CA Pau, 2e ch. sect. 1, 5 avril 2005, n° 03-02538
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sony France (SA)
Défendeur :
Dall'Agnol (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Laroque
Conseillers :
Mme Tribot Laspierre, M. Petriat
Avoués :
SCP De Ginestet-Duale-Ligney, SCP Longin
Avocats :
Mes Haran, Heuty
Faits et procédure
La SA Sony France avait recours depuis l'année 1983 aux services de la société Dall'Agnol, spécialisée dans le nettoyage industriel, pour traiter son site de Pontonx-sur-l'Adour;
Par courrier du 28 mai 2001, la société Sony France a déclaré la société Dall'Agnol que l'unique contrat écrit conclu avec elle pour une durée de deux ans avait pris fin le 1er janvier 1999 et qu'aucune négociation n'ayant été engagée en vue de son renouvellement, elle considérait n'être liée avec elle par aucun contrat ; la société Sony France informait toutefois sa partenaire de son intention de lancer en juin suivant un appel d'offres auquel elle pourrait soumissionner ;
Par lettre en réponse du 5 juin 2001, la société Dall'Agnol s'est déclarée surprise de cette décision en raison de l'ancienneté de leurs relations et a manifesté l'intention de faire partie de la consultation d'entreprises ; sa candidature n'a pas été retenue et par courrier du 3 septembre 2001, la société Sony France l'a avisée que leurs accords commerciaux prendraient fin le 30 septembre 2001 ;
Les époux Dall'Agnol ont depuis lors cédé leurs actions sociales à une société ZNR Finet mais soutiennent que le prix de cession initialement fixé à 3 MF a été ramené du fait de la rupture du marché Sony France à la somme de 2,5 MF ;
Par acte d'huissier du 25 avril 2002, ils ont fait assigner la société Sony France en paiement de dommages intérêts pour rupture abusive des relations contractuelles ;
Par jugement du 8 juillet 2003, le Tribunal de commerce de Dax a condamné à ce titre la société Sony France à leur payer la somme de 76 225 euro outre 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a assorti sa décision du bénéfice de l'exécution provisoire ;
La société Sony France a relevé appel de ce jugement ;
Devant le juge de la mise en état, les époux Dall'Agnol ont soulevé l'irrecevabilité de l'appel au motif que la société Sony France qui avait réglé les frais de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, était censée avoir acquiescé au jugement ;
Ce moyen d'irrecevabilité a été écarté par ordonnance du 29 octobre 2003 qui a en outre condamné la société Sony France au paiement d'une somme de 600 euro sur le fondement du même article.
Prétentions et moyens des parties
L'appelante rappelle que l'exception d'irrecevabilité de l'appel, reprise devant la cour par les époux Dall'Agnol, avait été rejetée par le juge de la mise en état ; elle soutient que, dans la mesure où le jugement entrepris était assorti de l'exécution provisoire, l'exécution des condamnations mises à sa charge, y compris la condamnation aux frais de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ne vaut pas acquiescement à la décision dont appel ; elle fait observer que lors du règlement de ces frais elle avait déjà formalisé son recours ; qu'en conséquence la volonté d'acquiescer au jugement ne peut être considérée comme certaine et non équivoque ;
Sur le fond, la société Sony France prétend que le premier juge a fait une appréciation inexacte des faits de la cause; elle soutient que les époux Dall'Agnol ne démontrent pas le caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle et l'existence d'un préjudice en rapport avec cette rupture ;
Elle relève que la société prestataire en a été informée par courrier du 28 mai 2001 et que le délai contractuel de préavis de 3 mois ainsi que le préavis prévu par les usages professionnels, qui est de 4 mois, ont donc été respectés puisque la rupture n'a été effective que le 30 septembre 2001 ;
La société Sony France prétend en conséquence que celle-ci ne peut être jugée abusive et qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre ; qu'en outre le préjudice financier allégué n'est pas établi ; qu'il appartenait aux époux Dall'Agnol d'aviser la cessionnaire de l'éventualité de la perte du contrat Sony et de rechercher le cas échéant un marché de remplacement ;
L'appelante déclare que le planning de travail sur le site avait été imposé par la société Sony France lors de la conclusion du contrat et que la divulgation de ce planning ne constitue en rien un manquement fautif de nature à causer à la société d'entretien un préjudice indemnisable ;
La société Sony France conclut à titre principal au débouté de toutes les prétentions des époux Dall'Agnol ; elle demande à la cour à titre subsidiaire de constater que le préavis contractuel a été respecté et qu'elle n'a eu aucun comportement déloyal à l'égard de la prestataire de service ; de déclarer recevable et bien fondée la demande reconventionnelle et de condamner les époux Dall'Agnol à lui payer la somme de 2 000 euro à titre de dommages intérêts et 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 16 novembre 2004 auxquelles la cour se réfère expressément en application de l'article 499 du nouveau Code de procédure civile, les époux Dall'Agnol reprennent, à titre préliminaire devant la cour le moyen d'irrecevabilité qu'ils avaient invoqué devant le juge de la mise en état ; il relèvent au soutien de leur prétention que le tribunal a expressément limité l'exécution provisoire à la condamnation principale et maintiennent qu'en réglant spontanément et sans réserve de l'appel en cours, les frais de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la société Sony France a implicitement acquiescé à l'ensemble de la décision ;
Les intimés soutiennent que la brusque rupture des relations contractuelles leur a causé un préjudice personnel réel et certain dont il rapporte la preuve par la réduction du prix de cession de leurs parts sociales en rapport avec la perte du marché Sony qui représentait 25 % du chiffre d'affaires de la société Dall'Agnol ;
Les époux Dall'Agnol prétendent que la société Sony France savait parfaitement lorsqu'elle a lancé l'appel d'offres qu'elle ne renouvellerait pas le contrat ; que la rupture effective ne leur a été notifiée que le 3 septembre 2001 pour le 30 septembre 2001 ; qu'il leur a donc été impossible, dans un délai aussi court, de rechercher de nouveaux clients pour compenser la perte de ce marché ;
Les intimés concluent à la confirmation du jugement dont appel et sollicitent l'octroi de la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La procédure a été clôturée le 23 novembre 2004.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'action des époux Dall'Agnol
Attendu que le seul fait d'exécuter sans réserve une décision de justice exécutoire ne vaut pas acquiescement, même si les sommes réglées comprennent une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que la décision exécutée ne fait aucune distinction dans son dispositif sur les condamnations assorties du bénéfice de cette mesure et celles qui ne le sont pas ;
Attendu que le moyen d'irrecevabilité soulevé par les époux Dall'Agnol et dont ceux-ci ont déjà été déboutés par ordonnance du juge de la mise en état du 29 octobre 2003, doit être définitivement écarté.
Sur le fond
Attendu qu'il n'est pas contesté que la société Dall'Agnol était attributaire du marché d'entretien du site industriel de la société Sony France à Pontonx-sur-l'Adour depuis 1983 même si un seul contrat de nettoyage a été signé entre les parties le 25 juin 1997 ;
Attendu que ce contrat unique a été conclu entre les parties pour une durée de deux ans débutant le 1er janvier 1997 pour se terminer le 1er janvier 1999 ; qu'aucune disposition n'est prévue concernant son éventuelle reconduction ; qu'il est toutefois établi que la relation s'est poursuivie au-delà de sa date d'effet puisque le 28 mai 2001, date à laquelle la société Sony France a informé par courrier la société Dall'Agnol de son intention de soumettre le marché à un appel d'offres, cette dernière assurait toujours les prestations de services de nettoyage du site ;
Attendu que la société Sony France ne pouvait en conséquence prétendre, comme elle l'a fait dans cette correspondance, qu'elle n'était liée à la société Dall'Agnol par aucun contrat ;
Attendu que par courrier en réponse du 5 juin 2001, la prestataire de services a légitimement manifesté sa surprise en apprenant la décision de la société Sony France de faire un appel d'offres pour un marché de nettoyage qu'elle assurait sans incident depuis près de 18 années consécutives;
Que confrontée au risque de perdre le marché, la société Dall'Agnol s'est trouvée contrainte de participer à la consultation, en espérant que ces états de services antérieurs la placeraient en bonne position pour maintenir son activité sur le site ;
Attendu que sa participation à la consultation d'entreprises décidée unilatéralement par la société Sony France ne saurait dans ces conditions exprimer une volonté tacite de la prestataire d'accepter la rupture des relations contractuelles ; que dans sa lettre du 5 juin 2001, le responsable de la société Dall'Agnol indiquait d'ailleurs, à l'intention de la société Sony France : "si toutefois, notre collaboration devait cesser, ce que je ne souhaite pas, j'espère que cela se fera dans les conditions de respect et de considération du personnel" ;
Attendu que le contrat de juin 1997 qui s'est poursuivi au-delà de son terme prévoyait à son article 3 une possibilité de résiliation par chacune des parties par lettre recommandée avec accusé de réception avec un préavis de 3 mois ;
Attendu que la société Dall'Agnol a été informée le 3 septembre 2001 par la société Sony que sa candidature n'était pas retenue et que leurs accords commerciaux prendraient fin le 30 septembre 2001 ;
Qu'elle n'a donc pas bénéficié du délai contractuel de préavis ni du préavis en usage dans la profession permettant aux sociétés prestataires de retrouver un ou plusieurs marchés de remplacement pour compenser la perte du marché résilié ;
Attendu que dans ces conditions, compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale établie entre les parties, la brusque rupture engage la responsabilité de la société Sony France et l'oblige à réparer le préjudice ainsi causé à la société Dall'Agnol ;
Attendu que les éléments du dossier ne permettent pas de considérer que des caractéristiques spécifiques appartenant au savoir-faire de la société Dall'Agnol ou des données confidentielles appartenant à l'entreprise ont été divulguées au cours de la procédure d'appels d'offres ; qu'il apparaît en revanche que le cahier des charges s'est largement inspiré des conditions et moyens mis en pratique sur le site par la prestataire de services à la demande du donneur d'ordre ; que la société Dall'Agnol dont l'offre était conforme à ces prescriptions et dont le coût d'intervention n'était pas plus élevé que ceux de ses concurrents était fondée à s'interroger sur la parfaite objectivité de la décision ayant conduit à écarter sa candidature ; que cette suspicion demeure toutefois sans conséquence sur la résiliation à laquelle la société Sony France pouvait avoir recours sous réserve de se conformer aux usages de la profession ;
Attendu que le marché Sony constituait pour la société Dall'Agnol une part importante de son activité puisqu'elle réalisait sur ce site environ 25 % de son chiffre d'affaires ;
Attendu que la brusque rupture de ses relations commerciales avec la société Sony est intervenue à un moment où les époux Dall'Agnol étaient en train de négocier la vente de leurs actions;
Attendu que la société Dall'Agnol n'a pas disposé d'un délai de prévenance suffisant pour tenter de retrouver de nouveaux marchés de remplacement ; qu'elle a ainsi perdu une chance de compenser la perte de chiffre d'affaires en résultant ;
Attendu que de ce fait, le prix des actions qui était déterminé sur la base du bilan de la société au 30 juin 2001 a été révisé à la baisse et a subi une réduction de 500 000 F (76 224,51 ) par rapport au prix initial ;
Attendu que compte tenu des circonstances de la cause et des justificatifs produits, le tribunal a justement évalué le préjudice subi par les époux Dall'Agnol au montant de ladite somme arrondie à 76 225 euro ;
Attendu qu'il serait en outre inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais qu'ils ont exposés pour assurer leur représentation devant la cour ; qu'il leur sera alloué à ce titre la somme de 1 500 euro.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort ; Déclare infondé l'appel de la société Sony France ; Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Dax du 8 juillet 2003 ; Y ajoutant ; Condamne la société Sony France à payer aux époux Dall'Agnol la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais exposés par eux devant la cour ; Condamne la société Sony France aux dépens; autorise la SCP Longin C et P, avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.