CJCE, 5e ch., 29 février 1984, n° 37-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rewe-Zentral AG
Défendeur :
Direktor der Landwirtschaftskammer Rheinland
LA COUR,
1. Par ordonnance du 18 janvier 1983, parvenue à la Cour le 10 mars suivant, le Verwaltungsgericht Koln a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives, l'une à la validité de l'article 11, paragraphe 3, avant-dernière et dernière phrases, de la directive n° 77-93 du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les Etats membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux (JO L 26 de 1977, p. 20), l'autre à l'interprétation de l'article 36 du traité.
2. Ces questions ont été posées à l'occasion d'un recours introduit par la société Rewe-Zentrale AG à Cologne, importateur, entre autres, de fruits et de pommes de terre en provenance d'autres Etats membres, et qui tend à faire constater que la chambre d'agriculture de Rhénanie n'est pas autorisée, lors de l'importation desdits produits, à procéder à des contrôles phytosanitaires jusqu'à concurrence d'un tiers des envois, tel que le prévoit la "Pflanzenbeschauverordnung" (règlement sur le contrôle des produits végétaux) du 15 mars 1982 (BGBL I p. 329).
3. Ayant constaté que, sur ce point, le règlement allemand ne fait que transposer en droit national les dispositions de l'article 11, paragraphe 3, de la directive précitée, le Verwaltungsgericht a éprouvé des doutes sur la validité de ces dernières dispositions du fait de leur motivation et de leurs rapports avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises.
4. Aussi, la juridiction nationale a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions suivantes :
"a) [Conformément à l'article 177, lettre b), du traité CEE] :
L'article 11, paragraphe 3 (avant-dernière et dernière phrases), de la directive n° 77-93-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les Etats membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux (JO L 26 du 31 janvier 1977, p. 20), est-il compatible
aa) avec l'article 190 du traité CEE
bb) avec l'article 30 du traité CEE ?
b) Au cas où la disposition en cause ne serait pas valide [conformément à l'article 177, lettre a), du traité CEE] :
Abstraction faite des cas dans lesquels il existe des indices faisant suspecter une contamination, dans quelle mesure est-il encore justifié au sens de l'article 36, première phrase, du traité CEE dans l'état actuel du droit communautaire en matière de protection des végétaux, que l'état importateur effectue des contrôles phytosanitaires à l'importation de fruits et de pommes de terre (à l'exception des plants) en provenance d'un Etat membre, dès lors que l'envoi est accompagné d'un certificat phytosanitaire d'un Etat membre ?"
5. Avant de répondre à ces questions, il convient d'examiner le contexte réglementaire dans lequel les dispositions litigieuses s'inscrivent.
6. A cet égard, il y a tout d'abord lieu de constater que la directive n° 77-93 précitée, qui a été arrêtée sur la base des articles 43 et 100 du traité, ne concerne pas l'organisation de la lutte contre les organismes nuisibles aux végétaux à l'intérieur de chacun des Etats membres, mais vise seulement à renforcer cette lutte par des mesures de protection coordonnées contre leur introduction dans ces états. Elle constitue donc une mesure d'harmonisation de caractère partiel.
7. Après que les articles 1 et 2 ont donné les précisions nécessaires en ce qui concerne le champ d'application géographique de la directive et la définition de certains des termes utilisés, les articles 3 à 5 soit obligent, soit autorisent les Etats membres à interdire l'introduction sur leur territoire des organismes, des végétaux et des produits végétaux qui sont énumérés aux annexes I à IV de la directive.
8. Selon l'article 6, les Etats membres prescrivent, au moins pour l'introduction dans un autre Etat membre des végétaux, produits végétaux et autres objets énumérés à l'annexe V (y compris certains fruits frais et les tubercules de pommes de terre), que ceux-ci ainsi que leur emballage et, en cas de besoin, les véhicules assurant leur transport soient examinés officiellement afin d'assurer, notamment, qu'ils ne sont pas contaminés par les organismes nuisibles dont l'Etat membre destinataire a interdit l'introduction sur son territoire conformément aux articles 3 à 5. Lorsque, sur la base de cet examen, il est estimé que ces conditions sont remplies, l'article 7 prévoit la délivrance d'un certificat phytosanitaire.
9. En contrepartie de cet examen par les autorités de l'Etat membre expéditeur, l'article 11 de la directive impose des limites aux contrôles effectués par les autorités de l'Etat membre destinataire. A l'exception d'un contrôle de l'identité des produits ainsi que de certains cas bien déterminés, cet état ne peut prévoir, pour les produits d'un autre Etat membre et certifiés par celui-ci, des contrôles systématiques portant sur le respect des dispositions prises selon les articles 3 et 5 que s'il existe un indice sérieux donnant à croire que l'une de ces dispositions n'a pas été respectée. Pour tous les autres cas, l'article 11, paragraphe 3, avant-dernière phrase, prescrit que les contrôles officiels "ne sont effectués qu'occasionnellement par sondage". Selon la dernière phrase, "ils sont considérés comme occasionnels s'ils ne sont pas effectués sur plus d'un tiers des introductions en provenance d'un Etat membre donné et s'ils sont répartis aussi harmonieusement que possible dans le temps et sur l'ensemble des produits".
10. Enfin, l'article 20 de la directive prévoit un délai de quatre ans pour la mise en vigueur des limitations prévues justement à l'article 11, paragraphe 3, alors que l'adaptation des législations nationales aux autres dispositions de la directive doit être effectuée dans un délai de deux ans.
Sur la première question
11. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les doutes de la juridiction nationale concernent, d'une part, la possibilité, prévue par la dernière phrase du paragraphe 3, d'effectuer des contrôles jusqu'à concurrence d'un tiers des envois et, d'autre part, l'existence d'une éventuelle contradiction entre cette possibilité et l'utilisation du terme "occasionnellement" dans la phrase antérieure.
12. A ce dernier égard, il importe de souligner que la dernière phrase vise uniquement à indiquer le plafond du nombre de contrôles par sondage que le Conseil a estimé justifié, compte tenu des spécificités de la matière en cause et du stade actuel de l'évolution du droit communautaire dans ce domaine. Sous cet aspect, la dernière phrase n'est pas en contradiction avec la notion de contrôle occasionnel.
Sur la motivation de la disposition litigieuse
13. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la portée de l'obligation de motiver, consacrée par l'article 190 du traité, dépend de la nature de l'acte en cause. En ce qui concerne les actes d'application générale, il est satisfait aux exigences de l'article 190 si les motifs expliquent l'essentiel des mesures prescrites et on ne saurait exiger une motivation spécifique à l'appui de tous les détails que peut comporter une telle mesure, dès lors que ceux-ci rentrent dans le cadre systématique de l'ensemble. Il convient donc d'examiner la motivation de la directive en cause à la lumière de ces critères.
14. Les premiers huit considérants de la directive n° 77-93 expliquent, de manière approfondie, que la protection des végétaux contre les organismes nuisibles est absolument requise non seulement pour éviter une diminution du rendement, mais aussi pour accroître la productivité de l'agriculture et qu'il est nécessaire de réorganiser la surveillance phytosanitaire dans la communauté parallèlement à la suppression progressive des obstacles et contrôles dans les échanges intracommunautaires. A ce dernier égard, le douzième considérant indique qu'un contrôle phytosanitaire est effectué non seulement dans le pays expéditeur mais aussi dans le pays destinataire et qu'il y a lieu de supprimer progressivement le second de ces contrôles tout en renforçant celui du pays expéditeur.
15. Les quinzième et seizième considérants observent que si un contrôle phytosanitaire effectué dans l'Etat membre expéditeur constitue une garantie que les produits sont exempts d'organismes nuisibles, il est possible de supprimer les contrôles systématiques effectués dans l'Etat membre destinataire, mais que même cette suppression ne peut avoir lieu que progressivement, une certaine confiance devant d'abord s'instaurer entre les Etats membres dans le bon fonctionnement du nouveau système de surveillance. Selon les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième considérants, il paraît justifié de maintenir des contrôles systématiques pendant une période de quatre années, mais, à partir de l'expiration de cette période, de ne plus admettre des contrôles effectués dans l'Etat membre destinataire que pour des raisons particulières ou sous forme de contrôles occasionnels.
16. Cet examen des considérants de la directive permet de conclure que non seulement le maintien temporaire des contrôles systématiques, mais également leur remplacement par des contrôles occasionnels sont pleinement motivés. Même si les considérants ne donnent aucune motivation spécifique pour le plafond prévu à l'article 11, paragraphe 3, dernière phrase, celui-ci rentre dans le cadre systématique de l'ensemble desdites dispositions et n'est nullement en contradiction avec la motivation de celles-ci. Il doit donc être admis que la motivation est suffisante également sur ce point.
Sur la conformité avec l'article 30 du traité
17. A cet égard, la société, demanderesse au principal, fait valoir, dans les observations qu'elle a présentées à la Cour, que les contrôles effectués dans l'Etat membre destinataire constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens de l'article 30 du traité et que des contrôles à concurrence d'un tiers ne sauraient être justifiés par l'article 36, compte tenu de l'examen effectué par les autorités de l'Etat membre expéditeur.
18. S'il est vrai, ainsi que la Commission l'a souligné dans les observations qu'elle a présentées, que les articles 30 à 36 du traité visent en premier lieu les mesures unilatérales des Etats membres, il n'en reste pas moins que les institutions communautaires sont, elles aussi, tenues de respecter la liberté des échanges intracommunautaires, principe fondamental du Marché commun.
19. Il convient toutefois de constater que la directive en cause ne vise nullement à entraver ces échanges. Au contraire, elle cherche à supprimer progressivement des mesures prises unilatéralement par les Etats membres et qui étaient à l'époque justifiées, en principe, par l'article 36 du traité, ainsi que la Cour l'a reconnu dans son arrêt du 8 juillet 1975, répondant à une question préjudicielle posée dans le cadre d'un litige entre les mêmes parties au principal (affaire n° 4-75, Rec. 1975, p. 843). En même temps, la directive vise à renforcer, dans l'intérêt général de la communauté, la protection de la production agricole contre les dégâts importants susceptibles d'être causés par des organismes nuisibles.
20. Dans le cadre d'un tel exercice des pouvoirs conférés aux institutions communautaires par les articles 43 et 100 du traité, il faut nécessairement reconnaître à ces institutions une marge d'appréciation notamment en ce qui concerne la possibilité de ne procéder à une harmonisation que par étapes et de n'exiger qu'une suppression progressive des mesures unilatérales prises par les Etats membres. Compte tenu des spécificités de la matière telles qu'elles sont exposées dans les considérants précités de la directive ainsi que du caractère très partiel de l'harmonisation effectuée jusqu'ici, il n'est aucunement établi que le Conseil, en permettant, par la disposition litigieuse, des contrôles par sondage jusqu'à concurrence d'un tiers des envois, a dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation.
21. Il convient donc de répondre à la première question que l'examen des dispositions litigieuses n'a révélé aucun élément de nature à mettre en cause la validité de celles-ci.
Sur la seconde question
22. Compte tenu de la réponse donnée à la première question, la seconde est devenue sans objet.
Sur les dépens
23. Les frais exposés par le Gouvernement irlandais, et par le Conseil et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Verwaltungsgericht Koln, par ordonnance du 18 janvier 1983, dit pour droit :
L'examen de l'article 11, paragraphe 3, avant-dernière et dernière phrases, de la directive n° 77-93 du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les Etats membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux, n'a révélé aucun élément de nature à mettre en cause la validité de ces dispositions.