Livv
Décisions

Cass. com., 6 décembre 2005, n° 04-19.320

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (SA)

Défendeur :

Sony France (SA), Ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie, DGCCRF

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Favre

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard

Cass. com. n° 04-19.320

6 décembre 2005

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 octobre 2004) rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 3 mars 2004, Bull. IV, n° 44), que, le 30 mai 2001, la société Concurrence a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de nature à constituer une exploitation abusive d'un état de dépendance économique, imputées à la société Sony France, sur les marchés des produits audiovisuels, des ordinateurs et des vidéo-projecteurs et a demandé le prononcé de mesures conservatoires ; qu'étaient dénoncés la modification des conditions de vente de la société Sony à compter du 1er avril 2001 empêchant le distributeur de pratiquer sa politique traditionnelle de prix bas, la cessation des livraisons directes de la clientèle de la société Concurrence, la cessation de l'octroi d'une remise de 3 %, le maintien et l'adoption d'une clause d'enseigne commune au caractère anticoncurrentiel, et le refus illégitime de l'accès au réseau à l'enseigne "espace Sony" ; que par décision du 31 août 2001, le Conseil de la concurrence a rejeté la saisine au fond ainsi que la demande de mesures conservatoires ; que le recours formé contre cette décision a été rejeté, par une décision devenue définitive, sauf en ce qui concerne le caractère prétendument illicite de la clause d'enseigne commune antérieure au 1er avril 2001 et le point de savoir si la rémunération des services spécifiques Sony par facturation des revendeurs impose une marge et constitue de ce point de vue une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt du rejet de son recours tendant à ce qu'il soit jugé que la rémunération attribuée par Sony pour des "services" facturés par les revendeurs impose une marge et constitue une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce, alors, selon le moyen : 1°) que, sauf si elle correspond à de véritables services spécifiques détachables des opérations de vente, la rémunération accordée par un fournisseur à certains de ses revendeurs impose une marge et constitue une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'il appartient au fournisseur de prouver que les services qu'il demande à ses distributeurs de lui facturer correspondent à de véritables services spécifiques, détachables des opérations de vente et que les rémunérations accordées ne sont pas disproportionnées par rapport aux services rendus ; qu'en se bornant, en l'espèce, à décrire les prestations des contrats types proposés par Sony, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les services rémunérés par Sony étaient d'une part de véritables services spécifiques, d'autre part détachables des opérations de vente, enfin si la rémunération était proportionnée avec la valeur des services, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L. 442-5 du Code de commerce, ensemble l'article 1315 du Code civil ; 2°) que ne sont pas détachables des opérations de vente les services qui ne peuvent être fournis par le distributeur qu'à l'occasion de la vente et qui sont de nature à faciliter les ventes ou à accroître leur nombre ; qu'ainsi en l'espèce, ne sont pas détachables des opérations de vente :

- la prestation d'exposition sur les lieux de vente,

- la prestation de préconisation active par un vendeur des produits,

- la prestation de mise à disposition de catalogues à la clientèle,

- la prestation consistant à réserver une partie d'un point de vente à un espace d'exposition,

- la prestation de promotion des produits auprès de la clientèle,

- la prestation de présentation à la vente d'un assortiment de produits,

- la prestation consistant à réserver un certain pourcentage de son linéaire à la vente,

qu'en effet, il résulte des termes même des accords litigieux (lieux de vente, vendeur, point de vente, clientèle, présentation à la vente, linéaire) que les prestations étaient nécessairement liées à des opérations de vente ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 442-5 du Code de commerce ; 3°) qu'elle faisait valoir que la société Sony avait organisé la vente de ses produits par un réseau de distributeurs agréés liés avec elle par un accord de distribution sélective (le contrat de marketing européen) qui imposait à tout revendeur, pour pouvoir être autorisé à vendre et à utiliser la marque Sony, de "promouvoir activement les produits" et de "respecter les instructions que Sony peut donner en ce qui concerne la publicité et la promotion des produits" ; que le même contrat prévoyait que Sony "fournit au distributeur du matériel de promotion et de publicité pour la vente des produits" qui doit être utilisé "conformément aux instructions de Sony" ; que cet accord prévoit que Sony rémunère "grâce à un régime de remise et/ou de ristourne", ".... les actions de ses clients afin d'augmenter le volume des ventes des produits aux utilisateurs finaux" ; qu'elle en concluait que ces services étaient nécessairement liés aux opérations de vente puisque sans ces services Sony refusait toute livraison et l'usage de sa marque, et que les mêmes services ne pouvaient être rémunérés aux distributeurs au titre des accords de coopération commerciale ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si certains des services facturés par les acheteurs au titre de la coopération commerciale ne recouvraient pas les services imposés par l'accord de distribution sélective à tout revendeur agréé, ce qui impliquait alors qu'ils n'étaient ni spécifiques, ni détachables des opérations de vente, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ; 4°) qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si les services rémunérés par Sony de remontée d'informations, de groupage de commandes et d'atteinte d'objectifs de chiffre d'affaires étaient de véritables services spécifiques et détachables des opérations de vente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ; 5°) qu'en statuant comme elle a fait, sans même rechercher si les services rémunérés étaient de nature à apporter à Sony une contrepartie réelle et notamment à valoriser la marque Sony, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ; 6°) que plusieurs accords commerciaux litigieux (préconisation et mise en avant des produits, contrat de coopération marketing, développement points vente) ne comportaient ni un taux de rémunération déterminé - le pourcentage de rémunération accordé aux distributeurs étant laissé en blanc - ni un critère objectif de détermination de la rémunération ; que de tels accords étaient donc discriminatoires par nature et qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 442-5 du Code de commerce ; 7°) que faute de détermination d'un taux de rémunération et faute d'un critère objectif de détermination de la rémunération, la cour d'appel ne pouvait pas exercer son contrôle de proportionnalité entre la valeur du service et la rémunération ; qu'en affirmant néanmoins que les rémunérations convenues ne paraissaient pas manifestement disproportionnées par rapport à la valeur des services rendus par les distributeurs, sans préciser sur quel élément elle se fondait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt énumère neuf des douze prestations différentes visées par les contrats de coopérations et les décrit en faisant ressortir qu'elles avaient, notamment, pour objet la promotion, la démonstration, la préconisation active des produits Sony, ainsi que la réalisation d'opérations "marketing" destinées à développer la notoriété des produits ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, et qui a procédé à la recherche évoquée à la troisième branche, a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits, fait ressortir que les prestations portaient sur la fourniture par le distributeur de services spécifiques détachables des simples obligations résultant des achats et des ventes, procurant une contrepartie réelle au fournisseur ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève, par motifs propres, que l'examen des documents contractuels ne révèle pas que les rémunérations convenues sont manifestement disproportionnées par rapport à la valeur des services rendus par les distributeurs et pas davantage qu'elles ont été fixées à un taux et selon des modalités conduisant à interdire ou à limiter l'accès au marché de ceux d'entre eux ayant choisi de ne pas fournir les prestations en cause ; qu'il ajoute qu'il n'est produit aucun élément propre à établir que les accords ci-dessus mentionnés ont fait l'objet d'une application discriminatoire ; qu'il constate, par motifs adoptés, les différents taux de rémunération prévus pour chacune des prestations ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Concurrence fait grief à l'arrêt du rejet de son recours en ce qu'il critiquait le rejet par le Conseil de la concurrence de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que constitue une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce la clause d'enseigne commune appliquée par la société Sony à tous les produits avant le 1er avril 2001 puis, après cette date, aux ordinateurs, alors, selon le moyen, qu'en statuant de manière abstraite et générale, sans rechercher ni préciser concrètement quels étaient les services spécifiques rendus à la société Sony par les distributeurs regroupés sous une enseigne commune et si ces services, rémunérés par les remises quantitatives, étaient de nature à valoriser son réseau de distribution et par répercussion l'image de marque de ses produits, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté que l'examen de la situation de la société Concurrence au cours de la période 1998-2001 faisait ressortir que le chiffre d'affaires de cette entreprise, réalisé pour l'essentiel avec Sony, s'était élevé pour l'année 2000 à 74 726 000 francs, en progression de 53 % par rapport à 1999, puis à 13 419 789 euro en 2001, tandis que son résultat courant en 2000 avait atteint 14 169 000 francs, soit 19 % du chiffre d'affaires contre 17,9 % en 1999 et 13,7 % en 1998, retient, par un motif non critiqué, que la clause litigieuse n'a eu aucun impact négatif sur l'activité de la société Concurrence, distributeur indépendant, qui a été en mesure d'appliquer, avec succès, sa politique commerciale de "prix cassés", appliquée aux produits Sony de sorte qu'il n'est pas établi qu'elle avait pour objet ou a pu avoir pour effet de restreindre la concurrence sur le marché des revendeurs pendant la période de référence ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sur sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.