CA Amiens, 3e ch. com., 1 décembre 1993, n° 1990-92
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Granits des Vosges (SARL)
Défendeur :
Les Docks de l'Oise (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cachelot
Conseillers :
MM. Brunhes, Roches
Avoués :
SCP Guillaume, Tetelin Marguet, Me Caussain
Avocats :
Mes Lefevre, Peres
La société Les Docks de l'Oise a commandé à la société Les Granits des Vosges, début juillet 1987, la fourniture de 20 000 pavés de grès au prix unitaire de 6,50 F pour un chantier réalisé pour le compte de la ville de Laon. Le 26 août 1987, la société Les Docks de l'Oise a passé une commande supplémentaire de 5 000 pavés aux mêmes conditions que pour le marché initial.
A la suite de cette dernière livraison la société Les Granits des Vosges a émis le 31 août 1987 une facture n° 631 d'un montant de 192 725 F TTC correspondant à la fourniture de l'ensemble des 25 000 pavés commandés. Après avoir intégralement réglé ladite facture le 26 octobre 1987, la société Les Docks de l'Oise à réclamé à la société Les Granits des Vosges, la restitution de la somme de 19 272,50 F TTC au motif que cette dernière n'avait procédé, le 26 août 1987, qu'à la livraison d'un "tour" représentant 2 500 pavés au lieu des deux " tours " convenus correspondant à 5 000 pavés.
La société Les Granits des Vosges ayant refusé de restituer quelque somme que ce soit sur le règlement de la facture du 31 août 1987, la société Les Docks de l'Oise l'a par acte du 18 mars 1987, assignée devant le Tribunal de grande instance de Laon statuant en matière commerciale afin qu'elle soit condamnée à lui restituer la somme susmentionnée de 19 272,50 F avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 1987, date du paiement, et à lui payer la somme de 3 500 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La demanderesse demandait également le bénéfice de l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Par jugement du 11 mars 1992 le tribunal saisi a condamné la société Les Granits des Vosges à payer à la société Les Docks de l'Oise la somme de 19 272,50 F avec intérêts au taux légal à compter de sa décision ainsi que celle de 2 500 F au titre des frais hors dépens. Le jugement a été par ailleurs assorti de l'exécution provisoire.
Régulièrement appelante, la société Les Granits des Vosges fait tout d'abord valoir que s'agissant d'une action qui a trait à une contestation relative à la livraison des pavés elle est soumise à la prescription de l'article 108 du Code de commerce, que faute d'acte interruptif d'action depuis 1987 celle-ci est prescrite, qu'au fond, et en ce qui concerne la preuve de la réalité de la livraison, le tribunal a inversé la charge de la preuve, qu'en effet, il appartient à la société Les Docks de l'Oise de prouver que la livraison n'a pas eu lieu, que force est de constater qu'elle ne démontre nullement un tel fait, que, bien au contraire, l'intimée a réglé l'intégralité des pavés livrés et ce, sans aucune contestation, reconnaissant ainsi l'existence même de la livraison, qu'enfin, la production des deux récépissés n° 312 821 et 312 822 émis parle transporteur et régulièrement signés, permet de justifier de la livraison contestée, que le fait que la signature portée sur ces documents soit illisible n'a aucune importance, qu'ainsi la totalité des pavés commandés a bien été livrée entre le 20 juillet et le 26 août 1987.
L'appelante, demande, en conséquence, à la cour de :
- la recevoir en son appel l'y déclarer bien fondée,
- en conséquence, infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Laon du 11 mars 1992, statuant en matière commerciale,
- statuant à nouveau, déclarer irrecevable l'action de la SA Les Docks de l'Oise à son encontre subsidiairement la déclarer mal fondée,
- en conséquence, condamner la SA Les Docks de l'Oise à lui rembourser la somme de 19 272,50 F en principal avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner la SA Les Docks de l'Oise à lui payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SCP Guillaume, Tetelin Marguet, sur la SA Les Docks de l'Oise pour les frais qu'ils auraient avancés sans avoir reçu de provision.
La société Les Docks de l'Oise fait valoir, pour sa part, que sa bonne foi ne peut pas être mise en cause alors qu'elle a réglé directement son fournisseur sans attendre la confirmation de la réception de la totalité des fournitures par la ville de Laon qui n a contesté les livraisons que par un courrier du 2 novembre 1987 alors que la traite était à échéance du 31 octobre, que l'absence de signature sur les bons de livraison démontre le bien fondé de sa réclamation alors que la société Les Granits des Vosges n'apporte pas de preuve suffisante que la livraison de ces deux tours de pavés ait bien été effectuée, que la signature des récépissés par le transporteur établit seulement l'enlèvement des pavés et non la réalité de la livraison, qu'enfin l'appelante est mal fondée à soutenir que l'action serait prescrite dès lors que les dispositions de l'article 108 du Code de commerce sont relatives à l'exécution du contrat de transport et qu'il s'agit en l'espèce d'un contentieux concernant la réalité d'une vente de marchandise entre commerçant et non l'exécution d'un contrat de transport.
L'intimée prie par suite la cour de :
- dire la société Les Granits des Vosges mal fondée en son appel,
- en conséquence, confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Laon du 11 mars 1992,
- dire n'y avoir lieu à restitution,
- condamner la société Les Granits des Vosges à lui payer la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de Me Caussain, avoué.
Sur ce,
Sur la recevabilité de l'action,
Attendu qu'aux termes de l'article 108 alinéa 2 du Code de commerce "toutes les autres actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l'expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l'article 541 du Code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d'un an. Le délai de ces prescriptions est compté dans le cas de perte totale du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée et dans les autres cas, du jour où la marchandise aurait été remise ou offerte au destinataire ; que l'appelante excipe de ces dispositions pour soutenir que, faute d'acte interruptif depuis 1987, l'action intentée par la société Les Docks de l'Oise serait prescrite ; que, toutefois, et ainsi que les premiers juges l'ont relevé, le présent contentieux ne se rattache pas directement au contrat de transport lui- même ainsi qu'aux obligations spécifiques qui en découlent mais, originairement à la réalité de la vente de marchandises entre commerçants ; que, par suite, la prescription prévue à l'article précité ne saurait être utilement invoquée.
Au fond,
Attendu, tout d'abord, que la société Les Granits des Vosges soutient que l'intimée, en réglant sans contestation la totalité des marchandises livrées, aurait reconnu la réalité et l'existence de la livraison de 5 000 pavés qu'elle conteste présentement ; que, cependant, il convient d'observer que la Mairie de Laon n'a contesté la matérialité de ladite livraison que par un courrier du 2 novembre 1987 alors que le règlement des sommes dues avait été déjà effectué par une lettre de change adressée le 26 octobre 1987,pour un montant de 192 725 F, conformément aux conditions de la facture qui prévoyaient un paiement à échéance au 30 octobre 1987 ; que, dès lors, les circonstances susrappelées du règlement de la facture en cause ne sauraient, à elles seules, rapporter la preuve de la livraison litigieuse ;
Attendu, en second lieu, qu'entre commerçants la preuve peut être rapportée par tous moyens ; qu'en l'espèce si ont été effectivement versés aux débats les récépissés n° 312 821 C et 312 822 C émis par le transporteur et régulièrement datés, les bons de livraison remis par l'expéditeur au transporteur et notamment signés lors de la réception des marchandises, n'ont été visés, en ce qui concerne la commande supplémentaire de 5 000 pavés effectué le 26 août 1987, ni lors du premier tour de livraison ni lors du second ; que si, malgré cette absence de visa, la ville de Laon reconnaît avoir reçu une des deux livraisons le 26 août 1987, les seuls autres éléments de preuve produits au dossier et consistant en les récépissés susmentionnés ne permettent, en aucune façon, en l'absence susrappelée de tout visa sur les bons de livraison eux-mêmes, d'établir la réalité et l'effectivité de la délivrance à son destinataire de la seconde livraison ; que c est donc à bon droit que les premiers juges ont condamné la société Les Granits des Vosges à régler à la société Les Docks de l'Oise la somme, indûment payée au titre de la seconde livraison dont l'existence n'est pas établie, de 19 272,50 F ; qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions et de débouter l'appelante de toutes ses demandes ;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Les Docks de l'Oise les frais hors dépens exposés en cause d'appel à concurrence de 3 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement Reçoit l'appel en la forme Au fond, le rejetant, confirme le jugement entrepris rendu par le Tribunal de grande instance de Laon le 11 mars 1992 ; Déboute la société Les Granits des Vosges de l'ensemble de ses demandes ; La condamne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Caussain, avoué à la cour ; La condamne encore à payer à la société Les Docks de l'Oise la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.