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Décisions

CA Rennes, 1re ch. A, 8 décembre 1998, n° 9703579

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrières de Brandefert (SA)

Défendeur :

Monpas (Consorts), Lijour

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

M. Le Guillanton, Mme Tremoureux

Avoués :

Mes Chaudet, Brebion, Bazille, Genicon

Avocats :

Mes Lefrais, Raoult

TGI Brest, du 1er avr. 1997

1 avril 1997

I - Faits et procédure

Considérant que suivant compromis des 29 mars et 3 avril 1996 les consorts Monpas-Lijou se sont engagés à vendre à M. Moysan, avec faculté pour celui-ci de se substituer toute personne physique ou morale de son choix, des biens indivis à Plelauff moyennant le pris de 150 000 F, la réitération par acte authentique étant prévue au plus tard pour le 1er juillet 1996 ;

Que les vendeurs n'ont pas régularisé la cession des biens par acte authentique, arguant de ce que le véritable acquéreur avait agi pour fraude pour se procurer à bas prix leurs terrains et y exploiter sous forme de carrières les substances qu'ils contenaient en sous-sol, d'une qualité exceptionnelle ;

Que suivant jugement du 1er avril 1997 auquel il sera renvoyé en tant que de besoin pour plus ample exposé des faits et de la procédure, le Tribunal de grande instance de Brest a :

- débouté la société les Carrières de Brandefert, venue aux droits de M. Moysan, de ses demandes tendant à ce que soit consacré son droit de propriété sur l'immeuble objet du compromis ainsi qu'au paiement de dommages-intérêts ;

- alloué aux consorts Monpas-Lijour la somme de 5 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que la société "Les Carrières de Brandefert" (la société) a interjeté appel de cette décision ; qu'elle sollicite la cour de :

- réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc en toutes ses dispositions ;

- dire qu'elle est propriétaire d'une propriété rurale sise commune Plelauff (Côtes d'Armor), au lieudit "Gomarien" et cadastrée de la manière suivante :

* section WN n° 70 lieudit "Gomarien" pour 25 a 84 ca

* section WN n° 71 lieudit "Gomarien" pour 5 ha 08 a 07 ca

* section WN n° 13 lieudit "Gomarien" pour 1 ha 09 a 03 ca

soit une superficie totale de 6 ha 42 a 94 ca

- lui décerner acte de ce qu'elle a consigné le prix de vente de ce propriété, soit 150 000,00 F, entre les mains de Me Verger-Hiard notaire à Rostrenen, et de ce qu'elle autorise les consorts Monpas-Lijour à percevoir cette somme dès que l'arrêt à intervenir sera définitif ;

- condamner in solidum les consorts Monpas-Lijour à lui verser la somme de cinquante mille francs (50 000 F) à titre de dommages-intérêts, outre celle de vingt mille francs (20 000,00 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamner in solidum les consorts Monpas-Lijour aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris le coût de la publicité foncière ;

- rejeter des débats comme tardive la communication d'un document intitulé "modèle de convention";

Qu'elle fait valoir à l'appui :

que l'accord des parties était parfait sur la chose et sur le prix dès la signature du compromis, la réitération par acte authentique n'étant qu'une formalité d'exécution du contrat dûment formé ;

- que les vendeurs tentent de se dégager de leurs obligations non pas en raison d'un vice de consentement imputable à l'acheteur mais dans un but permanent spéculatif ;

- que le dol retenu par le tribunal n'est pas constitué, en l'absence de toutes manœuvres aux fins de tromperie, étant donné que la personnalité de l'acquéreur est sans incidence dans le contrat de vente, que les clauses de substitution sont licites et qu'une telle faculté était expressément convenue qu'elle n'était tenue à aucune obligation d'information à l'égard des vendeurs sur la destination des biens vendus d'autant qu'elle assumait en tant qu'acquéreur final le risque non contractuel d'un projet d'exploitation soumis à divers aléas, que la destination ultérieure et éventuelle des biens vendus est sans incidence sur leur valeur vénale extrinsèque ;

- qu'une prétendue erreur sur la substance ne peut non plus être alléguée, en raison de l'incertitude sur la composition du sol et des sous-sols des terrains ;

- que les conditions de la lésion ne sont pas davantage réunies, laquelle doit s'apprécier d'après la valeur de l'immeuble au moment de la promesse synallagmatique ;

Considérant que les consorts Monpas-Lijour demandent de :

- confirmer la décision

- subsidiairement prononcer la rescision pour lésion de la vente

- débouter la société "Carrières de Brandefert" de toutes ses prétentions et la condamner au paiement d'une somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Qu'ils répliquent qu'il leur était indifférent de vendre des terres agricoles mais qu'une société ayant pour seul objet l'exploitation de carrières n'a pas vocation à acheter ce type de biens et que la dissimulation volontaire de véritable acquéreur est une manœuvre pour cacher la nature réelle de l'acquisition ; que la substance même de la chose vendue, qui ne doit pas être confondue avec la destination, était constituée en réalité de minéraux utilisables pour les travaux publics et était déterminable à l'époque de la vente, par des professionnels ; que, si le dol n'était pas retenu, serait applicable la notion d'erreur au sens de l'article 1110 du Code civil, tant sur la personne de l'acquéreur que la substance de la chose vendue, peu important alors la notion de valeur vénale ; que, de plus, il résulte des éléments de comparaison produits que le prix offert était inférieur des 7/12e à la valeur réelle du bien ;

II - Discussion

1°) Sur la procédure

Considérant que la clôture de l'instruction, initialement prévue pour 6 octobre 1998 a finalement été prononcée le 28 octobre 1998 ;

Que la communication de pièce des intimés, faite le jour de la clôture est tardive dans la mesure où l'appelante n'était pas à même d'en tirer les conséquences pour l'appréciation du litige et exprimer sa position ;

Que la production litigieuse sera donc écartée des débats ;

2°) Sur le fond

Considérant qu'il n'est pas contesté que le compromis des 7 et 13 mai 1996 valait vente par application de l'article 1589 du Code civil, les parties étant d'accord sur la chose et sur le prix ;

Considérant que l'article 1116 du Code civil dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre pari n'aurait pas contracté ;

Qu'il est de principe que le dol ne résulte pas de toute manœuvre déloyale ayant pour résultat d'altérer le consentement de l'autre partie mais que son existence suppose que la faute intentionnelle commise par une partie ait provoqué chez son co-contractant une erreur l'ayant déterminé à contracter ;

Que les premiers juges ont exactement rappelé que des mensonges ou des réticences ayant engendré une erreur pouvaient constituer le dol, compte tenu de l'exigence de loyauté qui s'impose dans la conclusion d'un contrat, laquelle doit être sanctionnée avec d'autant plus de force que l'auteur du silence ou de la réticence est un professionnel, au fait des conséquences qu'ils emportent pour provoquer l'erreur ;

Que, contrairement à l'argumentation de l'appelante sur ce point, l'action en nullité pour dol n'est pas réservée à l'acquéreur mais à toute partie dont le consentement a été vicié ;

Considérant en l'espèce, qu'il n'est pas sérieusement contestable, en l'absence de toute preuve contraire et déterminante, que les consorts Monpas-Lijour ont connu l'identité de la société pour le compte de qui agissait M. Moysan postérieurement au compromis, lorsque leur notaire en a été avisé, ainsi que de la destination donnée à l'immeuble ;

Que le fait qu'une clause de substitution avait été prévue ne peut justifier que la société se soit dissimulée derrière un prête-nom, son propre directeur général, alors même qu'elle n'avait pas pour but d'acheter des terres à usage agricole, ainsi que ses co-contractants pouvaient légitimement en entretenir la croyance à défaut d'autres informations, mais d'acquérir des matériaux exploitables industriellement ;

Qu'il ressort aussi du dossier que les vendeurs ignoraient la qualité du sous-sol de leurs terres puisque les possibilités qu'offrent le sommet de la roche à cet endroit pour la production "d'excellents granulats routiers" après traitement n'avait été signalée que dans une étude datant de 1975, sinon confidentielle du moins réservée aux professionnels, et que la presse n'a évoqué ces particularités géologiques qu'au cours de l'été 1996, après la vente ;

Que la société s'est publiquement vantée, à l'époque de l'achat, d'avoir réussi à garder le secret et obtenir la discrétion de certain édiles locaux ainsi qu'il ressort d'articles de presse ; que le projet d'acte authentique qu'elle entendait soumettre à ses vendeurs stipulait d'ailleurs que l'immeuble était destiné pour partie à l'habitation et le surplus à usage agricole ;

Que, compte tenu de la connaissance qu'elle avait de la composition du sol et des acquisitions déjà réalisées, il apparaît que la mise en valeur des terrains n'était pas réellement aléatoire lors de la conclusion du compromis étant observé de surcroît qu'elle a obtenue sans difficulté le permis d'exploitation nécessaire ;

Que bien qu'elle conteste les indications fournies par ses adversaires sur la valeur des terrains, appréciée en fonction de leurs qualités géologique, l'appelante ne livre pas d'éléments objectifs en sens contraire et ne saurait se prévaloir d'une vente qui aurait été consentie par un autre propriétaire à un montant analogue alors que les prix pratiqués sont en général quatre fois supérieurs à celui fixé au compromis contesté ;

Que le tribunal a donc déduit à bon droit des données de la cause, par motivation pertinente, qui sera adoptée, que le dol était constitué de sorte que, entaché de nullité, le compromis ne pouvait recevoir effet ;

Qu'il s'ensuit que la décision frappée d'appel sera confirmée;

3°) Sur les demandes accessoires et les dépens

Considérant que succombant en son recours l'appelante sera condamné aux dépens ; qu'elle ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que l'équité commande d'allouer aux intimés la somme de 10 000 F pour les frais non répétibles qu'ils ont exposés ;

III - Décision

Par ces motifs, Rejette des débats la pièce communiquée par les intimés le 28 octobre 1998 ; Confirme le jugement déféré ; Ajoutant, Condamne l'appelante aux dépens, qui seront recouvré conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'au paiement d'une somme de 10 000 F aux intimés par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.