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Décisions

Conseil Conc., 5 décembre 2005, n° 05-D-66

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la SARL Avantage à l'encontre de pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d'électronique grand public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Zoude-Le-Berre, rapporteure, par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, MM. Combe, Flichy, Piot, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 05-D-66

5 décembre 2005

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 28 mai 1998, sous le numéro F 1050 et M 215, par laquelle la SARL Avantage - TVHA a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques qu'elle estime anticoncurrentielles, mises en œuvre par des fournisseurs et des distributeurs de produits d'Electronique Grand Public, et demandé le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision du Conseil de la concurrence n° 98-MC-08 en date du 8 septembre 1998 ; Vu la décision de secret des affaires n° 05-DSA-14 du 11 mai 2005 ; Vu les observations présentées par les sociétés Avantage, Philips France, SCIE CREL (Société Commerciale Industrielle et Electrique et Comptoir Radio Electrique Lyonnais), Sony France, Toshiba Système France, Panasonic France SA, Yamaha Electronique France, Pioneer France SA et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Philips France, SCIE CREL (Société Commerciale Industrielle et Electrique et Comptoir Radio Electrique Lyonnais), Sony France, Toshiba Système France, Panasonic France SA, Yamaha Electronique France SAS, Pioneer France SA Partners entendus lors de la séance du 28 septembre 2005 et la Sarl Avantage - TVHA régulièrement convoquée ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et la discussion (II) ci-après exposées :

I. Constatations

A. Le secteur

1. Les produits " bruns "

1. Les produits d'électronique grand public (EGP) ou produits bruns sont regroupés, selon la nomenclature INSEE, au sein de la NAF 52.4L, et comprennent les téléviseurs, les produits vidéo (magnétoscopes, DVD et caméscopes, etc.), les produits de haute-fidélité (Hi-Fi : chaînes électroacoustiques, platines laser, etc.) et les produits audio (radios, baladeurs, autoradios, etc.).

2. La consommation des ménages en produits bruns est en constante augmentation depuis 1997, passant de 4 747 millions d'euro en 1997 à 6 398 millions d'euro en 2002.

2. Les entreprises

3. A l'époque des faits, les principaux fabricants de produits bruns sont Aïwa France, Akaï France, Goldstar France, JVC France, JVC Vidéo France, Panasonic France SA, Philips France, Samsung Electronics France, Sharp Electronics France, Sony France, Thomson Multimédia Marketing France et Toshiba Système France, Yamaha Electronique France, Bang et Olufsen, Denon, Brandt, Grundig, Pioneer France, Daewoo Electronique. 4. Les distributeurs de produits bruns sont également très nombreux et peuvent être classés de la manière suivante : la grande distribution spécialisée ou multi-produits (Groupes FNAC, Darty & Fils, Conforama), les groupements indépendants (GITEM, Connexion, Expert France, Boulanger, Groupe L, Pro&Cie), les hypermarchés à dominante alimentaire (Carrefour, Cora, Casino, Leclerc, System U, Intermarché), les grands magasins (La Samaritaine, Galeries Lafayette, Le Printemps, BHV) les petits distributeurs locaux tels que la SARL Avantage, et les entreprises de vente par correspondance (La Redoute, CAMIF, 3 Suisses) et entreprises de vente sur Internet : Rue du Commerce, Clust, Marcopoly, Pixmania).

5. Le secteur est caractérisé par la présence de grossistes, de centrales d'achat et de centrales de référencement auxquelles appartiennent souvent les grossistes (Pulsat, Reference etc.). Dans la région de Grenoble où exerçait la société Avantage sous le nom commercial de TVHA, existait à l'époque des faits une dizaine de grossistes dont la société SNER (Société Nouvelle d'Electro-Radio), membre de la centrale de référencement Pulsat et la SCIE CREL (Société Commerciale Industrielle et Electrique et Comptoir Radio Electrique Lyonnais), membre de la centrale de référencement Référence.

B. Les faits dénoncés

6. La SARL Avantage a été créée en juillet 1997 et a pour objet la vente au détail de produits bruns sous l'enseigne TVHA dans son magasin situé à Grenoble. Pour démarrer son activité, elle a, dans un premier temps, demandé communication des conditions de vente de divers fournisseurs de produits bruns. En septembre 1997, TVHA a signé le contrat de distribution agréé Sony et lui a passé sa première commande.

7. Le 11 novembre 1997, l'enseigne TVHA a fait paraître dans la presse une publicité portant sur des produits Sony et Toshiba, indiquant des prix entre 15 % et 30 % inférieurs aux prix publics indiqués par certains fournisseurs et à ceux pratiqués par d'autres distributeurs. A partir de la diffusion de cette publicité, la société Avantage affirme avoir rencontré des difficultés auprès de certains fournisseurs et certains grossistes tels que la SNER et la SCIE CREL, au motif qu'elle pratiquait des prix discount ne correspondant pas aux prix conseillés par les fournisseurs : refus d'ouverture de compte, refus de transmettre leurs documents commerciaux, refus ou retards de livraison.

8. Par conséquent, la société Avantage a saisi le Conseil de la concurrence, le 28 mai 1998, d'une demande de mesures conservatoires et au fond pour apprécier des pratiques d'ententes de prix minimum entre fournisseurs et distributeurs de produits d'électronique grand public et des pratiques d'éviction de l'enseigne TVHA par certains fournisseurs et grossistes à la suite de cette publicité.

9. Face aux difficultés rencontrées auprès de certains fournisseurs de produits bruns à compter du 12 novembre 1997, M. X, responsable de l'enseigne TVHA, a procédé à l'enregistrement sur cassettes audio de conversations téléphoniques qu'il a eues avec ses fournisseurs à leur insu. Afin de décrire de manière précise les faits invoqués dans sa saisine, TVHA a procédé à une " transcription approximative des cassettes audio numérotées 2, 4, 5, 6, 13, 14, 15, 16 et 18 " et a versé au dossier les cassettes numérotées 4, 5, 13, 14, 15 et 16. Par courrier du 3 septembre 2003, la rapporteure a demandé à M. X de lui transmettre également les cassettes n° 1, 2, 3, 6, 12, 18, citées dans la saisine ainsi qu'une cassette en date du 13 novembre 1997, citée par M. X, à l'occasion de son audition le 28 septembre 2004 et relative à un entretien entre les responsables de la société Sony et de TVHA. L'ensemble du contenu de ces cassettes a été vérifié afin de réaliser les transcriptions reproduites ci-dessous.

10. La société Avantage présentait un chiffre d'affaires net de 701 429 francs au 30 juin 1998 après dix mois d'activité. En 1999, elle a également développé une activité de téléphonie mobile et présentait un chiffre d'affaires net au 31 mars 1999 de 1 754 066 francs. Elle a suspendu son activité en février 2000 et présentait un chiffre d'affaires net au 31 mars 2000 de 925 743 francs.

C. Les pratiques constatées

1. Les mécanismes favorisant la transparence des prix de vente au détail

a) La diffusion de listes de prix de revente conseillés par les fabricants

11. Certains fournisseurs et certains grossistes diffusent des listes de prix conseillés à leurs distributeurs. La dénomination de ces prix peut varier d'un document à l'autre : ils n'apparaissent cependant pas comme étant les prix auxquels le détaillant peut acheter ces produits auprès du fabricant ou du grossiste, mais comme bien fixant le prix de vente au consommateur TTC des produits bruns :

- Le fabricant Pioneer diffuse une liste intitulée " Prix constatés au 1er septembre 1997 TTC " et un " Tarif de base pour conditions 1998, Base H.T. " ;

- Le fabricant Panasonic édite une liste intitulée " Liste de PVMC au 1er avril 1998 "

- Le grossiste SNER édite un " tarif de base applicable à partir du 2 mai 1998 " ;

- La société Denon édite une liste intitulée " Prix de base et Prix conseillés " ;

- La société Thomson édite une liste intitulée " Tableau évolution gamme Thomson mis à jour au 10/09/1997 " précisant des prix publics indicatifs (PPI) ;

- La société Cabasse : " Prix publics indicatifs TTC unitaire " au 1er septembre 1997 ;

- La société Lowe : " Les prix, valables à partir du 1er mars 1998 - Prix de vente FF indicatif TTC ".

12. De plus, TVHA a produit des listes de tarifs de certains fournisseurs sur lesquelles apparaissent de manière manuscrite les prix conseillés : ainsi en est-il du tarif des produits hors taxe Sony, Samsung, et Toshiba.

b) La diffusion de catalogues et publicités et la clause de remboursement de la différence

13. Il ressort du dossier que la plupart des distributeurs (Appartenance, Auchan, Boulanger, BHV, But, Camara, Camif, Carrefour, Champion, Conforama, Connexion, Continent, Darty, Digital, Expert, FNAC, Géant, Galeries Lafayette, GITEM, Hypermédia, Interdiscount, La Redoute, Leader, Leclerc, Les Trois Suisses, Mammouth, Phox, Point Digit, Shop Photo) publient des catalogues comportant les prix de vente TTC de produits bruns au niveau national au cours de périodes similaires, y compris les prix de produits nouveaux n'ayant jamais été mis sur le marché.

14. En outre, les catalogues ou publicités édités par la plupart des distributeurs contiennent une " clause de remboursement de la différence " selon laquelle le consommateur peut se faire rembourser la différence si, dans un délai de 30 jours en général, il trouve le même article ailleurs à un prix inférieur dans la même zone de chalandise (définie selon les enseignes comme un rayon de 15 à 35 kilomètres autour de l'enseigne dans laquelle l'acte d'achat a été effectué).

2. L'alignement des prix de vente au détail des produits bruns

a) Les relevés de prix effectués par TVHA

15. Dans son mémoire de saisine, TVHA a transmis au Conseil de la concurrence des tableaux datés du 29 juin 1998 dans lesquels elle a retranscrit les prix conseillés par les fabricants et par le grossiste SNER ainsi que les prix de 618 références (télévisions, magnétoscopes, DVD, chaînes Hi-Fi, caméscopes) présentes dans les catalogues de publicités de 37 enseignes, catalogues annonçant des prix valables au printemps/été 1998 (mai à septembre), selon la durée de vie des catalogues considérés.

16. Il convient de préciser que le grossiste SNER a édité un " tarif de base - tarif applicable du 2 mai 1998 " portant notamment sur des produits bruns. Ce tarif précise pour chaque référence le prix de vente TTC. Ce tarif porte sur plus de 1 100 références tous produits confondus : téléviseurs, combi téléviseurs/magnétoscopes, vidéo projecteurs, magnétoscopes, lecteurs DVD, caméscopes, appareils photo numériques, chaînes Hi-Fi, amplis, platines CD/minidisc/K7/disques, enceintes, baladeurs K7/CD, accessoires. Les fabricants référencés dans ce tarif sont Thomson, Grundig, Panasonic, Philips, Sony, Radiola, Sharp, Saba, Schneider, Telefunken, Aiwa, Technics, Naf Naf, Pioneer, Jamo, ERS, Hobby, TDK, Blaupunkt, Sagem et Erard. Pour 121 de ces références de téléviseurs, magnétoscopes, lecteurs DVD, caméscopes et chaîne Hi-Fi, on trouve également un prix conseillé par les fabricants de marque Sony, Panasonic et Pioneer. La comparaison du tarif TTC diffusé par la SNER et des listes de prix conseillés par les fabricants montre que :

- dans 111 cas sur 121 (91 % des cas), le prix conseillé par SNER est exactement égal (à 10 FF près) au prix conseillé par le fournisseur,

- dans 5 cas sur 121 (4,5 % des cas), le prix conseillé par SNER lui est supérieur,

- dans 5 cas sur 121 (4,5 % des cas) le prix conseillé par SNER est inférieur au prix conseillé par le fournisseur (2 produits Pioneer et 3 produits Sony). Il s'agit de produits pour lesquels les prix indiqués par Pionner dataient du 1er septembre 1997 ou pour lesquels ceux indiqués par Sony dataient d'octobre 1997, c'est-à-dire de produits déjà anciens en mai 1998, date du tarif SNER.

17. Les résultats tirés des tableaux réalisés par TVHA et présentés ci-après, peuvent être résumés ainsi s'agissant des sociétés Philips, Sony, Panasonic, Pioneer, Toshiba :

Nombre de références égales ou supérieures au prix conseillé par le fournisseur ou par la SNER (à 10 FF près)/nombre total de références relevées

<emplacement tableau>

18. Les tableaux réalisés par TVHA sont retranscrits ci-après s'agissant des références de lecteurs DVD, télévisions, magnétoscopes, chaînes hi-fi, et caméscopes des marques Philips, Sony, Panasonic, Pioneer et Toshiba pour lesquels il existe un prix conseillé par le fournisseur ou un prix SNER : <emplacement tableau>

b) Les relevés de prix IFR entre septembre 1998 et mars 1999

19. Les tableaux ci-après reproduits ont été établis à partir des relevés de prix effectués chaque mois par l'institut IFR dans les mêmes points de vente des régions de Paris, Lyon, Marseille et Grenoble. Le prix figurant en première ligne est le prix moyen constaté (prix de vente le plus répandu dans les magasins visités par l'Institut IFR). Chaque colonne indique le nombre de relevés de prix conformes au prix moyen constaté par rapport au nombre total de prix relevés pour chaque référence ainsi que le pourcentage de ces prix conformes. Les différences de prix constatés lorsqu'elles existent sont souvent très faibles et ces prix ne s'écartent guère de plus de 10 % du prix moyen constaté :

<emplacement tableau>

c) Les relevés de prix portant sur les produits Panasonic entre avril et septembre 1998

20. Le tableau n°1 a été établi à partir des relevés de prix effectués chaque mois par l'institut IFR dans les mêmes points de vente des régions de Paris, Lyon, Marseille et Grenoble selon la même méthode que précédemment. La comparaison entre " Le récapitulatif des tarifs au 1er avril 1998 - PVMC " transmis par Panasonic et les prix relevés par IFR au cours de la période d'avril 1998 à septembre 1998 permet de calculer, dans le tableau n° 2, le taux d'alignement des prix réellement pratiqués par rapport aux prix conseillés par Panasonic et le pourcentage d'écart entre le prix conseillé et le prix le plus bas pratiqué. Le taux d'alignement entre le prix réel et le prix conseillé est de 100 % lorsque le prix réel est égal ou supérieur à 10 FF près au prix conseillé.

<emplacement tableau>

d) Relevés de prix des téléviseurs et magnétoscopes Philips en décembre 1998

21. La société Philips a produit dans ses observations des relevés de prix de téléviseurs et magnétoscopes à sa marque, effectués par l'institut IFR, en décembre 1998, dans des points de vente situés sur l'ensemble du territoire français, et calculé le taux de suivi des prix réellement pratiqués dans chaque enseigne par rapport au prix le plus souvent constaté. Les résultats sont reproduits dans les tableaux suivants :

<emplacement tableau>

e) Les relevés de prix effectués entre octobre et décembre 2002

22. Figurent également au rapport administratif d'enquête deux autres séries de relevés de prix :

- l'une effectuée par l'enquêteur, entre le 31 octobre 2002 et le 4 décembre 2002, en région parisienne dans les enseignes Darty Madeleine, Fnac St Lazare, Conforama Paris 1e, Samaritaine Paris 1e, Darty Parinor, Boulanger Parinor, Carrefour Parinor, Darty Bondy, Auchan Bagnolet, Serap Bagnolet, Carrefour Paris 16e, Auchan Issy Les Moulineaux et Carrefour Saint Denis ;

- l'autre constituée des relevés IFR de novembre et décembre 2002, dans la région parisienne et la région de Marseille dans 2 à 39 enseignes.

23. L'ensemble de ces relevés de prix montrent que les distributeurs concernés pratiquent le même prix dans 70 % à 100 % des cas s'agissant des ventes de téléviseurs, chaînes Hi-Fi et DVD de marques Philips, Sony et Panasonic et des ventes de chaînes Hi-Fi Pioneer. En revanche, les relevés de prix des produits Toshiba ne présentent pas un taux de suivi supérieur à 70 % quel que soit le produit considéré et il n'y a pas de relevé de prix pour des produits Yamaha.

3. La police des prix mise en place par certains fabricants

24. Plusieurs conversations enregistrées par M. X font état de police des prix mise en place par certains fabricants et de menaces à l'encontre des revendeurs pratiquant des prix bas, en particulier TVHA qui a rencontré de nombreuses difficultés commerciales (a). L'existence d'une police des prix de certains fabricants est évoquée également dans les déclarations de plusieurs revendeurs entendus par l'enquêteur (b). Les revendeurs ont précisé que le respect de la politique de prix de certains fabricants leur était imposé par la signature d'un contrat de coopération commerciale (c).

a) Les relations entre TVHA et certains fabricants de produits bruns

Les relations entre Sony et TVHA

25. TVHA a demandé une première ouverture de compte auprès de Sony, le 5 septembre 1997. M. Y, représentant de la société Sony lui a remis son tarif de base avec des prix de vente au détail TTC manuscrits. Le 20 septembre 1997, M. Y a envoyé un fax à M. Z, le gérant de TVHA, pour lui confirmer l'ouverture de compte avec un encours de 75 000 francs passé à 90 000 francs avec l'accord du représentant.

26. Le 7 octobre 1997, M. Y a envoyé par fax à M. X une liste de commandes en lui précisant les changements de prix au détail à suivre pour trois produits de la manière suivante (annexe 4 cote 98) :

<emplacement tableau>

27. Enfin, un fax du 12 novembre 1997 envoyé par M. Y à M. X reprenant la publicité effectuée par TVHA le 11 novembre 1997 " TVHA Jusqu'à 20 %* moins cher sur TELE-VIDEO-HIFI-AUDIO (...) " précise en en-tête " je passe cette fin de semaine pour voir à quoi correspond " * " ". Le 13 novembre 1997, M. Y et M. A, directeur régional de Sony, sont passés au magasin TVHA pour obtenir des explications. M. Z, gérant de la SARL Avantage, et M. X ont fait enregistrer la conversation par un huissier de justice. Ce dernier a installé une cassette audio sous le bureau dans le magasin TVHA, est ressorti du magasin pendant l'entretien et est venu chercher la cassette pour la mettre dans une enveloppe scellée après l'entretien.

Cassette du 13 novembre 1997 : conversation entre M. A (directeur régional de Sony), M. Y (représentant de Sony) et MM. Z et X (TVHA)

28. M. Z : " Vous avez souhaitez nous rencontrer de toute urgence ".

29. M. A: " De toute urgence, oui. Nous sommes confrontés à une situation qui est fort déplaisante et qui pose d'énormes soucis, le mot est faible ... c'est la publicité que vous avez sortie récemment sur un gratuit avec des prix que je peux qualifier de fracassants et je mesure mes propos : j'aurai deux questions à vous poser : d'abord, pourquoi cette publicité, est-ce que vous avez fait un amalgame avec une stratégie qui est celle de la micro-informatique qui est un autre métier ? La deuxième question est importante : quelle est votre stratégie : pas à long ou moyen terme mais à court terme ? J'aurai simplement une remarque, c'est que je crois que M. Y qui est près de moi vous a expliqué un petit peu en long en large et en travers comment était le marché du brun, comment cela fonctionne, quels étaient les aléas et impératifs, tout ça (...) Vous aviez une attitude je crois assez positive par rapport à ce discours. Or, ce qui est bien dommage c'est que dans les faits, 48 heures après, une semaine après, vous êtes à 180 degrés (...) ".

30. M. Z : " Aujourd'hui notre stratégie, donc effectivement, on s'est dit quand on a vu le marché extrêmement réactif à ces tarifs parce que c'est vrai on n'est pas obligé d'avoir des marges extrêmement importantes pour pouvoir vendre des produits bruns sur le marché grenoblois, c'est vrai qu'on a fait des tests (...) ".

31. M. A : " (...) aujourd'hui dans le marché du brun, sortons du contexte de l'informatique, les prix sont libres, je pose ça en préambule. N'importe qui, vous le premier, y compris les autres peuvent faire ce qu'ils peuvent avec les prix vis à vis de la législation, on est clair là-dessus (...) simplement mon devoir est de vous dire qu'en faisant ça, vous foutez en l'air, pardonnez moi je pèse mes mots, tout le marché grenoblois : c'est à dire que tout le monde n'attend qu'une chose, c'est de s'aligner pour être le moins cher mais avec une force de frappe qui sera cent fois supérieure à la vôtre. Donc, avec votre petit encart de presse qui fait un quart de page sur un gratuit qui effectivement n'a pas une audience énorme sur Grenoble, vous donnez la possibilité à tous les autres de s'aligner sur ces prix là. Et ces prix là, c'est pas 2 ou 3 %, le problème serait presque le même, mais c'est 20 % vous le savez, c'est à dire que tous les produits de notre marque, car c'est notre marque qui est utilisée à 95 % vont se retrouver 20 % plus bas ".

(...) C'est que la marge moyenne de la distribution est, on vient de le dire, d'environ 30 %. Vous, vous décidez parce que vous êtes un homme dynamique, vous voulez prendre des parts de marché et vous décidez que 15 %, c'est suffisant pour vivre. Eh bien, excusez-moi, mais j'appelle ça quelqu'un qui veut jouer des bras dans la distribution alors que, en passant de Lille à Marseille en passant par Strasbourg et Rennes, grosso modo la distribution travaille à peu près sur les mêmes taux de marge (...). Ce que vous avez fait, pour nous c'est dramatique (...) C'est un acte pour nous de terrorisme, encore une fois (...).

Il n'y aura pas de réaction, encore une fois la loi est de votre côté et du côté du commerce (...)

Si je viens ici c'est pour essayer de discuter, de juguler ce qui est en train de se passer ; (...) c'est la communication qui est dramatique, M. Z, parce qu'une communication c'est toute la distribution, encore une fois je suis obligé d'insister là dessus, vraiment je vous le répète, ce qui fait une spécificité de ce métier, malheureusement, tout le monde n'attend qu'une chose, personne ne veut toucher à ces prix, personne, que ce soit Darty, que ce soit Connexion, que ce soit Digital, que ce soit Carrefour (...)

(...) l'intérêt de tout le monde dans ce commerce c'est de ne pas être plus cher que le petit copain d'à côté, quelle que soit la grosseur, parce qu'ils mettent autre chose en avant, le service tout ce que vous voulez ... Mais tous les grands ténors de la distribution ne paient pas plus cher que l'autre, ce qui fait que tant qu'il n'y a pas un prix qui baisse, effectivement au final on retrouve les mêmes prix au franc près mais c'est le corollaire si vous voulez d'un système qui est celui que j'ai (inaudible), c'est pas notre travail, c'est simplement ce fruit de surveillance perpétuelle qui fait qu'on se retrouve avec des prix identiques (...)

(...) Honnêtement et j'espère que vous n'avez pas un magnétoscope qui enregistre, honnêtement si on n'avait pas agi de la sorte on ne serait déjà plus là et Frédéric passe son temps pour essayer de juguler ça en espérant que tout rentre dans la normale, très bien, c'est une réalité ".

32. A la suite de cet entretien, Sony n'a pas livré les produits commandés en invoquant des raisons de pénurie, a procédé à une réduction de l'encours accordé puis lui a imposé de régler à la commande et n'a pas transmis les informations commerciales prévues.

Cassette n° 2 : conversation entre M. Y (Sony) et la secrétaire de TVHA

33. M. Y : " Je vais être clair, par exemple, je voudrais vraiment pas que la prochaine pub sorte cette fin de semaine, c'est vraiment fondamental, est-ce que ça va être le cas ou pas ? vous pouvez me dire au moins ça ".

34. TVHA : " Ecoutez je vais voir avec Yann Z (...) ".

35. M. Y : " ... mais oui mais ça c'est pas une réponse, concrètement il faut qu'il y ait une réponse parce que, on en a déjà parlé, on va pas se répéter. C'est vrai c'est percutant, c'est bien c'est percutant mais dans 48 h tout le monde sera aligné parce que c'est le jeu des alignements, ça n'avancera pas (...) Est-ce que je peux vous appeler demain matin pour savoir si oui ou non vous sortez cette pub ? C'est fondamental, c'est très important je veux savoir ? (...) est-ce que vous pourrez également me donner la réponse à votre stratégie, demain à 10h ? "

36. TVHA : " Là, vous êtes quand même en train de remettre en cause, ça m'ennuie qu'on en arrive là M. Y, mais là vous êtes quand même en train de remettre en cause toute la stratégie d'une société (...) pour la publicité effectivement je vais essayer de voir avec Yann Z si ça vous met, ben on va essayer d'arrêter cette semaine, mais la stratégie c'est autre chose, c'est un autre problème (...). En fait, Yann Z m'a dit en gros qu'il faudrait qu'on remonte tous les prix qu'on avait mis, c'est ça ? "

37. M. Y : " C'est une très bonne initiative, très très bonne, ce serait très bien, une bonne initiative de votre part (...) ".

38. Sony a ensuite précisé à TVHA qu'elle ne pouvait l'empêcher de refaire une publicité à prix cassés puisque la loi l'oblige à livrer tout client qui respecte ses conditions générales de vente, ce qui est le cas de TVHA, et ce dans la mesure de la disponibilité des produits.

Cassette n° 3 : conversation entre M. A (Sony) et M. X (TVHA) mi-décembre 1997

39. M. A : " Je viens d'avoir un appel de mon commercial, M. Frédéric Y, que vous avez vu très récemment(...) il m'a fait part un petit peu de la conversation que vous avez eue avec lui, sur le fait que vous vous inquiétez de pas mal de choses (...) Moi ce que je peux vous dire simplement si vous voulez, y'a pas, malgré le peu de produits que vous recevez, y'a pas de mauvaise volonté de notre part à vous livrer ou à ne pas vous livrer. On est en train de gérer depuis maintenant pas mal de temps et je crains que plus les jours vont passer, pire ça va être : on est vraiment à gérer une situation de pénurie mais en aucun cas c'est une action dirigée contre vous (...) Quant à l'autre point que vous avez évoqué, celui de l'obligation de payer pour recevoir les produits, là aussi M. X, vous connaissez je pense notre entreprise, comment elle fonctionne. C'est vrai que vous, en tant que création d'entreprise, bon on passe par des systèmes qui s'appellent la FAC, c'est pas un secret. Création d'entreprises ça veut dire des encours minimum et malheureusement on est obligé de faire avec. Et tout nouveau client qui s'inscrit chez nous, qui vient d'ouvrir, qui vient de s'inscrire au registre du commerce subit les mêmes tracasseries j'allais dire, c'est pas le mot, les mêmes obligations. Je tenais à vous re-préciser ça ".

40. M. X : " (...) il se trouve qu'au même moment où notre incident est arrivé, si on peut l'appeler ainsi, des délais qu'on m'avait donnés qui n'étaient pas trop loin dans le temps ont basculé de novembre à janvier (...) je me trouve dans une situation sur les platines cassettes-CD, je vais sûrement devoir annuler la commande parce que la personne, on lui avait promis pour fin octobre, ensuite on m'a dit 15 novembre, ensuite on m'a dit 15 décembre et là hier on m'a dit janvier. Je me demande quand même, si quelqu'un ou moi si demain je vais à la FNAC ou à Darty pour commander ce produit là je dois attendre janvier (...).

Deuxième chose, c'est par rapport à l'encours. J'ai discuté longuement, à plusieurs reprises avec M Frédéric A, j'ai bien pris note qu'on avait dépassé notre encours et que vous nous aviez même gentiment accordé jusqu'à 90 KF et que là vous avez décidé d'en rester là, je suis d'accord. Mais, là même si je suis nouveau client, j'ai renvoyé toutes mes traites dans les temps (...) par contre, ce qui m'embête un peu dans le principe c'est que là on me demande de payer à la commande, moi je dis si j'arrive à mon encours je suis d'accord de payer au cul du camion comme on dit et là on m'accorde même pas ça. Aussi je me dis, c'est pour m'embêter parce que, en fait, sans problème vous me livrez pour 90 KF de matériel alors que je suis nouveau client, et là maintenant pour une commande de 10 000 ou de 20 000 francs, il faut que je règle à la commande (...) s'il faut régler à la commande je le ferai mais ce qui m'embête un peu c'est qu'il faut que je règle à la commande alors que je veux être livré ".

41. M. A : " ... oui oui, ça alourdit la procédure (...) Ecoutez M. X, je ne peux pas m'avancer sur ce sujet, c'est un autre débat. Je peux poser la question, voir si on peut faire un petit peu différemment mais c'est pas moi (...) ".

42. M. X : " (...) J'ai tenu à informer Frédéric Y par correction qu'il y aura une nouvelle publicité qui sortira la semaine prochaine avec beaucoup plus d'articles Sony (...) ça sera la même chose reconduite sur les produits plus d'autres dans le même style ".

43. M. A : " Je pense que vous n'allez pas dans la nuance si j'ai bien compris (...) C'est vrai c'est un tout petit pays le métier du brun, le jour où votre pub est sortie toute la place de Grenoble et toutes les enseignes étaient au courant donc c'est sur que les braves gens, nos braves concurrents que j'ai nommés tout à l'heure, ils se sont dit houlalala la messe était dite (...).

Vous faites ce que vous voulez (...) Ecoutez M. X, encore une fois quand bien même nous le voudrions, nous ne pourrions pas vous empêcher d'avoir des produits. Donc de toute façon passez des commandes. De toute façon, dans la mesure de nos disponibilités, nous vous livrerons les produits que vous avez commandés. Ça c'est clair c'est une certitude. En aucun cas, on ne cherche à faire des refus de vente ou des choses comme ça (...) On est une entreprise qui est quand même assez importante, parce qu'on est numéro 1 sur ce marché du brun. On est d'origine je dirais étrangère, entre guillemets. Quelque part on est bien sous les projecteurs si vous voulez, de la législation ce qui est quelque part normal. Donc si les autres, ils veulent faire des choses contre la loi, je dirais c'est leur problème. Le nôtre c'est de ne pas être en contravention avec la loi. Donc vous êtes client, vous demandez des produits, on vous livrera dans la mesure de nos disponibilités (...) Mais la loi, c'est vrai, nous oblige de toute façon à livrer quel que soit le client à partir du moment où il se plie à nos conditions commerciales, ce qui est votre cas puisque vous avez signé le contrat et tout le tralalala (...) ".

44. Toutefois, les difficultés de TVHA se sont poursuivies. Par assignation en date du 9 mars 1998, la société TVHA a alors saisi, en procédure de référé, le Tribunal de commerce de Grenoble à l'encontre de Sony. Par ordonnance du 1er avril 1998, ce tribunal a condamné la SA Sony à communiquer à la société TVHA, à bref délai et par écrit, plusieurs documents commerciaux demandés par cette dernière. Le 27 avril 1998, la société TVHA et la société Sony France ont alors conclu un protocole d'accord en vertu duquel les parties ont convenu de soumettre tous litiges les concernant à une procédure d'arbitrage en contrepartie du versement d'une somme de 250 000 francs par Sony à TVHA. A partir de mai 1998, Sony a régulièrement livré TVHA.

Les relations entre Philips, ses grossistes SNER et SCIE CREL et TVHA

45. TVHA a ensuite souhaité entrer en relation commerciale avec Philips. Le 22 octobre 1997, TVHA a rempli un dossier d'ouverture de compte assorti d'une clause de réserve de propriété en présence du représentant commercial de Philips, M. B (annexe 4 cotes 85-88). De plus, le 13 novembre 1997, TVHA a envoyé à Philips un " contrat de coopération commerciale " (annexe 4 cotes 89-91).

46. Sur ce point, M. C, responsable régional de Philips en Rhône-Alpes, a précisé à l'enquêteur le 21 mars 2003: " Concernant une demande d'ouverture de compte : il existe un formulaire type, comme pour les contrats, à compléter dans toutes ses rubriques lors d'un entretien avec le demandeur et à retourner à la direction commerciale à notre siège avec ses bilans comptables : s'il s'agit d'une société en création, des enquêtes sont diligentées auprès des banques ou des sociétés spécialisées (exemple : Intersud dans le cas de TVHA). En fonction des éléments rapportés par la demande, la comptabilité au siège nous indique l'encours autorisé et les délais de paiement accordés au client. A l'issue de ce processus qui peut durer deux semaines à 1 mois, on signe un contrat commercial avec le client, le cas échéant, on fixe les objectifs et on prend les commandes ".

47. S'agissant de TVHA, Philips a fait mener une étude financière qui a conclu à l'insuffisance de trésorerie de TVHA le 18 novembre 1997. Sans nouvelles, M. X (TVHA) a recontacté à nouveau le responsable de la région Rhône-Alpes de Philips, M. Frédéric C..., le 5 décembre 1997 et s'est vu proposer de reprendre un rendez-vous en janvier en vue d'ouvrir un compte :

Cassette n° 5 : conversation entre M. C (Philips) et M. X (TVHA), le 5 décembre 1997

48. M. X : " Bonjour M. C ".

M. C... : " Oui ".

M. X: " Bonjour Joseph X, TVHA Grenoble. J'avais appelé Martine D. Elle m'a dit de reprendre contact avec vous. C'est au sujet d'une ouverture de compte ".

M. C... : " Oui vous avez vu M. B. M. B ne fait plus partie de la société. Je suis en recrutement, j'ai quelqu'un, un stagiaire qui sera certainement son successeur. On est en toute fin d'année là. Pour tout vous dire c'est un peu tard dans l'année pour ouvrir un compte. Deux on se connaît pas. Il faut qu'on se rencontre en début d'année et voir l'intérêt pour moi pour ouvrir un compte et de travailler ensemble sachant qu'en termes de clients sur la ville je suis très très ouvert ".

M. X : " D'accord, parce que vous dites qu'on ne se connaît pas. On ne se connaît pas vous et moi mais j'avais vu un de vos commerciaux qui était passé. On avait fait toutes les démarches pour ouvrir un compte ".

M. C... : " Il a quitté la société pour un tas de raisons qui font que...sans vous connaître je n'ouvre pas de compte ".

M. X : " D'accord. Mais est-ce que quelqu'un d'autre peut passer. J'ai fait ma demande début octobre. M. B est passé courant octobre et puis là on est début décembre et j'attends toujours ".

M. C... : " Oui mais je vous dis - j'avais personne sur le secteur. C'est la fin de l'année. J'imagine que pour vous comme pour tout le monde c'est très chargé, on est dans les budgets 1998. On termine l'année. Je ne pourrai pas passer avant le début d'année. On a en plus des conditions de contrats annuels ".

M. X : " Tout à fait je les ai remplis et ils sont retournés chez vous. Moi ce qui m'embête c'est que c'est M. B qui était représentant de votre société que j'ai rencontré et qui a fait son travail. Après s'il est là ou n'est plus là, je ne vois pas ce que je peux ... ".

M. C... : " Je suis responsable de la région donc...ne m'en voulez pas mais vous me laissez le choix et l'attitude de décider de notre stratégie (...) ".

M. X : " Là vous pouvez m'envoyer quelqu'un quand pour démarrer ? "

M. C... : " Début d'année, je viendrai moi même avec l'attaché commercial du secteur ".

M. X : " D'accord donc c'est vous qui reprenez contact avec moi ou ça se passe comment ? "

M. C... : " On se re-contacte l'un l'autre ".

M. X : " Au niveau des éléments que je vous ai fournis, est-ce qu'il vous faut des informations complémentaires ? "

M. C... : " Je pense qu'il y avait tout, le RIB, le papier à entête, tous les éléments d'activité, achats totaux toutes marques, ça vous nous les avez communiqués. Vous achetez combien de télés à l'année ? "

M. X : " Pour l'instant je n'ai pas encore les statistiques parce que je démarre mais je le ferai par rapport à des premiers mois d'activité. Je pourrai vous dire ça avec précision en début d'année (...) ".

M. C... : " OK en attendant je vais faire faire, pour toute ouverture de compte, on fait une analyse, j'attends en plus des réponses de la comptabilité (...) ".

M. X : Bien. Je vous recontacte en début d'année (...)

M. C... : " OK. On se contacte au début de l'année ".

M. X : " Oui il n'y a pas de problème ".

M. C... : " Au revoir ".

M. X : je vous remercie au revoir ".

49. TVHA n'a pas reçu la visite de M. C en début d'année 1998 et a essayé de s'approvisionner en produits Philips auprès d'un grossiste sur la région de Grenoble, la SCIE CREL à qui elle a demandé une ouverture de compte le 10 décembre 1997. La SCIE CREL lui a ouvert un compte le 20 janvier 1998 assorti d'un crédit mensuel de 10 000 francs et lui a vendu trois antennes paraboliques entre le 17 décembre 1997 et le 31 mars 1998. Toutefois, il ressort des conversations entre M. E, directeur général de la SCIE CREL et M. X (TVHA) que la SCIE CREL a bloqué son compte lorsque TVHA a souhaité s'approvisionner en produits de marque Philips compte tenu de sa politique de prix bas.

Cassette n° 12 : conversation entre M. E (SCIE CREL) et M. X (TVHA) du 19 mars 1998

50. M. X : " J'ai un compte chez vous et je suis allé chercher du matériel Nokia à la SCIE CREL ...et j'ai un compte chez vous avec un encours de 10 000 francs et à ma grande surprise on m'a dit que mon compte était bloqué ... en fait mon compte est bloqué parce que vous n'avez pas le droit de me livrer du Philips ... ".

51. M. E : " Ah oui oui parce que vous avez a priori fait des entourloupes à Philips, ça ne me regarde pas ...qu'est ce qu'on avait eu comme info ? Qu'effectivement il y avait des dépositions de prix enfin je ne sais plus...Nous on achète pour 40 millions de francs chez Philips et c'est vrai qu'on a plutôt tendance à favoriser les gens qui vendent ça dans un créneau correct ... j'ai vaguement en tête, vous me donnez une petit instant ? (...)Voilà j'ai retrouvé votre dossier, j'ai du mal parce qu'on n'a jamais rien fait ensemble ? Avantage j'ai pas de facture j'ai rien dans votre dossier (...) Je vous rappelle dans 5 minutes. (...) Moi le problème il est simple : j'ai un ordre absolu de la part du groupe Philips de vous livrer quoique ce soit au risque de ne plus être livré moi-même parce qu'a priori vous êtes très agressif au niveau prix, en tous cas dans vos annonces de prix il semblerait (...) on avait bloqué le compte (...) c'est très rare qu'un fournisseur nous impose comme ça, je ne sais pas ce que vous leur avez fait (...) on a eu une levée de bouclier de la part de Philips : TVHA on ne veut pas en entendre parler (...) On va vous débloquer le compte - mais ne nous demandez pas de vous vendre du Philips - je vous envoie même auprès de la concurrence, essayez de voir si vous pouvez vous approvisionner auprès de la SNER (...) Moi aujourd'hui ça me gêne de vous vendre du Philips ".

Cassette n° 13 : conversation entre M. E (SCIE CREL) et M. X (TVHA) du 9 avril 1998

52. M. E : " Les tarifs, les tarifs, moi ... Je vais tout vous dire : on m'a dit TVHA c'est du copain ou de la famille à Chapelle à Paris ...donc si vous voulez acheter des produits chez nous, vous venez au magasin, mais on m'avait fait comprendre que vous déstabilisiez complètement le marché. Moi je travaille avec des revendeurs. Vous faites ce que vous voulez, si vous voulez venir chez nous, vous vous faites servir au magasin, mais plus j'avance, plus, si vous voulez, plus éventuellement je me passerai sans aucune difficulté de votre clientèle...honnêtement, je préfère être honnête avec vous mais ...enfin, on m'a expliqué comment vous travaillez, vous faites ce que vous voulez, vous avez tous les droits, vous êtes maître dans votre maison mais moi je suis encore maître chez moi (...) Non, non, moi je ne peux pas interdire ou vous interdire d'acheter du Philips chez moi ... moi j'ai des petites pressions derrière, je sais comment vous travaillez, bon ben ça me gêne un petit peu mais si vous voulez du Philips, vous allez à l'agence (...) Moi je sais une chose, il y a une marque qui s'est fait prendre chez vous et ils sont vachement emmerdés, c'est pour ça qu'il y a eu une réaction en chaîne de la profession. La marque qui s'est fait prendre c'est Sony et le gars, effectivement, il a ouvert un compte chez vous, et maintenant il s'est fait prendre, il ne peut plus refuser de vous livrer et effectivement vous pétez leurs produits ...Bon ben c'est bien mais vous savez des gens comme vous on en a vu beaucoup, on en a vu disparaître beaucoup. Il y en a un qui reste, qui est à Paris, effectivement c'est Chapelle. Moi je travaille avec des gens sérieux qui font de notre profession un métier. Y a suffisamment de grande distribution qui sont capables de péter les prix, par contre eux, ils se rattrapent sur la boite de petits pois. Vous à ce que je sache, vous vendez pas de petits pois, pas encore en tous cas (...) Moi je peux pas, le refus de vente en France est interdit c'est clair, vous devez le savoir. Moi si vous voulez du Philips, je vous emmène du Philips sous condition que je veux bien vous vendre du Philips (...) Moi je peux pas vous indiquer de prix. Encore une fois j'ai eu un problème dernièrement avec de l'autoradio Philips. C'était un marché avec les transports en commun de Lyon. Y a Philips qui m'a appelé " y a des appareils qui viennent de chez vous qui sont vendus à prix dément... " Je lui ai dit " Mais attendez moi je vends mes produits à mes revendeurs après ce que fait le revendeur... Nous on estime suffisamment connaître la profession où beaucoup de gens disparaissent...et c'est assez qu'il y ait une levée de bouclier de la profession aussi (...) C'est l'unanimité contre vous en tout cas ".

53. M. X : " C'est ce que j'ai cru comprendre et uniquement pour une seule raison parce que j'ai pas appliqué les prix qui disaient quoi ... ".

54. M. E : " Si vous estimez que vous avez autant de poids que des gens comme peuvent en avoir Sony ou Philips, ben c'est bien...vous êtes partenaires avec les fournisseurs, faut pas être ennemi ".

55. M. X : " Je tiens qu'à être partenaire mais en France apparemment pour le produit brun, on ne peut pas être partenaire avec un fabricant à partir du moment ou on ne met pas les prix qu'ils imposent. C'est quand même grave, attendez si demain vous faites la même chose, vous aurez les mêmes problèmes que moi ".

56. M. E : " ... mais il m'arrive de faire la même chose...on en discute avec le fournisseur en lui disant je vous préviens on va péter ça " ah ben non vous ne devriez pas " et le copain fait pareil à côté et c'est pareil tous les jours, y a pas qu'un prix (...) ".

57. M. X : " Moi ce que je peux dire, dans le domaine où je suis pour le moment et auquel je suis confronté, j'ai des problèmes avec les distributeurs parce que je ne respecte pas les prix (...) ".

58. M. E : " ... le prix constaté ".

59. M. X : " Le prix constaté ! Mais attendez y'a des produits qui sont pas encore sortis sur le marché et ils ont déjà un prix constaté ? Vous faites comment ? il sort d'où ? "

60. M. E : " Si vous voulez, si effectivement ça fait 30 ans que le 55 telle référence, je travaille à telle marge en général dans la profession, et bien ils sont en droit de dire : tiens, normalement, ce produit éventuellement, la façon dont vous travaillez actuellement, voilà à quel prix vous devriez le sortir, c'est ça que ça veut dire ".

61. M. X : " ... oui mais on peut difficilement parler d'un prix constaté des produits qui sont pas encore commercialisés alors qu'ils existent ? "

62. M. E : " Vous êtes nouveau dans la profession, si vous essayez de faire autre chose, vous verrez que c'est partout pareil ".

63. Le 10 avril 1998, TVHA a donc appelé un autre grossiste concurrent indiqué par la SCIE CREL, la société SNER dont le président directeur général est M. F, pour s'approvisionner en produits de marque Philips :

Cassette n° 14 : conversation téléphonique entre M. F (SNER) et M. X (TVHA) du 10 avril 1998

64. M. X : " (...) Oui, Bonjour M. F (...), Joseph X TVHA Grenoble. Je vous appelle...bon j'avais contacté votre société hier pour voir avec vous pour obtenir du matériel Philips, en particulier des téléviseurs. Quand j'ai appelé on m'a dit que Philips ne voulait pas que vous livriez ni faire des affaires avec moi. Donc je vous appelle (...) Je voulais savoir si je peux m'adresser à vous pour avoir du matériel ou pas et si oui dans quelles conditions ? "

65. M. F : " Mais vous faites quoi exactement ...Pour tout vous dire, on a eu un coup de fil de Philips chez nous en disant que vous alliez nous téléphoner et interdiction formelle de vous livrer (...). C'est clair. Bon ça c'est le son de cloche des fournisseurs, je ne sais pas pourquoi d'ailleurs, alors expliquez moi ce que vous faites exactement et ce que vous voulez faire avec les télés Philips ".

66. M. X : " La raison, elle doit être simple ... c'est que...moi j'ai un magasin de télé Hifi vidéo ici à Grenoble ...et que je vends des produits bruns et je fais des prix par rapport à ce qu'on voit sur le marché et pas par rapport aux prix imposés en fait par les constructeurs ".

67. M. F : " Ah c'est pour ça que (...) Il y a dû y avoir des remontées de vos collègues et ce qui fait que ...parce que c'est même pas Lyon qui m'a appelé, c'est Paris alors donc c'est remonté jusqu'au siège (...) Et je pense que ce message, ils ont dû le faire passer chez tout le monde ".

68. M. X : " Et concrètement, est-ce que je peux m'adresser à vous ou ... ? "

69. M. F : " Ben vous savez que de toute façon même si on vous livre, ils le sauront très vite puisqu'ils relèvent les numéros, ils savent qui c'est qui a livré, ils le savent très vite, alors donc...Partant de là, moi je peux me faire bloquer aussi si réellement vous cassez les prix : si c'est sur des anciens modèles, des trucs comme ça, ça fera pas grand chose mais si des nouveaux produits et que vous cassez les prix, alors là il y aura des remontées radioactives dans les heures qui suivent (...) Plutôt que de casser les prix, enfin, c'est, comment dirais-je, c'est une suggestion que je vous fais, plutôt que de casser les prix, vous avez tout intérêt à donner des cadeaux, et les cadeaux personne ne peut rien vous dire ".

70. M. X : " D'accord. Parce que là, dans un premier temps, y a votre service commercial peut me communiquer les prix que vous faites ...sur les téléviseurs, en particulier Philips, voir à quel prix je peux me positionner ? ".

71. M. F : " Ah mais les prix on peut très bien vous les communiquer, c'est pas un secret mais de toute façon, si on vous livre et si vous faites ce que vous êtes en train de me dire, il n'y aura qu'une fois, et puis après moi je risque d'avoir des retombées radioactives de Philips et j'y tiens pas. Parce que moi, pour vendre quelques télés, je tiens pas à en perdre des milliers ...parce que tous ceux qui rentrent dans le machin ...on a des accords de signés très précis, des contrats de distribution très précis ...celui qui les respecte pas, ben terminé...alors moi je veux bien vous livrer mais je ne veux pas avoir d'ennuis pas derrière ... ".

72. M. X : " Dans les accords, ils ne peuvent quand même pas vous imposer le prix de vente ou ce qui va être revendu derrière, vous vous êtes... ".

73. M. F : " Oui mais enfin, comme les prix publics sont pas respectés...surtout là, je ne peux pas dire que j'ai pas été prévenu ...ils l'ont fait donc j'aurais du mal à prétendre le contraire. Les prix, moi je vous les donne bien mais moi je vous pose la question : pourquoi vous cassez les prix ? "

74. M. X : " Comment ? "

75. M. F : " Pourquoi vous cassez les prix ? "

76. M. X : " Ben pour vendre ".

77. M. F : " Non mais je sais mais vous savez c'est pas souvent parce qu'on vend moins cher...Y'a d'autres arguments que de vendre moins cher parce que y en a toujours un qui sera en dessous de vous...Alors vous allez déclencher tout le ...Ce qu'ils ont peur c'est que quelqu'un comme vous qui attire l'attention, il y a Darty qui va se machiner, après ça va être But, après ça va être les Carrefour, tout le monde va dégringoler les prix et après c'est (inaudible) sur le secteur ".

78. M. X : " Moi je suis nouveau dans le domaine, bon ben je m'attendais pas du tout à ce que ça se passe comme ça. C'est vraiment affolant. J'ai eu le cas avec Sony, si on ne met pas les prix imposés c'est ... ".

79. M. F : " Ah mais c'est clair, de toute façon nous, on a toutes les grandes marques en distribution, toutes les grandes marques, on a des accords signés que si on ne respecte pas, vous ne serez pas capable de faire respecter les engagements et les tenues de prix qui sont, effectivement, hors la loi, c'est vrai, mais enfin tout le monde le fait quand même, hein ? c'est toute la politique d'une boîte qui est par terre ... alors il est évident que tous ceux qui polluent, ben on, on fera comme ça donc heu ... Il faut être très fort là-dessus donc heu...Par contre, si vous voulez faire des opérations, des opérations reprise ou des opérations cadeau, des opérations comme ça, personne ne pourra rien vous dire...C'est pas le prix proprement dit qui est en cause, vous comprenez ? Donc c'est beaucoup plus astucieux comme ça. Vous pouvez très bien dire que tel et tel produit est à 3 990, reprise de votre téléviseurs moins 500 balles, ça fait donc 3 490, le problème est totalement différent. Au niveau des particuliers, ça changera pas grand chose parce que il saura que ... et vous, vous faites une opération et c'est pas directement le prix public qui est descendu, voilà ".

80. M. X : " De toute façon, moi c'est clair que si là si j'ai commencé à avoir des demandes sur des produits Philips...si j'ai des demandes, c'est parce que je suis en mesure de faire des prix plus bas que les prix marchés imposés...donc ça risque à ce moment-là de pas bien se passer ".

81. M. F : " Ca risque de ne pas bien se passer de toute façon. Vous savez, ces gens là, ils sont tellement puissants, que ce soit Philips, Sony, tout ça, ils vous embêteront même au niveau bancaire ; ils sont capables de faire n'importe quoi ces gens là ...Donc il faut pas, il faut pas trop attirer l'attention, voilà ce que je veux dire. Vous pouvez faire votre business gentiment, sans attirer l'attention, en faisant des trucs comme ça, bon là, ils grinceront des dents mais vis à vis de la loi ils ne peuvent rien dire, à personne. Mais il est évident que si un prix public est négocié, qui est déposé, et descendu, tout le monde va s'aligner sur ce prix là et vous savez quand le prix est descendu, en général c'est très difficile de le faire remonter ".

82. M. X : " Vous me dites que dans vos contrats, il vous imposent de faire tenir les prix aussi ".

83. M. F : " Ah oui oui, vous savez les représentants des marques passent les trois quarts du temps à faire remonter les prix (...) Ca c'est clair : s'ils mettent des gens pour faire ça... parce que pendant ce temps là ils font pas du business...donc ce qui veut dire qu'ils tiennent à faire respecter les prix parce que c'est toute leur politique commerciale qui est par terre...c'est vrai...et comme le prix ont déjà tendance à descendre très rapidement et ceci tout seul...donc il faut pouvoir anticiper les choses quoi... ".

84. M. X : " Oui c'est bien embêtant ".

85. M. F : " Non c'est pas embêtant, y a manière de contourner, par exemple, vous vendez un scope, je sais pas moi, 1 990, vous faites cadeau d'un pack cassettes qui vaut 100 ou 200 balles, vous le descendez à 1 790, personne peut rien vous dire parce que vous donnez un cadeau, vous êtes bien libre de donner des cadeaux ". 86. M. X : " Oui mais je veux dire, ce qui est fou, c'est que...vous êtes engagés auprès des fournisseurs de faire tenir leur prix, ils ont le droit, le moyen légal de vous obliger à faire ça ? ".

87. M. F : " Absolument pas (...) C'est des contrats qui sont faits dans ce style là, bon ben je vais pas dire qu'ils sont respectés à la règle mais ... y a des fois, ils sont bien contents quand ils sont surpeuplés sur certains produits ou de produits qui changent de référence de les dégager rapidement...donc c'est pas à 100 % ... Mais pour qu'ils nous aient avertis que vous alliez nous téléphoner, que ceci cela, je sais pas qui c'est qui a parlé mais apparemment ils sont bien renseignés. Surtout que nous on vous connaissait pas (...) Moi je vous ferme pas la porte. Je vous ai dit, j'ai été très clair, je vous ai dit la règle du jeu. Si on la respecte de cette façon là, il n'y a aucun problème pour vous livrer. Donc nous on fonctionne avec une assurance crédit, si vous voulez un encours chez nous, il n'y a aucun problème. Ca, avant tout on est là pour faire du business mais bon faut pas faire n'importe quoi, hein ? Bon on vous communique les prix et je dirai à un représentant qu'il passe vous voir ...rapidement ".

88. Compte tenu de ces difficultés, M. X a téléphoné au siège de Philips France et demandé à parler à M. G, directeur général, pour obtenir des explications sur le fait que M. C n'a pas repris contact avec lui en début d'année et sur les pressions exercées sur les grossistes SNER et SCIE CREL. M. G a affirmé à M. X n'avoir jamais donné aucune consigne à ses grossistes :

Cassette n° 15 : conversation entre M. G (Philips) et M. X (TVHA) du 21 avril 1998

89. M. G : " Oui bonjour ".

90. M. X : " Bonjour, Joseph X, TVHA à Grenoble. Je me suis permis de vous contacter parce que j'ai entrepris des démarches, tout d'abord auprès de votre agence de Lyon et ensuite auprès des grossistes, pour pouvoir distribuer votre marque. Et en fait, ce qui s'est passé chez les grossistes en question, ils m'ont dit qu'ils avaient eu des ordres ou des consignes de la direction de Paris de ne pas livrer de Philips ".

91. M. G : " Qui ça par exemple? "

92. M. X : " Eh bien, la société SCIE CREL à Lyon ".

93. M. G : " Oui et bien écoutez, je pense que c'est [inaudible] non non il n'y a eu aucune consigne de notre part ".

94. M. X : " Et comme votre nom avait été cité, je me suis dit ... ".

95. M. G : " Ah bon ? Qui vous l'a cité ? Excusez-moi ".

96. M. X : " Je crois que c'est M. E, il m'a parlé, il m'a dit que ... non il m'a dit que c'était vous qui aviez donné des consignes (...) ".

97. M. G : " Je ne donne aucune consigne, aucune (...) Ecoutez, je ne sais pas, les gens peuvent vous raconter n'importe quoi mais puisque vous m'avez, je vous dis je ne donne aucune consigne ".

98. M. X : " Oui Monsieur, à la SCIE CREL, votre nom

On m'a parlé on m'a dit il y a M. G mais on ne m'a pas dit que c'est vous qui avez appelé la SCIE CREL ".

99. M. G : " Ah non ! Non, je n'appelle pas du tout ! (...) Ecoutez je ne donne aucune consigne à la SNER ni à une autre société quelle qu'elle soit. Je ne donne pas de consigne du tout, je donne des consignes aux gens qui sont dans mon organisation mais pas à l'extérieur, je suis désolé (...) écoutez non il n'y a aucune consigne de notre part à qui que ce soit (...) Je n'ordonne ni dans un sens ni dans l'autre Monsieur, je ne donne aucune consigne, chacun est maître chez soi vous pouvez me croire (...) ".

100. M. X : " Autrement pour commander directement chez vous, il faut procéder comment ? J'ai contacté en fin d'année 1997 votre siège à Lyon, j'avais eu M. C qui m'a dit qu'il me re-contacterait pour ouvrir un compte - ce qui ne s'est pas fait ... ".

101. M. G : " Notre métier ce n'est pas d'ouvrir des comptes, notre métier c'est de vendre. Donc l'ouverture de compte ça dépend de la surface de votre société, de notre couverture sur la région ... ".

102. M. X : " Je vais me retourner vers vos grossistes ".

103. M. G : " Très bien, j'espère que ça se passera bien pour vous ".

104. A la suite à cet appel téléphonique, Philips a demandé une seconde étude financière qui a conclu à une possibilité d'encours de 50 000 francs pour la société TVHA. De plus, M. X a contacté la SCIE CREL et la SNER dès le lendemain pour obtenir des explications :

Cassette n° 16 : conversation entre M. E (SCIE CREL) et M. X (TVHA) du 21 avril 1998

105. M. X : " Oui du coup, je voulais vous demander, chez Philips, c'est qui qui vous a dit qu'il fallait me faire passer ... ".

106. M. E : " Oh moi je veux pas vous répondre, je vais pas rentrer dans ces guerres-là, vous me croyez, vous me croyez pas () Je peux pas vous dire, je suis pas là pour faire de la délation. Si G... vous a dit Monsieur je n'ai pas donné d'ordre, bon ben on en reste là-dessus et puis c'est tout...Remarquez, d'un autre côté, j'en attendais pas plus de la part des marques. La marque peut pas vous dire : Monsieur, je ne vais pas vous livrer, elle pourra pas vous l'écrire, ni vous le dire, je sais pas...Mais aujourd'hui, c'est bien ce qu'il me semblait. Moi aujourd'hui quand Philips me dit " Monsieur, TVHA on n'est pas d'accord, on n'est pas d'accord, on n'est pas d'accord...Je dis ouais et si il y a un problème et qu'il va jusqu'au bout, je fais quoi moi ?Et d'ailleurs, la preuve c'est que Philips ne me couvre pas donc il me couvre pas, moi ça me gêne pas (...) (...) C'est un rêve pour une marque...Vous avez plein de marques qui disparaissent et bien les marques qui disparaissent sont celles qui n'ont pas su faire tenir leurs prix. Qu'est ce qui reste ? Et bien, il y a Sony qui impose, c'est vrai, un peu les prix marchés, vous avez Philips qui impose, vous avez Panasonic, Technics, tous les gens qui arrivent un petit peu ...Les représentants de marque passent 70 % de leur temps à faire remonter les prix. Personne vous l'écrira ça ...Mais un représentant de marque, il passe son temps à être appelé par une enseigne, Connexion ou ... 'Mais ah ! Pourquoi Auchan fait tel produit ? Vous vous rendez compte, on l'avait référencé !' et hop, qu'est ce que fait le représentant de la marque, il va chez Auchan en disant : 'Pourquoi vous avez mis tel produit ?' Ils passent leur temps à faire remonter les prix (...)".

Cassette n° 16 : conversation entre M. X (TVHA) et la réceptionniste de la SNER du 21 avril 1998

107. SNER : " J'ai questionné la comptabilité à votre sujet et elle m'a dit qu'elle attendait toujours votre ouverture de compte ".

108. M. X : " Effectivement c'est à ce sujet là...je suis en train de la remplir et j'aimerais avoir M. F à ce sujet là... effectivement vous m'avez envoyé une demande d'ouverture de compte mais ça ne sert à rien si je connais pas vos tarifs ".

109. SNER : " On n'envoie pas les tarifs tant qu'on n'a pas d'ouverture de compte, ma collègue qui est commerciale a dû vous le dire (...) ".

110. M. X : " (...) j'aurai aimé aussi l'entretenir au sujet de Philips puisque j'ai eu une information contradictoire ... ".

111. SNER : " De notre côté on a pris une position, qu'il y ait une information de Philips ou pas ça change pas notre position...de toute façon la position de M. F a dû être prise, infos ou pas infos ça change rien du tout ".

Cassette n° 16 : conversation entre M. E (SCIE CREL) et M. X (TVHA) du 22 avril 1998

112. M. X : " Je vous appelle, vous avez eu Philips ? "

113. M. E : " Heu ... j'ai eu Philips oui ".

114. M. X : " Bon, ils disent quoi ? "

115. M. E : " Ils me disent monsieur 'Vous faites ce que vous avez à faire', bon je dis 'ok je sais ce que j'ai à faire' ".

116. M. X : " Ca veut dire que je peux vous commander du matériel, il n'y a pas de problème ".

117. M. E : " Tout à fait ! "

118. M. X : " Bon ben très bien, c'est M. C que vous avez eu ? "

119. M. E : " C'est des gens de chez Philips (...) il n'y aurait pas eu la levée de boucliers dont on a parlé, on continuait, ça ne m'aurait même pas concerné ; je sais qu'il y a eu des plaintes de certains revendeurs sur votre compte mais enfin bon c'est parce que vous les concurrencez ".

120. M. X : " Sur quels produits ? Sur du Sony ? "

121. M. E : " Ben... sur ... Vous avez fait de la pub non ? "

122. M. X : " Oui oui, j'ai fait de la pub. Là c'est clair, il faut que ce soit clair entre nous, si je prends des télés, des magnétoscopes Philips, je vais pas les vendre au prix Philips ".

123. M. E : " Et pourquoi ? Pour emmerder Philips ? "

124. M. X : " Non je ne veux pas emmerder Philips mais c'est pour vendre tout simplement (...) parce qu'autrement si je veux commander en direct chez Philips, j'aurai pas des prix vu les quantités qu'il faut ... "

125. M. E : " Pour commander en direct chez Philips ? Ben le problème de Philips c'est qu'à mon avis, ils vont vous demander de signer un contrat. Le contrat avec Philips il est [inaudible] remarquez avec la plupart des marques, Sony vous avez un contrat ".

126. M. X : " Mais le fait de revendre du Philips à travers vous, je n'ai pas besoin de signer de contrat ? "

127. M. E : " Ah bien c'est moi qui ai signé un contrat de distribution avec Philips. Nous, c'est de loin notre premier fournisseur. Ce contrat que j'ai signé avec Philips m'oblige à faire un certain nombre de pièces et à partir de ce moment là j'ai un certain nombre de tarifs qui me permet de revendre (...)

Aujourd'hui, moi quand je vends du Philips, vous savez j'ai un revendeur qui a fait des promotions de prix sur de l'autoradio Philips et bien on m'a dit 'il y a un problème il ne le vend pas suffisamment cher etc', j'ai dit 'qu'est ce que vous voulez que je vous dise ?' ; 'oui mais il y avait un gros distributeur qui était sur le coup, vous vous rendez compte c'est 40 balles en moins', et bien j'ai dit 'qu'est ce que vous voulez que je vous dise' ; par contre on m'a appelé on m'a dit 'c'est embêtant' alors j'ai expliqué que c'était un marché spécifique etc donc ils suivent, ce qui est logique, c'est eux qui vendent les produits, c'est eux qui ont les brevets chez Philips, sans pour autant faire la loi, ils suivent un petit peu ce qu'ils font c'est de bonne guerre (...)

Vous vous mettrez en infraction de vous même à partir du moment où vous vendez des produits sans marge (...) après quelle pression ils feront, je vois pas comment vous pourriez être attaqué directement, mais par contre si vous vous développez ce n'est pas la meilleure façon de passer en direct ".

128. M. X : " Ils risquent de vous embêter parce que vous me livrez ? "

129. M. E : " Non mais là où ils risquent de m'embêter c'est effectivement si je commande un produit, ils vont faire traîner peut-être pour me livrer, ou en tous cas qu'il soit pas disponible. Vous savez quand vous passez une commande chez un fournisseur, il y a 200 produits en stock et s'il y a 250 produits en commande, ils sont obligés de faire un choix et ça par contre c'est absolument incontrôlable ".

130. A la suite de ces conversations téléphoniques, Philips n'a pas informé M. X de la possibilité d'encours de 50 000 francs à laquelle a conclu son étude financière. Le 30 avril 1999, TVHA a renvoyé un fax à Philips pour obtenir communication de son contrat de coopération commerciale signé le 13 novembre 1997 ainsi que de ses tarifs, remises et catalogues (annexe 6 cote 302). Philips a renvoyé le 12 mai 1999 les documents commerciaux demandés et un contrat de coopération 1997 vierge, en précisant que le contrat préalablement signé par TVHA " n'était valable que pour le dit exercice et donc caduc " (annexe 6 cotes 303-336).

131. Par ailleurs, TVHA n'a procédé à aucune commande auprès de la SNER. En revanche, TVHA a commandé par fax, le 20 février 1999, une télécommande Philips LC 2000 et une télévision Philips 42PW9982 (annexe 4 cote 181). TVHA a procédé au retrait de la télécommande LC 2000 auprès de la SCIE CREL comme l'indique une facture du 31 mai 1999 (pièce n° 5 de son mémoire en réponse au rapport).

132. S'agissant de ces enregistrements sonores et de la politique commerciale de Philips, M. C, responsable régional de la marque en région Rhône-Alpes, a tenu à l'enquêteur les propos suivants le 21 mars 2003 :

" (...) Concernant les prix de revente : je n'ai pas diffusé au nom de Philips de prix de revente conseillés à l'égard de nos clients distributeurs y compris les grossistes, depuis le début de mes fonctions. Lorsqu'un de nos clients nous questionne au sujet des prix je leur conseille d'aller vérifier les prix de leurs concurrents sauf bien sûr de ne pas revendre à perte.

(...) Concernant les enregistrements sonores réalisés par M. X de la société Avantage - Extrait du 5.12.1997 cassette n° 5 'début d'année je viendrai moi-même avec l'attaché commercial du secteur' : M. X ne m'a pas rappelé, je n'ai donc pas contacté cette personne.

Concernant les enregistrements sonores de M. X relatifs à la SCIE CREL, M. François E dit notamment 'moi j'ai des petites pressions derrière...si vous voulez du Philips vous allez à l'agence' : les seules pressions que j'ai pu émettre vis-à-vis de mes clients sont pour obtenir des commandes et non pour refuser la vente à un client quel qu'il soit.

Concernant l'enregistrement du 10.4.98, cassette n° 14 SNER/M. X : 'M. F : 'On a eu un coup de fil de Philips chez nous, disant que vous alliez nous téléphoner et interdiction formelle de vous livrer' : je n'ai jamais donné ce genre de consigne à quelque client y compris à la SNER. Je n'ai reçu aucun ordre de la part de mon directeur général M. G à l'époque, pour refuser la vente ou l'ouverture de compte à M. X de TVHA ".

Les relations entre Pioneer et TVHA

133. Pioneer a accepté d'ouvrir un compte à TVHA. Le représentant, M . H, lui a remis une liste de prix constatés au 1er septembre 1997 correspondant aux prix TTC. Néanmoins, après la parution de la publicité de TVHA annonçant des prix cassés le 11 novembre 1997, le représentant de Pioneer, M. H, a tenu les propos suivants :

Cassette n° 4 : conversation entre M. H (Pioneer) et M. X (TVHA) du 3 décembre 1997

134. M. H : " Les prix, bien moi je vous dis, je ne sais pas si vous avez vu comment est notre tarif, nos conditions de vente : vous avez 5 % de ce qu'on appelle la communication agréée. A terme, ça veut dire d'une manière légale qu'on vous demande de pratiquer notre politique commerciale et aussi notre politique de prix (...) " Alors moi, encore une fois, je ne vous fais pas de procès d'intention, je vous dis simplement que nous, on a dans nos prix une contrainte de prix de 5 % qui est la communication agréée. Ca veut dire en gros que si vous ne communiquez pas en accord avec notre communication, on n'est pas, on se sent pas obligés de vous faire ces 5 % (...) qui sont d'ailleurs un accord de coopération indépendant des prix généralement pratiqués (...)

Des prix, si vous voulez, aujourd'hui les tarifs sont, on ne peut pas faire comme on veut, on les fait pas à la tête du client (...) On a des lois, à partir du moment où un client rentre dans tel ou tel critères, on l'applique sans problème (...)

Je veux dire, vous comprenez bien que si vous déstabilisez nos prix, vous ne nous intéressez pas tellement donc on n'aura pas des rapports futurs ...cordiaux et sous entendus... (...)

Je vous demande vraiment de ne pas communiquer à des prix inférieurs aux prix. Vous avez parfaitement le droit de faire des cadeaux à vos clients, de faire des remises, de faire ce que vous voulez avec vos clients dans le magasin parce que ça se fait, tout le monde le fait. C'est certain, la tentation est grande, n'étant pas connu dans ce domaine là, d'attirer vos clients en disant être mieux placé en prix. Enfin, le problème, c'est que vous serez rattrapé : c'est-à-dire, le moins que vous faites, si vos concurrents les plus forts, enfin les plus connus se mettent à s'aligner sur vos prix, ce qu'ils feront automatiquement dès qu'il y aura une publication presse, ou qu'ils auront vent d'un truc comme ça, ça veut dire que 15 jours après on se retrouve tous à des prix similaires. Peut être qu'eux peuvent tenir le choc mais nous, ça nous déstabilise complètement (...)

Vous pouvez parfaitement mais mon produit vaut 1 990, vous me le communiquez à 1 990 (...)

Vous comprenez bien que la politique commerciale d'une société, est, si vous voulez, tous nos clients sont importants, mais notre politique commerciale, elle n'engage que nos clients (...)

Vous avez un compte qui est ouvert, si vous voulez chez nous, on est organisé comme ça, on n'a pas d'état d'âme. Le seul problème qu'on peut avoir, c'est que quelqu'un de vos concurrents se plaigne et après on sera obligé de faire en sorte de pas avoir de bons rapports. Il n'y a pas de menace du tout dans ce que je vous dis. Moi, je ne suis pas un bagarreur, je veux dire simplement que la politique commerciale de notre société est plus importante qu'un client (...)

Vous avez tous les droits mais nous, on a le droit de pas être content et après on agit comme des gens pas contents, vous voyez ce que je veux dire (...) Y'a pas de mais, moi, ou vous pratiquez les prix sur étiquette et communication presse et toutes communications extérieures visibles : ou vous pratiquez nos prix ou vous les pratiquez pas. Si vous ne les pratiquez pas, je vous dis pas qu'on bloque. Je vous dis pas rien du tout. Je vous dis simplement, vous avez très bien compris, on ne sera pas amis commerciaux (...) ".

Cassette n° 5 : conversation entre M. H (Pioneer) et M. X (TVHA) du 5 décembre 1997

135. M. H : " Mais tous les produits d'un concurrent notoire sont à moins de 25 % en publicité chez vous ou moins 20, on ne va pas jouer sur les mots. Ça j'en veux pas. Si vous voulez le faire avec nous, bah essayez, vous pouvez peut-être essayer mais de toute façon, on va vers des ennuis. Alors, c'est pas une menace ni rien du tout, c'est simplement de vous dire que travailler avec vous dans ces conditions là, ça ne nous intéresse pas du tout. Alors il y a la méthode, comme je vous ai dit ou vous nous évitez parce que vous avez envie de faire cette politique ou la méthode qui consiste à nous rentrer dedans et à ce moment là, nous, on fera ce qu'il faut pour vous rendre la vie désagréable (...)

Moi je vous dis simplement que dans cet esprit là, dans ce que je vois, c'est-à-dire la publicité que vous faites actuellement sur une grande marque ou sur des grandes marques n'est pas du tout en adéquation avec la politique commerciale de Pioneer donc ça ne nous intéresse pas. Alors bon on prend le risque d'être pété à ces prix là. Enfin moi je veux pas d'explication, il n'y a aucune explication. Ce n'est pas du tout dans cet esprit là que je suis venu vous ouvrir un compte (...)

Vous avez un compte ouvert parce que - à la limite, j'aurais su ce que vous faites il y a un mois, je n'aurais même pas ouvert le compte. Mais il est ouvert, il est ouvert. Eh bien si vous avez besoin de matos et que ce matos est disponible chez nous, vous l'aurez mais c'est tout. Moi je veux que tout soit très clair : nous, on n'est pas du tout intéressé par ce genre de truc parce qu'on sait très bien qu'un produit à moins de 25 % dans cette période là, ça déstabilise tout le marché et ce n'est pas pour autant qu'on en vendra plus. Voilà. Donc voilà ma position, elle est très claire, elle est très simple. Elle n'est même pas méchante à votre égard. Elle est simplement que je n'ai pas à négocier ...c'est pas du négociable si vous voulez, c'est pas du tout négociable. Alors montrez que vous voulez changer. Si vous ne voulez pas changer, et bien, je n'ai rien à vous dire, je n'ai rien à vous écrire, à vous dire, à vous faire, voilà. Vous avez un compte, vous avez tout ce qu'il faut pour travailler. Je ne veux pas vous en amener plus (...) ".

Cassette n° 5 : conversation entre M. H (Pioneer) et M. X (TVHA) du 10 décembre 1997

136. M. H : " Je ne suis pas enclin à vous défendre auprès de ma société. J'aimerais qu'on trouve un accord beaucoup plus loyal (...) Je pense qu'on n'a pas grand chose à nous dire tant que vous avez votre méthode. On est ouvert à tout le monde à condition que ça se passe comme on veut ".

Cassette n° 6 : conversation entre M. H (Pioneer) et M. X (TVHA) du 23 décembre 1998

137. M. H : " Je vous ferai signer un contrat mais il faudra qu'à ce moment là je vois votre patron, qu'on voit comment il veut travailler ...parce que si vous travaillez comme vous avez l'habitude ...moi ... je ...on ne signera pas de contrat. C'est très clair (...) (...) Ecoutez ...non mais attendez ... moi heu, vous avez une méthode de vente que vous faites pour une marque, pourquoi vous ne la feriez pas pour d'autres ...moi j'en crois rien, faut que, faut que votre politique commerciale change et puis moi je suis tout prêt à vous servir Monsieur ".

138. M. X : " D'accord. Si elle change pas vous ne résignerez pas de... ".

139. M. H: " Attendez, je vous ai dit que je vous ferai jamais de refus de vente mais je ne ferai rien pour vous arranger les choses ou pour vous être agréable (...) Et ça, je voudrais le dire à votre patron parce que vous savez, j'ai l'impression que vous ne comprenez pas très bien : on a des us et coutumes parce qu'on protège nos clients, on n'a peut être pas le droit mais on le fait. Et on se laissera pas faire par un seul client, je vous l'ai dit déjà (...) ".

140. Néanmoins, la société Pioneer a envoyé une lettre, le 26 janvier 1998, afin de s'excuser des retards dans l'exécution des commandes de TVHA et présenter les nouvelles conditions générales de vente conformes à la loi Galland ainsi que son tarif de base pour conditions 1998 (base HT). Un contrat dûment signé par Pioneer et TVHA pour 1998 a été renvoyé par courrier à TVHA le 18 février 1998. Enfin, Pioneer a livré 14 commandes de TVHA entre le 25 novembre 1997 et le 12 août 1998. TVHA n'a pas poursuivi ses commandes par la suite.

Les relations entre la Satair et TVHA à propos des produits Panasonic

141. Panasonic a édité et diffusé une liste de prix conseillés désignée sous le terme "PVMC". TVHA a souhaité s'approvisionner en produits Panasonic auprès de la Satair qui lui a tenu les propos suivants :

Cassette n° 18 : conversation du 12 mai 1998 entre M. I, commercial de la Satair et M. X (TVHA)

142. M. X : " Dans les fiches que vous m'avez données, PVMC ça veut dire quoi ? Prix de vente maximum constaté ? "

M. I : " Non : Prix de Vente Maximum Conseillé ".

M. X : " Maximum conseillé d'accord ".

M. I : " C'est le prix normalement imposé par Panasonic ".

M. X : " Donc on est obligé de vendre ce prix là ? "

M. I : " Normalement oui ".

M. X : " Parce que là c'est le document que vous m'avez donné, pas un document de Panasonic, c'est comme pour les autres marques, c' est le prix qu'ils imposent ? "

M. I : " Prix imposés, exactement ".

M. X : " D'accord. Par contre, si on le vend plus cher, il n'y a pas de problème. Si on le vend moins cher, ça risque de coincer ? "

M. I : " Oui ! "

M. X : " Ca risque de faire quoi ? "

M. I : " Ca risque que déjà, nous, on ne peut pas vous fournir. Vous n'aurez pas de produits ".

M. X : " Parce que là, Panasonic vous en fournirait pas ou c'est vous qui ne m'en fourniriez pas ? "

M. I : " Disons que, vous comptez faire quoi, une publicité avec un prix cassé sur le DVD ? "

M. X : " Non. Là je sors une pub avec les DVD donc j'ai pris plusieurs marques, donc c'était de voir au niveau du tarif ... ".

M. I : " Panasonic, pour savoir quel tarif vous pratiquez ? "

M. X : " Voilà, tout à fait ! "

M. I : " Il faut surtout pas le casser sinon vous êtes grillé au niveau de Panasonic en parlant crûment et nous, on est grillé en même temps et on ne pourra plus bosser avec eux s'ils voient que les tarifs sont cassés ".

M. X : " Oui mais moi, ils ne savent pas que je peux prendre chez vous ".

M. I : " Vous savez, tout se sait dans la profession ".

M. X : " Je veux dire des grossistes, moi j'ai pas mal d'adresses. Du Panasonic, je suis pas obligé d'en prendre chez vous. Je peux en prendre à ... ".

M. I : " Excusez-moi deux petites secondes (...) A ce moment-là, vous les prenez ailleurs si vous souhaitez casser le produit. Je préfère parler clairement (...) ".

M. X : " Parce que là, ils risquent de vous embêter ? "

M. I : " C'est pas ils risquent, ils nous embêteront c'est clair ! "

M. X : " Ils ne vous livreront plus ? "

M. I : " Exactement ! "

M. X : " Mais que sur ce produit là ou sur d'autres produits ? "

M. I : " Sur tout Panasonic (...) J'ai pas le tarif sous les yeux mais il faut vendre au prix indiqué. Faites-le si vous voulez. Au niveau de la société, ça ne pose pas de problème, simplement on ne vous fournira pas pour que par derrière vous ayez un produit bradé non pas au prix indiqué par Panasonic mais à un prix que vous aurez souhaité ".

Cassette n° 18 : conversation du 12 mai 1998 entre M. J et M. X

143. M. X : " M. J ? "

M. J : " Oui ! "

M. X : " Bonjour ! C'est Jospeh X TVHA (...) J'ai appelé votre collaborateur, c'était pour avoir des infos sur les DVD Panasonic, voir ce que ça donnait au niveau disponibilité et puis autrement c'était par rapport au prix de vente du produit, par rapport à la colonne PVMC c'est ça, il faut se tenir à ce prix là au niveau du prix de vente, c'est ça ? "

M. J : " C'est le prix constaté au niveau de ces produits, oui tout à fait (...) ".

M. X : " Je vais sortir une pub où j'ai mis des DVD d'un peu toutes les marques et je voulais avoir des précisions par rapport à, où je peux avoir du Panasonic, sur les prix et sur les disponibilité et puis aussi l'histoire de la remise ".

M. J : " (...) C'est les prix publics conseillés (...) ".

M. X : " Si on communique à un autre prix, ça peut poser un problème ? ".

M. J : " Oui

Disons que ça peut éventuellement poser un problème (...) ".

Par la suite, M. X n'a pas commandé de produits Panasonic à la Satair.

Les relations entre Toshiba et TVHA

144. L'ouverture d'un compte chez Toshiba n'a pas posé de problème à TVHA et s'est réalisée le 8 octobre 1997. Toutefois, à la suite de la publicité de TVHA le 11 novembre 1997, Toshiba a bloqué la commande n° 1 du 15 novembre 1997.

Cassette n° 2 : M. JP K, attaché commercial Toshiba a précisé à M. X le 24 novembre 1997

145. " Je viens d'avoir un courrier ne pas livrer ... il faut mettre un erratum ... j'ai les prix grand public que je vous avais communiqués. C'est ça qu'il faut publier (...).

146. Quand vous additionnez le tarif de base dont ils parlent eux, il ressort que vous êtes en dessous du prix d'achat, c'est très grave (...) vous mettez un produit comme le 827, vous multipliez par 21,6 ".

Cassette n° 4 : M. JP K, le 4 décembre 1997 confirme à M. X

147. " J'ai ordre : on ne veut pas travailler avec vous ... moi c'est terminé ... il m'a dit 'client éliminé' ". " ... ça m'étonnerait qu'on vous livre " ... " si le compte est bloqué en haut, ça m'étonnerait que vous soyez livré ".

Cassette n° 5 : conversation entre M. L, représentant Toshiba, avec M. X, représentant TVHA, en date du 4 décembre 1997

148. M. X : " Oui, je comprends, mais là M. V..., carrément, il m'a dit : 'je vais fermer votre compte et tout'. Je n'ai pas répondu à ça, c'était hallucinant ".

149. M. L : " Il faut le comprendre mais on n'a pas à dire ça s'il l'a dit au client. Mais un client qui est à 100 %, qui n'est pas en ligne avec la politique commerciale de la marque, il faut s'en séparer tout de suite parce que c'est un client qui pervertit tout le travail qui a été fait depuis trois ans sur une région ou sur un pays. Vous savez travailler avec les hypers, c'est ce qu'il y a de plus facile. Je veux dire, on y va demain, ils payent bien, on n'a pas de soucis, on livre centralement. Si on ne le fait pas, c'est qu'on a des raisons. Que des spécialistes malmènent un peu les éléments de la politique commerciale sur Toshiba, il ne peut pas accepter. Ca fait des années qu'il rame pour que cette marque soit reconnue des spécialistes, et elle l'est ; donc il faut être en ligne sur tous les éléments (...) Encore une fois, si on est en ligne sur tout, on fera tout pour vous satisfaire mais si on n'est pas en ligne sur le tout on ne fera rien pour vous satisfaire. Je préfère vous le dire car pour moi c'est la base de tout ... la manière de voir le business (...). Battez-vous sur des sujets de service, de valeur ajoutée, de démonstration de trucs et là vous aurez notre support à 300 %. Si c'est pour vendre en dessous du prix coûtant ou à prix coûtant, tout ce qu'on vous dit, ça ne nous intéresse que très modérément parce que c'est pas comme ça qu'on fait ce genre de métier, on le tue. Donc vous comprendrez qu'en tant que spécialiste, on est plus réservé, d'accord ? ".

150. Par courrier du 23 décembre 1997, TVHA a néanmoins demandé à Toshiba ses conditions générales de vente et l'ensemble de ses documents tarifaires. Dans une lettre du 7 janvier 1998, Toshiba a refusé de les lui communiquer en précisant qu'il était déloyal et illégal de la part de TVHA de faire de la publicité en citant la marque Toshiba en tant que marque d'appel alors même qu'elle n'avait pas encore passé commande. Toshiba a finalement envoyé les documents demandés le 23 avril 1998, précisant à TVHA : " nous attendons un courrier de votre part justifiant la cessation de ces agissements ". TVHA n'a pas repris contact avec Toshiba à la suite de ce courrier.

Les relations entre Yamaha et TVHA

151. Par courrier en date du 9 octobre 1997, TVHA a demandé à Yamaha la communication de ses conditions générales de vente, son contrat de coopération ainsi que l'ensemble de ses documents commerciaux. TVHA a pris contact à nouveau avec Yamaha le 7 avril 1998 :

Cassette n° 13 : conversation entre M. M (Yamaha) et M. X (TVHA) du 7 avril 1998

152. M. X : " Vous me connaissez comment ? "

M. M : " Tout simplement, vous savez que dans la profession heu ... tout se sait et que quand une ouverture de compte se fait chez quelqu'un, on sait quand il y a des problèmes ou pas. Moi, à l'heure d'aujourd'hui, je dirais, je ne veux pas de souci sur Grenoble alors que j'ai déjà un réseau traditionnel qui se suffit déjà très bien ".

M. X : " Mais, il y a des problèmes, des soucis... ".

M. M : " Disons qu'apparemment, au niveau des prix publics, vous ne pratiquez pas vraiment le prix à l'étiquette (...) ".

Mais moi, le problème, c'est que j'ai une politique commerciale qui fait que le prix que je vous indique est un prix à vendre, c'est-à-dire que si vous voulez, vous, vendre à un prix différent de ce que je vous indique, vous n'êtes pas dans la politique commerciale Yamaha.

Donc moi ça m'intéresse pas, vous voyez ce que je veux dire ? (...)

" C'est à dire, si je vous dis qu'un produit coûte 2 000 francs et que vous voulez le vendre 1 500 francs, vous allez non seulement être en dehors de mes conditions générales de vente, et d'une, et non seulement gêner mon réseau ".

153. M. X : " Vos conditions générales de vente ne m'obligent quand même pas à vendre 2 000 francs quand vous dites que vous vendez 2 000 francs ".

M. M : " Ah ben si justement (...) Donc c'est pour ça que ça m'intéresse pas d'ouvrir un compte chez vous puisque apparemment vous faites la même chose chez vos autres fournisseurs, enfin, chez les fournisseurs qui vous ont proposé leurs services. Alors, peut- être que eux, ils ont une taille plus importante qui leur permet de le faire mais moi je suis une petite société, d'accord, j'ai un réseau traditionnel à conserver qui à l'heure d'aujourd'hui me suit depuis des années et des années donc j'ai pas envie du jour au lendemain, pour faire peut être que 2 000 francs de plus dans l'année, détruire ce réseau traditionnel (...).

Le problème c'est que votre réputation vous a précédé (...).

Et qu'apparemment, vous pratiquez pas les prix publics. Donc moi, ça m'intéresse pas d'ouvrir à un client si je sais pertinemment que du jour au lendemain, vous risquez de faire de la remise sur mes produits ; alors ça m'intéresse pas du tout puisque déjà mes partenaires ne le font pas ".

M. X : " Vos partenaires, ils ne font pas de remises ? "

M. M : " Ah non ! "

M. X : " Ils ne font peut être pas de remises devant, mais ils le font par derrière ".

M. M : " Ah ! Mais ce qui se passe derrière, ça c'est pas un problème mais devant ils ne le font pas ".

M. X : " Et où est la différence au bout du compte ? "

154. M. M : " La différence au bout du compte, c'est que le consommateur, c'est à lui d'être un bon acheteur et au vendeur, c'est à lui d'être un bon vendeur ".

M. X : " Oui mais moi, je ne fais pas de remise, je fais des prix c'est tout, comme tout le monde. J'ai les prix, je les affiche, les clients me demandent un prix, je leur donne le prix que je fais. Je ne fais aucune remise. Je fais des prix. Je fais mes prix ".

M. M : " Eh oui ! Vous faites vos prix et pas les miens donc moi ça m'intéresse pas (...) Oui, mais le problème, je vais vous dire, c'est que si vous voulez que je vous ouvre un compte, que je m'aperçois que 24 heures après, que vous êtes en train de faire vos prix sur mes produits, moi ça ne me plaît pas. Si c'est pour que vous soyez gentil avec moi pour ... ".

M. X : " Non, non ! Il n'y a pas à être gentil ou pas gentil. Je peux quand même faire les prix que je veux sur les produits que je veux ".

M. M : " Ben non, ben écoutez non, non non. Ecoutez, faites un tour chez Darty, vous verrez que les prix qu'on leur a indiqué, c'est les prix qu'ils ont à l'étiquette ; et Darty, c'est 150 magasins en France, d'accord, c'est quand même 40 % du chiffre d'affaires de la télé, Hifi, vidéo, du blanc, et du brun au niveau national, d'accord, et quand on leur dit : ce produit là c'est 2 990, ils le mettent à 2 990. Je vois pas pourquoi, vous, M. X, TVHA à Grenoble, vous allez afficher des prix différents que ceux qu'affiche la politique Yamaha chez ses distributeurs " (...).

M. X : " A tous les distributeurs, vous leur dites, c'est tel prix, ils vendent tel prix ? "

M. M : " Oui bien sûr ! Tout à fait Monsieur (...) ". Faites le tour parce qu'apparemment vous ne connaissez pas vos concurrents sur le marché, mais faites le tour des grandes enseignes et des magasins spécialisés, prenez n'importe quelle référence dans mon catalogue ou en présentation dans le magasin (...) Prenez une référence, prenez le RXV592 qui est un ampli tuner prologic à 3 990, vous faites Darty, Boulanger, Fnac, plus les magasins traditionnels que vous trouvez dans l'annuaire et vous verrez qu'il sera à 3 990 partout. Et j'ai pas l'intention d'ouvrir un compte à TVHA pour qu'il soit à 3 490 parce que M. X choisit de le mettre à 3 490. Vous comprenez bien qu'à ce moment là, pourquoi les gens comme Darty, Boulanger, FNAC, ne mettraient pas les prix qu'ils veulent (...).

155. M. X : " C'est pas eux qui font leurs prix, c'est Yamaha ou les autres distributeurs ".

M. M : " C'est les fournisseurs, c'est les fournisseurs, effectivement. Il y a un prix généralement constaté, c'est un prix, effectivement, que l'on retrouve dans différentes enseignes ".

M. X : " Il est plus constaté, il est imposé en gros ".

M. M : " Non, il est constaté, il est pas imposé, il est constaté ou conseillé, on peut dire aussi conseillé ".

M. X : " Conseillé, ben, moi quand je vous dis qu'il est conseillé, c'est qu'il est pas obligatoire. Vous dites qu'il est obligatoire ".

M. M : " Oui, mais vous, d'après ce que vous êtes en train de me dire, c'est que vous allez le rendre complètement caduc dans le sens où vous allez faire vous même vos propres prix, et moi ça m'intéresse pas (...) ".

M. X : " Mais en fait il est imposé le prix, il est plus conseillé ".

M. M : " Si vous voulez, vous notez ça comme ça, c'est comme ça (...) ".

156. M. X : " C'est pas tellement en accord avec la loi du marché ".

M. M : " Ah ! bah si vous êtes pas content avec ce système-là, il faut à ce moment-là, je sais pas, déposer une plainte, heu ... contre tous les fabricants d'électronique, de blanc, de voitures, heu... ".

M. X : " Y'a des ententes sur les prix, en gros c'est ça qu'il faudrait que je fasse ".

M. M : " Ben voilà (...) ".

M. X : " Donc en fait, comme ça vous m'obligez à vendre au prix comme tout le monde ".

M. M : " Ben oui ! (...) "

M. X : " Vous me conseillez un prix. Mais en France, on est quand même libre de faire le prix qu'on veut ".

M. M : " Ben non ! (...) "

157. Yamaha a toutefois envoyé deux représentants visiter le magasin TVHA à la suite de cette conversation. Les deux rapports de visite du magasin TVHA établis le 30 avril 1998, puis le 4 mai 1998, concluent tous deux, à ce que ce magasin ne correspond pas aux critères commerciaux requis par Yamaha de la part de ses distributeurs agréés :

Rapport du 30 avril 1998 : " Pas de magasin de vente, une pièce dans laquelle figurent des affiches et des catalogues. Seuls 2 TV, 1 scope vitrine et 1 pseudo chaîne stéréo. A côté un bureau. Aucun intérêt pour notre marque ".

Rapport du 4 mai 1998 : " La superficie commerciale est de 30 m². Même dans ce faible bureau commercial, je n'ai vu ni entendu un appareil hi-fi ni audio-vidéo. Par contre, le bureau regorge de catalogues de marques différentes. Nous avons été reçus par M. X qui représente le magasin et M. Z. Après lui avoir lu et donné notre contrat et nos conditions générales de vente ainsi que le tarif hors taxe, nous l'avons quitté en lui confirmant qu'à ce jour, il ne respectait pas nos critères commerciaux et que nous ne pouvions lui ouvrir un compte. Il attend de notre part une confirmation écrite de cette réponse pour vraisemblablement trouver une faille et nous attaquer ".

158. Yamaha a en conséquence refusé l'ouverture d'un compte à TVHA.

b) Les déclarations des distributeurs

159. Au cours de l'enquête, plusieurs personnes dont les propos avaient été enregistrés sur les cassettes audio réalisées par M. X ont été entendues afin d'obtenir des explications sur leurs propos : M. E (SCIE CREL), M. F (SNER), M. C (Philips), M. J (Satair). De plus, plusieurs distributeurs de produits bruns à bas prix tels que les sociétés Connexion, Serap Communications, et les entreprises de vente sur Internet Marcopoly, Rue du commerce, et Clust ont fourni des explications sur la politique de prix conseillés de certains fabricants de produits bruns.

Déclaration de M. E, PDG de la SCIE CREL, en date du 18 septembre 2002

160. " La SCIE CREL est spécialisée dans le commerce de gros d'appareils électroménagers et de radio-télévision (...) Notre principal fournisseur est la société Philips qui réalise 40 à 45 % des achats électronique grand public. Avec Philips, les conditions commerciales sont restées constantes dans leur principe depuis que nous sommes en compte avec cette société.

Par rapport au prix facturé par Philips, nous ne connaissons que le prix net facturé (" tarif acheteur ") et par rapport à ce prix net, nous bénéficions d'une remise trimestrielle (.... Philips indique des prix " généralement constatés " ou " prix maximum " à l'attention des revendeurs finaux tels Darty, FNAC, Auchan, sachant que ces enseignes sont les principales références pour les consommateurs (...).

Par rapport aux prix généralement constatés ou conseillés par Philips ou d'autres fournisseurs, ceux-ci ont pour intérêt de fixer une limite maximum et nous sont communiqués oralement par des représentants de Philips ou des autres fournisseurs ; notre propre équipe de vente qui compte 7 commerciaux qui sont sur le terrain constatent que les prix constatés ou conseillés sont réellement pratiqués par les grandes enseignes de la distribution (Darty, Auchan, FNAC, Boulanger etc) (...).

Concernant le dossier Avantage : j'ai eu effectivement des pressions de la part de la société Philips à l'époque des faits pour ne pas livrer TVHA/Avantage ; au sein de la société Philips, il s'agit des commerciaux de la région Rhône-Alpes vraisemblablement avec qui nous étions en rapport ; ça n'est pas M. G, alors directeur général de Philips, qui m'a appelé en personne, c'est un appel de la direction Rhône-Alpes.

La raison invoquée par Philips était que M. X risquait d'avoir une politique de distribution qui mette à mal tout un réseau de distribution traditionnelle ; il faut noter que ce type de démarche aussi insistante de la part de Philips est exceptionnelle.

Concernant la formule que j'ai employée dans les enregistrements sonores réalisés par M. X 'il y a une levée de boucliers contre vous de la profession. C'est l'unanimité contre vous en tous cas' : je faisais référence à l'ensemble des fournisseurs que nous avons interrogés qui nous ont affirmé avoir les mêmes interrogations sur la société Avantage et nous ont mis en garde à son propos (Panasonic, Thomson...) (...) ".

Déclaration de M. F, PDG de la SNER, en date du 5 décembre 2002

161. " J'ai occupé les fonctions de PDG de la SNER depuis 1970 (...) Je me souviens que M. X avait demandé à ouvrir un compte auprès des grandes marques de l'électronique grand public, ce que nous savions par nos fournisseurs, Philips qui était notre principal fournisseur (à hauteur de 20 % environ du CA de la SNER en produits bruns et de près 10 % du CA global de la SNER) par le biais du directeur régional de Philips à Lyon, M. Frédéric C..., nous avait en particulier mis en garde sur les produits demandés par M. X qui étaient très demandés et de fait 'contingentés' par Philips (...).

Concernant l'enregistrement sonore du 10 avril 1998, cassette n° 14, page 1, je pense que la direction de Philips, direction nationale à Paris - à l'époque M. Michel G... était PDG - a été informée par la direction de Philips de Lyon du cas de la société Avantage. La phrase " on a eu un coup de fil de Philips (...) et une interdiction formelle de vous livrer " : j'ai dû dire cela à M. X pour me débarrasser de lui car il téléphonait très souvent.

Un jour, à cette époque, M. Frédéric C... m'a téléphoné de Paris et m'a précisé qu'il y avait eu une réunion au siège de Philips au cours de laquelle les comportements de M. X ont été évoqués et qu'en conséquence, tout le monde était au courant.

La phrase " même si on vous livre, ils sauront très vite parce qu'ils relèvent les numéros ; partant de là, moi aussi je peux me faire bloquer si réellement vous cassez les prix (...) sur des nouveaux produits, alors là il y aura des remontées radioactives dans les heures qui suivent " : j'ai prononcé cette phrase en faisant allusion à une situation réelle que certains de mes collègues ont déjà vécue de la part de Philips.

Concernant la phrase : 'avec toutes les grandes marques, on a des accords signés (...) avec des engagements à maintenir des prix qui sont effectivement hors la loi, c'est vrai, mais enfin tout le monde le fait quand même' : aussi bien Sony qui était le deuxième fournisseur de la SNER que Thomson et tous les autres fabricants de produits bruns agissent pour que les prix de revente conseillés lors de la sortie d'un nouveau produit soient strictement respectés par les revendeurs au moins dans les 3 à 4 mois pour les caméscopes, 6 mois pour les téléviseurs haut de gamme, également 6 mois pour les lecteurs DVD à cette époque.

Lorsque j'évoque dans ce même dernier enregistrement cité la 'règle du jeu', je faisais référence au respect des prix conseillés par les différentes marques auprès des revendeurs. Notre propre tarif SNER de base tenait compte des recommandations des fournisseurs ainsi que des relevés de prix IFR ".

Déclaration de M. J, directeur commercial de la Satair, en date du 4 octobre 2002

162. " En ce qui concerne nos relations avec la société Avantage de M. X à Grenoble : M. X avait été démarché par nos soins en 1998 suite à sa demande pour son magasin de Grenoble pour la vente d'antennes : il lui a été vendu, en 1998 et 1999, au total 7 antennes paraboliques car M. X était agréé Canal+ et Canal Satellite.

M. X m'a téléphoné deux fois aussi dans le but d'avoir des produits Panasonic, marque pour laquelle Satair Communication est distributeur agréé du réseau traditionnel (installateurs/antennes principalement) étant entendu que nous ne distribuons en produits bruns que cette marque, principalement pour les téléviseurs, sachant que la vente de produits bruns n'est pas notre métier de base (...).

Concernant les enregistrements sonores de M. X réalisés en mai 1998 lors d'une conversation téléphonique auprès de notre société Satair Communication : en dehors de moi-même, il a été procédé à un enregistrement d'une personne qui travaillait à l'époque dans notre société, M. Guy I..., qui a été licencié économique en 2000. Les " prix de vente généralement constatés " auxquels il est fait allusion correspondent aux prix marché de Darty, Boulanger, de la FNAC et tous les grands distributeurs spécialisés (...).

Jusqu'à présent, aucun commercial ou contrôleur de Panasonic n'est venu pour vérifier nos prix de revente.

Sur les enregistrements sonores, le fait que j'ai pu dire que 'les prix Panasonic étaient imposés' ou 'normalement imposés', je faisais sans doute allusion aux prix publics généralement constatés dont on sait qu'ils existent dans toute la profession (...).

Pour nous, le risque avec Panasonic - éventuel - était infime puisque nos volumes de transaction sont extrêmement faibles avec ce fournisseur et que par ailleurs l'épisode des enregistrements sonores de M. X relevait pour nous de la pure anecdote ".

Déclaration de M. Patrick N..., responsable des achats bruns à la Serap, en date du 12 juin 2002

163. " (...) Nos fournisseurs sont les principales marques représentatives du marché : Philips, Sony, Thomson, Panasonic comme les plus significatifs. Globalement, avec les fournisseurs suivants : Philips, Sony, Thomson, Panasonic, Toshiba, Pioneer, Denon, Yamaha, JVC, Lowe, nous n'avons pas de problèmes particuliers depuis 2/3 ans.

En revanche, nous avons eu quelques soucis avec Philips en 1997 . A cette époque, nous avions ouvert un magasin à Champagne Mont d'or (banlieue lyonnaise) qui a dynamisé le marché local. La relation avec Philips est alors devenue conflictuelle. Les concurrents locaux souhaitaient que nous remontions nos prix de vente sur les produits en magasin dont la marque Philips principalement. Il semble que Philips était certainement le plus réceptif aux demandes de nos concurrents locaux. Nous avons essayé alors de remonter nos prix à des seuils de rentabilité corrects alors que nous étions descendus à des niveaux très bas et peu rentables (...)

Par rapport à Philips et au cas de Lyon précité, il y a eu des réunions entre les responsables de Philips et les dirigeants de la SERAP - M. Ian O, président et M. Didier P, directeur des achats bruns à l'époque - qui avaient pour but de calmer les oppositions locales mais cela ne s'est pas traduit par une remontée immédiate de nos prix de vente. Je pense qu'en ce qui concerne la situation rencontrée avec les fournisseurs et principalement Philips sur la zone de Lyon, elle est due à la pression de la distribution locale - Darty, Auchan, Boulanger, Carrefour - sans que je puisse incriminer une enseigne plus qu'une autre (...) ".

Déclaration M. Q, PDG de la société " Marcopoly ", en date du 20 septembre 2002

164. " La société Marcopoly a été créée en 1998 ; elle est spécialisée dans la vente par correspondance par Internet de produit électroménagers - produits blancs - et de produits électroniques grand public- produits bruns - (...).

Nous traitons en direct avec les fournisseurs de l'électronique grand public ; il s'agit principalement des sociétés Sony, Thomson, Panasonic, Toshiba, LG ; Il faut noter que Philips n'a jamais voulu traiter avec notre société et a opposé une fin de non recevoir à nos demandes d'ouverture de compte auprès de cette société ; après plusieurs demandes de notre part, le directeur commercial de Philips nous a proposé des conditions commerciales difficiles à mettre en œuvre (caution de Wanadoo notre société mère, règlement au comptant à la livraison) auxquelles nous n'avons jamais donné suite. Considérant que nous avions des comptes déjà ouverts auprès des principaux fournisseurs en EGP, nous n'avons entrepris aucune démarche contentieuse contre Philips. Nous recourons à deux sociétés de vente en gros pour nos approvisionnements en produits Philips : DIF et les ETS Leger (...).

Les grandes marques de l'EGP font toutes des prix de revente conseillés dans leur catalogue que nous même nous appliquons car les prix conseillés nous permettent de ressortir un taux de marge de 15 à 20 % ce que nous considérons comme un minimum par rapport aux charges d'une société comme la notre (...).

Il nous arrive de pratiquer des dépositionnements de prix sur des produits qui sont en général en fin de vie mais nous demandons l'accord des fournisseurs pour cela, ce sont d'ailleurs les marques qui sont à l'origine des dépositionnements, ceci afin d'évacuer leurs stocks sur ces produits. Il y a des contrôles de prix de la part des commerciaux - ceci est vrai pour toutes les marques que nous distribuons - des différents fournisseurs afin de faire respecter les prix conseillés ".

Déclaration de M. R, directeur général de la société Rue du commerce en date du 1er octobre 2002

165. " La société Rue du commerce a été créée, en 1999, spécialisée dans la vente exclusive de produits high tech sur Internet (...).

Les achats de produits de l'EGP se font soit auprès des grossistes tels Tech-Data, Ingram qui sont des grossistes dans l'informatique ainsi qu'en direct auprès de la quasi-totalité des fabricants sauf Philips et Bose sachant que ces deux sociétés refusent de prendre en considération nos commandes sans nous donner de raisons précises, aucun écrit ne nous ayant été transmis à ce sujet. Bien que l'absence de ces deux marques - particulièrement Philips - dans nos gammes de produits soit préjudiciable à notre commerce et à l'exercice de la concurrence auprès des consommateurs, nous n'avons pas jugé utile de porter plainte ou d'entreprendre une action contre ces pratiques que nous jugeons discriminatoires. Je pense que du fait que les produits que nous vendons sont 10 à 15 % moins chers que chez les distributeurs classiques, Philips, par ailleurs premier fournisseur de Darty, ne souhaite pas vendre ses produits via Internet en général et par Rue du commerce en particulier - ceci en est de même pour Bose (...).

Rue du commerce travaille avec une marge globale de 17 à 18 % sachant que les produits de l'EGP sont à environ 16/17 de taux de marge ".

Déclaration de M. S, directeur général de la société Clust, en date du 25 octobre 2002

166. " (...) Clust SA a pour activité la vente sur Internet à destination des particuliers de matériels électroniques et informatiques pour la plus grande part (...). Concernant nos fournisseurs en produits bruns, ils représentent au total environ une cinquantaine de sociétés, pour l'essentiel des grossistes tels Tech-Data, DGH, RTS, etc ; nous nous servons également en direct chez certains fabricants (Goldstar, Pioneer, Denon, Toshiba). La raison essentielle pour laquelle il est difficile d'avoir un compte en direct auprès des plus grandes marques (Sony, Thomson, Philips, JVC, Samsung, Panasonic, Yamaha, Sharp, Grundig) réside dans le fait que notre société ne dispose pas d'un encours suffisant - raison qui est mise en avant par nos interlocuteurs - sachant que d'autres marques de premier plan - précitées - nous font pourtant confiance (...). En moyenne, Clust SA se situe à environ moins 10 % par rapport aux distributeurs traditionnels. Nous n'avons pas eu de la part de nos fournisseurs directs en produits bruns de mesures pénalisantes, eu égard à nos prix de revente (...)".

c) Les contrats de coopération commerciale de certains fournisseurs

167. Les contrats de coopération commerciale figurant dans le dossier sont ceux de Sony, Philips et Pioneer. Il s'agit de contrats-type proposés à leurs distributeurs entre 1997 et 2002.

Le contrat de coopération Marketing Sony

168. Il est prévu dans les contrats de coopération Marketing que Sony propose aux distributeurs signataires :

" D'une manière générale, Sony organise et gère elle-même la publicité entreprise au niveau national pour sa marque et ses produits. Elle encourage néanmoins le développement par ses distributeurs d'initiatives promotionnelles locales périodiques, visant à développer à intervalles réguliers la notoriété de la marque et des produits Sony dans la zone de chalandise du Distributeur (...)

1. Obligations du distributeur

Le Distributeur s'engage à réaliser ... actions marketing au cours de l'année ...ayant pour objet de développer la notoriété et la vente de la marque et des produits Sony. Ces opérations prendront la forme suivante :

Mailing, 1e semestre 2e semestre

Catalogues (...)

Modalités particulières/Autres Evènements

Tout usage ou reproduction de la marque Sony devra s'effectuer conformément à la politique d'utilisation de la marque Sony, telle que décrite dans le Contrat Marketing Européen pour les Distributeurs agréés Sony.

2. Rémunération

Compte tenu de l'impact envisagé des opérations marketing convenues, Sony versera au Distributeur une participation forfaitaire égale à 2 % de son chiffre d'affaires hors taxe (...)

Cette somme sera payée au Distributeur à l'issue de chaque trimestre, suivant la présentation par le distributeur d'une facture à cet effet, accompagnée de tout justificatif de nature à prouver la réalisation des actions marketing auxquelles il s'est engagé.

En l'absence de tels justificatifs, aucune participation ne pourra être versée ".

La charte Partenaire Qualité Philips

169. Dans ses contrats d'exercice, Philips propose à ses distributeurs d'adhérer à la " charte partenaire qualité service " en contrepartie d'une remise sur facture de 5 %. Cette charte comporte 20 services décrits en annexe dont :

- l'annexe " Campagnes publicitaires du revendeur - catalogues et dépliants édités par le revendeur " qui pose l'obligation pour le revendeur de prendre " toutes les précautions pour que les publicités ne soient pas en contradiction avec les campagnes de publicité nationale de Philips ou néfastes pour l'image de marque de Philips ".

- l'annexe " Groupement - Publicités et promotions ", qui pose l'obligation pour le revendeur d'" informer Philips de tous les faits constatés chez les adhérents à l'occasion d'une opération et susceptibles d'engager la responsabilité de Philips ou de porter atteinte à l'image de marque de Philips ".

L'accord de communication agréée de Pioneer

170. L'accord de communication agréée, proposé par Pioneer entre 1997 et 2001 à ses distributeurs, dispose :

" Dans le but de conforter et d'accroître l'image de marque de ses produits, Pioneer Division Grand Public et le Distributeur sont convenus de mettre en place le programme de communication et de mise en avant suivant :

Le distributeur __________________ s'engage à se conformer aux instructions que Pioneer Division grand public peut donner concernant le matériel de publicité, de promotion ou de communication par voie de presse, affiches, tracts, catalogues ou tout moyen de mise en avant des produits Pioneer ;

Le distributeur communiquera deux semaines à l'avance à Pioneer ledit matériel de publication ou de promotion concernant les produits Pioneer à l'exclusion de toute autre marque (...).

En contrepartie, Pioneer accordera une remise égale à 5 % du tarif de base Hors Taxes ".

D. Les griefs notifies sur la base des constations qui précèdent

171. Il a été fait grief aux sociétés Philips France et SCIE CREL (Société Commerciale Industrielle et Electrique et Comptoir Radio Electrique Lyonnais) de s'être concertées pour boycotter la société Avantage et l'empêcher de s'approvisionner en produits de marque Philips à des conditions non discriminatoires, faute pour TVHA de modifier sa politique commerciale afin de respecter les prix conseillés par Philips. Cette pratique qui a eu pour objet de faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu de la concurrence et d'évincer la société TVHA des marchés de l'approvisionnement en produits bruns est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

172. Il a été fait grief aux sociétés Philips France, Sony France, Toshiba Système France, Panasonic France SA, Yamaha Electronique France, Pioneer France SA d'avoir mis en place une entente verticale avec chacun de leurs distributeurs respectifs, ayant pour objet et pour effet de fixer les prix de revente au détail des produits bruns de leur marque. Cette pratique qui a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu de la concurrence est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

173. Au stade du rapport, le grief notifié aux sociétés Yamaha Electronique France et Toshiba Système France a été abandonné par la rapporteure.

II. Discussion

A. Sur la procédure

1. Sur les moyens tirés des irrégularités entachant la saisine

174. Selon la société Pioneer, il appartient au Conseil de la concurrence de déclarer la saisine nulle et irrecevable sur le fondement de l'article L. 462-8 du Code de commerce car le Conseil a été saisi le 28 mai 1998 par M. Joseph X, en qualité de directeur de la société TVHA alors qu'il n'était pas le gérant de la SARL Avantage et qu'il ne disposait pas de mandat de représentation au jour de la saisine. Selon Pioneer, la circonstance que M. Joseph X ait disposé d'un mandat en date du 20 juillet 2001 pour " représenter la société Avantage dans les procédures qu'elle entreprend et en particulier dans le cadre de l'évolution des procédures suite à la saisine du Conseil de la Concurrence " (annexe 4 cote 21) n'a pas pour effet de régulariser la recevabilité de la saisine, qui s'apprécie au jour de celle-ci. En outre, bien que le mémoire de saisine versé en annexe du rapport contienne effectivement un pouvoir en date du 26 mai 1998 (annexe 1 page 118). Il est avancé que ce pouvoir a probablement été versé au dossier après la saisine puisqu'il figure sur un papier à en-tête différent des courriers de saisine et au milieu d'une série de pièces qui n'ont rien à voir avec le mémoire de saisine. Enfin, la nullité de la saisine doit également être prononcée en l'absence de dénomination sociale dans les lettres de saisine.

175. L'article 30 du décret du 30 avril 2002 dispose que " La saisine du Conseil de la concurrence (...) précise (...) les noms, prénoms, dénomination ou forme sociale, profession ou activité, et adresse du domicile ou du siège social du demandeur ainsi, que le cas échéant, ses statuts et le mandat donné à son représentant (...)".

176. La société Pionner n'a pas contesté la recevabilité de la saisine lors de l'examen de la demande de mesure conservatoire par le Conseil et par la Cour d'appel de Paris. Le mémoire de saisine daté du 26 mai 1998 est accompagné d'une série d'annexes. L'annexe 2 de ce mémoire comprend une liste des pièces transmises, présentée de la manière suivante : " Annexe 2 : Conseil de la concurrence, TVHA, Ordonnance ... ". Sous la rubrique " TVHA ", se trouvent la publicité du 11 novembre 1997 à l'origine des difficultés de TVHA (page 117) et le pouvoir donné par M. Yann Z à M. Joseph X en date du 26 mai 1998, ainsi rédigé sur un papier à en-tête TVHA identique à celui du mémoire de saisine : " Je soussigné Yann Z, gérant de la SARL Avantage, donne tous pouvoirs à Joseph X, directeur de magasin, pour saisir le Conseil de la concurrence au fond et en demande de mesures conservatoires et pour ensuite représenter la société Avantage au cours de l'évolution des procédures ". Il a été valablement annexé au mémoire de saisine puis renouvelé le 20 juillet 2001, à la suite du changement de gérant. M. X a été régulièrement habilité pour représenter la société Avantage, auteur de la saisine, dont la dénomination, la forme sociale est établie tant par le pouvoir que par le mémoire de saisine où il est noté à la page 6 " la société Avantage, SARL au capital de 50 000 francs, a été créée en juillet 1997 (...) ". Le moyen soulevé par la société Pioneer doit donc être écarté.

2. Sur le moyen tiré de la prescription

177. La société Pioneer ajoute que la prescription est acquise, aucun acte n'ayant pu valablement interrompre la prescription de trois ans qui court à compter du 28 mai 1998, date de la réception de la saisine par le Conseil de la concurrence.

178. Aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce, " le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ". En l'espèce, la prescription a été interrompue le 2 août 1999, date de la transmission à la DGCCRF de la demande d'enquête formulée par le Conseil afin de permettre à ce dernier de statuer en connaissance de cause sur la saisine, puis le 26 juin 2003, date de transmission au Conseil du rapport administratif d'enquête par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. Par conséquent, le moyen doit être rejeté.

3. Sur le moyen tiré de la violation du secret des affaires de Philips

179. La société Philips prétend que le déroulement de la procédure est entaché de la violation du secret des affaires dans la mesure où elle avait précisé à la DNECCRF, par courrier du 21 mars 2003 (annexe 6, cote 298) transmettant un certain nombre de documents (annexe 6 cotes 299-336) : " s'agissant d'informations sensibles concernant les prix et les relations avec la clientèle, nous vous informons que nous demandons dès à présent à bénéficier de toutes les dispositions prévues par les textes visant la protection du secret des affaires (...) ". Cette demande étant restée sans réponse et les documents saisis ayant été versés au dossier, Philips estime que n'a pas été respecté à son égard le droit à la protection de son secret des affaires et qu'elle a subi de ce fait un " préjudice sérieux ".

180. En vertu de l'article L. 463-4 du Code de commerce dans sa rédaction applicable à la présente affaire, " le président du Conseil de la concurrence ou un vice-président délégué par lui, peut refuser la communication de pièces mettant en jeu le secret des affaires, sauf dans le cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à la procédure ou à l'exercice des droits des parties. Les pièces considérées sont retirées du dossier ou certaines mentions occultées ".

181. En l'espèce, la lettre adressée le 21 mars 2003 par Philips à l'enquêteur en charge du dossier ne contient aucune référence à l'article L. 463-4 du Code de commerce ni de précision sur les pièces concernées. Par conséquent, elle ne peut être regardée comme une demande tendant à ce que le président du Conseil de la concurrence statue en application de l'article L. 463-4 du Code de commerce. Philips avait la possibilité de faire cette demande dès le 21 mars 2003, l'affaire étant pendante devant le Conseil de la concurrence, à la suite de la décision de mesures conservatoires du Conseil de la concurrence en date du 8 septembre 1998. Elle ne peut pas soutenir qu'elle " était en droit de penser que ces documents ne seraient pas transmis au Conseil ". En effet, aucune disposition du Code de commerce n'autorise un enquêteur à décider, lui-même, de ne pas transmettre des pièces au Conseil au motif qu'elles seraient couvertes par le secret des affaires. A supposer qu'il soit opérant, le moyen doit donc être écarté en tout état de cause.

4. Sur le moyen tiré de l'instruction à charge contre Philips

182. La société Philips reproche aux services d'enquête et à la rapporteure d'avoir mené une instruction à charge dirigée spécialement contre elle, alors qu'en vertu d'un arrêt du 22 janvier 2002, la Cour d'appel de Paris a rappelé que " le rapporteur qui n'est pas lié par les qualifications proposées dans sa saisine, instruit le dossier à charge et à décharge".

183. Or, Philips considère que l'enquête " a curieusement ciblé spécifiquement Philips ", qui a été le seul des fournisseurs, visés par les enregistrements téléphoniques et la saisine, à avoir été interrogé par la DNEC, alors que la demande d'enquête visait également d'autres fournisseurs enregistrés. La société ajoute qu'elle se serait vu reprocher la présence de son directeur des affaires juridiques lors de l'audition, en termes parfois dépréciatifs. Elle estime qu'" un grand nombre d'éléments à décharge figurant au dossier ont été pour le moins estompés par la notification de griefs ", tels que les dénégations expresses de ses représentants ou les contestations du rapport d'enquête sur le taux de suivi des produits Philips. Enfin, Philips affirme que " les mesures d'instruction accomplies en complément du rapport administratif ont été exclusivement à charge, et spécialement contre Philips " ainsi qu'il ressort du courriel du 16 septembre 2004 adressé à M. X dans lequel la rapporteure lui demande " d'envoyer les documents qui démontrent que vous avez passé des commandes à Philips EGP et les autres fournisseurs de TV et magnétoscopes ainsi que tous les documents qui démontreraient des refus de livraisons ou des retards ", et du fait que TVHA ait été auditionnée à deux reprises.

184. En premier lieu, il a déjà été jugé que l'enquêteur n'était pas tenu d'entendre toutes les entreprises visées par les enregistrements (Cour d'appel de Paris, arrêt du 14 janvier 2003) et qu'il est conforme au principe de l'instruction à charge et à décharge, d'interroger l'entreprise la plus souvent mise en cause pour lui permettre de présenter ses observations sur les faits relevés par l'enquêteur. De plus, il n'est pas démontré que les termes employés par le rapport administratif d'enquête constatant la présence du directeur des affaires juridiques de Philips à l'occasion de l'audition soient de nature dépréciative.

185. En deuxième lieu, si certains éléments à décharge relevés par Philips dans ses observations n'ont pas tous été repris ou de " manière estompée " dans le rapport, ils figurent au dossier soumis à l'examen du Conseil qui apprécie l'ensemble des éléments qui y figurent à charge et à décharge.

186. En troisième lieu, les mesures d'instruction, accomplies en complément du rapport administratif au moyen des courriers électroniques envoyés à l'automne 2004, n'ont pas eu pour objet le recueil d'éléments à charge contre Philips. Le seul courrier électronique du 16 septembre 2004 (14H14) sur lequel se fonde Philips a eu pour objet d'obtenir communication de commandes passées par TVHA : il ne mentionnait pas seulement Philips mais " PHILIPS EGP et les autres fournisseurs de TV et magnétoscopes ". En outre, il faisait suite à une série de courriers électroniques en date des 15, 16 et 22 septembre 2004, tendant à obtenir des informations relatives aux fournisseurs et distributeurs de produits de l'électronique grand public non inclus dans la saisine : Philips, Toshiba, Pioneer, Yamaha, Panasonic, Denon, B&O, Thomson, etc. Il était également mentionné : " Si vous n'avez aucun document provenant de ces entreprises, précisez le." (annexe 4 cotes 26-31).

187. Enfin, il ressort d'un arrêt du 15 juin 1999 de la Cour de cassation que le rapporteur, " qui dispose d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de ses investigations " est libre de décide quelles auditions lui paraissent les plus utiles à l'instruction.

188. Il ne ressort pas, par suite, du dossier que l'instruction a été menée à charge, de sorte que le moyen doit être écarté.

5. Sur le moyen tiré de la durée excessive de la procédure

189. La société Panasonic demande l'abandon du grief à son encontre compte tenu de la durée excessive de la procédure, ce qui doit en entraîner la nullité au regard de l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme (CEDH). Panasonic précise que l'ancienneté des faits, intervenus il y a près de sept ans, la met dans une extrême difficulté pour assurer sa défense, et ce d'autant plus qu'elle a mis en place un plan social en 2004 à l'origine de nombreux départs affectant la division électronique grand public. Par ailleurs, le changement du siège de l'entreprise a entraîné la perte de documents concernant la période 1998-2002, qui auraient pu contribuer à la préparation de sa défense.

190. Il résulte d'une jurisprudence constante qu'à supposer les délais de la procédure excessifs au regard de la complexité de l'affaire, la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sauf s'il était établi que cette durée excessive a irrémédiablement compromis les droits de la défense (voir notamment sur ce point l'arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2003). Dans le même arrêt, la Cour de cassation a jugé que les difficultés alléguées, dues à des causes internes aux deux sociétés tenant aux changements intervenus dans leurs directions respectives par suite de leur fusion, sont sans lien avec le déroulement de l'instruction et de la procédure suivie devant le Conseil et que " les entreprises ne peuvent, pour étayer la thèse qu'elles développent sur la durée anormale de la procédure, s'appuyer sur des circonstances étrangères à cette dernière ". Or, les faits évoqués par Panasonic, mise en place d'un plan social en 2004, transfert du siège de Panasonic en décembre 2004, sont étrangers à la procédure et la société n'explique pas quel type de documents sont perdus et en quoi ils auraient pu contribuer utilement à sa défense.

191. Le moyen relatif à la nullité de la procédure doit être écarté.

6. Sur la force probante du procès-verbal de M. E

192. La société SCIE CREL soutient que le procès-verbal de M. E en date du 18 septembre 2002 (annexe 7 cotes 337-345) serait dénué de force probante et irrégulier au regard de l'article 429 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction modifiée par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence en ce qu'il ne comporte pas la liste des questions auxquelles M. E a répondu. Selon la société, cette analyse aurait été validée dans une décision n° 03-D-07 du 4 février 2003 : " si le Conseil de la concurrence reconnaît aux parties le bénéfice de certaines garanties inspirées de celles applicables à la procédure pénale, les dispositions de l'article 429 du Code de procédure pénale telles que modifiées par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, invoquées par les sociétés susvisées et selon lesquelles : "Tout procès-verbal d'interrogatoire ou d'audition doit comporter les questions auxquelles il est répondu", n'étaient, en tout état de cause, pas applicables aux procès-verbaux figurant dans l'enquête, qui ont été rédigés avant l'entrée en vigueur de ce nouveau texte, le 1er janvier 2001 ".

193. Cette décision en se référant à la date d'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 pour écarter son application, n'a pas tranché la question soulevée. L'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 n'a pas eu pour effet de modifier les règles spécifiques applicables à l'élaboration des procès-verbaux dressés en application des articles L. 450-2 et L. 450-3 du Code de commerce, qui n'ont pas à être établis conformément aux règles de l'article 429 du Code de procédure pénale mais selon les dispositions spécifiques applicables à la procédure devant le Conseil. Les procès-verbaux d'enquête, lorsque, comme en l'espèce, ils recueillent des déclarations, n'ont pas à être rédigés sous forme de questions et de réponses pour être valables. Le moyen est donc écarté.

194. En l'espèce, si le procès-verbal de M. E a été rédigé postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence il est intitulé : "Procès-verbal dressé en application des articles L. 450-2 et L. 450-3 du Code de commerce " et précise " Avons recueilli les déclarations de M. François E ". Il ne s'agit pas d'un procès-verbal d'interrogatoire ou d'audition au sens de l'article 429 du Code de procédure pénale mais d'un procès-verbal d'enquête établi conformément aux dispositions spécifiques applicables à la procédure devant le Conseil, de sorte qu'il ne devait pas comporter les questions. Le moyen est rejeté.

7. Sur le caractère déloyal des enregistrements sonores effectués par TVHA

195. M. X a enregistré, à l'insu de ses interlocuteurs, plusieurs conversations téléphoniques qu'il a eues avec des représentants de fournisseurs de produits d'électronique grand public ou avec des grossistes avec lesquels il est entré en relation. Certains de ces enregistrements ont été communiqués au Conseil à l'appui de la saisine, sous forme de cassettes accompagnées de retranscriptions écrites.

196. Lors de l'examen de la demande de mesure conservatoire présentée par la société TVHA, le Conseil, après avoir cité un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 20 mai 1994 et un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 juin 1993, a, dans sa décision n° 08-D-98, considéré qu'il est chargé de la défense de l'ordre public économique et non de se prononcer sur le bien-fondé des demandes dirigées par une partie contre une ou plusieurs autres, et qu'en conséquence, par application des principes dégagés par le juge pénal, il n'y avait pas lieu de retirer du dossier les enregistrements des conversations téléphoniques et leur transcription.

197. Des recours ont été formés contre la décision de rejet de la mesure conservatoire prononcée, le 8 septembre 1998, pour contester la recevabilité de ce mode de preuve. Ils ont été rejetés par la Cour d'appel de Paris, par arrêt du 4 décembre 1998, et par la Cour de cassation, le 27 mars 2001, qui ont relevé que les parties pouvaient critiquer les modes de preuve qui seraient retenus dans le cadre de l'examen de la saisine au fond par l'exercice des voies de recours contre la décision prononcée sur le fond.

198. L'ensemble des parties en cause est donc recevable à contester à nouveau, à l'occasion de la procédure au fond, la possibilité pour le Conseil d'utiliser des enregistrements sonores et de leurs retranscriptions écrites au motif qu'il s'agirait de procédés de preuve déloyaux.

a) Jurisprudence de la Cour de cassation

199. Différentes chambres de la Cour de cassation se sont prononcées sur l'application du principe de la loyauté des preuves à des enregistrements réalisés à l'insu des personnes dont la conversation téléphonique a été enregistrée :

* sur le fondement des articles 6-1 de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) et 9 du nouveau Code de procédure civile (NCPC), la Chambre commerciale a rendu, le 25 février 2003, un arrêt à propos d'un enregistrement réalisé par un distributeur pour démontrer les conditions abusives de la rupture d'un contrat de concession automobile :

" Mais attendu qu'il n'est pas contesté que l'enregistrement téléphonique litigieux a été effectué dans les locaux de la société Droa et par son gérant, à l'insu de son correspondant, le directeur commercial de la société Toyota, ce dont il ressort que ce moyen de preuve, sous sa forme sonore ou écrite, avait été déloyalement obtenu, la cour d'appel a à bon droit décidé de l'écarter des débats " ;

* sur le fondement des mêmes articles complétés par l'article 8 de la CEDH, la 2ème Chambre civile a rendu, le 7 octobre 2004, un arrêt à propos d'un enregistrement d'une conversation relative au refus de remboursement d'un prêt, retenu comme mode de preuve par la cour d'appel : " Qu'en statuant ainsi, alors que l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

* sur le fondement de l'article 9 du nouveau Code de procédure civile, la Chambre sociale a rendu, le 20 novembre 1991, un arrêt indiquant : " Attendu que, si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite " ;

* en revanche, la Chambre criminelle, se fondant sur l'article 427 du Code de procédure pénale a rendu un arrêt, le 15 juin 1993, selon lequel " les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; il leur appartient seulement d'en apprécier la valeur probante ; méconnaît les dispositions de l'article 427 du Code de procédure pénale la cour d'appel qui déclare irrecevable en preuve, un document produit par la partie civile poursuivante parce qu'elle n'avait pu l'obtenir que de façon illicite ".

Cette solution a été reprise, par l'arrêt du 13 octobre 2004, selon lequel " Attendu que, pour rejeter la demande de retrait de la procédure de la cassette contenant l'enregistrement, effectué par Bertrand E à l'insu de Bernard X, d'une conversation échangée avec ce dernier, l'arrêt attaqué relève que cette cassette, ayant fait l'objet d'une expertise qui a authentifié les propos tenus, a été soumise à la libre discussion des parties ; Attendu qu'en cet état, et dès lors que cet enregistrement ne constituait que l'un des éléments probatoires laissés à l'appréciation souveraine des juges, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des dispositions légales et conventionnelles invoquées ".

b) Position des parties

200. Les parties défenderesses demandent, d'une part, qu'il soit fait application de la jurisprudence de la chambre commerciale qui se réfère à l'article 6-1 de la CEDH et devant laquelle sont portés les pourvois contre les arrêts statuant sur les décisions du Conseil. Si ce dernier n'a pas pour mission de trancher un litige entre entreprises, il ne saurait rester, selon elles, étranger aux débats qui se déroulent devant lui concernant les principes et les règles applicables à un procès civil, notamment la loyauté des preuves que les entreprises lui soumettent dès lors qu'il peut être saisi par les entreprises. Les preuves devraient être appréciées de la même façon dans une instance qui se déroule devant le Conseil ou devant une juridiction civile ou commerciale saisie d'une action en responsabilité concernant les mêmes pratiques.

201. Les parties défenderesses demandent, d'autre part, qu'il ne soit pas fait application de la jurisprudence de la chambre criminelle qui repose sur l'article 427 du Code de procédure pénale relatif à la liberté de la preuve en matière pénale. Elles font valoir que cet article serait un texte spécial ne liant que le juge pénal et qu'en l'absence d'un texte régissant l'admissibilité des preuves devant le Conseil, le principe général de la loyauté de la preuve doit s'appliquer. La solution de la Chambre criminelle ne saurait être étendue à la procédure devant le Conseil car en permettant à des personnes privées (les parties) de se prévaloir de preuves déloyales alors que l'autorité publique ne saurait elle-même y avoir recours, elle est injustifiée et dangereuse. Ainsi la Chambre criminelle, dans un arrêt du 27 février 1996, aurait approuvé une cour d'appel d'avoir écarté de la procédure des enregistrements sonores réalisés à l'insu des personnes concernées en présence d'enquêteurs de police qui ont prêté leur assistance car ce procédé aurait constitué un stratagème de nature à vicier la procédure. Les parties font remarquer que, dans l'arrêt du 13 octobre 2004 ci-dessus cité, la chambre criminelle a renforcé les exigences pour admettre l'enregistrement réalisé par une personne privée en prévoyant qu'il doit avoir été authentifié par une expertise. Enfin, elles considèrent que le régime des preuves admis dans le cadre de la procédure pénale n'est pas transposable à la procédure devant le Conseil, même s'il est indéniable que le Conseil est chargé de la défense de l'ordre public économique pour les raisons suivantes : premièrement, une distinction doit être faite, au sein même du droit de la concurrence, entre les sanctions pénales infligées par le juge pénal (article 420-6 du Code de commerce) et les sanctions administratives prononcées par le Conseil, autorité administrative indépendante ; deuxièmement, le Conseil accomplit une mission d'autorité de marché dont l'action corrective apparaît plus déterminante que l'action répressive et à cet égard, à la différence du juge pénal, il ne peut prendre parti sur l'opportunité des poursuites ; troisièmement, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation (Com., 17 juillet 2001) comme de celle de la Cour d'appel de Paris (4 juillet 2003) que le Conseil ne peut appliquer les règles de la procédure pénale telles que celles relatives à la prescription.

202. En réponse à l'argumentation des parties, il convient de mettre l'accent sur l'autonomie de la procédure suivie devant le Conseil et sur le principe de la liberté de la preuve appliqué à cette procédure.

c) Autonomie de la procédure devant le Conseil

203. Si la jurisprudence montre que, pour combler les lacunes des dispositions réglementant la procédure devant le Conseil, il a été fait application, dans certains cas, des règles de procédure civile et, dans d'autres, de celles de la procédure pénale, le droit processuel applicable au Conseil, qui est une autorité administrative indépendante prenant, pour l'essentiel, des décisions ayant le caractère d'une punition, tend vers l'autonomie.

204. Compte tenu de son pouvoir de sanction qui conduit le Conseil à statuer sur des griefs assimilés à des " accusations pénales " au sens de l'article 6 de la CEDH, certains principes du droit à un procès équitable rappelés par cette convention sont applicables, tels que le respect des droits de la défense, de la contradiction, de l'impartialité et de l'indépendance des personnes qui exercent cette fonction. Mais selon la Cour européenne des Droits de l'Homme, " si la convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors relève au premier chef du droit interne " (CEDH, 25 mars 1999, Pélissier et Sassi c/ France ; CEDH, 8 février 2005). La Convention européenne ne peut avoir pour effet d'exclure, par principe, l'admissibilité de tel ou tel élément de preuve, même recueilli de manière déloyale ou illégale. Elle retrouve cependant son empire en ce qui concerne le mode d'administration de la preuve, qui fait partie du droit à un procès équitable.

205. L'article 9 du nouveau Code de procédure civile selon lequel " il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention " est le fondement retenu par les chambres civiles de la Cour de cassation pour déclarer irrecevable un procédé de preuve déloyal. Les dispositions de ce Code définissent les principes directeurs du procès civil qui ont été appliqués à la procédure devant le Conseil. Ainsi, la Cour d'appel de Paris et la Cour de cassation s'y sont référées pour définir le rôle respectif du juge et des parties, les principes des droits de la défense et de la contradiction (CA Paris, 25 janvier 1994, société Frappaz), la mise en cause indispensable des parties (Cass. com. 15 juillet 1992, SA Pluri-Publi). Ces principes sont, en réalité, ceux qui découlent du droit à un procès équitable garanti par la CEDH qui, comme il a été rappelé ci-dessus, ne concerne pas les conditions d'amissibilité de la preuve. De même, les juridictions de contrôle ont emprunté aux procédures juridictionnelles les règles applicables à l'introduction, ou au désistement de l'instance, et à l'objet ou aux moyens des recours pour combler les lacunes des dispositions réglementaires régissant la procédure devant le Conseil.

206. Cependant, la Cour de cassation a affirmé que les dispositions du nouveau Code de procédure civile ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil : elle a ainsi approuvé la Cour d'appel de Paris d'avoir retenu que les déclarations recueillies dans des conditions déloyales par les enquêteurs devaient être écartées sans que la partie intéressée ait à démontrer, comme l'exige la procédure civile, l'existence d'un préjudice particulier (Com. 14 janvier 2003 n° 00-16962, ministre chargé de l'Economie/ soc. Socae et HE Mas).

207. L'article 9 du Nouveau Code de Procédure Civile, qui fonde les règles de preuve d'un procès dirigé par une partie contre une autre pour demander notamment réparation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle, ne s'applique pas à la procédure spécifique devant le Conseil dans laquelle le saisissant n'a pas la direction du procès, procédure qui n'a pas pour objet de se prononcer sur le bien-fondé des demandes dirigées par une partie contre une ou plusieurs autres, mais de sanctionner cette pratique anticoncurrentielle au nom de la défense de l'ordre public économique. Cette spécificité a été rappelée par le Conseil dans sa décision n° 04-D-46 qui relève que la procédure suivie devant le juge civil ou commercial est indépendante de celle suivie devant lui, même s'il est autorisé, en vertu de l'article L. 463-5 du Code de commerce, à demander aux juridictions d'instruction et de jugement la communication de procès-verbaux et rapports d'enquête ayant un lien direct avec les faits dont il est saisi. La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 8 septembre 1998 (Coca-cola Entreprise, Orangina France et Igloo Post Mix) a mis en évidence les caractéristiques de cette procédure en considérant " que la décision du Conseil de la concurrence, même si elle a le caractère d'une punition, est une décision administrative non juridictionnelle ; que rendue par un organisme qui remplit une mission ayant pour finalité la défense de l'ordre public économique, elle n'intervient pas pour satisfaire à la demande d'une partie mais sanctionne les pratiques anticoncurrentielles dont le Conseil, régulateur du marché, a pu établir l'existence " C'est pourquoi, le principe de la loyauté des preuves tel qu'il résulte de l'interprétation donnée par la jurisprudence à l'article 9 du NCPC n'est pas applicable à une instance engagée devant le Conseil.

208. L'article 427 du Code de procédure pénale prévoit : " Hors le cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ". Loin d'être l'expression d'une règle de preuve spécifique au procès pénal, il énonce le principe de la liberté de la preuve qui, certes, s'applique au procès pénal mais aussi au Conseil de la concurrence et à d'autres autorités administratives indépendantes lorsque, après avoir statué sur des griefs assimilés à des " accusions pénales ", ils sanctionnent des comportements d'entreprises. En application de ce principe, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, s'agissant du respect de l'intimité de la vie privée, estimé que " les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale "(Cass. Crim. 6 avril 1993 JCP E 1993, I, 22144) et refusé d'écarter des enregistrements faits à l'insu de la personne concernée dans les deux espèces ci-dessus citées. Toutefois, la loyauté de la preuve s'impose aux autorités de poursuite. Ainsi, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir écarté de la procédure des enregistrements sonores réalisés à l'insu de la personne concernée qui avait, de plus, été incitée à commettre un délit, le tout en présence d'enquêteurs de police. La cour d'appel avait, dans ce contexte, considéré que les enquêteurs avaient participé à un stratagème de nature à vicier la procédure et à porter atteinte au principe de la loyauté des preuves (Cass. Crim. 27 février 1996, D. 1996, J. p. 346).

209. Il n'est pas rare que le Conseil, sans les appliquer directement, se réfère à des règles dégagées par le juge pénal afin de reconnaître aux parties le bénéfice de certaines garanties et d'assurer sa mission de défense de l'ordre public économique. Ainsi, il s'est inspiré de l'article 429 du Code de procédure pénale pour se prononcer sur la recevabilité d'un procès-verbal d'interrogatoire ou d'audition (décision n° 03-D-07, confirmée par la cour d'appel dans un arrêt du 18 novembre 2003) et de l'article 6 du Code de procédure pénale pour se prononcer sur la règle non bis in idem (décision n° 02-D-62, confirmée par la cour d'appel dans son arrêt du 17 juin 2003). Ces décisions montrent que le contrôle exercé par les formations civiles et commerciales de la cour d'appel et de la Cour de cassation ne font pas obstacle à des emprunts à la procédure pénale contrairement à ce que prétendent les parties.

210. Cependant, la Cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 4 juillet 2003, a censuré la référence explicite, faite par le Conseil dans sa décision n° 02-D-42, aux règles de la prescription de l'action publique prévues par l'article 7 du Code de procédure pénale pour déterminer les actes interruptifs de prescription, en procédant seulement à l'analyse de l'article L. 462-7 du Code de commerce qui les définit. Auparavant, en ce qui concerne le même article, la Cour de cassation dans un arrêt du 17 juillet 2001, avait cassé un arrêt de la cour d'appel du 9 mars 1999 au motif qu' " en ajoutant au texte susvisé (article 27 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 462-7 du Code de commerce) un cas de suspension qu'il ne prévoit pas, la cour d'appel l'a violé ". La censure ainsi opérée s'explique par le fait qu'il existe un texte spécial relatif à la prescription des faits dans les procédures dont est saisi le Conseil mais cette solution n'interdit pas, qu'en l'absence de dispositions légales ou réglementaires, il soit possible pour le Conseil de s'inspirer des règles de procédure pénale lorsque, comme en matière de preuve, le rôle des parties dans la recherche et l'administration de la preuve est semblable. L'évolution de la jurisprudence, et notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 septembre 1998 (Coca-Cola Entreprise, Orangina France et Igloo Post Mix), qui met l'accent sur le rôle spécifique du Conseil dans ses fonctions de régulateur du marché, conduit néanmoins à affirmer l'autonomie de la procédure devant le Conseil, comme cela a été le cas pour la définition des actes interruptifs de prescription dans la décision n° 05-D-19 du 12 mai 2005.

d) Le principe de la liberté de la preuve devant le Conseil

211. Comme il en est ainsi pour toutes les autorités de concurrence appelées à sanctionner des pratiques anticoncurrentielles, la preuve de l'existence de telles pratiques incombe au Conseil de la concurrence et non aux parties saisissantes. La seule obligation que met à la charge de ces dernières le Code de commerce est celle d'étayer les faits invoqués par des éléments suffisamment probants : en l'absence de tels éléments, le Conseil peut, en application du deuxième alinéa de l'article L. 462-8 du Code de commerce, rejeter la saisine par décision motivée. Une telle décision n'est ni un classement ni un non-lieu à poursuivre mais un rejet en l'état du dossier présenté au Conseil. Il appartient donc aux parties d'apporter non pas la preuve de pratiques anticoncurrentielles mais tous éléments, indices, commencements de preuve de nature à convaincre le Conseil qu'après instruction au fond, il peut y avoir matière à caractériser éventuellement des infractions aux règles de la concurrence.

212. A l'exception des dispositions précitées de l'article L. 462-8 du Code de commerce, il n'existe aucun texte traitant de la preuve devant le Conseil. Celle-ci peut donc être établie par tous moyens et la jurisprudence, sans exclure la preuve directe des pratiques anticoncurrentielles, retient de façon prédominante la preuve fondée sur l'existence d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants. Ainsi pour démontrer l'existence d'une entente dans le secteur de la distribution " il convient de rechercher si les faits recueillis au cours de l'instruction comportent des indices de concertation et d'accord de volonté entre producteurs et distributeurs ; que peuvent constituer de tels indices, d'une part, des éléments permettant de penser que des prix de vente au détail ont été évoqués au cours de négociations commerciales entre ces fournisseurs et distributeurs, d'autre part, le fait que ces prix déterminés auraient été effectivement pratiqués par ces distributeurs, ce qui traduirait l'existence d'un accord de volonté, et donc d'une entente ; que pourraient constituer également des indices pertinents des éléments montrant qu'un système de contrôle de prix aurait été mis en place, un tel système étant en général nécessaire au fonctionnement durable d'une entente sur les prix " (décision n° 02-D-42 du 28 juin 2002). La preuve est faite à l'aide de plusieurs indices qui établissent la réalité de faits et dont la réunion permet de démontrer l'existence d'une entente.

213. Le Conseil a pris position sur la loyauté des preuves dans deux décisions. Dans sa décision n° 98-D-01 du 7 janvier 1998, le Conseil a admis le procédé consistant pour un membre d'une association de consommateurs à s'informer auprès d'un secrétariat d'un barreau d'avocats du prix d'un référé et à verser, ensuite, cette pièce comme élément probant au soutien de sa saisine. Dans sa décision n° 94-D-30 du 24 mai 1994, il a répondu de la manière suivante à la demande de nullité de la procédure présentée par la société Béton France qui soutenait que le relevé des prix versé aux débats provenait d'un recel de vol et qu'une transcription sur bande magnétique d'extraits de deux conversations avait été effectuée à l'insu des représentants de Béton France : " Considérant que les enregistrements susmentionnés qui ont été effectués par l'un des participants aux deux réunions reproduisent des conversations d'ordre strictement professionnel ; qu'il n'y a pas lieu dans ces conditions de retirer cette pièce du dossier ; Considérant..., que le relevé de prix susmentionné a été obtenu par la commission d'un délit... ; que cette pièce n'a pas été retenue à l'appui du grief d'abus de position dominante notifié dans le rapport ; qu'en conséquence, elle doit être retirée du dossier sans qu'il y ait lieu de considérer la procédure comme viciée dans son ensemble ; " Ces décisions montrent que si le plaignant ne peut pas produire une preuve qu'il a obtenue en commettant un délit, il ne lui est pas interdit, par principe, de faire état d'éléments recueillis en " testant " une entreprise par une démarche prétendument présentée par un consommateur (procédé loyal) ou en enregistrant une conversation d'ordre professionnel au cours d'une réunion (procédé qui peut être considéré comme déloyal). Ce pragmatisme est compréhensible, dans la mesure où il est malaisé pour une entreprise ou une association de consommateurs victimes de pratiques anticoncurrentielles, et notamment d'ententes secrètes mettant en cause des entreprises averties des risques qu'elles encourent ou même d'agissements unilatéraux, tels que des refus de vente, dont les vraies raisons sont souvent cachées, d'appuyer les faits décrits par des éléments tangibles qui sont rarement révélés par des écrits.

214. En revanche, le Conseil veille strictement à ce que, lors du déroulement des enquêtes ou de l'instruction, ni le rapporteur, ni les enquêteurs n'utilisent des procédés déloyaux. Dans sa décision n° 97-D-40 du 4 juin 1997, le Conseil a écarté les procès-verbaux de déclarations de chauffeurs de taxis au motif que les enquêteurs qui les avaient interrogés s'étaient fait passer pour des clients, puis avaient pris leurs déclarations sans faire connaître l'objet de l'enquête. Dans sa décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004, le Conseil a vérifié que les enregistrements des interventions orales du président de la fédération avaient été communiqués aux enquêteurs dans des conditions régulières. La Cour d'appel de Paris a, dans son arrêt du 8 avril 1994, (Hyperallye, recours contre la décision n° 93-D-24) considéré que l'obligation de loyauté doit présider à la recherche des preuves par l'enquêteur ou le rapporteur et, à propos des déclarations faites au cours de l'enquête administrative, rappelé que l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit le droit de toute personne de ne pas être forcée de témoigner contre ellemême ou de s'avouer coupable.

215. Dans le silence des textes et en l'état actuel de la jurisprudence, il appartient en définitive au Conseil de mettre en balance trois considérations pour apprécier si des éléments probants apportés par une partie dans des conditions qu'une autre partie estime déloyales peuvent être ou non maintenus au dossier.

216. La première est celle, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, que le Conseil exerce une mission essentiellement punitive, qui le conduit à statuer sur des griefs assimilés à des accusations pénales au sens de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Même si l'article 427 du Code de procédure pénale n'est pas applicable à la procédure suivie devant lui, il existe de fortes raisons de s'inspirer des règles qui gouvernent la preuve devant le juge répressif appelé à décider, d'après son intime conviction, à partir d'éléments qui lui ont été librement apportés au cours du procès. De ce point de vue, le moyen tiré de l'illicéité ou de la déloyauté des conditions dans lesquelles auraient été obtenues les preuves apportées par les parties, à la différence de celles recueillies par les autorités de poursuite, n'est pas de nature à conduire le juge pénal à écarter, de ce seul fait, les éléments qui lui sont fournis.

217. La deuxième considération est celle de l'efficacité qui doit présider à l'action du Conseil, garant de l'ordre public concurrentiel et " régulateur des marchés " comme l'a qualifié la Cour d'appel de Paris. Cette considération d'efficacité de la poursuite d'un ordre public économique, qui est inhérente à la fonction de régulation, peut justifier, dans certains cas, la recherche de solutions adaptées, qui s'éloignent des règles applicables à un procès pénal. C'est dans un tel souci d'efficacité que la jurisprudence communautaire et nationale a considéré que loin de contraindre les autorités de concurrence, le principe de la personnalité des peines ne faisait pas obstacle à ce que, dans le cas de la disparition de la personne morale auteur d'une pratique anticoncurrentielle, la sanction de cette pratique puisse être imputée à l'entreprise qui a repris les éléments matériels et humains ayant permis la commission de l'infraction. C'est le même souci d'efficacité qui a conduit le législateur, de manière très spécifique au droit de la concurrence, à mettre en place, avec l'article L. 464-2 du Code de commerce, un dispositif de clémence permettant à l'entreprise dénonciatrice de l'entente d'être exonérée de sanction, afin de rendre plus efficaces la détection et la répression de ces pratiques anticoncurrentielles. Cette considération d'efficacité milite pour que ne soit pas bridée a priori la possibilité, souvent malaisée à exercer en pratique, pour les acteurs économiques d'appuyer par tous moyens les faits qu'ils invoquent lorsqu'ils saisissent le Conseil de pratiques supposées anticoncurrentielles, afin de faciliter la détection et la sanction de telles pratiques.

218. La troisième considération est celle que seule une application circonstanciée du principe de loyauté, combinant à la fois les deux considérations qui précèdent et l'exigence de justice qui doit régir le déroulement de tout procès, peut guider le Conseil dans la mise en œuvre du principe de liberté des preuves qui, en l'absence de texte organisant l'administration de la preuve devant lui, s'applique à sa procédure. A cet égard, trois limites doivent être posées d'emblée.

219. En premier lieu, il n'est pas question de renoncer à exiger de l'enquêteur et du rapporteur en charge de l'instruction, auxquels les articles L. 450-1 à L. 450-8 du Code de commerce reconnaissaient des pouvoirs et des moyens spécifiques d'investigation, le respect du principe de loyauté dans la recherche des preuves : il est clair que ni l'un ni l'autre ne pourraient, par exemple, recourir à l'enregistrement de conversations à l'insu de leur auteur, même pour faire progresser l'enquête ou l'instruction. La question débattue dans la présente affaire ne concerne que les conditions dans lesquelles les parties, saisissantes ou mises en cause, peuvent étayer les faits qu'elles dénoncent, ou au contraire qu'elles défendent, par tous moyens aptes à contribuer à la manifestation de la vérité, sous le contrôle du Conseil et, in fine, des juridictions appelées à statuer sur la décision qu'il prend.

220. En deuxième lieu, il convient de ne reconnaître à de tels enregistrements sonores que la valeur relative d'éléments, d'indices voire de commencements de preuve qui peuvent être corroborés ou, au contraire, contredits par d'autres éléments au dossier : leur valeur probante doit être examinée au cas par cas, en tenant compte de ce qu'ont déclaré les personnes au cours des auditions menées lors de l'enquête ou de l'instruction et des conditions techniques dans lesquelles les enregistrements ont été effectués.

221. En troisième lieu, de tels éléments ne peuvent être utilisés dans la procédure et dans la décision rendue par le Conseil que s'ils ont été pleinement soumis au contradictoire, au terme duquel le Conseil forge son intime conviction. Si, au stade de l'admissibilité des modes de preuve, la liberté doit prévaloir au bénéfice des parties, sans être contrainte par un principe de loyauté difficile à délimiter et qui peut conduire à priver les entreprises, saisissantes ou mises en cause, du droit à la manifestation de la vérité, le principe de loyauté se résout en définitive dans le droit à un procès équitable où sont respectés les droits de la défense, l'égalité des armes et le principe de la contradiction.

222. En l'espèce, il convient donc de ne pas écarter, par principe, du dossier les enregistrements transmis par M. X à l'appui de sa saisine ou au cours de l'instruction.

8. Sur la force probante des enregistrements sonores réalisés par M. X

223. Les parties mises en cause, auxquelles ont été communiqués tous les enregistrements reçus, considèrent que les conditions dans lesquelles ces enregistrements ont été effectués puis sélectionnés (certaines cassettes dont on peut supposer qu'elles soient numérotées 1, 7, 8, 9, 10, 11, 17 n'ayant pas été transmises), et la nature et la qualité de ces enregistrements sonores ne permettent pas de leur attacher la moindre valeur probante, et ce d'autant plus qu'il n'existe aucune possibilité de vérifier s'ils correspondent aux dires des personnes enregistrées.

224. Sony ajoute que la cassette du 13 novembre 1997 versée au dossier n'est pas celle qui a été mise par l'huissier de justice dans l'appareil placé sous le bureau de l'enseigne TVHA avant l'entretien puis rangée dans une enveloppe scellée conservée à l'étude. En outre, il ressort du procès-verbal de l'huissier que celui-ci n'a pas assisté à l'entretien entre les représentants de Sony et de TVHA ayant fait l'objet de l'enregistrement de sorte qu'il n'aurait pu, en tout état de cause, vérifier l'exactitude et le caractère complet de cet enregistrement.

225. S'il ne peut être exclu que M. X ait procédé à d'autres enregistrements sonores sur des cassettes numérotées 1, 7, 8, 9, 10, 11, et 17 non versées au dossier, l'entreprise plaignante a le choix des éléments de preuve qu'elle entend présenter à l'appui de sa saisine. En tout état de cause, aucun élément ne permet de vérifier l'hypothèse selon laquelle les représentants des sociétés mises en cause auraient tenu des propos enregistrés sur ces cassettes.

226. Plusieurs interlocuteurs de M. X, dont les conversations avaient été enregistrées sur les cassettes versées au dossier, n'ont pas contesté avoir tenu les propos enregistrés lorsqu'ils ont été entendus par les enquêteurs. Ils ont, au contraire, apporté des précisions sur ces propos : tel est le cas des représentants de la SCIE CREL (M. E), de la SNER (M. F), de la Satair Communication (M. J) et de Philips (M. C). De plus, la société Philips a fait entendre au cours de la séance l'enregistrement des propos tenus par le directeur général de Philips à l'époque, M. G, pour en souligner la mauvaise qualité, mais n'a pas contesté l'exactitude matérielle des propos enregistrés dans la cassette n° 15 (points 115 à 132).

227. Par conséquent, il convient de considérer que les conversations enregistrées de M. X avec les représentants de la SCIE CREL (M. E), de la SNER (M. F), de la Satair Communication (M. J) et de Philips (M. C et M. G) peuvent être maintenues au dossier, afin d'étayer ou, au contraire, contredire les autres éléments qui y figurent.

228. En revanche, le Conseil constate que les représentants de Sony (13 novembre 1997), de Pioneer (cassettes n° 4, 5,6), de Yamaha (cassette n° 13) et de Toshiba (cassette n° 5) n'ont pas été entendus et n'ont donc pas été mis en mesure de s'exprimer sur les propos enregistrés. En outre, l'huissier de justice, intervenu à la demande de la société Avantage pour contrôler l'enregistrement de la conversation ayant eu lieu entre les représentants de cette société et du fournisseur Sony le 13 novembre 1997, n'a pas estimé devoir répondre à la demande de la rapporteure de lui transmettre ladite cassette, de sorte que l'origine de la cassette reproduisant cette conversation demeure douteuse.

229. Il faut donc en conclure que les enregistrements sonores des représentants de Sony, Pioneer, Yamaha et Toshiba ne peuvent, faute de revêtir une quelconque valeur probante, être utilisés dans la présente procédure.

B. Sur le fond

1. Sur le marché pertinent

230. Le Conseil de la concurrence a déjà considéré dans une décision n° 04-D-33 que, dans le secteur de l'électronique grand public, il existe un marché pertinent par type de produit, comme par exemple les télévisions couleur, magnétoscopes, lecteurs DVD, chaînes Hi-Fi, et caméscopes.

231. Philips conteste tout d'abord cette définition des marchés de produits au motif qu'elle ne tient pas suffisamment compte de la substituabilité croissante des différents produits, le magnétoscope étant, par exemple, rapidement remplacé par le lecteur de DVD.

232. Toutefois, ce fournisseur n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la définition des marchés de produits retenus précédemment. En outre, pour définir l'infraction aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, la définition précise et détaillée des marchés n'est pas nécessaire dès lors que sont concernés en l'espèce les principaux produits bruns fournis par les fournisseurs à leurs distributeurs et destinés à être revendus aux consommateurs dans les zones de chalandise sur lesquelles ces distributeurs sont présents.

233. De plus, sans aller jusqu'à définir deux segments de marchés distincts, Philips précise qu'il conviendrait néanmoins de distinguer les produits vendus par les magasins traditionnels (comme Darty, Foci) de ceux vendus par des distributeurs discount et plus particulièrement par les sociétés de vente sur Internet comme Rue Du Commerce, Clust, Marcopoly, Pixmania. En effet, ces derniers offriraient des produits bruns aux consommateurs sans apporter de services équivalents à ceux des distributeurs traditionnels en termes de services avant-vente et après-vente (publicités, conseils techniques, présentation des produits, possibilité de retrait en magasin, garanties ...). Ceci expliquerait en partie les raisons pour lesquelles les produits bruns sont vendus 10 à 15 % moins chers dans ces structures discount que dans les magasins traditionnels.

234. Toutefois telle n'a pas été la position soutenue par Sony lors de la séance ayant donné lieu à la décision n° 05-D-34 dans laquelle le Conseil a lui-même précisé au paragraphe 60 : " Il ressort en effet des éléments de l'instruction, et notamment de l'examen du site "Pixmania.fr", de la présentation des services proposés par ce site dans les observations de la société Fotovista, des déclarations en séance de la société Sony France ainsi que de l'étude du barème Sony, que le niveau des services rendus sur le site Pixmania est élevé et similaire au niveau des services rendus par les magasins Foci et que le montant total des remises qu'il est possible d'obtenir avec le barème Internet est à peu de choses près le même qu'avec le barème général".

235. Il n'y a donc pas lieu, en l'absence d'autres éléments dans le dossier, de distinguer les produits et services proposés par les magasins traditionnels et ceux offerts par les sociétés de vente sur Internet sur les marchés des produits bruns.

2. Sur le grief d'entente entre la société Philips et la SCIE CREL

236. Il a été fait grief aux sociétés Philips France et SCIE CREL de s'être concertées pour boycotter la société Avantage et l'empêcher de s'approvisionner en produits de marque Philips à des conditions non discriminatoires, faute pour cette société de modifier sa politique commerciale afin de respecter les prix conseillés par Philips.

237. Le boycott, considéré par les autorités de concurrence comme l'une des formes les plus drastiques d'entrave à la concurrence, constitue " une action délibérée en vue d'évincer un opérateur du marché " de sorte que la pratique de boycott ne peut être sanctionnée sur le fondement de l'article L. 420-1 que si est démontrée la volonté des membres de l'entente d'évincer l'opérateur contre lequel est dirigé le boycott.

238. Or, Philips et la SCIE CREL considèrent qu'il n'existe aucun élément sérieux de nature à démontrer la volonté de Philips de boycotter TVHA, ni la volonté de la SCIE CREL de boycotter TVHA ou d'adhérer à une pratique de boycott initiée par Philips. Au contraire, les parties estiment que TVHA s'est volontairement exclue de toute relation commerciale avec Philips et la SCIE CREL.

a) Sur les éléments de preuve relatifs à la volonté de Philips de boycotter TVHA

239. La société Philips et la SCIE CREL soutiennent que le déroulement des relations commerciales entre Philips et TVHA démontre que Philips n'a jamais souhaité l'empêcher de s'approvisionner directement puisqu'elle a accepté d'entrer en relation commerciale avec TVHA le 22 octobre 1997, date de la signature de l'ouverture de compte. De plus, les déclarations enregistrées de M. G, directeur général de Philips (points 89 et 104) et de M. C (point 48), démontrent que Philips n'a jamais transmis aucun ordre, à aucun de ses distributeurs, de ne pas livrer TVHA.

240. Cependant, Philips n'a jamais accepté d'ouvrir effectivement un compte à TVHA ni de développer une relation commerciale avec TVHA alors que TVHA présentait suffisamment de garanties financières pour bénéficier d'un encours de 50 000 francs. En premier lieu, ni M. C, responsable de la région Rhône-Alpes de Philips, ni son représentant dans cette zone, n'ont visité le magasin de TVHA en début d'année 1998 pour confirmer ou non le projet d'ouverture de compte lancé par M. B en octobre 1997 alors que M. C s'y était pourtant engagé (points 48 ci-dessus). En deuxième lieu, Philips n'a pas signé le " contrat de coopération 1997 " rempli par M. X le 13 novembre 1997 et ne le lui a pas renvoyé contrairement à sa procédure habituelle. En effet, selon les déclarations de M. C : " à l'issue de ce processus [d'enquête financière] qui peut durer deux semaines à 1 mois, on signe un contrat commercial avec le client, le cas échéant on fixe les objectifs et on prend les commandes" (point 46). Or, ce contrat aurait dû être signé par les deux parties, comme l'ont été les contrats signés entre Philips et la Serap en 2000 et 2001. Philips n'ayant pas renvoyé ce contrat dans les temps à TVHA, cette dernière n'était donc pas en mesure de passer des commandes à Philips. En troisième lieu, Philips n'a jamais informé TVHA des résultats de la seconde étude financière réalisée par la société Intersud, qui concluait pourtant à une possibilité d'encours de la société TVHA à hauteur de 50 000 francs, le 21 avril 1998. En quatrième lieu, il ressort des propos échangés par M. E, PDG de la SCIE CREL et M. X (points 51 et 119), ainsi que du procès-verbal de déclaration de M. E (point 160), que la SCIE CREL a subi des pressions de la part de la société Philips pour ne pas livrer TVHA compte tenu de sa politique de prix discount. M. E a d'ailleurs précisé qu'il n'était pas surpris de ne pas être " couvert " par Philips qui a nié avoir mis en œuvre des pressions (point 106).

241. Les pressions de Philips sur ses distributeurs pour les dissuader de revendre les produits de sa marque à bas prix ont été attestées par le responsable de la Serap lors de son audition par les enquêteurs ainsi que par les distributeurs de produits discount sur Internet interrogés tels que Rue du commerce, Clust et Marcopoly, qui ont affirmé ne pas avoir pu ouvrir un compte auprès de Philips compte tenu du fait qu'ils revendent les produits sur Internet 10 à 15 % moins cher que les magasins traditionnels.

242. Cependant si Philips a voulu faire pression sur la SCIE CREL, pour l'empêcher de vendre ses produits à TVHA compte tenu des prix bas pratiqués par cette dernière, il n'est pas établi que la SCIE CREL ait accepté de boycotter elle-même TVHA.

b) Sur les éléments de preuve relatifs à la volonté de la SCIE CREL de boycotter TVHA

243. La SCIE CREL conteste avoir refusé de vendre des produits de marque Philips à TVHA en bloquant son compte en mars 1998 puis, l'avoir autorisée à s'approvisionner en produits Philips à partir d'avril 1998 à des conditions commerciales discriminatoires consistant à lui imposer de venir retirer les produits en magasin et non à la livrer.

244. Tout d'abord, ce grossiste a produit deux bons de livraisons en date du 17 décembre 1997 n° 48533 et du 23 décembre 1997 n° 49287 adressés à TVHA qui démontrent qu'il l'a approvisionnée dès le mois de décembre 1997. De plus, il ressort des pièces du dossier que la SCIE CREL a ouvert un compte à TVHA notifié par un courrier du 20 janvier 1998 auquel était joint un barème de prix.

245. Ensuite, s'il est vrai que M. E a précisé à M. X à l'occasion d'une conversation, enregistrée, du 19 mars 1998 que son compte était bloqué à la suite des menaces de Philips à l'égard de la SCIE CREL de ne plus livrer TVHA au risque de ne plus être livrée elle-même (point 51), il ressort des factures transmises par la SCIE CREL que ce blocage n'a, dans les faits, pas eu lieu, puisque M. X s'est rendu à son magasin à Grenoble pour faire un nouvel achat le 31 mars 1998. Le 10 avril 1998, la SCIE CREL a également renvoyé ses tarifs par fax à TVHA. Il ressort des déclarations de M. E du 22 avril 1998 que la SCIE CREL avait accepté de vendre des produits de marque Philips à TVHA, malgré les pressions de Philips (points 116-119). Le 20 août 1998, la SCIE CREL a formellement transmis à TVHA l'ensemble de ses conditions commerciales et le 31 mai 1999 la SCIE CREL a vendu une télécommande Philips LC 2000 à TVHA.

246. Enfin, le grossiste n'a pas imposé des conditions commerciales discriminatoires à TVHA à partir d'avril 1998 en lui indiquant " si vous voulez du Philips vous allez à l'agence " (point 52). En effet, d'une part, il n'est pas démontré par TVHA qu'elle avait demandé à être livrée. D'autre part, il ressort des factures transmises par la SCIE CREL, que dès le mois de décembre 1997, M. X avait décidé de procéder au retrait en magasin des produits achetés auprès de la SCIE CREL et ce jusqu'en 1999. Le retrait en magasin est une modalité d'approvisionnement classique proposée par la SCIE CREL à ses clients comme le démontrent plusieurs attestations produites par elle et était justifié en l'espèce puisque le magasin de la SCIE CREL était situé à moins de cinq minutes à pied de l'enseigne TVHA.

247. Par conséquent, il n'est pas démontré que la SCIE CREL a accepté de boycotter TVHA en bloquant effectivement son compte en mars 1998 ni qu'elle a imposé des conditions commerciales discriminatoires à TVHA à partir d'avril 1998.

248. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'accord de volonté de la SCIE CREL de se conformer aux directives de Philips pour empêcher TVHA de s'approvisionner en produits Philips n'est pas démontré, de sorte que le grief n'est pas établi.

3. Sur le grief d'entente verticale sur les prix de revente minimum

249. Il est reproché aux sociétés Philips France, Sony France, Toshiba Système France, Panasonic France SA, Yamaha Electronique France et Pioneer France SA d'avoir mis en place une entente verticale avec chacun de leurs distributeurs respectifs, ayant pour objet et pour effet de fixer les prix de revente au détail, pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce. Ce grief est fondé sur les éléments suivants :

* Les catalogues diffusés par les distributeurs, au cours du printemps-été 1998, (point 15 et suivants) font apparaître, pour les principales catégories de produits d'électronique grand public, des prix de vente au public remarquablement concentrés autour d'un même prix, qui correspond soit au prix conseillé par le fabricant, soit au prix conseillé par la SNER. Il est relevé, de plus, que certaines des références concernées ne sont pas encore commercialisées à la date d'impression des catalogues. De même, les relevés de prix IFR effectués chaque mois, de septembre 1998 à mars 1999, dans les mêmes points de vente des régions de Paris, Lyon, Marseille et Grenoble (point § 19 et suivants), montrent une concentration remarquable des prix relevés dans les magasins autour d'un même prix, Des relevés de prix ont par ailleurs été réalisés par les enquêteurs entre le 31 octobre 2002 et le 4 décembre 2002.

* Les dispositions contractuelles liant les sociétés Philips et Sony à leurs distributeurs prévoient que ces fabricants contrôlent la communication de leurs distributeurs sur leur publicité, y compris celle portant sur leurs prix de vente au public.

* Dans les conversations enregistrées par M. X, qui n'ont pas été écartées des débats, et les déclarations de certains grossistes et certains distributeurs, il est affirmé que les fabricants contrôlent les prix pratiqués par les distributeurs, éventuellement par l'intermédiaire des grossistes, et exercent des pressions pour que ces prix soient remontés s'ils sont inférieurs aux prix conseillés.

250. Selon une jurisprudence constante (cf. par exemple, les décisions n° 04-D-33 et 05-D-06), le Conseil considère qu'un alignement des prix peut résulter d'une entente horizontale directe sur les prix entre distributeurs, ou encore d'une série d'ententes verticales entre chaque fournisseur et chacun de ses distributeurs autour d'un prix de revente déterminé par ce fournisseur, mais qu'un tel alignement peut également s'expliquer par un parallélisme de comportements qui viendrait d'une réaction identique des distributeurs à la diffusion de " prix conseillés " ou de " martingales " par le fournisseur, parallélisme de comportements uniquement guidé par la concurrence qui règnerait dans ce secteur et qui ferait converger les prix vers des niveaux identiques.

251. Deux éléments supplémentaires peuvent toutefois conduire le Conseil, espèce par espèce, à constater que l'alignement résulte d'une série d'ententes verticales entre chaque fournisseur et chacun de ses distributeurs : en premier lieu, des indices permettant de penser que des prix de vente au détail ont été évoqués au cours de négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs ; en deuxième lieu, des éléments montrant qu'un système de contrôle des prix a été mis en place, un tel système étant, en général, nécessaire au fonctionnement durable d'une entente sur les prix.

252. Par ailleurs, une entente entre un fabricant et ses distributeurs peut également être démontrée s'il existe entre eux un contrat prévoyant que le distributeur s'engage à respecter la politique commerciale de son cocontractant en matière de politique tarifaire ou permettant au fabricant de contrôler la publicité sur les prix faite par le distributeur (cf. la décision du Conseil n° 05-D-32 du 24 février 2005).

a) Sur l'existence d'un accord de volontés entre les fabricants et leurs distributeurs

253. Les parties invoquent l'arrêt Bayer c/ Commission du 26 octobre 2000 (aff T-41-96) et l'arrêt Volkswagen AG/Commission du 3 décembre 2003 (aff T-208-01) dans lesquels le Tribunal de Première Instance des Communautés européennes (TPICE) a considéré qu'un comportement apparemment unilatéral de la part d'un fabricant, adopté dans le cadre de relations contractuelles qu'il entretient avec ses revendeurs, ne constitue un accord entre entreprises, au sens de l'article 81 §1 du Traité CE, que s'il est établi l'existence d'un acquiescement exprès ou tacite, de la part des revendeurs à l'attitude adoptée par les fabricants. Sony se réfère également à l'arrêt General Motors Nederland BV et Opel/Commission du 21 octobre 2003 (aff T-368-00) dans lequel le TPICE a partiellement annulé une décision de la Commission européenne sanctionnant une politique de restrictions des importations imposée par le fournisseur à ses concessionnaires au motif que, dans cette décision, " ne figure aucune preuve directe de la communication de la mesure en cause aux concessionnaires (...) Par ailleurs, les autres pièces du dossier ne permettent pas non plus de conclure que la mesure en cause ait effectivement été appliquée ou mise en œuvre ". Sony ajoute qu'en l'absence de mise en cause des distributeurs de produits bruns, l'entente ne saurait être caractérisée sauf dans les cas où le comportement infractionnel est inclus dans le contrat de distribution liant un fournisseur à ses distributeurs, ce qui ne serait pas démontré à son égard.

254. Il résulte effectivement de la jurisprudence communautaire précitée que la preuve de l'accord de volonté en matière d'ententes verticales impose de démontrer, d'une part, l'invitation d'une des parties à mettre en œuvre certaines pratiques anticoncurrentielles, d'autre part, l'acquiescement exprès ou tacite de l'autre partie à des mesures envisagées ou à l'attitude adoptée par la première.

255. Mais il en résulte également qu'en présence d'une invitation d'un fabricant à respecter des prix " conseillés ", l'accord de volonté des distributeurs peut être démontré par une concentration anormale des prix pratiqués par les revendeurs mais aussi par la signature d'un contrat de coopération commerciale impliquant le respect de la politique commerciale ou de la politique de communication du fabricant par les revendeurs. Dans les deux cas, l'entente est démontrée sans qu'il soit nécessaire d'avoir mis en cause chacun des distributeurs au stade de la notification de griefs, les fournisseurs prenant une part prépondérante dans la constitution de l'entente en diffusant des prix minimum conseillés et en veillant à ce qu'ils soient respectés par ces distributeurs.

b) Sur l'entente entre la société Philips et ses distributeurs

Sur l'évocation de prix de détail entre Philips et ses distributeurs

256. Selon la société Philips, il n'existe aucun élément au dossier établissant qu'elle diffuse des listes de prix au détail, indicatifs ou autres. Philips reconnaît éditer un tarif de base hors taxe adressé à ses clients (grossistes et détaillants) sur lequel viennent s'articuler les barèmes de remises et ristournes dont ils bénéficient. A cet égard, Philips estime que le procès-verbal retraçant les déclarations du président de la SCIE CREL (point 160), présente une contradiction manifeste puisqu'il prétend tout à la fois (i) ne pas avoir connaissance d'autres prix que le prix net facturé, (ii) que Philips communiquerait oralement des prix de revente à l'attention de revendeurs finaux, en particulier auprès de grandes enseignes qui ne s'approvisionnent pas auprès de la SCIE CREL, puis (iii) que Philips lui communiquerait directement, oralement, ses prix de revente TTC. Philips ajoute qu'une telle hypothèse n'est d'ailleurs pas crédible, les prix de revente TTC de plusieurs centaines de produits Philips ne pouvant être communiqués oralement à plusieurs milliers de revendeurs (grossistes ou détaillants) sur le territoire français par les représentants de Philips.

257. En tout état de cause, la société Philips constate que seules figurent au dossier des déclarations qu'elle qualifie d'imprécises de deux grossistes, non directement concernés par les prix de vente au détail, et considère que ces déclarations sont systématiquement contredites, à la fois par la déclaration de M. G, directeur général de Philips, enregistrée le 21 avril 1998 (points 89-103) et le procès-verbal retraçant les déclarations de M. C, responsable régional de Philips sur la région Rhône-Alpes, établi par l'enquêteur en 2002 (point 132). Elle fait valoir encore que les tableaux comparatifs construits par TVHA à partir des catalogues de distributeurs, ne comportent pas de " prix conseillés " pour les produits Philips, mais uniquement un " prix SNER " dont elle conteste qu'il puisse être rattaché à de quelconques instructions de Philips.

258. Il n'existe effectivement aucun élément dans le dossier démontrant que Philips édite une liste de prix de revente TTC de ses produits.

259. Toutefois, il convient de relever, en premier lieu, que dans une conversation enregistrée le 9 avril 1998 par M. X, M. E, président de la SCIE CREL lui affirme, à propos des tarifs Philips, (point 52) que lorsqu'il souhaite baisser le prix d'un produit : " on en discute avec le fournisseur en lui disant je vous préviens on va péter çà 'Ah ben non vous ne devriez pas' et le copain fait pareil à côté et c'est pareil tous les jours, y a pas qu'un prix " (point 56) et précise " Si vous voulez, si effectivement ça fait 30 ans que le 55 telle référence, je travaille à telle marge en général dans la profession, et bien ils sont en droit de dire : tiens, normalement, ce produit éventuellement, la façon dont vous travaillez actuellement, voilà à quel prix vous devriez le sortir, c'est ça que ça veut dire (...) Vous êtes nouveau dans la profession, si vous essayez de faire autre chose, vous verrez que c'est partout pareil " (points 60-62). Le même interlocuteur confirme qu'il existe des prix de vente au détail conseillés par Philips dans une conversation téléphonique du 22 avril 1998 (points 122-123).

260. Or, M. E a confirmé ses propos dans un procès-verbal de déclaration (point 160) : " Par rapport au prix facturé par Philips, nous ne connaissons que le prix net facturé (" tarif acheteur ") et par rapport à ce prix net, nous bénéficions d'une remise trimestrielle (...). Philips indique des prix 'généralement constatés' ou 'prix maximum' à l'attention des revendeurs finaux tels Darty, FNAC, Auchan, sachant que ces enseignes sont les principales références pour les consommateurs (...). Par rapport aux prix généralement constatés ou conseillés par Philips ou d'autres fournisseurs, ceux-ci ont pour intérêt de fixer une limite maximum et nous communiquent oralement par des représentants de Philips ou des autres fournisseurs ". Ces déclarations ne sont pas contradictoires car il convient de distinguer deux prix : d'une part, le prix facturé par Philips au distributeur, c'est-à-dire le prix d'achat, pour lequel M. E affirme ne connaître que " le prix net facturé (tarif acheteur) " ; d'autre part, des prix de revente au détail (prix de vente TTC) que Philips transmet oralement, via ses représentants sous le nom de " prix généralement constatés ou prix maximum ".

261. Ces propos sont confirmés par M. F, responsable de la SNER, principal grossiste de Philips dans la région lyonnaise, qui, dans une conversation téléphonique enregistrée par M. X, l'avertit qu'il ne faut pas " casser les prix " (point 69) et ajoute " Ah mais les prix on peut très bien vous les communiquer, c'est pas un secret mais de toute façon, si on vous livre et si vous faites ce que vous êtes en train de me dire, il n'y aura qu'une fois, et puis après moi je risque d'avoir des retombées radioactives de Philips et j'y tiens pas " (point 71), " si un prix public est négocié, qui est déposé, et descendu, tout le monde va s'aligner sur ce prix là et vous savez quand le prix est descendu, en général c'est très difficile de le faire remonter" (point 81). M. F explique ensuite à M. X comment " contourner la règle du jeu " (points 79 et 85) : " y'a manière de contourner, par exemple, vous vendez un scope, je sais pas moi, 1 990, vous faites cadeau d'un pack cassettes qui vaut 100 ou 200 balles, vous le descendez à 1 790, personne peut rien vous dire parce que vous donnez un cadeau, vous êtes bien libre de donner des cadeaux ".

262. M. F a également confirmé ses propos dans un procès-verbal de déclaration, en expliquant que lorsqu'il évoque, dans cet enregistrement, "la règle du jeu", il "faisait référence au respect des prix conseillés par les différentes marques auprès des revendeurs ". Il a ajouté tenir compte des prix conseillés par les fournisseurs dans son propre tarif SNER de base (point 161), ce qui est confirmé par la comparaison entre les listes de prix conseillés figurant au dossier et le tarif SNER (point 16).

263. Bien que ces grossistes n'appliquent pas eux-mêmes les prix de détail, le fait que la société Philips exerce sur eux des pressions pour les empêcher de revendre des produits de marque Philips à TVHA compte tenu de sa politique de prix discount (point 51) ou encore l'exemple de l'autoradio Philips (points 52 et 127), montrent qu'ils sont tenus au courant de la politique tarifaire de la société Philips et des incidents relatifs au non respect des prix imposés. Dans l'une des conversations enregistrées par M. X, le responsable de la SCIE CREL explique que " vous avez plein de marques qui disparaissent. Eh bien, les marques qui disparaissent sont celles qui n'ont pas su faire tenir leurs prix. Qu'est ce qui reste ? Et bien, (...) vous avez Philips qui impose (...) " (point 106).

264. En deuxième lieu, les prix figurant au catalogue de la SNER et présentés par celle-ci comme les prix conseillés par Philips correspondent, comme les relevés de prix sur les catalogues des distributeurs l'établissent (cf. discussion ci-dessous), aux prix constatés chez la plupart des distributeurs, que ceux-ci soient livrés par l'intermédiaire de la SNER ou directement par Philips. Enfin, certains des relevés de prix concernent des produits nouveaux dont la commercialisation n'avait pas débuté à la date de l'élaboration des catalogues. Dans le cas d'un distributeur livré directement par Philips et d'un produit non encore commercialisé, la concentration remarquable des prix pratiqués par différents distributeurs autour du même prix ne peut s'expliquer que par la communication directe aux distributeurs, par le fabricant, de prix de vente au public.

265. En troisième lieu, M. C, responsable pour la région Rhône Alpes de la société Philips, a précisé que les négociations commerciales étaient centralisées au siège de Philips à Paris mais que les points de vente locaux pouvaient néanmoins faire l'objet de visites des représentants. Il a affirmé disposer, pour sa zone, de quatre représentants commerciaux se rendant une fois par mois dans chaque point de vente et de deux commerciaux sédentaires qui répondent par téléphone aux distributeurs pour les informer des promotions en cours. Cette force commerciale apparaît amplement suffisante pour assurer la visite régulière des points de vente de la zone (estimés au nombre de 128 en 2003) et transmettre oralement des informations sur les prix à tous leurs distributeurs. Il convient donc d'écarter l'objection de la société Philips selon laquelle il serait matériellement impossible de communiquer oralement les prix de revente TTC de plusieurs centaines de produits Philips à plusieurs milliers de revendeurs (grossistes ou détaillants).

266. Il convient donc de considérer que les prix figurant au catalogue SNER, pour les produits Philips, lui ont été communiqués par le fabricant.

Sur l'application par les distributeurs des prix de détail conseillés par Philips au regard des relevés de prix

267. Il ressort des relevés de prix effectués par TVHA dans les catalogues diffusés par 37 enseignes au printemps/été 1998 (point 18) que :

* s'agissant des téléviseurs, les prix de 12 références Philips ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 12, soit 67 prix au total, dont 59 sont égaux, à 10 FF près (54) ou supérieurs (5) au prix catalogue TTC SNER, soit un taux de suivi remarquable de 88 % ;

* s'agissant des chaînes Hi-Fi, les prix de huit références Philips ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 6, soit 27 prix au total, dont la totalité sont égaux, à 10 FF près, au prix catalogue TTC de la SNER, soit un taux de suivi remarquable de 100 % ;

* s'agissant des lecteurs de DVD, le prix d'une référence Philips, relevé dans trois catalogues, correspond au prix catalogue TTC SNER ;

* s'agissant des magnétoscopes, les prix de 10 références Philips ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 11, soit 54 prix au total, dont 29 sont égaux, à 10 FF près (25) ou supérieurs (4), à un même prix, correspondant au prix TTC du catalogue SNER, soit un taux de suivi de 54 %.

268. Au total, sur 151 prix relevés, 118 sont égaux ou supérieurs au prix conseillé, soit un taux de suivi de 78 %

269. Par ailleurs, les relevés de prix IFR réalisés entre septembre 1998 et mars 1999, dans un nombre de points de vente variant de 3 à 59, répartis sur l'ensemble de la France, pour quelques références de produits Philips, permettent de constater que leurs prix sont remarquablement concentrés autour d'un même prix (" prix moyen constaté ") (point 19) :

<emplacement tableau>

270. En revanche, les relevés de prix effectués par les enquêteurs entre le 31 octobre et le 4 décembre 2002 ne peuvent servir à établir que les distributeurs de Philips appliquaient, en 1998, les prix conseillés. Ils sont par ailleurs insuffisants pour démontrer, à eux seuls, que la pratique dénoncée s'est poursuivie jusqu'en 2002. Il en est de même pour les relevés IFR sur la même période communiqués par la société Philips à l'appui de ses observations à la notification de griefs.

Sur la représentativité des relevés de prix

271. La société Philips soutient, en premier lieu, qu'il n'est pas possible de déduire de ces relevés de prix que les distributeurs respecteraient un prix conseillé dans la mesure où ils sont réalisés sur des échantillons insuffisamment représentatifs, comme le démontrerait une étude économique qu'elle produit à l'appui de son mémoire en réponse. Elle note ainsi que certaines des références, dont le prix a été relevé par M. X dans les catalogues des distributeurs de mai à septembre 1998, ne sont proposées que dans un seul catalogue et en déduit qu'un taux de suivi de 100 % n'a pas de signification. De manière générale, elle considère qu'un taux de suivi a peu de sens dès lors qu'une référence n'est présente que dans un petit nombre d'enseignes, soit dans moins de six catalogues. Selon la société Philips, la zone couverte par l'échantillon composé par M. X n'est pas précisée, tout de même que la composition de l'échantillon au regard de la structure de la distribution des produits d'électronique grand public en France, et particulièrement de la représentation de la vente par Internet dans l'échantillon. Elle conteste également la réduction de l'échantillon aux seuls produits distribués par la SNER. S'agissant des relevés de prix IFR entre septembre 1998 et mars 1999 produits à l'appui de l'enquête administrative, la société Philips approuve le rapport qui relève la faible taille de l'échantillon.

272. L'étude économique produite par la société Philips procède à une analyse de données de l'institut GFK sur l'évolution de la structure moyenne des prix par type de réseau de distribution entre 1998 et 2003. Il est ainsi constaté que, pour les téléviseurs et les lecteurs de DVD, les prix des produits Philips varient de manière significative d'un réseau de distribution à l'autre, comme le montrent l'écart entre le prix le plus haut et le prix le plus bas, ainsi que l'écart entre le prix moyen des différents mois, les prix étant moins élevés dans les hypermarchés et plus élevés chez les indépendants. Elle étudie ensuite l'évolution des prix de trois références de téléviseurs entre décembre 1998 et janvier 2000 et conclut également que les prix les plus bas sont constatés dans les hypermarchés et que les prix les plus élevés concernent les indépendants.

273. Enfin, la société Philips a produit, à l'appui de ses observations à la notification de griefs, des relevés de prix de ses produits réalisés par IFR pour décembre 1998, dont elle fait valoir qu'ils concernent l'ensemble de ses références sur le marché français et un échantillon de près de 200 distributeurs. Elle précise, dans son mémoire en réponse au rapport, que figurent dans cet échantillon de nombreux magasins appartenant à la même enseigne sans pour autant que les vendeurs par correspondance ou par Internet soient suffisamment pris en compte (23 magasins Carrefour, 24 magasins Darty, 15 magasins Fnac, 7 magasins Boulanger, etc.) et qu'un alignement des prix des magasins d'une même enseigne serait normal. Selon elle, l'écart moyen entre le prix le plus bas du marché et le prix le plus fréquemment constaté est de l'ordre de 15 à 20 %, ce qui démontrerait l'absence d'alignement des prix.

274. Toutefois, les catalogues de 37 enseignes ont été utilisés par la société saisissante pour construire des tableaux comparant les prix qui y figurent et les prix de vente au public TTC du catalogue SNER. Ces catalogues figurent au dossier. Les enseignes représentées appartiennent à tous les secteurs de la distribution : les grands magasins (BHV), hypermarchés (Auchan, Carrefour, Continent, Cora, Géant, Leclerc, Mammouth), les grandes surfaces spécialisées (Boulanger, But, Conforama, Darty, Fnac), les petits spécialistes, la vente par correspondance (La Redoute, Les Trois Suisses, La maison de Valérie), des discounters (Inter Discount). L'absence de vendeurs par Internet ne peut remettre en cause la représentativité de l'échantillon à la date des faits, soit en 1998, date à laquelle ce type de commerce était très peu développé. La couverture géographique de l'échantillon ne se limite pas à une seule zone géographique : elle est même relativement large dans la mesure où certaines des chaînes de distribution représentées comptent des dizaines de magasins dans de nombreuses zones géographiques. L'alignement ne peut donc s'expliquer parce que seule une même zone de chalandise est étudiée. Enfin, le fait que les références dont les prix ont été relevés correspondent à celles figurant dans le catalogue de la SNER ne biaise pas la représentativité de l'échantillon dans la mesure où elles sont nombreuses (12 téléviseurs, 10 magnétoscopes, 8 chaînes Hi-Fi pour Philips), le fait que le prix des DVD ne concerne qu'une seule référence s'expliquant par le caractère relativement nouveau du produit en 1998. De plus, comme cela a déjà été noté ci-dessus, de nombreux distributeurs de l'échantillon ne sont pas approvisionnés par la SNER mais directement par Philips, et proposent cependant ces mêmes références. Enfin, quand bien même, pour une raison qui n'est pas exposée, l'alignement ne concernerait que les références figurant au catalogue de la SNER et non les autres, ce qui n'est pas démontré, il reste remarquable.

275. Par ailleurs, le respect par les distributeurs des prix conseillés par la société Philips peut être constaté dès lors que le prix relevé dans un seul catalogue correspond au prix de détail du catalogue SNER : un seuil de significativité qui serait fixé à " au moins six catalogues " n'est justifié par aucun argument et chacune des observations de l'échantillon apporte une information dans la mesure où ce qui est recherché est le nombre d'observations pour lesquelles on constate une identité (à 10 FF près), entre le prix pratiqué et le prix de détail du catalogue SNER. De plus, le fait qu'une référence soit proposée par un grand nombre d'enseignes n'accroît pas la probabilité de trouver des prix différents de ceux du catalogue SNER. Par exemple, le téléviseur Philips 28PT4473 est proposé dans 12 catalogues au prix identique de 3990 FF correspondant exactement au prix de détail du catalogue SNER.

276. En ce qui concerne les relevés de prix IFR réalisés entre septembre 1998 et mars 1999, ils ont été effectués dans 3 à 62 points de vente répartis sur l'ensemble de la France (point 19). Pour ces relevés, comme pour ceux produits par la société Philips à l'appui de ses observations en réponse à la notification de griefs (point 21), il convient de relativiser l'argument selon lequel l'échantillon ne serait pas représentatif au motif que les points de vente visités appartiennent à la même enseigne nationale (Auchan, Carrefour, Darty ...). En effet, il convient de rappeler que les marchés de la distribution au détail de produits bruns sont locaux, constitués d'une zone de chalandise d'environ 15 à 30 kilomètres, de sorte qu'il n'existe aucune raison économique imposant que les prix soient strictement identiques dans des points de vente appartenant à la même enseigne mais situés à Marseille, Lille, Grenoble, Paris, Bordeaux.

277. S'agissant des disparités de prix entre les circuits de distribution qui seraient démontrées par l'étude des relevés GFK sur la période 1998-2003, il convient de rappeler, comme le fait d'ailleurs l'étude produite par la société Philips, que les prix publiés par l'institut GFK sont des moyennes dans lesquelles sont agrégés les prix de plusieurs produits vendus par l'enseigne (" les TV couleurs Philips ", " les lecteurs de DVD Philips "). Ces moyennes reflètent donc non pas tant les différences de niveaux de prix entre les différents réseaux de distribution pour une même référence, que les différences de " mix produit ", c'est-à-dire d'assortiments de produits, proposés par les enseignes et notamment leur distribution entre produits à bas prix et produits plus sophistiqués. Quant aux données produites s'agissant de trois références de téléviseurs Philips (" 27-29 ST 16/9 ", " CTV 211 Stéréo ", " 27-29 ST 4/3 "), et montrant des différences substantielles entre les prix proposés par les différents circuits de distribution entre décembre 1998 et janvier 2000, elles ne peuvent suffire à remettre en cause les constatations faites ci-dessus : en effet, tant en raison du faible nombre de références concernées que du fait que seules des moyennes sont exposées.

278. S'agissant des relevés IFR de décembre 1998 produits par la société Philips à l'appui de ses observations à la notification de griefs (point 21) pour les téléviseurs et les magnétoscopes, leur analyse confirme une concentration remarquable des prix pratiqués autour d'un même niveau. Ainsi, sur les 40 références de téléviseurs présentes dans 10 magasins ou plus, le taux de suivi moyen du prix le plus fréquemment constaté est de 73 % tandis que sur les 26 références de téléviseurs présentes dans 2 à 9 magasins, le taux de suivi moyen du prix le plus fréquemment constaté est de 70 %. Sur les 20 références de magnétoscopes présentes dans 10 magasins ou plus, le taux de suivi moyen du prix le plus fréquemment constaté est de 73 % ; sur les 5 références présentes dans 2 à 9 magasins, ce taux est de 71 %.

279. Le taux de suivi très bas de la référence VR 276 (20 %) s'explique par le fait que ce produit était en fin de vie comme le démontre le tarif de base HT de Philips pour l'année 1998 qui cesse de référencer ce produit à partir de juin 1998. En effet, comme le confirme la société Philips dans la suite de ses observations, les prix des produits d'électronique grand public baissent au fur et à mesure qu'ils sont remplacés par des produits plus innovants. Or, les enregistrements et les déclarations des grossistes montrent que le contrôle des prix par le fabricant porte en priorité sur le prix des nouveaux produits, la discipline des prix se relâchant ensuite au fur et à mesure du vieillissement des produits. Ainsi, M. F a déclaré à l'enquêteur que les " fabricants de produits bruns agissent pour que les prix de revente conseillés lors de la sortie d'un nouveau produit soient strictement respectés par les revendeurs au moins dans les 3 à 4 mois pour les caméscopes, 6 mois pour les téléviseurs haut de gamme, également 6 mois pour les lecteurs DVD à cette époque " (point 161). Ceci est confirmé par les déclarations de Marcopoly (point 164) selon lesquelles, à l'inverse, " il nous arrive de pratiquer des dépositionnements de prix sur des produits qui sont en général en fin de vie mais nous demandons l'accord des fournisseurs pour cela, ce sont d'ailleurs les marques qui sont à l'origine des dépositionnements, ceci afin d'évacuer leurs stocks sur ces produits ". Cette réalité est également perceptible dans les relevés IFR portant sur la période entre septembre 1998 et mars 1999 produits par l'enquête administrative.

280. Il résulte de ce qui précède que la concentration des prix constatée, soit autour du prix catalogue SNER, soit autour d'un même prix le plus fréquemment constaté, ne peut s'expliquer ni par des biais d'échantillonnage, ni par des erreurs de lecture des résultats des relevés. Elle n'est pas non plus contredite par les autres données produites par la société Philips.

L'alignement ne peut être expliqué par d'autres causes que l'entente verticale entre la société Philips et ses distributeurs.

281. La société Philips fait valoir que les prix observés résultent de mécanismes d'alignement tout à fait normaux pour certains types de distribution qui sont prêts à engager des coûts importants, tandis que les discounters, comme TVHA, n'intègrent pas la plupart sinon la totalité de ces coûts.

282. Au sein du même type de distribution, l'une des causes de l'alignement des prix tiendrait en revanche à l'impact des prix " psychologiques ", qui limitent le nombre de prix différents. Une autre cause serait la forte concurrence entre marques sur les marchés de l'électronique grand public, perceptible à partir de données telles que la diminution des prix, le rythme de l'innovation qui favoriserait la convergence des prix aussi bien entre fabricants qu'entre distributeurs, notamment au sein d'une même zone de chalandise.

283. Toutefois, les relevés effectués par TVHA font apparaître un alignement remarquable des prix pratiqués par des enseignes appartenant à des types de distribution très différents, comme cela a déjà été relevé au point 274 ci-dessus. Cette constatation est d'autant moins explicable par les seules caractéristiques du marché, qu'effectivement, ces différents types de distribution devraient avoir des coûts très différents et entraîner une différenciation des prix. Cette différenciation devrait être d'autant plus forte que les produits bruns peuvent être accompagnés de services ou ne pas l'être. De même, l'intensité de la concurrence intermarques mise en avant par la société Philips peut se traduire par une réduction des marges de l'ensemble du secteur mais ne peut pas conduire à un alignement de ces marges.

284. Le phénomène des prix psychologiques ne peut non plus suffire à expliquer l'alignement constaté dans la mesure où existent plusieurs prix psychologiques et que c'est l'alignement sur l'un d'entre eux qu'il convient d'expliquer.

285. L'alignement des prix de vente des produits figurant dans les catalogues des distributeurs, alors que certains de ces produits sont des produits nouveaux, exclut également un simple parallélisme de comportement consécutif à l'observation directe par les distributeurs des prix pratiqués par leurs concurrents sur les mêmes produits.

286. En tout état de cause, conformément à la jurisprudence du Conseil rappelée ci-dessus au point 250, la présence au dossier d'éléments, montrant que les prix ont été évoqués entre Philips et ses distributeurs, que les prix conseillés sont respectés et qu'il existe des mécanismes de surveillance, suffit à écarter l'hypothèse selon laquelle le parallélisme des prix s'expliquerait uniquement par le jeu spontané de la concurrence.

Sur les stipulations de la charte partenaire qualité Philips

287. Philips soutient qu'étant donné que les contrats de services comprenant " la charte partenaire qualité Philips " (point 169) qu'elle conclut avec ses distributeurs, ne contiennent aucune disposition relative aux prix de détail ou au respect de la politique tarifaire de Philips, la solution retenue par le Conseil dans sa décision n° 05-D-07 précitée ne pourrait être appliquée en l'espèce.

288. En effet, l'annexe au contrat intitulée " Campagnes publicitaires du revendeur catalogues et dépliants édités par le revendeur " ne concerne que la protection de l'image de marque de Philips qui ne saurait être interprétée, comme exprimant la volonté d'imposer un prix de revente à ses distributeurs ou de stipuler un engagement de leur part de respecter sa politique tarifaire. Au surplus, Philips se fonde sur la décision du Conseil n° 97-D-15 du 4 mars 1997 confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 mars 1998 à l'égard duquel le pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation le 24 octobre 2000, pour souligner que ses contrats de services, anciennement dénommés " contrat de coopération commerciale " accompagnés de leurs annexes, " les Fiches services ", ont déjà été analysés à l'occasion de ces affaires et n'ont pas démontré une pratique de prix imposés par Philips.

289. Le Conseil précise néanmoins que les contrats ayant été analysés à l'occasion de la décision n° 97-D-15 ne sont pas ceux figurant au présent dossier et qu'aucun document contractuel comparable aux annexes en cause, " Campagnes publicitaires du revendeur catalogues et dépliants édités par le revendeur " et " Groupement - Publicités et promotions ", n'avait alors été soumis à l'examen du Conseil.

290. De plus, s'il est vrai que l'annexe " Campagnes publicitaires du revendeur catalogues et dépliants édités par le revendeur " n'impose aucune obligation tarifaire aux revendeurs Philips, il n'en demeure pas moins qu'elle permet à Philips de contrôler les campagnes publicitaires de ses revendeurs, et par là même, les prix de revente indiqués par ces derniers dans ces publicités, afin de vérifier qu'elles ne sont "pas en contradiction avec les campagnes de publicité nationales de Philips ou néfastes pour l'image de marque de Philips ".

291. A cet égard, Philips ne saurait contester que les " catalogues et dépliants édités par le revendeur " précisent, pour chaque produit Philips, le prix TTC applicable comme le montrent les nombreux documents publicitaires de revendeurs Philips figurant au dossier et que TVHA a relevé dans ses tableaux (point 18) : par exemple, parmi ces documents il est possible de relever les publicités des enseignes Appartenance, Auchan, Boulanger, BHV, But Camif, Carrefour, Conforama, Connexion, Darty, Expert, Fnac, Hyper Média, Inter Discount, La Maison de Valérie, Leader, Leclerc, La Redoute, Les 3 Suisses, Point Digit, Pro & Cie, qui toutes font mention des prix TTC des téléviseurs Philips.

292. Par ailleurs, il ressort de l'annexe " Groupement - Publicités et promotions ", sur laquelle Philips n'émet aucune observation, l'obligation pour le revendeur d'" informer Philips de tous les faits constatés chez les adhérents à l'occasion d'une opération et susceptibles d'engager la responsabilité de Philips ou de porter atteinte à l'image de marque de Philips " de sorte que Philips invite ses revendeurs à dénoncer ceux d'entre eux qui pratiqueraient une campagne publicitaire en contradiction avec sa politique de communication.

293. Ainsi se trouvent confirmés les propos enregistrés de M. F (SNER) (points 71, 79, 87 et 161) et de M. E (SCIE CREL) (points 52 et 127) selon lesquels ces grossistes ont signé des contrats, avec Philips notamment, qui les obligent à respecter les prix de vente au détail conseillés par Philips.

294. Les propos de M. E sont à cet égard éclairants: " C'est moi qui ai signé un contrat de distribution avec Philips. Nous, c'est de loin notre premier fournisseur. Ce contrat que j'ai signé avec Philips m'oblige à faire un certain nombre de pièces et à partir de ce moment là j'ai un certain nombre de tarifs qui me permet de revendre (...). Aujourd'hui, moi quand je vends du Philips, vous savez j'ai un revendeur qui a fait des promotions de prix sur de l'autoradio Philips et bien on m'a dit 'il y a un problème il ne le vend pas suffisamment cher etc... ", j'ai dit " qu'est ce que vous voulez que je vous dise ? " ; " oui mais il y avait un gros distributeur qui était sur le coup, vous vous rendez compte c'est 40 balles en moins ", et bien j'ai dit 'qu'est ce que vous voulez que je vous dise ? " ; par contre on m'a appelé on m'a dit " c'est embêtant' alors j'ai expliqué que c'était un marché spécifique, etc. Donc ils suivent, ce qui est logique, c'est eux qui vendent les produits, c'est eux qui ont les brevets chez Philips, sans pour autant faire la loi, ils suivent un petit peu, ce qu'ils font, c'est de bonne guerre (...). Vous vous mettrez en infraction de vous-même à partir du moment où vous vendez des produits sans marge (...) ".

295. Il est établi que chaque revendeur ayant signé cette charte et accepté les annexes précitées, doit respecter la politique de communication de Philips à travers ses annonces de prix dans des publicités (catalogues ou dépliants). Il s'ensuit que chaque distributeur lié par le contrat de coopération Philips, lorsque ce dernier comprend la charte partenaire qualité Philips et les annexes précitées, est d'accord pour se conformer aux prix conseillés oralement par Philips. En outre, par l'intermédiaire de cette charte, Philips contrôle les prix de détail pratiqués par ses distributeurs.

Sur l'existence d'un contrôle des prix de détail conseillés par Philips

296. Philips estime que les propos, ci-dessus rapportés, des deux grossistes SNER et SCIE CREL selon lesquels Philips contrôlerait l'application des prix conseillés par les distributeurs via ses représentants sont dénués de valeur probante car ils n'individualisent pas précisément Philips et ne sont pas confirmés par des déclarations de détaillants qui se seraient vu imposer des prix conseillés. Philips ajoute qu'elle ne s'est jamais opposée à ce que les sociétés de vente de produits bruns pratiquant des prix bas s'approvisionnent en produits de marque Philips auprès des grossistes.

297. Le Conseil constate cependant que Philips fait partie des fabricants expressément cités par la SNER et la SCIE CREL comme imposant des prix de vente conseillés que leurs représentants sont chargés de faire respecter.

298. M. E, PDG de la SCIE CREL, a tenu le 9 avril 1998 le propos suivant (point 106) :

" Vous avez plein de marques qui disparaissent et bien les marques qui disparaissent sont celles qui n'ont pas su faire tenir leurs prix. Qu'est-ce qui reste ? Eh bien, il y a Sony qui impose, c'est vrai, un peu les prix marchés, vous avez Philips qui impose, vous avez Panasonic, Technics, tous les gens qui arrivent un petit peu ... Les représentants de marque passent 70 % de leur temps à faire remonter les prix. Personne vous l'écrira ça ... Mais un représentant de marque, il passe son temps à être appelé par une enseigne, Connexion ou ... " Mais ha ! pourquoi Auchan fait tel produit ? Vous vous rendez compte, on l'avait référencé' et hop, qu'est ce que fait le représentant de la marque ? Il va chez Auchan en disant : 'Pourquoi vous avez mis tel produit ? ". Ils passent leur temps à faire remonter les prix ".

299. De même, M. F, PDG de la SNER a prévenu M. X des risques de pratiquer des prix inférieurs aux prix conseillés par Philips et Sony, le 10 avril 1998 (point 81) : "Ca risque de ne pas bien se passer de toute façon. Vous savez, ces gens là, ils sont tellement puissants, que ce soit Philips, Sony, tout ça, ils vous embêteront même au niveau bancaire ; ils sont capables de faire n'importe quoi ces gens-là ...Donc il faut pas, il faut pas trop attirer l'attention, voilà ce que je veux dire ".

300. De plus, le Conseil a déjà relevé que Philips n'hésitait pas à contrôler et à rappeler à l'ordre ses distributeurs directement par téléphone comme le montrent les pressions exercées sur la SCIE CREL et la SNER pour ne pas livrer TVHA, les explications demandées par Philips à la SCIE CREL s'agissant de la revente " à prix dément " d'un autoradio de marque Philips dans la région de Lyon (points 52 et 127) ou encore le litige avec la Serap dans la région de Mont d'Or (point 163).

301. Enfin, trois déclarations concordantes de distributeurs vendant leurs produits sur Internet précisent que Philips a toujours refusé de leur ouvrir un compte, compte tenu de leur politique de prix bas (points 164, 165, 166). Par conséquent, même si ces entreprises ont pu s'approvisionner en produits Philips auprès des grossistes et pratiquer des prix inférieurs à ceux pratiqués par les clients traditionnels de Philips s'approvisionnant en direct, ces faits ne font que confirmer que les distributeurs ayant conclu un contrat de coopération avec Philips ne peuvent déterminer librement leur politique de prix sur les produits Philips compte tenu du contrôle exercé par ce fournisseur sur leur politique de communication.

302. Il en résulte qu'il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant que Philips a mis en place un système de contrôle des prix de revente au détail pratiqués par ses distributeurs afin de s'assurer du respect durable des prix minimum conseillés qu'elle leur transmet oralement.

303. Le Conseil conclut de l'ensemble de ce qui précède que ces indices graves, précis et concordants démontrent l'existence de novembre 1997 à fin 1998, d'une entente entre Philips et chacun de ses distributeurs, auxquels sont diffusés oralement les prix conseillés par Philips, entente révélée à la fois par la concentration remarquable des prix de vente au détail des produits de marque Philips à travers l'ensemble des relevés de prix figurant au dossier sur les téléviseurs, magnétoscopes, chaînes Hi-fi et lecteurs DVD, la signature du contrat de coopération Philips comprenant la " charte partenaire qualité Philips " et les annexes susmentionnées, ainsi que d'autres mécanismes de contrôle de prix mis en place par Philips. Cette pratique, qui a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu de la concurrence, est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

c) Sur l'entente entre la société Sony et ses distributeurs

304. Il convient de rappeler que les enregistrements sonores des propos tenus par les représentants de Sony n'ont pas été retenus faute de valeur probante.

Sur l'évocation de prix de détail entre Sony et ses distributeurs

305. La société Sony admet communiquer, de façon ponctuelle, les prix constatés à certains revendeurs, au moment de l'ouverture d'un compte pour faciliter le positionnement de leurs prix. Le tarif Sony remis à TVHA comporte ainsi des prix publics conseillés manuscrits. Toutefois, elle soutient qu'il n'existe aucun élément dans le dossier de nature à démontrer qu'elle a eu une politique générale de diffusion de prix de vente au public conseillés, de sorte qu'il convient d'abandonner le grief à son encontre en application de la jurisprudence communautaire General Motors et Opel C/ Commission.

306. Toutefois, il existe, en premier lieu, au dossier des éléments montrant que la société Sony a communiqué à TVHA des tarifs de vente au public conseillés qui vont au-delà des informations ponctuelles visées ci-dessus. Ainsi, un tarif Sony comportant l'indication manuscrite de prix de vente au détail a été transmis à la société TVHA à l'occasion d'une réunion en septembre 1997 entre M. Y, représentant de Sony et M. X (point 25). Le 7 octobre 1997, a également été adressée à TVHA une télécopie sur laquelle figurent de manière manuscrite les prix de vente au détail de trois produits Sony (point 26).

307. En second lieu, d'autres éléments au dossier indiquent qu'il ne s'agissait pas d'une démarche isolée. En effet, M. Q, président de la société Marcopoly, confirme, dans un procès-verbal de déclaration en date du 20 septembre 2002, d'une part, l'existence de prix de revente conseillés par ses fournisseurs, dont Sony, et d'autre part, l'existence de négociations avec ses fournisseurs, dont Sony, sur les prix des produits en fin de vie (point 164). De même, M. E, président de la SCIE CREL, dans le propos enregistré par M. X le 21 avril 1998 affirme (point 106) " eh bien il y a Sony qui impose un peu les prix de marché ". Le président de la SNER, M. F explique également à l'enquêteur: " aussi bien Sony qui était le deuxième fournisseur de la Sner que Thomson et tous les autres fabricants de produits bruns agissent pour que les prix de revente conseillés soient strictement respectés (...) Lorsque j'évoque dans ce dernier enregistrement " la règle du jeu " je faisais référence au respect des prix conseillés par les différentes marques auprès des revendeurs. Notre propre tarif SNER de base tenait compte des recommandations des fournisseurs " (point 161).

308. Enfin, les relevés de prix réalisés par TVHA dans les catalogues des distributeurs (point 18) montrent que sur les 64 références Sony (téléviseurs, magnétoscopes, lecteurs DVD, caméscopes et chaînes Hi-Fi) pour lesquelles figure au catalogue de la SNER un prix de vente conseillé au public, ces prix correspondent pour 61 références, à 10 FF près, aux prix conseillés par Sony figurant de manière manuscrite sur le tarif remis à TVHA. Ces prix ont donc été également diffusés à la SNER.

Sur l'application effective des prix conseillés par les distributeurs de Sony au regard des relevés de prix

309. Les prix des produits Sony ont été relevés par TVHA dans 38 catalogues d'enseignes différentes distribuant des produits d'électronique grand public, dont celui de la SNER (point 18). Ces prix ont été comparés au prix conseillé par Sony tel qu'il a été indiqué de façon manuscrite dans le tarif communiqué à TVHA :

* s'agissant des téléviseurs, les prix de 25 références Sony ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 12, dont celui de la SNER, soit 102 prix au total, dont 96 sont égaux à 10 FF près (88) ou supérieurs (8) à un même prix, correspondant au prix conseillé par Sony, soit un taux de suivi remarquable de 94 % ;

* s'agissant des magnétoscopes, les prix de 14 références Sony ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 14, dont celui de la SNER, soit 59 prix au total, dont 51 sont égaux à 10 FF près à un même prix, correspondant au prix conseillé par Sony, soit un taux de suivi remarquable de 86 % ;

* s'agissant des caméscopes, les prix de 18 références Sony ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 20, dont celui de la SNER, soit 120 prix au total, dont 118 sont égaux à un même prix, correspondant au prix conseillé par Sony, soit un taux de suivi de 98 % ;

* s'agissant des chaînes Hi-Fi, les prix de 14 références Sony ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de 1 à 5, dont celui de la SNER, soit 41 prix au total, dont 40 sont égaux (38) ou supérieurs (2), à un même prix, correspondant au prix conseillé par Sony, soit un taux de suivi de 98 %.

* s'agissant des lecteurs de DVD, le prix d'une référence Sony a été relevé dans deux catalogues, dont celui de la SNER, pour laquelle seul le prix du catalogue SNER correspond, l'autre étant supérieur de 500 FF.

310. Par ailleurs, les relevés de prix IFR réalisés entre septembre 1998 et mars 1999, dans un nombre de points de vente variant de 3 à 59, répartis sur l'ensemble de la France, pour quelques références de produits Sony, permettent de constater que leurs prix sont remarquablement concentrés autour d'un même prix (" prix moyen constaté ") (point 19) :

<emplacement tableau>

311. En revanche, les relevés de prix effectués par les enquêteurs entre le 31 octobre et le 4 décembre 2002 ne peuvent établir que les distributeurs de Sony appliquaient, en 1998, les prix conseillés. Ils sont par ailleurs insuffisants pour démontrer, à eux seuls, que la pratique dénoncée s'est poursuivie jusqu'en 2002. Il en est de même pour les relevés IFR concernant la même période communiqués par Sony à l'appui de ses observations à la notification de griefs.

Sur la représentativité des relevés de prix effectués par TVHA

312. Sony fait valoir que les relevés effectués par TVHA dans les catalogues d'enseignes distribuant des produits d'électronique grand public sont insuffisamment représentatifs et qu'en conséquence, ils ne démontrent pas que les distributeurs respectent les prix prétendument conseillés. En particulier, elle soutient que lorsqu'une référence n'est proposée que dans moins de cinq catalogues, elle doit être écartée de l'échantillon.

313. Elle objecte également que lors de la procédure de mesures conservatoires en 1998, les distributeurs avaient contesté les relevés de prix présentés par TVHA et que dès lors qu'ils ne sont plus dans la cause, alors qu'ils sont les mieux à même de défendre ou de contester la véracité, la représentativité et la portée des relevés, ceux-ci doivent être considérés comme dénués de fondement. Selon elle, les distributeurs affirmaient déterminer leurs prix de façon indépendante et les sociétés Camif ou Appartenance, en particulier, faisaient valoir que dans près de 70 % des cas, les données figurant dans ce tableau montraient qu'ils s'affranchissaient des prétendus prix conseillés. Les distributeurs avaient en outre indiqué que les prix mentionnés dans les catalogues devaient être relativisés dans la mesure où, d'une part, ils ne concernent pas toujours l'ensemble des produits vendus en magasins, et où, d'autre part, ils ne correspondent pas forcément aux prix effectivement pratiqués puisqu'ils ne prennent notamment pas en compte les réductions et offres promotionnelles.

314. Sur la représentativité des relevés de prix, les objections avancées par la société Sony sont en partie les mêmes que celles de la société Philips auxquelles des réponses ont été apportées ci-dessus aux points 274 et 275. Ainsi, la constatation dans les relevés de prix effectués par TVHA dans les catalogues des distributeurs, d'une identité (à 10 FF près), entre le prix figurant sur un catalogue, et le prix conseillé par Sony à TVHA dans ses annotations manuscrites, renseigne sur le respect des prix par les distributeurs. De plus, bien qu'une référence soit proposée par un grand nombre d'enseignes la probabilité de trouver des prix différents de ceux conseillés par Sony ne s'en trouve pas accrue. Par exemple, le caméscope Sony CCDTR511E est proposé dans 20 catalogues au prix identique de 3 990 FF correspondant à 10 FF près à celui indiqué par Sony, soit 4 000 FF.

315. S'agissant des observations faites par les distributeurs et rappelées par la société Sony, il convient, en premier lieu, de rappeler qu'elles sont contredites par d'autres déclarations figurant au dossier. Ainsi, la société Marcopoly a confirmé appliquer les prix imposés par ses fournisseurs, en particulier Sony, et leur demander l'autorisation pour baisser les prix des produits en fin de vie (point 164). De plus, M. E, PDG de la SCIE CREL qui s'approvisionne en produits de marque Sony, a précisé dans son procès-verbal d'audition que " Notre propre équipe de vente constate que les 'prix généralement constatés ou 'conseillés' sont réellement pratiqués ou suivis en général par les grandes enseignes de la distribution (Darty, Auchan, FNAC, Boulanger, etc) (point 160).

316. En deuxième lieu, les observations de la Camif et de l'enseigne Appartenance selon lesquelles, pour une large part, elles ne respectaient pas un prix imposé s'expliquent par le fait que 79 références sur 113 références figurant dans les catalogues Camif et Appartenance ne correspondent pas à celles pour lesquelles un prix conseillé par le fabricant a été identifié. En revanche, les données des tableaux constitués par TVHA permettent de constater que, s'agissant des références pour lesquelles Sony a indiqué de façon manuscrite un prix conseillé à TVHA, les deux distributeurs ont appliqué les prix conseillés dans des proportions qui se rapprochent de celles de l'ensemble des distributeurs.

* Pour la Camif :

- Télévisions : 4 références sur 5 soit un taux de suivi de 80 %

- Caméscopes : 4 références sur 6 soit un taux de suivi de 67 %

- Hi-fi : 3 références sur 4 soit un taux de suivi de 75 %

- Baladeur : 1 référence sur 1 soit un taux de suivi de 100 %.

* Pour Appartenance :

- Télévisions : 4 références sur 5 soit un taux de suivi de 80 %

- Télévision 16/9 : 7 références sur 7 soit un taux de suivi de 100 %

- Caméscopes : 4 références sur 6 soit un taux de suivi de 67 %

- Hi-fi : 3 références sur 4 soit un taux de suivi de 75 %

- Baladeur : 1 référence sur 1 soit un taux de suivi de 100 %.

317. En troisième lieu, les prix figurant dans les catalogues publiés par les enseignes sont les prix que les consommateurs peuvent s'attendre à trouver dans les magasins. Il n'est pas allégué que la négociation par les consommateurs de réductions sur ces prix publiés soit une pratique courante. Quant aux opérations promotionnelles, il ressort de l'ensemble du dossier que les fabricants entendent justement les éviter par les pratiques de prix imposés qui sont mises en cause, comme l'illustre l'épisode de l'autoradio Philips relaté par le responsable de la SCIE CREL (points 52 et 127).

Sur la lecture des relevés de prix IFR

318. Sony relève, s'agissant des relevés de prix IFR de septembre 1998 à mars 1999 produits par le rapport d'enquête administratif, qu'ils ne concernent qu'un petit nombre de références Sony. Elle soutient qu'une analyse dynamique de ces données, telle que celle conduite dans l'étude économique qu'elle présente, permet seule d'apprécier le comportement des opérateurs, qui ne serait pas anticoncurrentiel. Elle relève ainsi une grande variabilité des taux de suivi d'un produit à l'autre et d'un mois à l'autre, qui serait gommée par la présentation systématique de moyennes. Les données feraient apparaître en outre, une érosion dans le temps du taux de suivi accompagnée d'une baisse des prix vers un nouveau prix d'équilibre du marché, ce qui se traduit alors par une remontée du taux de suivi. Ces évolutions seraient, pour Sony, l'expression même de la concurrence entre distributeurs. Les pratiques de veille tarifaire, couramment mises en place par les distributeurs, leur permettraient de surveiller les prix de leurs concurrents et d'ajuster leurs prix en conséquence.

319. Les relevés de prix IFR au cours de la période de septembre 1998 à mars 1999 permettent de confirmer la concentration remarquable des prix effectivement pratiqués par les distributeurs autour d'un même prix. L'évolution dans le temps relevée par la société Sony corrobore les déclarations selon lesquelles le contrôle du respect des prix imposés par le fabricant porte surtout sur les nouveaux produits. Ainsi, le responsable de la SNER affirme à M. X dans une conversation téléphonique enregistrée par celui-ci : " Partant de là, moi je peux me faire bloquer aussi si réellement vous cassez les prix : si c'est sur des anciens modèles, des trucs comme ça, ça fera pas grand chose mais si des nouveaux produits et que vous cassez les prix, alors là il y aura des remontées radioactives dans les heures qui suivent " et plus loin : " ... y'a des fois, ils sont bien contents quand ils sont surpeuplés sur certains produits ou de produits qui changent de référence de les dégager rapidement ...donc c'est pas à 100 % ".

Sur les stipulations du contrat de coopération Marketing et l'existence de systèmes de contrôle des prix de détail conseillés par Sony

320. Sony estime que son contrat de coopération marketing (point 168) signé avec la Serap et Connexion a été utilisé par l'instruction de manière artificielle afin de démontrer qu'il était la fois l'outil et la preuve de l'entente sur les prix poursuivie entre Sony et chacun de ses distributeurs. Or il s'agit, selon cette société, d'un contrat classique par lequel les distributeurs signataires s'engagent à réaliser certaines opérations promotionnelles ou publicitaires en contrepartie d'une rémunération versée à la suite d'un contrôle a posteriori de la réalisation effective des dites opérations, conformément à la circulaire Dutreil du 16 mai 2003. Sony ajoute qu'aucune disposition de ce contrat n'est relative au niveau de prix pratiqués par les distributeurs, ni à des prix conseillés ou imposés par Sony. Sony précise enfin que ce contrat a été validé par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 5 octobre 2004 comme ne participant pas à une politique d'imposition de marge. Pour l'ensemble de ces raisons, ce contrat ne saurait servir à démontrer l'accord de volonté des distributeurs à la politique de prix imposés de Sony.

321. Le contrat de coopération Marketing Sony ne contient en effet aucune stipulation relative au respect de la politique tarifaire de Sony ou à l'existence de prix imposé de nature à conduire à une politique d'imposition de marge. Ensuite, à la différence de l'annexe " Campagnes publicitaires du revendeur (...) " de la " charte partenaire qualité Philips ", le contrat de coopération Marketing Sony ne contient aucune stipulation imposant au distributeur de " prendre toutes les précautions pour que les publicités ne soient pas en contradiction avec les campagnes de publicités nationales " de Sony. De même, contrairement à l'annexe " Groupement - publicités et promotions " la " charte partenaire qualité Philips ", le contrat de coopération Marketing Sony n'impose pas à ses distributeurs d'informer Sony des faits constatés chez d'autres distributeurs. Le contrat de coopération Marketing Sony ne pourrait donc suffire à lui seul à démontrer une entente sur les prix entre Sony et chacun de ses distributeurs conformément à la décision n° 05-D-07.

322. Toutefois, la constatation d'une entente sur les prix imposés entre un fournisseur et chacun de ses distributeurs peut également résulter de la réunion de plusieurs indices, conformément aux décisions n° 04-D-33 et n° 05-D-07 précitées. En présence de la diffusion d'une politique générale de prix conseillés par le fournisseur, l'accord de volonté des distributeurs est alors démontré par l'application effective des prix conseillés caractérisée par une concentration anormale des prix pratiqués par rapport au prix conseillé ou prix généralement constaté, ce qui est le cas pour Sony, et ce, dès lors qu'il existe également un système de contrôle des prix conseillés.

323. Or, il y a lieu de relever que le contrat de coopération Marketing Sony constitue bien pour Sony un instrument de contrôle a posteriori des mesures de publicité réalisées par ses distributeurs locaux. En effet, " les actions promotionnelles ou publicitaires " mentionnées au contrat de coopération Marketing Sony consistent notamment en la diffusion par les distributeurs de " mailings ou catalogues " portant sur des produits Sony qui doivent être présentés à Sony, au même titre que la facture, pour obtenir la rémunération de Sony. Il n'est pas contesté que figurent sur ces mailings ou catalogues publicitaires ou promotionnels les prix des produits Sony pratiqués par le distributeur. Là encore, les nombreux catalogues de distributeurs transmis par TVHA en 1998 présentent tous les prix de vente au détail de ces produits (point 18). Il en résulte que le contrat de coopération Marketing Sony donne les moyens à Sony de contrôler les prix pratiqués au niveau local par les distributeurs qui ont signé le contrat.

324. L'existence d'un système de contrôle des prix pratiqués par les distributeurs de Sony est par ailleurs confirmé par les difficultés rencontrées par TVHA à la suite de la diffusion de sa publicité du 11 novembre 1997, et la visite du responsable régional de Sony dès le 13 novembre pour obtenir des explications sur les " -20 % " proposés par TVHA sur les produits Sony ainsi que l'atteste une télécopie du 12 novembre 1997 adressée par M. Y, représentant de Sony pour prévenir TVHA de son prochain passage pour obtenir des explications sur les prix de " -20 % " figurant dans la publicité émise par TVHA le 11 novembre 1997 (point 27).

325. A cet égard, Sony considère qu'il n'existe aucun élément dans le dossier démontrant qu'elle ait mis en œuvre des mesures de rétorsion contre TVHA ou tout autre distributeur pratiquant des prix bas. Sony ajoute qu'elle a livré régulièrement TVHA malgré sa politique de prix bas jusqu'en 1999.

326. Toutefois, le Conseil constate qu'il ressort du dossier que l'encours accordé par Sony a TVHA est passé de 75 000 francs (26 septembre 1997) à 50 000 francs (28 novembre 1997) sans qu'il y ait eu d'incident de paiement. En outre, après avoir été condamnée par ordonnance du Tribunal de commerce de Grenoble le 1er avril 1998 pour ne pas avoir communiqué ses documents commerciaux à TVHA, Sony a conclu avec TVHA, le 27 avril 1998, un protocole d'accord en vertu duquel les parties ont convenu de soumettre tous litiges les concernant à une procédure d'arbitrage en contrepartie du versement d'une somme de 250 000 francs par Sony à TVHA. Ainsi, Sony a obtenu de ne pas être mise en cause par TVHA dans sa saisine devant le Conseil de la concurrence comme l'a confirmé TVHA dans ses observations, et espéré ainsi échapper au contrôle du Conseil.

327. En tout état de cause, les propos enregistrés tenus par MM. E (point 106) et F... (point 81) montrent que Sony contrôle la politique de communication de ses distributeurs via le passage de ses représentants qui " passent les trois quarts de leur temps à faire remonter les prix ". En outre, il ressort du procès-verbal de déclaration de M. F que Sony veille à ce que les prix conseillés soient strictement respectés par les revendeurs dans les trois à six premiers mois suivants leur sortie (point 161). M. F, PDG de la SNER, a tenu le propos suivant le 10 avril 1998 (point 81) " Ça risque de ne pas bien se passer de toute façon. Vous savez ces gens-là, ils sont tellement puissants, que ce soit Philips, Sony tout ça ils vous embêteront même au niveau bancaire (...) ".

328. Il en résulte qu'il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants démontrant que Sony a mis en place un système de contrôle des prix de revente au détail pratiqués par ses distributeurs afin de s'assurer du respect durable des prix minimum conseillés qu'elle leur a transmis oralement.

329. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, le Conseil de la concurrence conclut qu'il existe plusieurs indices graves, précis et concordants démontrant que, de novembre 1997 à fin 1998, l'alignement des prix de vente des produits Sony résulte d'une entente entre Sony et chacun de ses distributeurs auxquels sont diffusés les prix conseillés par Sony, entente révélée à la fois par la concentration remarquable des prix de vente au détail des produits de marque Sony que confirme l'ensemble des relevés de prix figurant au dossier sur les téléviseurs, magnétoscopes, chaînes Hi-Fi et lecteurs DVD, et l'existence de mécanismes de contrôle des prix pratiqués par ses distributeurs, au moyen du contrat de coopération Marketing et du passage de ses représentants ou responsables régionaux. Cette pratique, qui a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu de la concurrence, est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

d) Sur l'entente entre Panasonic et ses distributeurs.

330. Il convient de rappeler que les enregistrements sonores des propos tenus par M. I, attaché commercial de Panasonic, n'ont pas été retenus faute de valeur probante.

Sur l'évocation de prix de détail entre Panasonic et ses distributeurs

331. Panasonic reconnaît avoir édité un document établi par le département Marketing de la division EGP de Panasonic indiquant le prix de base hors taxe, un PVMC " Prix de Vente Maximum Conseillé à partir du 1er avril 1998 " et la disponibilité d'une partie de la gamme de ses produits. Toutefois, elle soutient que la diffusion de prix maximum conseillés est licite en droit de la concurrence, contrairement à des prix minimum imposés. Elle produit une étude économique exposant qu'un système de prix maximum conseillés permet notamment de réduire le risque de marginalisation du fournisseur, et de contrebalancer l'asymétrie d'informations entre les distributeurs et les fournisseurs concernant la propension à payer de la demande finale. De plus, elle fait valoir qu'il n'est pas établi qu'elle aurait consulté ses distributeurs pour établir le niveau du prix de revente de ces produits. Or, la seule diffusion d'une liste de prix conseillés ne saurait, selon elle, suffire à réaliser la condition d'une " évocation des prix de revente entre le fournisseur et ses distributeurs au sens de la jurisprudence du Conseil de la concurrence ".

332. Conformément à la jurisprudence du Conseil (cf. notamment les décisions n° 00-D-10 et n° 03-D-39), il est effectivement licite pour un fabricant de déterminer des prix maximum de revente ou des prix conseillés, à condition que la nature de ces indications soit sans ambiguïté et que ces prix ne revêtent pas, en réalité, le caractère de prix imposés ou de prix minimum. Or, il ressort du dossier que quelle que soit la signification du " M " dans l'acronyme " PVMC ", les interventions de la société Panasonic n'ont pas eu pour but de dissuader les distributeurs de proposer des prix supérieurs mais des prix inférieurs à ces PVMC. S'agissant de l'évocation des prix avec les distributeurs dans la jurisprudence rappelée ci-dessus (point 250), celle-ci la définit comme tous procédés par lesquels un fabricant fait connaître à ses distributeurs le prix auquel il entend que ses produits soient vendus au public. La notion d'évocation n'implique pas que les prix aient été négociés avec les distributeurs, ni même discutés oralement. L'élaboration et la diffusion par un fabricant à ses distributeurs d'un document général décrivant les prix de base, les prix de vente conseillés au détail, et la date présente ou future de la disponibilité des produits, à ses distributeurs, caractérise donc l'existence d'une politique générale de diffusion de prix conseillés consistant en une " évocation des prix de revente entre le fournisseur et ses distributeurs à l'occasion de négociations commerciales " sans qu'il soit nécessaire de démontrer que les négociations commerciales entre le fournisseur et ses distributeurs ont porté sur l'élaboration de ces prix.

333. Enfin, il convient de relever que M. J a confirmé dans son procès-verbal de déclaration que " sur les enregistrements sonores, le fait que j'ai pu dire que 'les prix PANASONIC étaient imposés' ou 'normalement imposés', je faisais sans doute allusion aux prix publics généralement constatés dont on sait qu'ils existent dans toute la profession (...) ".

334. Le Conseil de la concurrence en déduit qu'il est démontré que Panasonic a évoqué les prix de détail de ses produits auprès de ses distributeurs par la diffusion générale d'une liste de prix conseillés au public.

Sur l'application effective des prix conseillés par les distributeurs de Panasonic

335. Les relevés de prix réalisés par TVHA à partir de 37 catalogues ou autres documents publiés au printemps/été 1998, édités par des enseignes différentes (hypermarchés, grands magasins, grandes surfaces spécialisées, petits spécialistes, spécialistes photo et entreprises de ventes par correspondance) (point 18), ainsi que du catalogue de la SNER, ont été comparés aux PVMC de Panasonic. Il ressort que :

* les prix de trois références de téléviseurs Panasonic ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de un à cinq, soit huit prix au total, tous égaux au PVMC ;

* les prix de quatre références de magnétoscopes Panasonic ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de un à cinq, soit au total quinze prix, tous égaux aux PVMC ;

* les prix de onze références de caméscopes Panasonic ont été relevés dans un nombre de catalogues variant de un à neuf, soit quarante cinq prix parmi lesquels quarante quatre sont égaux, à 10 FF près, au PVMC et un lui est supérieur ;

* il n'existe au dossier qu'une référence de lecteur de DVD Panasonic pour laquelle existe un PVMC, respecté par quatre distributeurs parmi lesquels un distributeur propose cependant un prix supérieur de 500 FF ;

* il n'existe au dossier aucun PVMC pour les chaînes Hi-Fi Panasonic.

336. Cette concentration remarquable des prix est confirmée par les relevés de prix effectués par l'institut IFR entre septembre 1998 et mars 1999 (point 19) puisque le taux moyen de suivi des prix pratiqués par rapport au prix le plus souvent constaté sur les magnétoscopes, caméscopes et chaînes Hi-Fi est le suivant:

Taux de suivi moyen :

<emplacement tableau>

337. De plus, la société Marcopoly a déclaré appliquer les prix imposés par ses fournisseurs, en particulier Panasonic et précise qu'elle leur demande l'autorisation pour baisser les prix des produits en fin de vie (point 164). De plus, M. E, président de la SCIE CREL qui s'approvisionne en produits de marque Panasonic, a précisé dans son procès-verbal de déclaration que " notre propre équipe de vente constate que les 'prix généralement constatés' ou 'conseillés' sont réellement pratiqués ou suivis en général par les grandes enseignes de la distribution (Darty, Auchan, FNAC, Boulanger, etc.) " (point 160).

338. La société Panasonic fait valoir qu'à supposer même que la liste des PVMC figurant au dossier soit retenue comme référence afin de la comparer aux prix effectivement pratiqués par les distributeurs, elle ne concerne que l'année 1998, et ne peut donc être comparée à des prix effectifs postérieurs.

339. Elle soutient qu'en tout état de cause, les relevés de prix sur lesquels s'appuient les griefs notifiés sont contredits par les éléments qu'elle produit. Ainsi, elle a fourni à l'appui de son mémoire en réponse à la notification de griefs des relevés de prix réalisés par " la société CMI " et portant sur 2 références de baladeurs-cassettes, 5 références de téléviseurs, 3 références de magnétoscopes, 4 références de caméscopes, 3 références de radiocassettes laser, 2 références de baladeurs CD, 1 référence de chaîne Hi-Fi, dont les prix ont été relevés auprès de 4 à 17 distributeurs (Fnac, Darty, Auchan, Carrefour, Boulanger, Leclerc, Connexion, etc.) situés dans les régions de Strasbourg, Metz/Nancy, Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux et Nantes. Au total, 28 prix ont été relevés le 20 mars 1998 (baladeurs CD), 72 prix le 6 juillet 1998 et 98 le 25 août 1998. Ces relevés démontreraient que les prix effectivement pratiqués étaient inférieurs aux prix conseillés par Panasonic en juillet-août 1998. Les 198 prix ainsi relevés seraient tous inférieurs aux PVMC ce qui démontrerait l'absence d'application généralisée des prix conseillés.

340. S'agissant des relevés IFR portant sur la période septembre 1998-mars 1999 joints au rapport d'enquête administrative, la société Panasonic soutient que la comparaison de ces relevés avec les PVMC pour 1998 montre l'absence d'application généralisée des prix conseillés. Elle a réalisé cette comparaison pour 3 références de téléviseurs, 2 références de magnétoscopes et 3 références de chaînes Hi-Fi pour lesquelles étaient disponibles des PVMC et dont le prix avait été relevé par IFR. Sur l'ensemble de la période étudiée, le taux de suivi serait de l'ordre de 20 % seulement pour les téléviseurs, de 60 % seulement pour les magnétoscopes et de 80 % pour les chaînes Hi-Fi.

341. L'étude de la société CMI, qui n'est pas connue comme exerçant habituellement cette activité statistique et dont les méthodes de recueil d'informations n'ont pu être vérifiées, ne peut servir à contredire les relevés sur lesquels est fondé le grief notifié et qui reposent soit sur les relevés de l'institut IFR figurant au dossier, qui n'ont pas été produits pour les besoins de la cause mais sont régulièrement diffusés, soit sur des relevés effectués à partir de catalogues ou publicités qui ont été versés au dossier et ont pu être vérifiés.

342. S'agissant de la comparaison entre les PVMC Panasonic et les relevés IFR concernant la période septembre 1998-mars 1999, la présentation par Panasonic de moyennes de prix des mêmes références, calculées pour plusieurs mois, sur un petit nombre de références ne permet pas de séparer deux informations : d'une part, le suivi d'un prix conseillé par les distributeurs, d'autre part, l'évolution dans le temps du prix du produit. Comme cela a déjà été signalé plus haut (point 279), les déclarations des grossistes précisent que la police des prix mise en place par les fabricants est particulièrement stricte pour les produits nouveaux. De plus, il convient de relever que les PVMC qui ont servi de référence sont ceux figurant au dossier, en date du 1er avril 1998, et que le décalage de cinq mois avec les premiers relevés IFR, soit septembre 1998, contribue sans doute à expliquer les résultats obtenus par la société Panasonic, compte tenu du rythme rapide de vieillissement des références et de l'apparition de nouvelles références. La comparaison des PVMC d'avril 1998 avec les prix relevés par l'institut IFR entre avril 1998 et septembre 1998 (point 20) fait d'ailleurs apparaître un alignement beaucoup plus marqué pour deux des trois références de téléviseurs testés par Panasonic, les trois références de chaîne Hi-Fi et les deux références de magnétoscopes. La seule référence de télévision (TX28XD3F) pour laquelle l'alignement est moins significatif est un produit déjà ancien ce qui explique le passage d'un suivi par 100 % des distributeurs en avril 1998 puis par 61 % en juin 1998 et par 1 % en septembre 1998.

Sur l'existence de mécanismes de contrôle des prix conseillés mis en œuvre par Panasonic

343. Panasonic fait valoir qu'elle ne dispose pas d'un pouvoir de marché ou d'une marque incontournable qui lui permette de mettre en place des mécanismes de contrôle des prix conseillés et des menaces de rétorsion vis-à-vis des distributeurs qui pratiqueraient des prix discount. De plus, Panasonic soutient que les responsables de la Satair, de Connexion et de la Serap ont affirmé ne connaître aucune difficulté de la part de Panasonic malgré leur politique de prix bas.

344. Le Conseil constate toutefois que les déclarations enregistrées de M. E (SCIE CREL, point 106), de M. J (Satair, point 143), et les procès-verbaux de déclarations de M. Q, PDG de la société Marcopoly (point 164) citent également Panasonic parmi les fournisseurs pratiquant un contrôle des prix. Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de déclaration de M. E que Panasonic l'avait contacté et " mis en garde " à propos du comportement de la société Avantage (point 160).

345. Or, s'il est exact que M. T, responsable de la Serap a déclaré le 12 juin 2002 : " globalement avec les fournisseurs suivants (...) Panasonic (...) nous n'avons pas rencontré de problème particulier depuis 2 ou 3 ans ", cela ne saurait en aucun cas démontrer l'absence de système de contrôle ou de menaces de rétorsion mis en place par Panasonic entre novembre 1997 et mars 1999. De la même manière, si M. U, responsable de la société Connexion a déclaré le 19 juin 2002 " à l'égard des autres fournisseurs d'électronique grand public il n'y a pas de problèmes particuliers avec Connexion au cours des cinq dernières années que ce soit en termes d'approvisionnements ou de respect des accords commerciaux (...) ", le Conseil relève que cette déclaration ne saurait combattre les indices selon lesquels Panasonic exerçait un contrôle des prix auprès de ses distributeurs à l'époque des faits.

346. Par ailleurs, s'il est exact que M. J a déclaré à l'enquêteur (point 162) " Jusqu'à présent aucun commercial ou contrôleur de Panasonic n'est venu pour vérifier nos prix de revente ", il n'a pas contesté le fait, pour Panasonic, de faire peser sur ses distributeurs des menaces de rétorsion en cas de non-respect des prix conseillés puisqu'il a simplement précisé " Pour nous le risque avec Panasonic - éventuel - était infime puisque nos volumes de transaction sont extrêmement faibles avec ce fournisseur et que par ailleurs l'épisode des enregistrements sonores de M. X relevait pour nous de la pure anecdote ".

347. Le Conseil en déduit donc qu'il existe plusieurs indices graves, précis et concordants démontrant que Panasonic a mis en place un système de contrôle des prix pratiqués par ses distributeurs afin de veiller à ce qu'ils respectent les prix conseillés.

348. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, le Conseil de la concurrence conclut qu'il existe plusieurs indices graves, précis et concordants démontrant que, de novembre 1997 à fin 1998, l'alignement des prix de vente des produits Panasonic résulte d'une entente entre Panasonic et chacun de ses distributeurs auxquels est diffusé une liste de prix de vente au détail conseillés par Panasonic, entente révélée à la fois par la concentration remarquable des prix de vente au détail des produits de marque Panasonic par rapport aux prix conseillés sur les téléviseurs, magnétoscopes, chaînes Hi-Fi et lecteurs DVD, et l'existence de mécanismes de contrôle des prix pratiqués par ses distributeurs. Cette pratique, qui a eu pour objet et pour effet de faire obstacle à la libre fixation des prix par le jeu de la concurrence, est prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

e) Sur le grief notifié à Pioneer

349. Il convient de rappeler que les enregistrements sonores des propos tenus par les représentants de Pioneer n'ont pas retenus pour insuffisance de valeur probante.

350. La société Pioneer soutient qu'il n'existe aucun faisceau d'indices graves, précis et concordants prouvant un alignement des prix entre fabricants impliquant directement et sans équivoque Pioneer. A l'égard de TVHA, il n'est pas contesté que Pioneer a accepté de lui ouvrir un compte de signer un contrat de coopération commerciale, de lui accorder un encours de 40 000 francs et qu'elle a assuré, sans aucune pression, la livraison de toutes les commandes passées par TVHA, qui continuait à afficher des prix à sa discrétion pour du matériel Pioneer.

Sur l'évocation de prix de détail entre Pioneer et ses distributeurs

351. Pioneer ne conteste pas avoir diffusé une liste de " Prix constatés au 1e septembre 1997 TTC " qui apparaît clairement comme fixant, non le prix auquel le détaillant peut acheter ces produits auprès du grossiste mais le prix de vente au consommateur TTC. En revanche, il ressort du dossier que Pioneer n'a diffusé en 1998 qu'un " Tarif de base pour conditions 1998, Base H.T. ".

Sur l'application effective des prix conseillés par les distributeurs de Pioneer

352. Il ressort des relevés de prix réalisés par TVHA que sur les 20 références Pioneer relevées seules 9 références sont vendues par le grossiste SNER à un prix égal au prix conseillés par Pioneer (45 %). De plus, sur les 16 références de chaînes Hi-Fi relevées par TVHA dans 1 à 5 catalogues, 9 seulement sont vendues au prix conseillé par Pioneer (56 %). Par ailleurs, seule une référence de lecteur DVD Pioneer est relevée par TVHA. Cette référence est vendue au même prix que le prix Pioneer dans 4 catalogues. Enfin, les relevés de prix réalisés entre septembre 1998 et mars 1999 sur les produits Pioneer n'ont porté que sur deux références de chaîne Hi-Fi et une référence de lecteur DVD. Le Conseil de la concurrence considère donc, en l'absence d'autres éléments, qu'il n'existe pas suffisamment d'éléments démontrant un alignement remarquable des prix pratiqués par les distributeurs de produits Pioneer par rapport au prix conseillé par Pioneer ou au prix généralement constaté.

Sur l'existence de mécanismes de contrôle des prix conseillés mis en place par Pioneer

353. L'accord de communication agréée joint au contrat de distribution de Pioneer signé par TVHA en 1998 autorise Pioneer à donner " deux semaines à l'avance " des " instructions (...) concernant le matériel de publicité, de promotion ou de communication par voie de presse, affiche, tracts, catalogues ou tout moyen de mise en avant des produits Pioneer " en contrepartie de l'octroi d'une remise égale à 5 % du tarif de base hors taxes.

354. Il n'existe pas d'autre élément dans le dossier de nature à démontrer que Pioneer surveille la politique tarifaire de ses distributeurs et adopte des mesures de rétorsion en cas de non respect des prix conseillés. La société Pioneer a d'ailleurs démontré, à travers les pièces jointes à ses observations, qu'elle n'a créé aucune difficulté à TVHA quant aux publicités émises par cette dernière et ce, malgré sa politique de prix bas. Elle a en effet honoré toutes les commandes de TVHA malgré des publicités comportant mention de produits Pioneer à des prix librement déterminés, inférieurs à ceux de ses concurrents alors que TVHA avait signé l'accord de communication agréée Pioneer.

355. En l'absence d'indices, graves, précis et concordants de nature à caractériser une entente sur les prix entre Pioneer et chacun de ses distributeurs, le grief notifié à l'encontre de la société Pioneer France n'est pas établi.

f) Sur les griefs notifiés à Toshiba et Yamaha

356. Il convient de rappeler que les conversations des responsables de Toshiba et de Yamaha enregistrées par M. X ont été écartées du dossier.

357. Les griefs notifiés à Toshiba et Yamaha ont été abandonnés au stade du rapport.

358. Le Conseil considère qu'il n'est pas démontré que Toshiba a imposé à ses distributeurs le respect des prix conseillés et a pratiqué des mesures de rétorsion en cas de non respect de ces mêmes prix. Le refus de vente opposé à la société TVHA était justifié par l'utilisation non autorisée de la marque Toshiba dans les publicités émises par TVHA et par la pratique de prix d'appel mise en œuvre par ce distributeur. Par ailleurs, l'instruction n'a pas permis d'établir l'existence d'un contrat par lequel Toshiba aurait imposé le respect de sa politique tarifaire ou contrôlé la publicité pratiquée par ses revendeurs. L'analyse des relevés de prix figurant au dossier n'a pas non plus permis de vérifier que les distributeurs appliquaient les prix conseillés par Toshiba. Les relevés de prix effectués par TVHA démontrent que seules 12 références de téléviseurs sur 22 sont égales, à 10 F près, aux prix conseillés (54 %), et seules 14 références de magnétoscopes sur 21 références sont égales au prix conseillés (66 %). Aucun autre relevé de prix ne concerne les téléviseurs et magnétoscopes Toshiba. Enfin, s'il apparaît sur les relevés TVHA que 3 références de DVD sur 3 sont égales aux prix conseillés, ce résultat n'est pas confirmé par les autres relevés de prix de DVD Toshiba figurant au dossier.

359. Il n'est non plus démontré que la société Yamaha diffusait des prix conseillés à ses distributeurs. Les pièces produites par Yamaha montrent que le refus de vente opposé à TVHA ne résultait pas de la mise en œuvre de mesures de rétorsion à l'encontre de TVHA compte tenu de sa politique de prix discount mais bien du fait que TVHA n'entrait pas dans ses critères commerciaux. Enfin, l'accord de volonté des distributeurs pour appliquer d'éventuels prix conseillés par Yamaha ne ressort ni de l'existence d'un contrat par lequel Yamaha aurait pu contrôler la politique tarifaire ou la publicité pratiquée par ses revendeurs, ni de l'analyse des relevés de prix figurant au dossier qui ne mentionnent pas les produits Yamaha.

360. Il résulte de ce qui précède que les griefs notifiés à Toshiba et Yamaha ne sont pas établis.

C. Sur les sanctions

361. Les pratiques retenues à l'encontre des sociétés dans la présente affaire ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En vertu du principe de non rétroactivité de la loi répressive plus sévère, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus rigoureuses que celles antérieurement en vigueur, ne sont pas applicables à ces infractions.

362. Aux termes de l'article L. 464-2-II du Code du commerce dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non-exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos... "

363. S'agissant de la gravité des pratiques, la pratique qui consiste à instaurer une entente en vue de mettre en place un système de prix imposés sur un marché, notamment par l'utilisation de retards ou de suspensions de livraisons à l'encontre des intervenants qui ne respectent pas ces prix, revêt en principe un caractère d'une particulière gravité.

364. En l'espèce, l'entente permettant de diffuser et faire respecter des prix minimum conseillés de revente de produits d'électronique grand public revêt bien ce caractère puisqu'elle a privé les consommateurs de la possibilité d'acquérir les appareils des marques Philips, Sony et Panasonic à un prix plus avantageux, qui aurait résulté d'une véritable concurrence par les prix entre réseaux de distribution, alors que les consommateurs consacrent une part importante de leurs revenus à l'acquisition de ces produits. Ces pratiques sont d'autant plus graves qu'elles ont été mises en œuvre par de grands groupes d'envergure internationale, dont les comportements sont susceptibles de constituer la norme dans le secteur comme l'illustrent les enregistrements dans lesquels il est constaté que ces pratiques sont courantes dans le secteur.

365. Pour apprécier l'importance du dommage à l'économie causé par les pratiques, il convient, en premier lieu de prendre en compte la durée des pratiques et la taille du marché affecté. Les pratiques ont été constatées de novembre 1997, date à laquelle la société TVHA diffuse sa publicité sur des prix discount, à fin 1998, La consommation des ménages en produits bruns pour l'année 1998 s'est élevée à 5,2 milliards d'euro. La part des produits pour lesquels les pratiques ont été constatées, soit les téléviseurs, les magnétoscopes, les lecteurs de DVD, les chaînes hi-fi et les caméscopes peut être estimée à environ la moitié, ainsi qu'il ressort de la comparaison entre les données INSEE et les données GFK qui ne figurent au dossier que pour les années suivantes, soit 2,6 milliards d'euro. Sur un marché de cette taille, l'atteinte au surplus du consommateur résultant d'un niveau de prix de vente au détail plus élevé de l'ordre de 1 à 2%, serait de l'ordre de 26 à 52 millions d'euro. Toutefois, il ressort des éléments du dossier que l'alignement des prix et leur surveillance sont particulièrement forts pour les nouveaux produits puis s'affaiblissent au fur et à mesure que ceux-ci deviennent plus matures.

366. Il y a lieu, également, de rappeler que les pratiques ont été mises en œuvre par les fabricants leaders du secteur. Sur la période 1998-2002, les parts de marché de Philips étaient de 14 % sur les chaînes Hi-Fi, 17 % sur les DVD, 24 % sur les magnétoscopes, et 29 % sur les téléviseurs. Celles de Sony s'élevaient à 9,8 % sur les magnétoscopes, 17 % sur les téléviseurs, 17,5 % sur les DVD et 28 % sur les chaînes Hi-Fi. Panasonic réalisait, quant à lui, moins de 5 % sur les téléviseurs, magnétoscopes et DVD, et 13 % sur les chaînes Hi-Fi. Les entreprises concernées totalisaient donc, à elles trois, 55 % des ventes de chaînes Hi-Fi, près de 50 % des ventes de téléviseurs et près de 40 % des ventes de magnétoscopes et de DVD. Portant sur de telles parts de marché, les pratiques consistant à limiter la concurrence intra-marques sont également susceptibles de restreindre la concurrence inter-marques, notamment dans la mesure où elles facilitent les comparaisons de prix entre concurrents.

367. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Philips France au titre du dernier exercice connu, 2004, s'est élevé à 1,6 milliard d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 16 millions d'euro.

368. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Sony France au titre du dernier exercice connu, 2004, s'est élevé à 1,6 milliard d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 16 millions d'euro.

369. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Panasonic au titre du dernier exercice connu, 2004, s'est élevé à 246 millions d'euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 2,4 millions d'euro.

Décision

Article 1er : Il n'est pas établi que les sociétés Pioneer, Toshiba et Yamaha ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Article 2 : Il est établi que les sociétés Philips France, Sony France et Panasonic France ont enfreint les dispositions de l'article L. 420 1 du Code de commerce.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

* à la société Philips France 16 millions d'euro ;

* à la société Sony France 16 millions d'euro ;

* à la société Panasonic 2,4 millions d'euro.