; qu'expliquant le texte du décret de 1978 l'expert énonce que "l'année modèle" est un résumé de l'année de référence technique et esthétique d'un modèle, et que cette année pour le véhicule en cause est 1989 ; - que le terme simple de "millésime" signifie, quant à lui, l'année de fabrication ; - que le véhicule livré et facturé par la SARL AJP ne correspond pas à celui commandé et payé par la SARL EAS ; - qu'au jour de la vente février/mars 1995 la valeur marchande du véhicule aurait dû être de 240 000 F ; - que la société NAVI avait vendu précédemment le véhicule à la SARL AJP le 28 novembre 1994 sans faire de distinguo ;
Considérant qu'il apparaît :
- en ce qui concerne la recevabilité :
Que les actes produits attestent à suffisance que la SARL EAS est propriétaire du véhicule depuis le 13 décembre 1995 ; - qu'ainsi au jour de l'exploit introductif au fond, le 10 avril 1996, elle était parfaitement recevable à agir, qu'elle l'était encore précédemment lors de l'instance en référé expertise en tant que mandataire dûment habilité à ce faire par le contrat de location ;
Que le changement de moyens juridiques, à savoir la substitution du défaut de conformité à celui des vices cachés, ne constitue pas une prétention nouvelle ;
Qu'en application de l'article 1604 du Code civil l'obligation de conformité se transmet au sous-acquéreur, et qu'elle est d'ordre contractuel ;
Que, dès lors, l'action de la SARL EAS, est recevable tant à l'égard de la SARL AJP, que de la société NAVI ;
- relativement au fond :
Que l'infraction de l'obligation de conformité est manifeste, que l'énonciation expresse du millésime de l'aimée est impérativement exigé ; qu'il s'agisse de voitures françaises ou étrangères ; que le décret du 4 octobre 1978 s'inscrivant dans le cadre de la loi du 1er août 1905 revêt un aspect pénal du chef du délit de tromperie ; que les termes "millésime" et "millésime de l'année" sont clairement définis, que les SARL AJP et NAVI professionnels avertis, ne pouvaient se méprendre ;
Que, dès lors, les dites sociétés seront déclarées responsables in solidum ;
Que le préjudice subi sera ramené à la différence existant entre le prix payé de 366 575 F et celui correspondant à la spécification réelle soit 240 000 F, d'où la somme de 126 575 F ; - qu'il n'y a pas lieu de tenir compte du recours au contrat de location qui pouvait être une modalité de financement répondant à une convenance personnelle de la SARL EAS ;
Que le préjudice complémentaire en troubles et tracas divers sera évalué à 10 000 F et les frais irrépétibles à 20 000 F ;
Considérant que l'appel en garantie formé par la SARL AJP contre la société NAVI est justifié mais seulement à concurrence de la moitié l'une et l'autre sociétés étant des professionnels de voitures étrangères, notamment américaines, et au fait des exigences de la réglementation ;
Par ces motifs : Contradictoirement, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, A nouveau : Dit recevable l'action formée par la SARL EAS ; Condamne in solidum la SARL AJP et la société NAVI à payer à la SARL EAS 126 575 F de dommages-intérêts, outre 10 000 F de dommages-intérêts complémentaires ; Dit qu'entre elles les SARL AJP et société NAVI se répartiront la charge de ces sommes à concurrence de la moitié pour chacune. Les y condamne en tant que de besoin ; Condamne in solidum les SARL AJP, et société NAVI à paver à la SARL EAS 20 000 F de frais irrépétibles et à s'acquitter des entiers dépens outre les frais d'expertise ; - Admet les avoués concernés au bénéfice de l'article 699 du NCPC.