Ministre de l’Économie, 14 avril 2005, n° ECOC0500186Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil du groupe LDC
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 23 mars 2005, vous avez notifié l'acquisition par le groupe LDC des sociétés du pôle canards et dindes de la Coopérative des agriculteurs du Morbihan (ci-après " CAM "). Cette opération a été formalisée par une convention de cession d'actions signée le 16 octobre 2004.
I - Les parties concernées et l'opération
Le groupe LDC commercialise toutes les familles de volailles, lapins et chevreaux, soit sous forme de pièces entières, soit sous forme de découpes crues ou de produits élaborés. Le groupe est organisé sur le plan opérationnel autour de quatre pôles : pôle volaille, pôle traiteur, pôle amont et pôle international. La société holding LDC Volaille sert à détenir les titres des différentes sociétés affectées au pôle volaille. Le groupe LDC a réalisé un chiffre d'affaires mondial consolidé [1] hors taxes de 1 495 millions d'euro, dont 1 253 millions en France.
La CAM est une coopérative qui collecte les productions de ses adhérents et leur fournit l'agrofourniture nécessaire à leurs exploitations agricoles. La société CAM Développement est la filiale à 100 % de la CAM et possède 91 % du capital social de la société BCP Volailles. Cette dernière société constitue la société holding tête du pôle " volaille " de la CAM et comporte deux filières : la filière canard autour de la société Procanar et la filière dinde autour de la société FIBREPAR. Les sociétés de la CAM objets de l'opération d'acquisition sont présentes dans les secteurs de l'abattage, la découpe, l'élaboration et la préparation, et la commercialisation de canards et dindes. Le chiffre d'affaires consolidé hors taxes 2003 réalisé par le pôle canards/dindes du groupe CAM s'est élevé à 173,7 millions d'euro, dont 115,8 millions en France.
La convention signée entre les parties a pour objectif l'acquisition par la société LDC Volaille des seules sociétés filiales de BCP Volailles spécialisées dans les secteurs ci-dessus évoqués. [2]
La présente opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce. Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, elle ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II - Marchés concernés
Les parties sont simultanément actives dans l'abattage et la découpe de canards et de dindes, ainsi que la commercialisation de leur viande (pièces entières, découpes crues, produits élaborés). Les parties interviennent également, en amont, dans le secteur de l'élevage de ces volailles.
A. - Les marchés de produits
Le marché amont
Dans une décision précédente, la Commission européenne a estimé qu'il n'y avait pas de substituabilité du côté de l'offre sur le marché global de l'approvisionnement d'animaux vivants, si les chaînes d'abattage diffèrent d'une espèce à l'autre et ne peuvent être modifiées à faible coût en un laps de temps raisonnable, et s'il faut du temps à un éleveur pour passer de l'élevage d'une espèce d'animaux à une autre et que ce changement a un coût. [3] Les parties ont ainsi indiqué que les bâtiments d'élevage des canards sont spécifiques à cette espèce et que les chaînes d'abattage sont différentes entre le canard d'une part, et le poulet ou la dinde d'autre part.
Il n'est cependant pas nécessaire de s'interroger sur l'existence de marchés distincts de l'approvisionnement en volailles vivantes selon leur espèce dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée.
Les marchés aval
Segmentation suivant les catégories de produits
Les parties proposent d'identifier un marché de la viande de canard. Ainsi, elles indiquent que si le canard est appréhendé par le consommateur comme une volaille, il se rapproche néanmoins du bœuf par le goût et les caractéristiques techniques, et de l'agneau par la perception prix et par les occasions de consommation. En revanche, elles considèrent qu'il n'y a pas lieu d'identifier un marché spécifique de la viande de dinde. Elles indiquent en effet que la dinde se rapproche du poulet, notamment dans la perception du consommateur, la plaçant dans un marché de la viande de volaille duquel le canard serait exclu.
Les parties ont rappelé par ailleurs, selon la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, que le marché de la vente de viande fraîche se distinguait de celui de la vente de produits transformés à base de viande.
Enfin, les parties ont considéré que les différentes espèces de volailles sous label constituaient autant de marchés pertinents, en se basant, notamment, sur la décision n° 94-D-41 (volailles sous label) du Conseil de la concurrence du 5 juillet 1994.
Au cas présent, il n'est cependant pas nécessaire de délimiter plus précisément le marché de la viande de volaille selon la nature des produits (viande fraîche / produits transformés), leur espèce, ou leur signe de qualité dans la mesure où les conclusions de l'analyse des effets de la concentration demeureraient inchangées.
Segmentation selon le canal de distribution
Le ministre, à plusieurs reprises [4], a opéré des distinctions en fonction des canaux de distribution en distinguant, le commerce de détail, qui regroupe les grandes et moyennes surfaces (GMS) et les commerces de proximité, la restauration hors domicile (RHD), qui comprend la restauration commerciale et collective, et l'industrie agroalimentaire (IAA).
Il n'est cependant pas nécessaire de s'interroger sur l'existence de marchés distincts selon le canal de distribution des produits dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée.
B. - Les marchés géographiques
Concernant le marché relatif à l'achat de volailles vivantes, les parties ont indiqué que les élevages se situent, en général, à 1 heure 30 de transport environ d'un abattoir. Les abattoirs sont de facto principalement installés dans des zones de production de volailles vivantes. Cette localisation permet de réduire au plus juste le temps de ramassage et de maximiser le bien-être des animaux, avec, notamment un objectif de réduction de coût. Les parties indiquent néanmoins que la durée maximale de transport pourrait être de l'ordre de 8 heures.
En l'espèce, la question de l'existence d'un marché régional de l'achat de volailles vivantes peut être laissée ouverte, l'analyse concurrentielle sur un marché national aboutissant aux mêmes conclusions.
Concernant les marchés aval, la pratique décisionnelle du ministre et de la commission a constaté à diverses reprises la dimension nationale des marchés de référence dans le domaine des produits alimentaires, en raison notamment des préférences, des goûts et des habitudes alimentaires des consommateurs, des différences de prix, et des variations des parts de marché détenues par les principaux opérateurs selon les Etats membres et enfin de la présence de marques de fabricants ou de distributeurs commercialisées uniquement au plan national. S'agissant de la viande de volaille, la même conclusion peut être retenue.
III - Analyse concurrentielle
Sur le marché amont
La France comptait, en 2001, 21 100 élevages de plus de 500 volailles de chair, réalisant un chiffre d'affaires de 3,3 milliards d'euro.
Sur le marché amont de l'approvisionnement en volailles vivantes [5], la demande de la nouvelle entité représenterait, à l'issue de l'opération, de [10-20] % à [10-20] % des achats. Une segmentation du marché selon les espèces aboutirait à des pourcentages plus importants : [20-30] % pour l'achat de dindes vivantes et [20-30] % pour les canards.
Cependant, l'opération ne soulève pas de risque de dépendance économique des fournisseurs. En effet, il n'existe pas de fournisseurs communs au groupe LDC et les sociétés de la CAM objets de la concentration, puisque le bassin de production de l'acquéreur est fortement implanté dans les Pays de la Loire, alors que l'implantation géographique des fournisseurs des sociétés cibles se situe en Bretagne. Par ailleurs, les pourcentages que représentent les parties dans le chiffre d'affaires des fournisseurs sont faibles puisque compris entre [0-10] et [10-20] %, à une exception près [6]. Les fournisseurs disposent enfin de débouchés alternatifs avec la présence d'abattoirs détenus par d'autres industriels du secteur de la volaille dans leurs régions d'implantation. [7]
Sur les marchés aval
Sur le marché de la commercialisation de la viande de volaille, les débouchés se répartissent entre le commerce de détail (69 %) [8], principalement dominé par les grandes et moyennes surfaces (GMS), la restauration hors domicile (RHD) (18 %) et la transformation agroalimentaire [9] (13 %).
Si l'on considère des marchés distincts selon leur circuit de distribution, la nouvelle entité représenterait une part de marché de [20-30] % sur le marché de la commercialisation de la viande de volaille par le canal de la RHD (le groupe LDC détenant [10-20] % auxquelles s'ajoutent les parts de marché des sociétés cibles de la CAM évaluées à [10-20] %). Si l'on retient une segmentation plus fine selon l'espèce animale, les parts de marché s'établissent à [20-30] % pour la viande de canard et [20-30] % pour la viande de dinde sur ce même marché. Cependant la nouvelle entité est suivie par de nombreux concurrents, dont les premiers d'entre eux (Gastronome, Doux, Arrive) détiennent des parts de [10-20], [10-20] et [10-20] % sur un marché de la viande de volaille, ces positions étant similaires si l'on retenait une segmentation plus fine selon l'espèce. Ces trois principaux concurrents sont également en mesure de proposer une gamme complète de produits (poulet, dinde et canard).
Sur le marché de la commercialisation de la viande de volaille par le canal du commerce de détail, l'addition des parts de marché est faible puisque, avant l'opération, le groupe LDC y détenait [10-20] % et le groupe CAM [0-10] %. Si l'on retient une segmentation plus fine selon l'espèce animale, les parts de marché s'élèvent à [10-20] % pour la viande de canard et [10-20] % pour la viande de dinde. Les mêmes opérateurs qui concurrencent la nouvelle entité sur le marché de la distribution par le canal de RHD sont présents sur ce marché, avec des parts de marché estimées entre 15 et 8 % et une gamme complète de produits. Il est d'ailleurs constaté, dans les linéaires " volailles " des GMS, la présence systématique de trois ou quatre intervenants du secteur. De plus, on peut relever que les marques de distributeurs [10], représentent une force conséquente sur ce marché puisqu'elles y ont généré [20-30] % de chiffre d'affaires en 2003. Enfin, l'opération n'a pas d'impact sur le portefeuille de marques détenues par les parties. Si le groupe LDC possèdent des produits à forte notoriété telles que " Le Gaulois " et " Loué ", les sociétés du groupe CAM, objets de la concentration, ne détiennent en effet aucune marque connue. En revanche, les principaux concurrents de la nouvelle entité ont des marques notoires, telles que " Père Dodu " pour Doux, " Douce France " pour Gastronome, et " Maître Coq " pour Arrive.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de ma considération distinguée.
Nota : A la demande des parties notifiantes, - des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
[1] Chiffre d'affaires de l'exercice de 12 mois clos le 29/02/2004
[2] Les sociétés faisant l'objet de la prise de contrôle de la part du groupe LDC sont, au sein de la filière canard, les sociétés Procanar, Celtys, Chapon Bessan et BFG Foie gras, et au sein de la filière dinde, les sociétés Fibrepar, Celvia, Ceprovia et BNI.
[3] Cf. La décision de la Commission européenne du 9 mars 1999 M.1313 (Danish Crown/Vestjyske)
[4] Cf., par exemple, la lettre du ministre du 17 mai 2002, C2002-14 (Panzani/Lustucru) publiée au BOCCRF n° 5 du 20 mai 2003.
[5] La production de volailles en France est estimée à 2 millions de tonnes environ (source Ofival), soit approximativement 956 000 000 unités.
[6] La dépendance de ce fournisseur (100 % de sa production est vendue au groupe LDC) existait préalablement à l'opération.
[7] Les activités d'abattage et de découpe sont exercées par 170 entreprises de plus de 20 salariés.
[8] Les ventes de viande de volaille en GMS ont généré un chiffre d'affaires de 2,35 milliards d'euro en 2003.
[9] Les parties ne vendent pas leurs productions à ce circuit de distribution.
[10] Les GMS disposent en effet de nombreux fournisseurs, outre le groupe LDC, pour leur approvisionnement en MDD/MPP, dont les sociétés de la CAM ne faisaient partie que de manière marginale.