CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 11 décembre 2003, n° 02-05299
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Le Fournil Biterrois (SARL)
Défendeur :
Les Moulins du Dadou (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vergne (faisant fonction)
Conseillers :
MM. Grimaud, Leclerc d'Orléac
Avoués :
SCP Cantaloube Ferrieu Cerri, SCP Sorel Dessart Sorel
Avocats :
Me Maurand-Ciani, SCP Simon
Attendu que la SA Meunière de la vallée du Dadou (devenue depuis lors la société Les Moulins du Dadou) était en relations d'affaires depuis une dizaine d'années avec la société Le Fournil Biterrois, la société Les Moulins du Dadou fournissant au Fournil Biterrois de la farine et lui consentant en outre, en échange d'accords d'approvisionnement exclusif, des concours sous différentes formes afin de l'aider à financer ses équipements ;
Qu'ainsi, un contrat d'approvisionnement exclusif avait été signé le 28 juin 1994 et que plusieurs prêts consentis à la société Le Fournil Biterrois par la société Les Moulins du Dadou avaient fait suite à cet accord ;
Que certains de ces prêts ayant fait l'objet de réaménagements le 26 avril 1996, le contrat d'approvisionnement fit, lui aussi, l'objet d'un "avenant" portant la même date du 26 avril 1996 ;
Attendu que par courrier en date du 29 décembre 1998, la société Le Fournil Biterrois a signifié à la société Les Moulins du Dadou qu'elle suspendait leurs relations commerciales à compter du 31 décembre 1998 ;
Que n'ayant pas obtenu la reprise des relations commerciales, malgré un courrier de mise en demeure du 11 janvier 1999, et n'ayant pas reçu les explications qu'elle souhaitait à la "suspension" décidée par le Fournil Biterrois, la société Les Moulins du Dadou, faisant valoir qu'elle était ainsi victime d'une rupture brutale et abusive des relations contractuelles, a, par acte du 21 juin 2000, assigné la société Le Fournil Biterrois devant le Tribunal de commerce de Castres afin, à titre principal, de faire prononcer aux torts exclusifs de la société Le Fournil Biterrois la résiliation du contrat d'approvisionnement et la condamnation de cette dernière à lui verser, au titre de l'indemnité contractuelle de rupture, une somme de 2 444 770 F ;
Attendu que par jugement en date du 14 octobre 2002, le Tribunal de commerce de Castres, faisant droit à l'essentiel de l'argumentation et des demandes de la société Les Moulins du Dadou, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat d'approvisionnement dont il s'agit aux torts de la société Le Fournil Biterrois et condamné cette dernière à verser à la société Les Moulins du Dadou, au titre de l'indemnité contractuelle de rupture, la somme de 372 702,78 euro (2 444 770 F) ;
Que ce jugement a écarté les autres demandes des parties et alloué à la société Les Moulins du Dadou une indemnité de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la société Le Fournil Biterrois, appelante de ce jugement, demande à la cour :
1°) de constater que le contrat d'approvisionnement invoqué par la société Les Moulins du Dadou avait en réalité pris fin le 9 avril 1997 en application des articles L. 330-1 et L. 330-2 du Code de commerce et de débouter en conséquence la société Les Moulins du Dadou de sa demande d'indemnisation ; à titre subsidiaire, de réduire, en application de l'article 1152 du Code civil, l'indemnité réclamée ;
2°) de constater que la société Les Moulins du Dadou a réalisé des opérations de banque à titre habituel et, en conséquence, de constater, en application de l'article 511-5 du Code monétaire et financier, la nullité des contrat de prêts qu'elle lui avait consentis et de la condamner à lui rembourser les sommes qu'elle a perçues indûment à titre d'intérêts, soit la somme de 55 062,23 euro avec intérêts au taux légal à compter du 18 mars 2002 date à laquelle elle a formé cette demande devant le Tribunal de commerce de Castres ;
3°) de déclarer irrecevables les demandes formées par la société Les Moulins du Dadou dans le cadre de son appel incident et tendant à obtenir des dommages-intérêts en application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
4°) de constater que la société Les Moulins du Dadou s'est elle-même rendu coupable de pratiques discriminatoires devant être sanctionnées en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce et d'ordonner une expertise aux fins de déterminer l'étendue et les conséquences dommageables de ces pratiques ;
5°) de condamner en tout état de cause la société Les Moulins du Dadou à lui verser une indemnité de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la société Les Moulins du Dadou, en réplique, conclut, sur l'appel principal de la société Le Fournil Biterrois, à la confirmation du jugement déféré ainsi qu'au rejet de toutes les demandes de la société Le Fournil Biterrois ;
Que formant un appel incident, elle demande à la cour, en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de condamner la société Le Fournil Biterrois à lui verser une somme de 305 388,58 euro en remboursement des avantages indus dont elle a obtenu le paiement ou l'imputation sur le remboursement de ses emprunts ;
Qu'elle demande en outre à la cour, à défaut d'allocation de l'indemnité contractuelle de rupture, de condamner la société Le Fournil Biterrois, en application de l'article L. 442-6 4e du Code de commerce, à lui verser une somme de 409 711,01 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice réel qu'elle a subi consécutivement à la rupture sans préavis des relations contractuelles ;
Qu'elle sollicite enfin l'allocation d'une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur quoi
Vu les conclusions signifiées et déposées par la société Le Fournil Biterrois et par la société Les Moulins du Dadou, respectivement le 26 août 2003 et le 19 mars 2003,
Attendu que les dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce limitent à 10 années la durée maximale de validité des clauses d'exclusivité dont sont assorties les contrats d'approvisionnement tel que celui, ci-dessus rappelé, qui liait les deux parties à la présente instance ;
Que, par ailleurs, les dispositions de l'article L. 330-2 du même code précisent que lorsqu'un contrat comportant une clause d'exclusivité telle que celle mentionnée à l'article L. 330-1 "est suivi ultérieurement, entre les mêmes parties, d'autres engagements analogues portant sur le même genre de biens, les clauses d'exclusivité contenues dans ces nouvelles conventions prennent fin à la même date que celle figurant au premier contrat" ;
Attendu qu'en l'espèce le contrat d'approvisionnement avec exclusivité signé entre les parties le 28 juin 1994 était, selon les stipulations du contrat lui-même (article IV), d'une durée de trois ans à compter de sa signature ;
Mais attendu que l'accord en date du 26 avril 1996 ci-dessus rappelé, ne constituait très clairement, ainsi que le révèle l'intitulé même de cet accord mais également, et surtout, le contenu même, au demeurant très bref, de cet accord, qu'un simple avenant au contrat du 28 juin 1994 ayant eu pour objet d'en réaménager certaines dispositions et en particulier, compte tenu des réaménagements dont les contrats de prêt avaient eux-mêmes fait l'objet à la même date, d'en réaménager la durée qui était ainsi portée de trois ans à sept ans à compter du 1er janvier 1996, soit une durée totale qui restait d'ailleurs dans les limites autorisées par l'article L. 330-1 du Code de commerce ci-dessus rappelé ;
Qu'il ne peut en tout cas être sérieusement soutenu que cet avenant constituait un nouveau contrat, au sens des dispositions ci-dessus rappelées de l'article L. 330-2 du Code de commerce, dont la durée se trouverait ainsi légalement et de plein droit limitée à celle du contrat originaire du 28 avril 1994 ;
Attendu, par voie de conséquence, que lorsque, par lettre du 29 décembre 1998, la société Le Fournil Biterrois a signifié à la société Les Moulins du Dadou la "suspension" de leurs relations commerciales, les parties, contrairement à ce que soutient l'appelante, se trouvaient donc toujours liées, par l'effet de l'avenant du 26 avril 1996, par un contrat d'approvisionnement avec clause d'exclusivité jusqu'au 31 décembre 2002 ;
Attendu, dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas discuté que, postérieurement à la lettre du 29 décembre 1998 et surtout postérieurement à l'échéance du 31 décembre 1998 fixée par cette même lettre, les deux sociétés dont il s'agit n'ont jamais repris leurs relations d'affaires en exécution du contrat d'approvisionnement qui les liait, il appartient à la cour de statuer sur les conditions et la responsabilité de la rupture ainsi intervenue ;
Attendu que le contrat d'approvisionnement du 28 juin 1994, contenait en son article VII, article que l'avenant du 26 avril 1996 n'a nullement modifié, des dispositions prévoyant qu'en cas de non-respect par le Fournil Biterrois de ses obligations résultant du contrat, la société Les Moulins du Dadou pourrait après mise en demeure restée infructueuse, choisir de demander la résiliation du contrat et obtenir de la société Le Fournil Biterrois paiement d'une indemnité de rupture calculée sur la base de "10 % du prix de la tonne de farine" et sur la base des "quantités de farine qui auraient été utilisées si l'accord s'était poursuivi jusqu'à son terme en fonction du débit annuel moyen de l'année précédant la rupture du contrat" ;
Attendu que pour justifier l'interruption des relations d'affaires qu'elle a décidée en décembre 1998, la société Le Fournil Biterrois semble faire état (bien que ses écritures susvisées en cause d'appel ne soient pas à cet égard très claires) de la mauvaise qualité des farines livrées par la société Les Moulins du Dadou, mais que force est de constater :
d'une part qu'elle ne produit aucun élément justifiant du bien-fondé de cette affirmation
d'autre part et surtout que la lettre du 29 décembre 1998 invoque certes de "multiples autres raisons" mais fait surtout état de la "lenteur des négociations concernant le financement des silos" et n'évoque en tout cas nullement la qualité des farines livrées, étant en outre observé que les échanges de correspondances entre les deux sociétés durant les mois ayant précédé la rupture montrent qu'hormis une lettre de la société Le Fournil Biterrois en date du 8 août 1997 évoquant le problème de la qualité des farines livrées mais sans apporter d'ailleurs de véritables précisions, les discussions et les difficultés qui avaient émaillé les relations des deux sociétés en 1997 et 1998, portaient en réalité, pour l'essentiel, sur les modalités et le montant des concours financiers que la société Le Fournil Biterrois réclamait à la société Les Moulins du Dadou ;
Attendu qu'il apparaît donc que c'est bien la société Le Fournil Biterrois qui a unilatéralement pris l'initiative, en cessant d'exécuter ses propres obligations résultant du contrat, et sans apporter la preuve d'un quelconque manquement de la société Les Moulins du Dadou à ses obligations résultant du contrat d'approvisionnement lui-même, de mettre fin prématurément et quasiment sans préavis, à ce contrat, de sorte que la société Les Moulins du Dadou est en droit de faire prononcer la résiliation de ce contrat aux torts exclusifs de sa co-contractante et de faire condamner cette dernière à l'indemniser des conséquences de cette rupture ;
Attendu que sur ce dernier point, la société Les Moulins du Dadou a procédé, sur la base de l'article VII ci-dessus rappelé du contrat d'approvisionnement, au calcul de l'indemnité devant lui revenir, calcul qui n'est pas en lui-même discuté et qui a été retenu par les premiers juges ;
Attendu, en outre, que le principe qui a donc été retenu par les parties elles-mêmes dans leur contrat, et qui consiste donc à retenir pour base de calcul 10 % du prix de la tonne de farine et les quantités de farine qui auraient été utilisées si le contrat était parvenu à son terme en fonction du débit annuel moyen de l'année ayant précédé la rupture du contrat, apparaît à la cour comme correspondant à une juste indemnisation du manque à gagner subi par la société Les Moulins du Dadou en conséquence de la rupture des relations contractuelles et aboutit en outre à un quantum qui n'apparaît nullement excessif ;
Attendu qu'il résulte, certes, des dispositions de l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier qu'il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel " ;
Que toutefois, les dispositions de l'article L. 511-7 du même code précisent que les dispositions de l'article L. 511-5 ne font pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse :
1. dans l'exercice de son activité professionnelle consentir à ses contractants des délais ou avances de paiements ..."
Attendu qu'il n'est pas véritablement contesté que l'ensemble des prêts, avances et concours divers apportés à la société Le Fournil Biterrois par la société Les Moulins du Dadou constituent la contrepartie de l'obligation d'approvisionnement exclusif souscrit par la société Le Fournil Biterrois et que, dès lors, ces prêts et concours doivent être analysés comme se situant dans le cadre de "l'exercice de l'activité professionnelle" au sens des dispositions ci-dessus rappelées, de la société Les Moulins du Dadou, étant au demeurant observé que ce type de prêts et concours en contrepartie d'une clause d'approvisionnement exclusif correspond à une pratique très couramment répandue dans le secteur d'activités dont il s'agit, qui est le secteur de la meunerie ;
Qu'en outre, il convient de souligner que si les taux d'intérêts pratiqués dans certains des prêts ou avances dont il s'agit peuvent apparaître comme relativement élevés, il n'en demeure pas moins qu'outre le fait que ces conditions ont été acceptées par la société Le Fournil Biterrois, ces prêts sont néanmoins restés une contrepartie de l'obligation d'approvisionnement exclusif et qu'en tout cas cette seule circonstance ne saurait en soi suffire à conférer à ces prêts et avances les caractères d'opérations purement financières et complètement indépendantes de l'activité principale de la société Les Moulins du Dadou ;
Qu'en conséquence, la demande de la société Le Fournil Biterrois tendant au remboursement des intérêts de prêts qui lui ont été consentis par la société Les Moulins du Dadou doit être écartée ;
Attendu que les correspondances qui sont produites aux débats et qui ont été échangées entre les parties durant la période ayant précédé la rupture des relations contractuelles, révèlent certes que les deux sociétés ont été engagées dans des discussions et négociations difficiles et témoignent sans doute, ce qui n'est somme toute guère surprenant dans ce type de discussions, de la volonté de chacune des sociétés dont il s'agit, et particulièrement de la part de la société Le Fournil Biterrois, de créer un rapport de forces qui lui soit favorable ;
Que, néanmoins il n'est fait état d'aucun écrit ou d'aucun propos antérieurs à la lettre du 29 décembre 1998 par lesquels la société Le Fournil Biterrois aurait directement menacé son partenaire d'une rupture des relations commerciales afin d'obtenir les avances et concours qu'elle désirait de la part de la société Les Moulins du Dadou ;
Qu'en conséquence la demande de dommages-intérêts formée par la société Les Moulins du Dadou, dans le cadre de son appel incident, et sur le fondement de l'article L. 442-6 3e du Code de commerce doit être écartée ;
Attendu que s'agissant de la demande d'indemnisation formée par la même société en application de l'article L. 442-6 4e, il convient simplement d'observer qu'eu égard à l'application ci-dessus retenue de la clause contractuelle relative à l'indemnité de rupture, cette demande se trouve sans objet ;
Attendu au total que le jugement déféré doit être intégralement confirmé ;
Attendu, enfin, qu'il apparaît équitable d'allouer à la société Les Moulins du Dadou, en cause d'appel, une nouvelle indemnité, d'un montant de 3 000 euro, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme en son intégralité le jugement déféré, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Le Fournil Biterrois à verser à la société Les Moulins du Dadou une nouvelle indemnité, d'un montant de 3 000 euro, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Le Fournil Biterrois aux entiers dépens et accorde à la SCP Sorel Dessart, qui le demande, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.