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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 21 septembre 2005, n° 03-13694

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société de Coiffure Vichyssoise (SARL)

Défendeur :

Jean-Louis David France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

M. Roche, Mme Kermina

Avoués :

SCP Bernabe-Chardin-Cheviller, Me Teytaud

Avocats :

Mes Petit, Bloch Maurel

T. com. Paris, du 23 mai 2003

23 mai 2003

La société Gerôme Coiffure devenue Jean-Louis David France (société Jean-Louis David) a conclu par acte du 5 novembre 1996 modifié par avenant du 10 septembre 1997 avec la société de Coiffure Vichyssoise (société Socovi) exploitante de trois salons de coiffure situés à Issoire, Roanne et Vichy, un contrat de franchise expirant le 31 décembre 2002, comportant le droit d'utiliser la marque Jean-Louis David et la concession d'un savoir-faire.

La société Socovi ayant cédé son fonds de commerce situé à Vichy sans avoir obtenu ni sollicité l'agrément du franchiseur, la société Jean-Louis David l'a assignée le 12 juillet 2002 devant le Tribunal de commerce de Paris, en paiement de redevances arriérées et de dommages-intérêts ainsi qu'en restitution des matériels mis à la disposition du franchisé. La société Socovi a contesté la validité de la clause d'agrément en se fondant sur les dispositions de l'article " 85-1 " du traité de Rome prohibant les ententes et a fait valoir que le franchiseur avait été régulièrement informé de la réorganisation de ses activités.

Par jugement contradictoire du 23 mai 2003, le tribunal saisi a :

- condamné la société Socovi à payer à la société Jean-Louis David 15 874,03 euro majorés d'intérêts au taux légal sur la somme de 9 813,58 euro à compter du 12 juillet 2002 et pour le solde à compter du 25 novembre 2002, et 15 245 euro de dommages-intérêts,

- ordonné la restitution par la SARL Socovi, et à ses frais, du kit mobilier et celle des matériels de transmission et de communication ce sous astreinte de 200 euro par jour à compter du 15e jour après la signification du jugement passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté la société Jean-Louis David du surplus de ses demandes,

- condamné la société Socovi aux dépens.

Régulièrement appelante, la SARL Société de Coiffure Vichyssoise Socovi prie la cour, par conclusions déposées le 3 novembre 2003, vu les articles 1134 et suivants, 1147 et 1382 du Code civil, de débouter la société Jean-Louis David de toutes ses demandes, et de la condamner à lui payer :

- 50 000 euro pour non-respect de ses engagements contractuels,

- 10 000 euro pour procédure abusive,

- 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle demande également que soit ordonnée la mainlevée de l'opposition sur le prix de vente du fonds de commerce du 30 avril 2002.

Par conclusions du 26 février 2004, la société Jean-Louis David France anciennement dénommée Gerôme Coiffure, intimée, sollicite de la cour, vu les articles 1147 et 1184 du Code civil, de :

- dire et juger que la société Socovi s'est rendue coupable de violation de ses obligations contractuelles et la condamner à lui payer :

* 17 068,85 euro au titre des factures impayées concernant les salons d'Issoire, Roanne et Vichy, majorés d'intérêts au taux légal sur la somme de 9 813,58 euro à compter du 12 juillet 2002 date de l'assignation, et pour le solde à compter du 25 novembre 2002,

* 39 250 euro de dommages-intérêts pour rupture anticipée du contrat de franchise,

- dire et juger que ces sommes seront payées prioritairement sur le prix de vente du fonds vendu par la société Socovi à l'EURL Nathalie T sur lequel la société Jean-Louis David a fait opposition, et qu'à défaut par la société Jean-Louis David de recevoir paiement de la part du séquestre en tout ou en partie, la condamnation devra être exécutée par la société Socovi,

- ordonner la restitution et à ses frais dans le mois de la signification de l'arrêt et sous astreinte de 500 euro par jour de retard du kit mobilier mis à sa disposition et celle de l'ensemble des matériels de transmission et de communication remis lors des séminaires organisés par la société Jean-Louis David tel qu'il résulte des justificatifs produits,

- condamner la société Socovi à lui payer 10 000 euro pour appel abusif et dilatoire et 7 000 euro pour ses frais irrépétibles.

Sur ce

Sur les demandes de la société Socovi

Considérant, en premier lieu, que la société Socovi se fonde à tort sur les dispositions de l'article " 85-1 " du traité de Rome, aujourd'hui reprises dans l'article 81 TCE, pour soutenir qu'il appartenait à la société Jean-Louis David de justifier de la licéité de la clause d'agrément contenue dans le contrat de franchise au regard des dispositions du droit communautaire de la concurrence relatives aux ententes et demander à la cour de déclarer cette clause abusive et dépourvue de tout effet, alors qu'il n'est nullement justifié que le réseau de franchise institué par la société Jean-Louis David serait susceptible d'affecter le commerce intra-communautaire; qu'il n'apparaît pas au demeurant que la clause contestée, qui constitue une modalité d'application de l'intuitus personae propre au contrat de franchise et tend à éviter que le bénéfice du savoir-faire et de l'assistance apportée aille indirectement à un concurrent, serait contraire, comme constituant une restriction caractérisée à la concurrence, aux règles instituées par le règlement d'exemption par catégorie (REC) n° 4087-88 du 30 novembre 1988 de la Commission, concernant l'application de l'article 81 alinéa 3 du traité à des catégories d'accords de franchise, en vigueur lors de la signature du contrat pas plus qu'aux dispositions du REC n° 2790-1999 de la Commission concernant l'application de l'article 81 paragraphe 3 traité à des catégories d'accords verticaux qui l'a remplacé, lui-même entré en application à compter du 1er juin 2000 ;

Considérant, en second lieu, que si la société Socovi soutient que la société Jean-Louis David, franchiseur, a violé ses obligations contractuelles en multipliant abusivement les concepts liés à la marque afin de contourner la clause d'exclusivité territoriale toujours consentie pour un seul concept, et affirme que ce "brouillage" de la marque est à l'origine des difficultés rencontrées par les trois salons qu'elle exploite et particulièrement du salon cédé, s'estimant fondée à opposer aux demandes en paiement de factures l'exception d'inexécution, ces griefs ne peuvent être retenus dès lors que les concepts développés par la société Jean-Louis David, clairement différenciés par une marque, une signalétique et un mobilier spécifiques ainsi que le rappelle le contrat de franchise dans son préambule, ont été portés à la connaissance du franchisé dès l'engagement des relations contractuelles et ne peuvent susciter aucune confusion dans l'esprit du public ; que l'exception d'inexécution opposée par la société Socovi aux demandes en paiement de la société Jean-Louis David ne peut qu'être écartée ;

Sur les demandes de la société Jean-Louis David

Considérant que selon l'article 15 du contrat de franchise, " en cas de cession (...) par le franchisé de tout ou partie de son fonds de commerce à un tiers (...) la cession (...) devra être présentée à l'agrément préalable et écrit du franchiseur par voie de notification par lettre recommandée avec accusé de réception ", étant ajouté que " le franchiseur disposera d'un délai de 45 jours à compter de la date de réception de la demande d'agrément (...) pour faire connaître au franchisé sa décision. Dans l'hypothèse où, passé ce délai, le franchisé n'aurait reçu aucune réponse du franchiseur, ce dernier sera réputé avoir agréé la cession " ;

Que l'article 16 du contrat stipule un droit de préférence du franchiseur pendant le délai d'agrément au profit de toute personne qu'il désignera au franchisé par lettre recommandée avec accusé de réception, l'absence d'une telle notification pendant ce délai valant agrément donné par le franchiseur au projet de cession ;

Considérant qu'il est constant que la société Socovi a cédé à l'EURL Nathalie T, par acte du 4 avril 2002, le fonds de commerce sis 25 rue Lucas à Vichy, alors même que la société Jean-Louis David informée verbalement le 12 mars 2002 d'une éventuelle cession du droit au bail des locaux, avait rappelé dans un courrier du 29 mars 2002 les obligations contenues dans les articles précités ; que la société Socovi, qui affirme avoir avisé le franchiseur du projet de cession du fonds de commerce, n'en justifie pas ;

Considérant que cette cession, effectuée en violation des dispositions du contrat de franchise, a entraîné la résiliation automatique anticipée de ce contrat aux torts du franchisé, huit mois avant la date d'expiration du contrat ;

Considérant que selon l'article 18 du contrat, le franchisé devra acquitter en cas de résiliation à ses torts et griefs, " outre l'exigibilité immédiate de toute somme due au franchiseur par le franchisé en vertu des présentes (...) une somme d'au moins 100 000 F (15 244,90 euro) à titre de dommages et intérêts, étant bien entendu que si le dommage causé a été supérieur à cette somme, le franchiseur aurait la faculté de rechercher réparation par tous moyens de droit à sa disposition " ;

Que si la société Jean-Louis David déclare que son préjudice effectif est supérieur à cette somme, elle n'en justifie pas, la perte d'un salon à Vichy qu'elle invoque ne pouvant être retenue dès lors que le contrat devait prendre fin huit mois plus tard, que les redevances dues pour la période contractuelle restant à courir n'entrent pas dans ce calcul et font l'objet d'une autre demande examinée ci-après, qu'il n'est pas justifié d'une perte de marge sur les ventes de produits pour les huit mois considérés supérieure au seuil de 15 244,90 euro contractuellement fixé, et que l'indemnité minimale fixée par l'article sus rappelé a précisément pour objet de compenser notamment l'atteinte à l'image de la marque résultant de la rupture anticipée du contrat ;

Que les premiers juges ont dès lors exactement fixé l'indemnité due au franchiseur à 15 244,90 euro ; que la demande de la société Socovi tendant à la mainlevée de l'opposition formée par la société Jean-Louis David sur le prix de vente sera rejetée ;

Considérant que les demandes de la société Jean-Louis David relatives aux factures restées impayées par la société Socovi, soit un montant total de 17 068,85 euro arrêté au 31 décembre 2002 selon ses dernières écritures, et qui sont justifiées par les relevés de comptes et les factures produites concernant les redevances prévues à l'article 5-2 des conditions spéciales du contrat, ne sont pas utilement contestées ; qu'il convient d'y faire droit ;

Considérant qu'il y a lieu également de faire droit à la demande de restitution de la société Jean-Louis David et ce tant en ce qui concerne le kit mobilier que les matériels de transmission et de communication dont la mise à sa disposition par le franchiseur n'est pas contestée et dont la restitution est expressément prévue aux articles 19 et 19-2 du contrat lors de sa cessation pour quelque cause que ce soit, dans les quinze jours de cette cessation et aux frais du franchisé ; qu'il y a lieu également d'assortir cette restitution d'une astreinte dont le principe et le montant ont été justement arrêtés par les premiers juges ;

Considérant que la société Jean-Louis David ne justifie pas du caractère abusif de l'appel interjeté par la société Socovi, ni d'aucun préjudice en résultant, si ce n'est des frais irrépétibles exposés un appel pour lesquels lui sera allouée une somme supplémentaire de 2 000 euro ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la forme, Au fond, Confirme le jugement, sauf à porter à 17 068,85 euro le montant de la condamnation de la société Socovi au titre des factures impayées dues à la société Jean-Louis David, Y ajoutant, Déboute la société Socovi de toutes ses demandes et la société Jean-Louis David du surplus des siennes, Condamne la société Socovi à payer à la société Jean-Louis David 2 000 euro pour ses frais irrépétibles d'appel, et aux dépens d'appel, avoir pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de Maître Teytaud, avoué.