CA Montpellier, 2e ch. A, 15 avril 1993, n° 90-1092
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sacovini (SARL + SRL) ; Marrazza (ès qual.) ; Bonfils (SA) ; Preau (SA) ; Ramel (SARL)
Défendeur :
Corbet (SA) ; Les Fils de Henri Ramel (SARL) ; Bonfils (SA) ; Preau et Cie (SA) ; Ramel (SARL) ; Sacovini (SARL) ; Marrazza (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gadel
Conseillers :
MM. Derdeyn, Thibault-Laurent
Avoués :
SCP Argellies, SCP Capdevila-Gabolde, SCP Salvignol
Avocats :
SCP Janbon-Moulin, Me de Montille, Imbach, SCP Escarguel
Faits et procédure
La société Sacovini, société de droit italien, vendait à la SA Corbet 1965 hectolitres de vin rouge de table titrant 14 pour le prix de 119 596 581 lires et 1985 hectolitres de vin de même nature pour le prix de 118 980 800 lires. Le 17 juin 1988, la société Sacovini délivrait à la société Corbet deux factures qui étaient payées comptant avant livraison. Le vin était chargé dans deux tanks à bord du navire "Dortea". Au débarquement à Sète, le service de la Répression des Fraudes consignait le vin et faisait procéder à des analyses de sa composition. Ces analyses paraissaient révéler une chaptalisation qui était interdite. Le Parquet de Montpellier était saisi. Une information était ouverte et le Juge d'instruction désigné ordonnait, par ordonnance du 15 septembre 1988, la saisie du vin, opération à laquelle il était procédé le 21 septembre 1988.
Sur l'action en résolution de la vente pour vices cachés introduite à la requête de la société Corbet, le Tribunal de commerce de Sète a, par jugement réputé contradictoire du 18 octobre 1989 :
- prononcé la résolution de la vente pour vices cachés,
- condamné la société Sacovini à restituer à la société Corbet la somme de 231 420 060 lires, soit 1 059 510,45 F, sauf à parfaire au cours du jour du paiement, avec les intérêts de droit à compter des 30 juin et 13 juillet 1988,
- condamné la société Sacovini à payer à la société Corbet la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- alloué à la société Corbet la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Le 19 janvier 1990, la société Sacovini a relevé appel de cette décision.
Au cours de la procédure d'appel, par jugement du 30 octobre 1990 du Tribunal de Brindisi (Italie), la société Sacovini aurait fait l'objet d'une procédure " de faillite ". Le curateur, Maître Marrazza, reprend l'instance.
Au cours de la procédure d'appel également, la SA Bonfils Georges et la SA Preau et Compagnie sont volontairement intervenues dans l'instance pour former tierces oppositions au jugement déféré. Au dernier état de la procédure, la société Bonfils Georges et la société Preau et Cie se sont désistées de leurs tierces oppositions et ont renoncé à toutes demandes à l'encontre de la société Corbet, laquelle a également renoncé à ses demande à l'encontre des sociétés Bonfils Georges et Preau et Compagnie.
D'autre part, au cours de l'année 1988, la SA Bonfils Georges, la SA Preau et Compagnie et la SARL Les Fils de Henri Ramel, négociants en vin, commandaient du vin à la société Sacovini. Les contrats de vente étaient conclus FOB et les vins étaient livrés et facturés sans incident jusqu'en juillet 1988.
Courant juillet 1988, après transport de certaines quantités de vins, déchargement à Sète et placement dans des chais, mais avant dédouanement, les sociétés Preau et Compagnie et Les Fils de Henri Ramel avaient connaissance par les médias de la découverte d'une fraude sur des vins italiens livrés à es importateurs français. Ils saisissaient le service de la Répression des Fraudes qui, le 4 août 1988, procédait dans divers chais du port de Sète à la consignation de 7 lots de vins italiens importés par les société Preau et Cie, Les Fils de Henri Ramel, Bonfils Georges et Corbet. Deux autres lots appartenant à la société Preau et Cie et à la société Bonfils Georges étaient consignés le 19 septembre 1988. Les prélèvements de vins faisaient l'objet d'analyses et à la suite de celles-ci une information était ouverte et la saisie des lots de vin était ordonnée. Parallèlement, une information judiciaire était ouverte en Italie.
Par ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Bourg en Bresse, la société Les Fils de Henri Ramel obtenait l'autorisation de saisir arrêter entre ses mains la somme qu'elle devait à la société Sacovini, à concurrence de 4 millions de francs.
De même, la société Preau et Compagnie et la société Bonfils Georges obtenaient respectivement des ordonnances du Président du Tribunal de commerce de Sète et du Président du Tribunal de grande instance de Montpellier les autorisant à saisir arrêter entre leurs propres mains les sommes dues à la société Sacovini pour les ventes antérieures à concurrence de la somme de 1,5 million de francs pour la société Preau et Compagnie et de la somme de 868 000 F pour la société Bonfils Georges.
Le 9 octobre 1989, le Juge d'instruction de Montpellier rendait une ordonnance de non lieu après avoir, par ordonnance du 25 mai 1989, refusé la mainlevée de la saisie des vins, au motif que les conditions de transport de ceux-ci avaient été faites en violation des règles communautaires, que les vins n'étaient plus loyaux et marchands et qu'ils devaient être transformés en vinaigre.
Les vins étaient livrés à la vinaigrerie et les importateurs percevaient les fonds provenant de la vente à la vinaigrerie.
Sur les assignations en réparation de leurs préjudices délivrées à la requête des sociétés Bonfils Georges, Preau et Compagnie, sur l'assignation en paiement des vins vendus délivrée à la requête de la société Sacovini à l'encontre de la société Les Fils de Henri Ramel et sur la demande reconventionnelle en réparation de son préjudice formée par celle-ci, le Tribunal de commerce de Sète a, par jugement du 4 juin 1991, joignant les instances, retenant la responsabilité de la société Sacovini et prononçant la résiliation du marché,
1°) dans les relations entre la société Bonfils Georges et la société Sacovini
- condamné la société Sacovini à payer à la société Bonfils Georges la somme de 1 155 371 F avec les intérêts de droits à compter de l'assignation,
- donné acte à la société Bonfils Georges de ce qu'elle reconnaissait devoir à la société Sacovini la somme de 858 000 F saisie arrêtée,
- ordonné la compensation entre ces deux sommes,
- condamné la société Sacovini à payer à la société Bonfils Georges la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
2°) Dans les relations entre la société Preau et Compagnie et la société Sacovini
- condamné la société Sacovini à payer à la société Preau et Compagnie la somme de 2 623 259 F avec les intérêts de droit à compter de l'assignation,
- donné acte à la société Peau et Compagnie de ce qu'elle reconnaissait devoir à la société Sacovini la somme de 1 150 000 F saisie arrêtée,
- ordonné la compensation entre les deux sommes
- condamné la société Sacovini à payer à la société Preau et Compagnie la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
3°) dans les relations entre la société Les Fils de Henri Ramel et la Société Sacovini :
- condamné la société Les Fils de Henri Ramel à payer à la société Sacovini la somme principale de 4 499 200 F avec les intérêts de droit à compter de l'assignation,
- condamné la société Sacovini à payer à la société Les Fils de Henri Ramel la somme de 4 949 481,52 F avec les intérêts à compter de l'assignation,
- ordonné la compensation entre ces deux sommes.
De plus, le Tribunal de commerce de Sète a ordonné l'exécution provisoire de sa décision et a condamné la société Sacovini aux entiers dépens.
Par jugement du 30 octobre 1990 du Tribunal de Brindisi (Italie), la société Sacovini aurait fait l'objet d'une procédure de "faillite" et Maître Marrazza a été désigné en qualité de curateur.
Le 25 juillet 1991, la société Sacovini et son curateur, Maître Marrazza, ont interjeté appel de cette décision.
Le 26 août 1991, les sociétés Bonfils Georges, Preau et Compagnie et Les Fils de Henri Ramel ont également interjeté appel de cette décision.
La société Corbet est intervenue volontairement dans les procédures d'appel.
Au dernier état de la procédure, les sociétés appelantes, autres que la société Sacovini et la société Corbet intervenante~ ont déclaré renoncer à toutes les demandes formées les unes contre les autres.
Prétentions et moyens des parties
La société Sacovini et son curateur, Maître Marrazza, demandent à la cour, en ce qui concerne l'action de la société Corbet, d'infirmer le jugement du 18 octobre 1989 déféré et de condamner la société Corbet à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En ce qui concerne le jugement du 4 juin 1991, la société Sacovini et son curateur, Maître Marrazza, demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné les sociétés Preau et Compagnie, Bonfils Georges et Les Fis de Henri Ramel à lui payer le prix des livraisons effectuées avant le 21 juillet 1988, et plus particulièrement en ce qu'il a :
- condamné la société Les Fils de Henri Ramel à lui payer la contre-valeur en francs français de la somme de 968 016 901 lires avec les intérêts de droit à dater du 24 novembre 1989, ces intérêts étant capitalisés en vertu de l'article 1154 du Code civil,
- condamné les Ets Bonfils à lui payer la contre-valeur en francs français de la somme de 180 729 871 lires avec intérêts de droit à dater du 30 novembre 1989, les intérêts étant capitalisés en vertu de l'article 1154 du Code civil,
- condamné la société Preau à lui verser la contre-valeur en francs français de la somme de 299 890 439 lires avec intérêts à dater du 30 novembre 1989 et la capitalisation des intérêts en vertu des dispositions de l'article 1154 du Code civil.
La société Sacovini et son curateur, Maître Marrazza, demandent également d'infirmer le jugement pour le surplus et de débouter les société Preau et Compagnie, Bonfils Georges et Les Fils de Henri Ramel de leurs demandes et de les condamner respectivement à leur payer, la société Preau et Compagnie une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et une somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; la société Bonfils Georges une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et une somme de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la société Les Fils de Henri Ramel une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et une somme de 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, la société Sacovini et son curateur Maître Marrazza, soutiennent que les sommes dont ils réclament paiement sont dues pour des livraisons antérieures au 21 juillet 1988, lesquelles n'ont posé aucun problème.
Ils soutiennent également qu'il résulte de l'ordonnance de non lieu du Juge d'instruction que le vin livré n'était pas chaptalisé, mais qu'il a été déclaré impropre à la consommation à cause des conditions de transport dont ils ne sont pas responsables, s'agissant d'une vente FOB.
De ce chef, ils font valoir qu'ils ont subi un préjudice important puisque la société Sacovini n'ayant pas été payée, fut dans l'obligation de déposer son bilan.
Par ailleurs, la société Sacovini et son curateur, Maître Marrazza, soutiennent que le vin livré n'étant pas frelaté, les sociétés acheteuses n'ont subi aucun préjudice et que, de plus, elles ne peuvent alléguer un préjudice pour des marchés postérieurs non livrés car comme la société Sacovini n'était pas payée, elle était en droit de ne pas livrer.
Enfin, à titre subsidiaire, la société Sacovini fait observer que la législation italienne est identique en matière de procédure collective, a la législation française, et qu'elle exige des créanciers de déclarer leurs créances entre les mains du curateur ; que, dès lors, ci éventuellement une créance pouvait être reconnue à l'égard des sociétés française importatrices, celles-ci doivent se soumettre à la procédure collective italienne et aucune compensation ne peut être ordonnée.
La société Corbet demande à la cour de confirmer le jugement déféré en date du 18 octobre 1989 et, en conséquence, de condamner la société Sacovini à lui payer la somme de 795 494,54 F, déduction faite du montant du produit de la vente à la vinaigrerie, outre celle de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel.
A l'appui de ses prétentions, la société Corbet fait valoir que le vin livré était chaptalisé et impropre à la consommation et qu'il a du être vendu à la vinaigrerie.
La société Les Fils de Henri Ramel demandent à la cour de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Sète en date du 4 juin 1991 en ce qu'il a prononcé la résiliation des marchés et a retenu la responsabilité de la société Sacovini et de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de débouter la société Sacovini de ses demandes à son encontre, de la condamner à lui payer les sommes de 3 817 892,63 F en réparation de son préjudice économique, commercial et moral avec intérêts de droit à compter de l'assignation, celle de 200 000 F pour procédure abusive et celle de 50 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Subsidiairement, si la cour allouait une somme quelconque à la société Sacovini, la société Les Fils de Henri Ramel demande à la cour d'ordonner la compensation avec les sommes qui lui seront accordées.
Au soutien de ses prétentions, la société Les Fils de Henri Ramel fait valoir qu'il résulte tant des procédures pénales suivies en Italie que de celle suivie en France que le vin livré était chaptalisé et qu'il y a donc lieu de confirmer la responsabilité de la société Sacovini dans la rupture des marchés.
Par ailleurs, la société Les Fils de Henri Ramel soutient qu'elle ne doit qu'une somme de 576 723 143 lires à la société Sacovini et que son préjudice total doit être fixé à 3 817 892,63 F compte-tenu de marchandises non livrées, du manque à gagner et du préjudice commercial souffert à la suite du scandale dont se sont fait l'écho la presse et la télévision.
Enfin, la société Les Fils de Henri Ramel soutient que la procédure de faillite italienne est sans influence sur la validité de la procédure en France.
La société Georges Bonfils demande à la cour de confirmer le jugement déféré du 4 juin 1991 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Sacovini et a prononcé la résiliation des marchés, de lui donner acte qu'elle se reconnaît débitrice de la somme de 39 478 500 lires, de condamner la société Sacovini à lui payer la somme de 446 501,89 F en réparation de son préjudice et d'ordonner la compensation entre ces deux créances.
Elle demande également à la cour de confirmer le jugement en ce qu il lui a alloué une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de condamner la société Sacovini à lui payer, en cause d'appel, la somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Preau et Compagnie demande à la cour de confirmer le jugement du 4 juin 1991 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Sacovini et a prononcé la résiliation des marchés, de lui donner acte de ce qu'elle reconnaît devoir à la société Sacovini la contre-valeur en francs français de la somme de 172 836 216 lires, de condamner la société Sacovini à lui payer la somme de 1 423 904,75 F et d'ordonner la compensation entre ces deux sommes.
La société Preau et Compagnie demande également à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il lui a alloué une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et, y ajoutant, de condamner la société Sacovini à lui payer en cause d'appel une somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de leurs prétentions les sociétés Bonfils Georges et Preau et Compagnie soutiennent que les vins livrés étaient chaptalisés et donc ne pouvaient être vendus, que cela leur a occasionné un préjudice matériel évalué par Monsieur Prouzet et un préjudice commercial et moral très important dû au fait que les médias ont amplifié ce scandale laissant à penser que les importateurs français étaient mêlés à cette fraude.
De plus, les sociétés Bonfils Georges et Preau et Compagnie soutiennent que la procédure italienne de faillite frappant la société Sacovini est sans intérêt devant la cour.
Discussion
Les appels successifs de la société Corbet, des sociétés Sacovini, Preau et Compagnie, Bonfils Georges et Les Fils de Henri Ramel ont donné lieu à trois procédures d'appel enregistrées sous les numéros 90-1092, 91-3887 et 91-4615,
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient de joindre ces procédures et de statuer par un seul et même arrêt.
En ce qui concerne les demandes en paiement présentées par la société Sacovini :
La société Bonfils Georges et la société Preau et Compagnie se reconnaissent débitrices de la société Sacovini respectivement pour les sommes de 39 478 500 lires et 172 836 216 lires représentant des livraisons antérieures à la saisie des vins en août 1988.
Il convient donc de condamner ces sociétés à payer la contre-valeur en francs français, au jour du paiement, des sommes ci-dessus visées.
La société Les Fils de Henri Ramel soutient que tous les vins reçus de la société Sacovini étaient frelatés, Toutefois, outre le fait que la société Les Fils de Henri Ramel n'apporte aucun élément de preuve de nature à corroborer ses allégations, force est d'observer que mis à part les trois lots saisis en juillet et août 1988 à Sète, elle a commercialisé les lots antérieurement reçus et doit donc être tenue de les payer. Ces lots représentent une valeur de 721 903 275 lires. De cette somme doit être déduite celle de 145 180 132 lires, montant d'une facture n° 50/88, que la société Les Fils de Henri Ramel justifie avoir payé le 11 juillet 1988. C'est donc la somme de 576 723 143 lires que doit encore la société Les Fils de Henri Ramel à la société Sacovini pour des livraisons non litigieuses, Elle sera donc condamnée à payer la contre-valeur en francs français, au jour du paiement de cette somme de 576 723 143 lires,
En ce qui concerne les lots de vins saisis dont la société Sacovini réclame paiement aux sociétés Bonfils Georges, Preau et Compagnie et Les Fils de Henri Ramel, il est nécessaire de réserver ce point jusqu'au moment où aura été tranché le problème de savoir si le vin saisi était chaptalisé ou non.
Sur la qualité des lots de vins saisis Il est constant et non contesté par les parties qu'à la suite d'une campagne des médias selon laquelle une fraude existait sur des vins italiens dont certains lots avaient été livrés à des importateurs français, le service de la Répression des Fraudes, sollicité par la société Preau et Compagnie et la société Les Fils de Henri Ramel, faisait consigner, dans divers chais de Sète un total de 9 lots de vins italiens destinés deux à la société Bonfils Georges, deux à la société Corbet, deux à la société Preau et Compagnie et trois à la société Les Fils d'Henri Ramel.
Des prélèvements étaient effectués sur chacun de ces lots et un échantillon était envoyé au laboratoire Eurofins à Nantes pour y être analysé selon la méthode dite de résonance magnétique nucléaire du deutérium,
Ces analyses ont mis en évidence la chaptalisation des lots saisis et précisaient que tous les lots avaient été enrichis avec du sucre de betterave s'ils provenaient du Sud de l'Italie et que six lots sur neuf avaient été enrichis avec du sucre de betterave si le vin provenait du Nord de l'Italie.
A la suite de cette première analyse, une information était ouverte, mais le juge d'instruction saisi, après avoir ordonné l'expertise contradictoire telle que visée par les textes en matière de fraude, rendaient une ordonnance de non lieu sans que cette expertise soit effectuée, au motif qu'il apparaissait que, de toute façon le vin en cause était impropre à la consommation humaine directe puisqu'il avait été transporté dans des conditions non conformes aux règles communautaires.
Toutefois, l'information permettait d'établir qu'une instruction avait également lieu en Italie. Les résultats de la procédure pénale italienne corroborent la première analyse du Laboratoire Eurofins de Nantes.
En effet, il apparaissait que les vins saisis à Sète étaient originaires du Sud de l'Italie, zone C III B, et qu'aucune chaptalisation n'était permise pour ces vins.
De plus, il était établi que des transports importants de sucre de betterave avaient été constatés entre la société Zuccheri à Brindisi et la société Sacovini,
Enfin, il résulte du rapport des experts Salzedo, Versini et Reniero, commis par la Juge d'instruction Italien, que les produits saisis dans les chais de la société Sacovini présentaient à l'analyse au spectromètre à résonance magnétique nucléaire des résultats tels que les produits devaient être considérés comme anormaux et que les anomalies entraient dans le cadre d'une adjonction de sucre de betterave, étranger à la nature du raisin, et ce, en quantité telle qu'elle avait provoqué une augmentation du degré d'alcool de 2 à 3 degrés.
Le rapprochement des analyses faites en Italie avec celle effectuée en France, ainsi que les éléments matériels révélés par l'enquête pénale en Italie font qu'il convient de considérer le vin des neuf lots saisis en France comme ayant été chaptalisé, ce qui le rendait impropre à la vente puisque les vins du sud de l'Italie ne peuvent être l'objet d'une chaptalisation.
C'est vainement que la société Sacovini met en doute la valeur des analyses faites selon la méthode de la résonance magnétique nucléaire du deutérium,
En effet, cette méthode est la méthode reconnue depuis le 17 janvier 1987 par l'Office International du Vin et, de plus, elle est la méthode qu'utilisaient la plupart des pays de la Communauté Européenne avant que le règlement CEE n° 2676-90 du 17 septembre 1990 ne la rende applicable dans tous les pays de la CEE.
De même, c'est vainement que la société Sacovini soutient que ce sont les conditions de transports qui ont rendu le vin impropre à la consommation et que, s'agissant de ventes FOB, elle ne peut être responsable de ces conditions de transports.
En effet, s'il est certain que pour partie des lots, des conditions non réglementaires de transport se sont ajoutées au fait que le vin était chaptalisé, pour un autre lot les conditions de transport étaient sans problème.
Dès lors, il est certain, qu'à elle seule, la chaptalisation des vins viciait ceux-ci et devait entraîner leur retrait du marché, les conditions anormales de transport ne s'étant ajoutées que par la suite uniquement pour certains lots.
Il convient donc d'en déduire que la société Sacovini, n'a pas respecté son obligation contractuelle de délivrance d'un vin conforme, loyal et marchand et il y a lieu, en conséquence, de confirmer, en leur principe, les jugements déférés en ce qu'ils ont retenu la responsabilité contractuelle de la société Sacovini et il échet de préciser que les ventes des lots saisis doivent être résolues aux torts exclusifs de la société Sacovini.
C'est donc à bon droit que les premiers Juges ont prononcé la résolution des ventes de 1965 hectolitres et de 1985 hectolitres de vins passées entre la société Sacovini et la société Corbet,
La responsabilité contractuelle de la société Sacovini étant entièrement engagée, elle doit réparer l'ensemble des préjudices subis par les sociétés Corbet, Les Fils de Henri Ramel, Bonfils Georges et Preau et Cie.
Sur l'incidence d'une procédure collective suivie en Italie et visant la société Sacovini
Seule est versée au débat une copie d'un acte pouvant être un jugement portant comme entête "Il Tribunale Di Brindisi - Sezione Faillimentare" non traduit en langue française paraissant être en date du 30 octobre 1990 et s'appliquer à Sacovini SRL.
Aucune autre pièce concernant la législation italienne applicable en la matière n'est fournie à la Cour, laquelle estime, en conséquence, que le fait même de l'existence d'une procédure collective à l'encontre de la société Sacovini n'est pas démontrée.
De plus, à supposer établie cette procédure collective, la cour, vu la carence de production sur ces points, ne peut déterminer si les créanciers sont dans l'obligation de déclarer leur créance et dans quels délais, à peine de quelques sanctions ou s'il existe des interdictions de condamnation ou de compensation alléguées par la société Sacovini.
Dès lors que l'application en France d'une législation étrangère est une question de fait, il n'est pas démontré, en l'espèce, que la société Sacovini ne peut être condamnée.
Il convient donc de condamner la société Sacovini à réparer les préjudices causés par des livraisons non conformes et d'ordonner la compensation entre les sommes réciproquement dues.
Sur les préjudices
* En ce qui concerne la société Corbet
La résolution, à ses torts exclusifs, des ventes des deux lots saisis doit entraîner la condamnation de la société Sacovini à restituer à la société Corbet l'équivalent en francs français de la somme de 231 420 060 lires, ce avec intérêts au taux légal à compter des dates des paiements.
Au vu des décisions judiciaires ayant entraîné l'obligation de livrer le vin acheté par la société Corbet à la vinaigrerie, il s'induit nécessairement que la société Corbet, qui ne peut plus restituer la marchandise, devra être tenue du prix payé par la vinaigrerie, prix qui, par compensation, se déduira des sommes dues par la société Sacovini.
Par ailleurs, du fait que le vin livré était impropre à la consommation humaine directe, la société Corbet a perdu des marges bénéficiaires et a engagé des frais, notamment de logement supplémentaire. C'est justement que les premiers juges ont chiffré ces différents préjudices à la somme de 150 000 F et leur décision de ce chef doit être confirmée.
De même, l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, telle que faite par les premiers Juges pour la première instance doit être confirmée et l'application de ces dispositions en cause d'appel conduit à allouer à la société Corbet la somme de 5 000 F.
En définitive, l'évaluation des sommes dues à la société Corbet par la société Sacovini s'établit ainsi :
- Résolution des ventes :
* contre valeur en francs français au jour du paiement de 116 008 684 lires avec les intérêts de droit sur cette somme à compter du 30 juin 1988,
* contre valeur en francs français au jour du paiement de 115 411 376 lires avec les intérêts de droit sur cette somme à compter du 13 juillet 1988,
- dommages et intérêts : 150 000 F
- somme allouée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
en première instance : 20 000 F
en appel 5 000 F
à déduire : somme reçue de la vinaigrerie : 637 633,16 F
Pour les autres sociétés :
Les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel soutiennent qu'elles ont subi des préjudices à trois titres, un préjudice moral, un préjudice économique lié à la livraison des vins non conformes et un préjudice économique dû à la cessation des livraisons de vins commandés à la société Sacovini.
Il est certain que le scandale des vins frelatés en provenance d'Italie dont la presse écrite et audiovisuelle s'est faite l'écho a porté une grave atteinte à la réputation commerciale des sociétés importatrices, lesquelles ont même, à un certain moment, été suspectées par les médias d'être parties prenantes à cette fraude.
Il est indéniable que ces sociétés ont subi du fait de l'atteinte à leur réputation commerciale un préjudice que l'on peut qualifier de moral.
Au vu des divers documents versés au débat, la cour est à même de fixer à la somme de 150 000 F le préjudice moral souffert par la société Bonfils Georges à la somme de 300 000 F celui souffert par la société Preau et Cie et à la somme de 300 000 F celui souffert par la société Les Fils de Henri Ramel.
Les livraisons n'ont pas été payées à la société Sacovini, mais la résolution des ventes de ces lots fait que les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils d'Henri Ramel ne sont pas tenues à payer le prix de ses ventes, mais devraient, en revanche, restituer le vin. Cette restitution s'avère, en réalité, impossible du fait de la saisie des lots de vin et de leur livraison à la vinaigrerie. C'est donc au versement du prix perçu de la vinaigrerie que doit se résoudre l'obligation de restituer la marchandise livrée en vertu des ventes résolues.
Toutefois, il est certain que du fait même des livraisons non conformes, les sociétés importatrices ont subi des préjudices économiques représentés, d'une part, par des frais supplémentaires, notamment de logement et de transport à la vinaigrerie et, d'autre part, par les pertes des bénéfices qu'elles pouvaient attendre de la vente de ces lots.
Enfin, il résulte des pièces versées av débat, et il n'est d'ailleurs pas contesté par la société Sacovini, que les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel avaient passé, antérieurement à la saisie des lots litigieux, d'autres marchés qui n'ont pas été livrés par la société Sacovini.
C'est vainement de ce chef que la société Sacovini soutient que ces marchés n'ont pas été livrés à cause du défaut de paiement de livraisons antérieures. En effet, force est d'observer qu'au moment de la passation de ces marchés, en décembre 1987 et entre janvier et avril 1988, il existait un courant continu entre les sociétés importatrices et la société Sacovini, laquelle était créditrice de certaines sommes, telles que rappelées ci-dessus, et n'a absolument pas entendu appliquer la clause "non adimpleti contractus" puisque, bien que largement créditrice, elle a livré les lots litigieux, saisis en août 1988.
C'est donc à bon droit que les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel sollicitent l'indemnisation de leur préjudice économique résultant des marchés conclus et non livrés,
A l'appui de leurs prétentions concernant l'évaluation de leurs préjudices économiques, les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel versent au débat trois études comptables faites par M. Prouzet. Ces études exécutées unilatéralement sont formellement contestées par la société Sacovini, Il apparaît donc nécessaire d'ordonner une mesure expertale afin de préciser les préjudices économiques soufferts par les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel du fait de livraisons non conformes et du fait de marchés non livrés.
S'il y a lieu de réserver les dépens d'appel et l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alloué la somme de 20 000 F à chacune des sociétés Bonfils Georges et Preau et Cie et en ce qu'il a condamné la société Sacovini aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, reçoit les appels ; Ordonne la jonction des procédures inscrites au répertoire général sous les numéros 90-1092, 91-3887 et 91-4614 et statuant par un seul et même arrêt, Au fond, Confirme en leur principe les jugements déférés en ce qu'ils ont retenu l'entière responsabilité contractuelle de la société Sacovini ; Y ajoutant, dit que la résolution des ventes des lots de vins saisis est prononcée aux torts exclusifs de la société Sacovini ; Confirme le jugement déféré du 10 octobre 1989 en ce qu'il a condamné la société Sacovini à restituer à la société Corbet l'équivalent en francs français de la somme de 231 420 060 lires avec les intérêts de droit à compter du 30 juin 1988 sur 116 008 684 lires et à compter du 13 juillet 1988 sur 115 411 376 lires et en ce qu'il a condamné la société Sacovini à payer à la société Corbet la somme de 150 000 F en réparation de son préjudice, outre celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Y ajoutant, condamne la société Corbet à payer à la société Sacovini la somme de 637 633,16 F, prix reçu de la vinaigrerie ; Ordonne la compensation entre les sommes respectivement dues ; Condamne la société Sacovini à payer à la société Corbet, en cause d'appel, la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel aux dépens de leurs interventions en cause d'appel ; Condamne la société Sacovini aux autres dépens de première instance et d'appel concernant la procédure à l'égard de la société Corbet ; Accorde de ce chef à la SCP Capdevila le droit de recouvrer directement ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision. Réforme pour le surplus et statuant à nouveau ; Condamne la société Bonfils Georges à payer à la société Sacovini la contre valeur en francs français au jour du paiement de la somme de 39 478 500 lires avec intérêts de droit à compter du 4 juin 1991 ; Condamne la société Sacovini à payer à la société Bonfils Georges les sommes de 150 000 F en réparation de son préjudice moral et celle de 20 000 F au titre de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en première instance sommes qui porteront intérêts au taux légal à compter du 4 juin 1991 ; Ordonne la compensation entre les sommes respectivement dues par la société Bonfils Georges et la société Sacovini ; Condamne la société Preau et Cie à payer à la société Sacovini la contre valeur en francs français au jour du paiement de la somme de 172 836 216 lires avec intérêts de droit à compter du 4 juin 1991 ; Condamne la société Sacovini à payer à la société Preau et Cie la somme de 300 000 F en réparation de son préjudice moral et celle de 20 000 F au titre de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en première instance ; dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 4 juin 1991 ; Ordonne la compensation entre les sommes respectivement dues par la société Preau et Cie et la société Sacovini ; Condamne la société Les fils de Henri Ramel à payer à la société Sacovini la contre valeur en francs français au jour du paiement de la somme de 576 723 143 lires avec intérêts de droit à compter du 24 novembre 1989, date de l'assignation en justice ; Condamne la société Sacovini à payer à la société Les Fils de Henri Ramel la somme de 300 000 F en réparation de son préjudice moral ; dit que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 4 juin 1991 ; Ordonne la compensation entre les sommes respectivement dues par les sociétés Les Fils de Henri Ramel et la société Sacovini ; Declare la société Sacovini entièrement responsable des préjudices subis par les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel résultant des livraisons des lots de vins frelatés saisis et envoyés à la vinaigrerie, déduction faite des sommes versées à ces sociétés par la vinaigrerie, et des préjudices résultant de la non livraison de marchés conclus ; Avant dire droit sur l'évaluation de ces préjudices, ordonne une expertise confiée à M. Georges Estany Parc Club du Millénaire BP 10 - 1025, Rue Henri Becquerel 34036 - Montpellier Cedex 01, avec mission de - convoquer les parties et les entendre, - entendre tous sachant et se faire communiquer tous renseignements et documents utiles, - déterminer les préjudices économiques résultant des non livraisons de marchés conclus et de la livraison de lots non conformes aux sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel ; Dit qu'à l'issue de ses opérations, l'expert communiquera aux parties un pré-rapport, recueillera leurs observations et y répondra ; Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus, l'expert sera remplacé par simple ordonnance ; Dit que l'expert déposera son rapport définitif au greffe de la cour dans les huit mois de la date à laquelle il aura eu communication par le greffe de ce que la consignation a été versée ; Dit que les sociétés Bonfils Georges, Preau et Cie et Les Fils de Henri Ramel consigneront au greffe de la cour, Service de la Régie, la somme de 30 000 F à valoir sur les honoraires de l'expert avant le 15 juillet 1993 ; Dit qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque de plein droit en application de l'article 271 du nouveau Code de procédure civile, un relevé de caducité ne pouvant être accordé par le Magistrat chargé du contrôle de l'expertise que sur justification de motifs légitimes ; Désigne M. Derdeyn pour suivre les opérations d'expertise ; Condamne la société Sacovini aux dépens de première instance ; Réserve les dépens d'appel autres que ceux sur lesquels il a été ci-dessus statué ; Réserve l'application, en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.