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Décisions

CJCE, 5e ch., 13 juillet 1989, n° 380-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Enichem Base, Montedipe, Solvay, SIPA Industriale, Altene, Neophane, Polyflex Italiana

Défendeur :

Comune di Cinisello Balsamo

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Joliet

Avocat général :

Me Jacobs

Juges :

Sir Slynn, MM. Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias, Zuleeg

CJCE n° 380-87

13 juillet 1989

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par ordonnance du 23 novembre 1987, parvenue à la Cour le 21 décembre suivant, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive n° 75-442 du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 47), de la directive n° 76-403 du Conseil, du 6 avril 1976, concernant l'élimination des polychlorobiphényles et polychloroterphényles (JO L 108, p. 41) et de la directive n° 78-319 du Conseil, du 20 mars 1978, relative aux déchets toxiques et dangereux (JO L 84, p. 43), ainsi qu'à la détermination des principes applicables à la réparation du préjudice causé par un acte administratif contraire au droit communautaire.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant plusieurs producteurs de récipients, emballages et sacs en plastique à la commune de Cinisello Balsamo, au sujet de l'arrêté du maire de cette commune, du 16 février 1987, interdisant, à partir du 1er septembre 1987, la fourniture au consommateur, pour l'enlèvement des marchandises achetées, de sacs et autres récipients non biodégradables ainsi que la vente ou la distribution des sacs en plastique, à l'exception de ceux destinés au ramassage des déchets.

3. Les sociétés Enichem Base, Montedipe, Solvay, SIPA Industriale, Altene, Neophane et Polyflex Italiana (ci-après les requérantes au principal) ont formé, devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia, un recours visant à l'annulation de l'arrêté précité. Elles ont également demandé qu'il soit sursis à son exécution. Les requérantes au principal ayant allégué à l'appui de leurs requêtes l'incompatibilité de l'arrêté litigieux avec le droit communautaire, la juridiction nationale a sursis à statuer et a posé à la Cour les quatre questions préjudicielles suivantes :

"1. Les directives du Conseil n° 75-442-CEE du 15 juillet 1975, relative aux déchets, n° 78-319-CEE du 20 mars 1978 relative aux déchets toxiques et dangereux, et n° 76-403-CEE du 6 avril 1976 concernant l'élimination des polychlorobiphényles et polychloroterphényles, attribuent-elles aux particuliers citoyens de la CEE le droit subjectif communautaire que les juges nationaux doivent protéger également à l'égard des Etats membres (et que les Etats membres ne peuvent pas limiter) de vendre ou d'utiliser les produits visés par les directives précitées étant donné que celles-ci (les directives) ont énoncé le principe du respect de règles spécifiques pour l'élimination correspondante et non pas l'interdiction de vente ou d'utilisation des produits en question ?

2.a) Les directives communautaires précitées ou, en tout cas, le droit communautaire comporte-t-il le principe en vertu duquel la Commission doit être informée, en temps utile, de tout projet de règlement ou acte normatif général (relatif à l'emploi, à la vente ou à l'utilisation des produits en question) qui serait source de difficultés techniques d'élimination ou engendrerait des coûts excessifs d'élimination ?

b) L'obligation sub a) est-elle imposée à l'état et aux communes qui, en conséquence, n'auraient pas le pouvoir de réglementer l'emploi, la vente ou l'utilisation de produits autres que ceux que la directive n° 766403-CEE a portés sur la liste impérative des produits considérés comme dangereux sans qu'il soit préalablement vérifié au niveau communautaire si la mesure ne crée pas des conditions de concurrence inégales ?

3. Compte tenu du premier "considérant" des trois directives mentionnées dans la première "question" et notamment de la partie dans laquelle il est affirmé qu'une disparité entre les dispositions déjà applicables ou en cours de préparation dans les différents Etats membres en ce qui concerne l'élimination des produits considérés peut créer des conditions de concurrence inégales et avoir, de ce fait, une incidence directe sur le fonctionnement du Marché commun :

a) Ce considérant et, en tout cas, les trois directives précitées, confèrent-ils aux citoyens de la CEE - avec l'obligation correspondante pour tous les Etats membres - le droit subjectif communautaire en vertu duquel la Commission doit être informée préalablement et en temps utile de tout projet de réglementation concernant l'emploi des produits en question qui seraient source de difficultés techniques d'élimination ou engendreraient des coûts excessifs d'élimination (article 3, paragraphe 2 de la directive n° 75-442) ?

b) Le droit subjectif sub a) [relatif à l'obligation de porter préalablement à la connaissance de la Commission tout projet de réglementation etc., comme sub a)] - s'il existe - concerne-t-il également les actes généraux qui sont pris par les communes et qui, par conséquent, ont un effet territorial limité ?

4. La Cour de justice est invitée à préciser si - sur la base du droit communautaire - l'administration publique est tenue de réparer le préjudice lorsqu'un acte administratif illégal qu'elle prend lèse (illégalement) un droit subjectif communautaire qui se présente, après sa transposition dans l'ordre juridique italien - tout en conservant son caractère communautaire - comme un intérêt légitime."

4. Pour un plus ample exposé des faits, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5. Il convient de relever à titre liminaire qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi que le litige au principal concerne des produits qui ne relèvent pas du domaine d'application des directives n° 76-403 et n° 78-319, précitées. En effet, les sacs en plastique ne contiennent ni du polychlorobiphényle ni du polychloroterphényle et ils ne constituent pas, en eux-mêmes, des déchets toxiques ou dangereux. Par conséquent les questions préjudicielles sont à examiner au regard de la seule directive n° 75-442 du Conseil.

Sur la première question

6. La première question doit être comprise comme visant en substance à savoir si la directive n° 75-442 confère aux particuliers le droit de vendre ou d'utiliser des sacs en plastique et d'autres récipients non biodégradables.

7. Il convient de rappeler que la directive n° 75-442 a pour objet l'harmonisation des dispositions des différents Etats membres en ce qui concerne l'élimination des déchets afin, d'une part, d'éviter les entraves aux échanges intracommunautaires et l'inégalité des conditions de concurrence résultant de leurs disparités, et, d'autre part, de contribuer à réaliser les objectifs de la communauté dans le domaine de la protection de la santé et de l'environnement. Elle n'interdit pas la vente ou l'utilisation d'un produit quelconque, mais on ne saurait pour autant en déduire qu'elle s'oppose à ce que les Etats membres puissent énoncer de telles interdictions en vue de la protection de l'environnement.

8. Une interprétation différente ne trouverait aucun fondement dans le libellé de la directive et serait d'ailleurs contraire aux objectifs de celle-ci. En effet, il ressort de l'article 3 de la directive que celle-ci vise, entre autres, à favoriser les mesures nationales susceptibles de prévenir la formation de déchets. Or, la limitation ou l'interdiction de la vente ou de l'utilisation de produits tels que les récipients non biodégradables sont de nature à contribuer à ce but.

9. Les requérantes au principal ont encore fait valoir qu'une interdiction absolue de commercialisation des produits en cause constituait une entrave aux échanges qui ne pourrait être justifiée par les exigences de la protection de l'environnement et qui serait, dès lors, incompatible avec l'article 30 du traité CEE.

10. Il convient cependant de constater que la juridiction nationale n'a posé aucune question relative à l'article 30 du traité et que, par conséquent, il n'y a pas lieu d'interpréter cette disposition.

11. Il convient donc de répondre à la première question que la directive n° 75-442 doit être interprétée en ce sens qu'elle ne confère pas aux particuliers le droit de vendre ou d'utiliser des sacs en plastique et d'autres récipients non biodégradables.

Sur la deuxième question

12. La deuxième question vise en substance à savoir si l'article 3, paragraphe 2, de la directive n° 75-442 impose aux Etats membres l'obligation de communiquer à la Commission tout projet de réglementation, telle que celle contestée dans le litige au principal, préalablement à son adoption définitive.

13. A cet égard, il a été soutenu que la réglementation en cause ne relevait pas du domaine d'application de l'article 3 de la directive parce qu'elle ne concernerait pas des produits dont l'élimination soit source de difficultés techniques ou de coûts excessifs.

14. Il suffit de constater sur ce point que l'article 3, paragraphe 2, de la directive n° 75-442 impose aux Etats membres l'obligation de communiquer en temps utile à la Commission non seulement les projets de réglementation concernant notamment l'emploi des produits qui seraient source de difficultés techniques d'élimination ou engendreraient des coûts excessifs d'élimination, mais aussi, par référence au paragraphe 1, tout projet de réglementation visant à promouvoir notamment la prévention, le recyclage et la transformation des déchets.

15. Par conséquent, même si l'affirmation selon laquelle les produits visés par la réglementation litigieuse ne sont pas source de difficultés techniques d'élimination ou de coûts excessifs d'élimination se révélait exacte, il ne s'ensuivrait pas pour autant qu'un tel projet de réglementation soit soustrait au domaine d'application de l'article 3, paragraphe 2, de la directive.

16. Il a encore été soutenu à l'audience que l'obligation de communication préalable prévue par l'article 3, paragraphe 2 de la directive ne concernait que les mesures d'une certaine importance et qu'elle ne pourrait pas couvrir des dispositions d'une portée pratique extrêmement limitée, telles que celles adoptées par une petite commune. La communication d'un tel projet à la Commission s'avérerait impraticable.

17. A cet égard, il suffit de constater que la directive ne prévoit aucune dérogation ou limitation en ce qui concerne l'obligation de communication des projets visés à l'article 3. Par conséquent, cette obligation s'étend aux projets de réglementation arrêtés par toutes les autorités des Etats membres, y compris les autorités décentralisées telles que les communes.

18. Il convient donc de répondre à la deuxième question que l'article 3, paragraphe 2, de la directive n° 75-442 doit être interprété en ce sens qu'il impose aux Etats membres l'obligation de communiquer à la Commission un projet de réglementation telle que celle contestée dans le litige au principal, préalablement à son adoption définitive.

Sur la troisième question

19. La troisième question vise à savoir si l'article 3, paragraphe 2, de la directive n° 75-442 confère aux particuliers un droit qu'ils peuvent faire valoir devant les juridictions nationales afin d'obtenir l'annulation ou l'inapplication d'une réglementation nationale relevant du domaine d'application de cette disposition au motif que cette réglementation aurait été adoptée sans avoir été communiquée au préalable à la Commission des Communautés européennes.

20. Il y a lieu de constater à cet égard que l'article 3, paragraphe 2, précité se borne à imposer aux Etats membres l'obligation de communiquer à la Commission en temps utile les projets de réglementation qu'il vise sans fixer de procédure de contrôle communautaire de ces projets et sans subordonner la mise en vigueur des réglementations envisagées à l'accord ou à la non-opposition de la Commission.

21. L'obligation imposée aux Etats membres par l'article 3, paragraphe 2, précité vise à permettre à la Commission d'être informée sur les mesures nationales envisagées dans le domaine de l'élimination des déchets afin de pouvoir évaluer les nécessités d'adopter des mesures communautaires d'harmonisation ainsi que d'examiner si les projets qui lui sont soumis sont ou non compatibles avec le droit communautaire et de tirer, le cas échéant, les conséquences pertinentes.

22. Ni le libellé ni le but de la disposition examinée ne permettent donc de considérer que le non-respect de l'obligation de communication préalable qui incombe aux Etats membres entraîne à lui seul l'illégalité des réglementations ainsi adoptées.

23. Il découle de ce qui précède que la disposition susmentionnée concerne les relations entre les Etats membres et la Commission mais qu'elle n'engendre, en revanche, aucun droit dans le chef des particuliers qui soit susceptible d'être lésé en cas de violation, par un Etat membre, de l'obligation de communication préalable à la Commission de ses projets de réglementation.

24. Il convient donc de répondre à la troisième question que l'article 3, paragraphe 2, de la directive n° 75-442 doit être interprété en ce sens qu'il ne confère aux particuliers aucun droit qu'ils pourraient faire valoir devant les juridictions nationales afin d'obtenir l'annulation ou l'inapplication d'une réglementation nationale relevant du domaine d'application de cette disposition au motif que cette réglementation aurait été adoptée sans avoir été communiquée au préalable à la Commission des Communautés européennes.

Sur la quatrième question

25. Vu la réponse apportée aux trois premières questions, il n'y a pas lieu de statuer sur la quatrième question préjudicielle.

Sur les dépens

26. Les frais exposés par le Gouvernement britannique, le Gouvernement italien, le Gouvernement portugais et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia, par ordonnance du 23 novembre 1987, dit pour droit :

1. La directive n° 75-442 doit être interprétée en ce sens qu'elle ne confère pas aux particuliers le droit de vendre ou d'utiliser des sacs en plastique et d'autres récipients non biodégradables.

2. L'article 3, paragraphe 2 de la directive n° 75-442 doit être interprété en ce sens qu'il impose aux Etats membres l'obligation de communiquer à la Commission un projet de réglementation telle que celle contestée dans le litige au principal, préalablement à son adoption définitive.

3. L'article 3, paragraphe 2, de la directive n° 75-442 doit être interprété en ce sens qu'il ne confère aux particuliers aucun droit qu'ils pourraient faire valoir devant les juridictions nationales afin d'obtenir l'annulation ou l'inapplication d'une réglementation nationale relevant du domaine d'application de cette disposition au motif que cette réglementation aurait été adoptée sans avoir été communiquée au préalable à la Commission des Communautés européennes.