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Décisions

CJCE, 2e ch., 13 décembre 1989, n° C-322/88

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Salvatore Grimaldi

Défendeur :

Fonds des maladies professionnelles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Schockweiler

Avocat général :

Me Mischo

Juges :

MM. Mancini, O'Higgins

CJCE n° C-322/88

13 décembre 1989

LA COUR,

1. Par jugement du 28 octobre 1988, parvenu à la Cour le 7 novembre suivant, le Tribunal du travail de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 189, cinquième alinéa, du traité CEE et de la recommandation de la Commission aux Etats membres du 23 juillet 1962, concernant l'adoption d'une liste européenne de maladies professionnelles (JO 1962, 80, p. 2188).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Salvatore Grimaldi, travailleur migrant de nationalité italienne, au fonds des maladies professionnelles de Bruxelles (ci-après "fonds"), à la suite du refus de ce dernier de reconnaître la maladie de Dupuytren, dont souffre l'intéressé, comme maladie professionnelle.

3. M. Grimaldi a travaillé en Belgique entre 1953 et 1980. Le 17 mai 1983, il a demandé au fonds de reconnaître, comme maladie professionnelle, la maladie mentionnée ci-dessus, qui serait une affection ostéo-articulaire ou angio-neurotique des mains, provoquée par les vibrations mécaniques dues à l'utilisation d'un marteau-piqueur. La décision litigieuse du fonds a été prise au motif que la maladie en question ne figure pas sur la liste belge des maladies professionnelles.

4. Saisi du recours introduit contre cette décision par M. Grimaldi, le Tribunal du travail de Bruxelles a ordonné une expertise qui a conclu à l'existence d'une maladie dite de Dupuytren, non reprise sur la liste belge des maladies professionnelles, mais susceptible d'être assimilée à une "maladie pour surmenage... du tissu péritendineux". Cette dernière maladie figure au point F.6.b) de la liste européenne des maladies professionnelles, dont la recommandation du 23 juillet 1962, précitée, préconisait l'introduction en droit national. Par ailleurs, la question s'est posée de savoir si M. Grimaldi pouvait être admis à prouver l'origine professionnelle d'une maladie non reprise sur la liste nationale, aux fins de bénéficier d'une indemnisation au titre du système "mixte" de réparation prévu par la recommandation n° 66-462 de la Commission, du 20 juillet 1966, relative aux conditions d'indemnisation des victimes de maladies professionnelles (JO 1966, 147, p. 2696).

5. C'est dans ces conditions que le Tribunal du travail de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur la question de savoir si :

"par interprétation de l'article 189, cinquième alinéa (du traité CEE), éclairé par l'esprit de son premier alinéa et par la jurisprudence à visée téléologique de cette Cour, ne serait pas devenu d'effet direct dans un Etat membre un texte tel que la "liste européenne" des maladies professionnelles, dans la mesure où elle apparaîtrait claire, inconditionnelle, suffisamment précise, non équivoque, ne conférerait pas à celui-ci de pouvoir discrétionnaire quant au résultat à atteindre, et est annexée à une recommandation de la commission non encore formellement transposée en droit positif dans l'ordre juridique national interne de celui-ci après plus de vingt-cinq ans".

6. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, des dispositions communautaires en cause ainsi que du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

7. Dans la mesure où la question préjudicielle porte sur l'interprétation de recommandations qui, selon l'article 189, cinquième alinéa, du traité CEE, n'ont pas d'effet contraignant, il importe de s'interroger sur le point de savoir si, en vertu de l'article 177 du même traité, la Cour est compétente pour statuer.

8. A cet égard, il suffit de constater que, à la différence de l'article 173 du traité CEE, qui exclut le contrôle de la Cour sur les actes ayant la nature de recommandation, l'article 177 attribue à la Cour la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de la communauté, sans exception aucune.

9. La Cour s'est d'ailleurs déjà prononcée à plusieurs reprises, dans le cadre de procédures préjudicielles introduites en vertu de l'article 177, sur l'interprétation de recommandations adoptées sur la base du traité CEE (voir arrêts du 15 juin 1976, Frecassetti/Amministrazione delle finanze dello stato, n° 113-75, Rec. p. 983, et du 9 juin 1977, Van Ameyde/UCI, n° 90-76, Rec. p. 1091). Dès lors, il y a lieu de procéder à l'examen de la question posée.

10. A cet égard, il y a lieu d'observer qu'il ressort des pièces du dossier que si la question ne mentionne que la recommandation du 23 juillet 1962, précitée, celle-ci tend également à voir préciser les effets, dans l'ordre juridique interne, de la recommandation n° 66-462, du 20 juillet 1966, précitée. La question posée doit, dès lors, être comprise comme visant le point de savoir si, en l'absence de toute mesure nationale destinée à assurer leur mise en œuvre, les recommandations précitées créent des droits dans le chef des justiciables dont ceux-ci peuvent se prévaloir devant le juge national.

11. Il convient de rappeler, tout d'abord, la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle si, en vertu des dispositions de l'article 189 du traité CEE, les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire d'effets analogues (voir, notamment, arrêt du 19 janvier 1982, Becker/Finanzamt Muenster-Innenstadt, n° 8-81, Rec. p. 53).

12. Afin d'établir si les deux recommandations précitées peuvent créer des droits dans le chef des particuliers, il importe cependant de vérifier préalablement si elles sont de nature à produire des effets obligatoires.

13. Il y a lieu de souligner, à ce propos, que les recommandations, qui selon l'article 189, cinquième alinéa, du traité, ne lient pas, sont généralement adoptées par les institutions de la communauté lorsqu'elles ne détiennent pas, en vertu du traité, le pouvoir d'adopter des actes obligatoires ou lorsqu'elles estiment qu'il n'y a pas lieu d'édicter des règles plus contraignantes.

14. Au vu de la jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, l'arrêt du 29 janvier 1985, Binderer/Commission, n° 147-83, Rec. p. 257) selon laquelle le choix de la forme ne peut pas changer la nature d'un acte, il convient toutefois de se demander si le contenu d'un acte correspond bien à la forme qui lui a été attribuée.

15. S'agissant des deux recommandations qui font l'objet de la présente procédure, il convient de constater qu'elles visent, dans leurs motifs, l'article 155 du traité CEE, qui attribue à la commission une compétence générale pour formuler des recommandations, et les articles 117 et 118 du même traité. Ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 9 juillet 1987, République fédérale d'Allemagne, France, Pays-Bas, Danemark et Royaume-Uni/Commission (n° 281-85, 283-85, 284-85, 285-85, 287-85, Rec. p. 3203), cette dernière disposition respecte la compétence des Etats membres dans le domaine social, sous réserve de l'application d'autres dispositions du traité et dans le cadre d'une coopération entre Etats membres dont la Commission assure l'organisation.

16. Dans ces conditions, rien ne permet de mettre en doute que les actes en question sont de véritables recommandations, c'est-à-dire des actes qui, même à l'égard de leurs destinataires, ne visent pas à produire des effets contraignants. Dès lors, ils ne sauraient créer des droits que les particuliers puissent invoquer devant un juge national.

17. A cet égard, la circonstance qu'une période de plus de vingt-cinq ans se soit écoulée depuis l'adoption de la première des recommandations en cause sans que tous les Etats membres aient procédé à sa mise en œuvre ne saurait avoir d'incidence sur la portée juridique de ce texte.

18. Cependant, afin d'apporter une réponse complète à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de souligner que les actes en question ne peuvent être considérés pour autant comme dépourvus de tout effet juridique. En effet, les juges nationaux sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsque celles-ci éclairent l'interprétation de dispositions nationales prises dans le but d'assurer leur mise en œuvre, ou encore lorsqu'elles ont pour objet de compléter des dispositions communautaires ayant un caractère contraignant.

19. Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée par le Tribunal du travail de Bruxelles que, à la lumière de l'article 189, cinquième alinéa, du traité CEE, les recommandations de la Commission du 23 juillet 1962, concernant l'adoption d'une liste européenne des maladies professionnelles, et n° 66-462, du 20 juillet 1966, relative aux conditions d'indemnisation des victimes de maladies professionnelles, ne sauraient par elles-mêmes créer des droits dans le chef des justiciables, dont ceux-ci pourraient se prévaloir devant les juges nationaux. Cependant, ces derniers sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu'elles sont de nature à éclairer l'interprétation d'autres dispositions nationales ou communautaires.

Sur les dépens

20. Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Tribunal du travail de Bruxelles, par jugement du 28 octobre 1988, dit pour droit :

A la lumière de l'article 189, cinquième alinéa, du traité CEE, les recommandations de la Commission du 23 juillet 1962, concernant l'adoption d'une liste européenne des maladies professionnelles, et n° 66-462, du 20 juillet 1966, relative aux conditions d'indemnisation des victimes de maladies professionnelles, ne sauraient par elles-mêmes créer des droits dans le chef des justiciables, dont ceux-ci pourraient se prévaloir devant les juges nationaux. Cependant, ces derniers sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu'elles sont de nature à éclairer l'interprétation d'autres dispositions nationales ou communautaires.