CJCE, 15 décembre 1993, n° C-277/91
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ligur Carni Srl, Genova Carni Srl, Ponente SpA
Défendeur :
Unità Sanitaria Locale n° XV di Genova, Unità Sanitaria Locale n° XIX di La Spezia, CO.GE.SE.MA Coop arl.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Mancini, Díez de Velasco, Edward
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. Kakouris, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Kapteyn, Murray
Avocats :
Mes Giuseppe Conte, Giuseppe Michele Giacomini, Schiaffino, Parodi, Giromini, Favara
LA COUR,
1 Par trois ordonnances des 21 octobre et 25 novembre 1991, parvenues à la Cour, respectivement, les 28 octobre et 10 décembre suivants, le président du Tribunale di Genova, saisi dans le cadre de procédures dites "en injonction", a posé, en application de l'article 177 du traité CEE, six questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 64-433-CEE du Conseil, du 26 juin 1964, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches (JO 1964, 121, p. 2012), de la directive 89-662-CEE du Conseil, du 11 décembre 1989, relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 395, p. 13), de la directive 90-425-CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 224, p. 29), ainsi que des articles 30, 36, 52 et 59 du traité CEE.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de trois litiges opposant, dans les affaires C-277-91 et C-319-91, les entreprises italiennes Ligur Carni Srl et Genova Carni Srl à l'Unità Sanitaria Locale (ci-après "USL") n° XV di Genova, et, dans l'affaire C-318-91, l'entreprise italienne Ponente SpA à l'USL n° XIX di La Spezia ainsi qu'à la société coopérative CO.GE.SE.MA, opérant dans le secteur de la commune de La Spezia. Vu le lien de connexité qu'elles présentaient, ces trois affaires ont été jointes par ordonnances du président de la Cour du 28 janvier 1992 et du 27 janvier 1993, aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.
3 Les USL sont des unités chargées des contrôles sanitaires à effectuer dans une zone géographique déterminée. Elles relèvent de la compétence des régions et à ce titre constituent des autorités publiques.
4 Comme il ressort du dossier, le décret royal italien n° 3298, du 20 décembre 1928, concernant l'approbation du règlement pour la surveillance sanitaire des viandes (Gazzetta ufficiale del Regno d'Italia n° 36, du 12 février 1929), prévoit, en son article 40, que l'introduction, dans une commune, de viande fraîche à des fins de commercialisation, après abattage ailleurs, est autorisée à la condition, notamment, que la viande "soit soumise à une nouvelle visite par le vétérinaire de la commune de destination", en plus de celle qui a eu lieu dans la commune d'origine.
5 Sur la base de ce décret royal, la région de Ligurie a adopté la loi régionale n° 31, du 22 août 1989, portant dispositions pour le paiement des droits dus par les particuliers ayant recours aux prestations vétérinaires de l'USL locale (Bulletin officiel de la région de Ligurie n° 15, du 6 septembre 1989, I, p. 1439).
6 L'article 1er de cette loi dispose:
"sont tenus au versement d'un droit à l'unité sanitaire locale (USL) les sujets privés qui ont recours aux prestations ci-après:
a) inspections, vérifications et contrôles portant sur les aliments d'origine animale et sur les animaux en vue de leur commercialisation;
b) certificats nécessaires à la commercialisation des aliments d'origine animale, des animaux et, en général, des produits animaux."
7 L'article 2 de cette même loi prévoit que le droit dû à l'USL au titre de l'inspection sanitaire est payé lors de l'exécution de la prestation et son article 3 dispose ensuite qu'il appartient à la Giunta regionale de fixer le montant du droit en question, après consultation du comité sanitaire régional.
8 Il ressort en outre des dispositions italiennes et du dossier que celui qui importe, même en transit, de la viande fraîche dans une commune de la région de Ligurie, indistinctement d'un État membre ou d'une autre commune italienne, doit:
- soumettre sa marchandise à une inspection sanitaire, même si la viande est accompagnée d'un certificat sanitaire établi par un vétérinaire officiel du pays expéditeur ou par l'autorité compétente de la commune italienne d'origine. Cette inspection est effectuée par le personnel vétérinaire de l'USL de la commune de destination, et conduit à la délivrance d'un certificat, indispensable pour la commercialisation de la viande;
- verser à l'USL, pour la prestation sanitaire rendue, une somme à titre de droit d'inspection fixé forfaitairement par l'administration locale (la Giunta regionale).
9 Il ressort également du dossier que, pour ce qui concerne plus particulièrement la commercialisation des viandes dans la commune de La Spezia, l'importateur concerné doit utiliser les services de la société coopérative CO.GE.SE.MA, à laquelle l'administration communale a concédé, à titre exclusif, la manutention des marchandises à l'abattoir communal ainsi que leur transport vers les lieux de destination finale. L'opérateur économique concerné peut assurer la distribution des marchandises par ses propres moyens, à condition toutefois de verser à la CO.GE.SE.MA le montant correspondant à une telle prestation.
10 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les trois entreprises italiennes citées ci-dessus importent des viandes bovines fraîches en provenance du Danemark et des Pays-Bas. En application de la réglementation italienne susmentionnée, elles ont dû verser aux USL compétentes, pour la période 1990-1991, différentes sommes à titre de droits d'inspection.
11 Considérant que ces paiements n'étaient pas dus, du fait qu'ils constituaient des "impositions" interdites par les directives 64-433-CEE, 89-662-CEE et 90-425-CEE du Conseil, citées ci-dessus, ces entreprises ont intenté un "recours en injonction" devant le président du Tribunale di Genova, afin qu'il soit ordonné aux USL concernées de leur restituer les sommes perçues.
12 En plus de ces droits, la société Ponente a dû verser à la société coopérative CO.GE.SE.MA. une certaine somme correspondant à des droits prévus dans le cadre de la concession exclusive susmentionnée, attribuée à cette société. De l'avis de Ponente, ces paiements n'étaient pas non plus dus, parce qu'ils constituaient des "impositions" interdites par les articles 30, 52 et 59 du traité.
13 Eprouvant des doutes sur la conformité de la législation italienne en cause avec les dispositions communautaires, le président du Tribunale di Genova a sursis à statuer et posé à la Cour les six questions préjudicielles suivantes:
"1. Vu le régime de droit communautaire applicable et notamment, les dispositions des directives du Conseil 64-433-CEE, 89-662-CEE et 90-425-CEE relatives aux problèmes de police sanitaire en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches et aux contrôles vétérinaires applicables à ces mêmes échanges, dans la perspective de la réalisation du marché interne, l'ordre juridique communautaire est-il compatible avec une réglementation et des pratiques nationales qui, dans le cas d'importations dans un État membre, de viandes fraîches provenant d'autres États membres et déjà soumis par l'État membre expéditeur aux inspections sanitaires et aux contrôles prévus par la directive susmentionnée, soumettent sur le territoire de l'État membre de destination, les marchandises en transit parvenant dans la commune de destination à des inspections vétérinaires et à des contrôles sanitaires systématiques et coûteux pour les importateurs?
2. Dans le cadre des échanges intracommunautaires de marchandises (viandes fraîches) qui ont déjà fait l'objet d'inspections sanitaires dans l'État membre expéditeur, conformément aux directives 64-433-CEE et 89-662-CEE, un contrôle vétérinaire de caractère systématique au lieu de destination, effectué au moment de l'entrée dans la commune de destination rentre-t-il dans le champ d'application du contrôle vétérinaire qui peut continuer à être effectué dans l'État membre destinataire, lequel notamment:
a) consiste en des inspections, des vérifications, des contrôles obligatoires aux fins de la commercialisation des marchandises;
b) comporte la délivrance d'un certificat attestant que les viandes provenant des pays communautaires 'sont en bon état de conservation et aptes à l'usage alimentaire';
c) impose à l'importateur une charge économique, même déterminée de manière forfaitaire, selon les tarifs formulés discrétionnairement par l'administration publique?
3. Dans le cas contraire, un contrôle qui présente les caractéristiques susmentionnées doit-il être qualifié de mesure d'effet équivalent, incompatible avec les articles 30 et suivants du traité CEE et peut-il, éventuellement, être justifié en application de l'article 36 du traité CEE?
4. Le principe du droit communautaire affirmé par la Cour de justice, selon lequel l'activité de l'État visant la mise en œuvre de contrôles sanitaires ne peut être considérée comme un service rendu à l'importateur de nature à justifier la perception d'une charge pécuniaire en contrepartie doit-il être considéré comme compatible avec une règle et des pratiques nationales qui imposent pour les marchandises provenant d'autres États membres des droits pour des inspections systématiques par les services vétérinaires, analogues à celles prévues par l'article 3 de la loi de la région ligure n° 31, du 22 août 1989?
5. Dans l'état actuel du droit communautaire, dans le cas d'importations par voie terrestre dans le territoire d'un État membre de la CEE, de marchandises provenant d'autres États membres de la CEE, les dispositions des articles 30, 52 ainsi que 59 du traité confèrent-elles aux particuliers soumis à l'ordre juridique communautaire, des droits que les États membres sont tenus de respecter dans l'hypothèse dans laquelle il est interdit à une entreprise d'importation d'exécuter elle-même les opérations de chargement, déchargement et livraison des marchandises avec les moyens propres dont elle dispose, dans le cadre du territoire d'une commune?
6. Une pratique administrative qui, en réservant à une entreprise déterminée les transports et la livraison des marchandises sur une partie du territoire national, exclut la possibilité pour les importateurs des États membres qui utilisent leurs propres moyens et leur propre personnel, d'effectuer en propre les opérations mentionnées à moins qu'ils ne paient également à l'entreprise concessionnaire le montant correspondant à des services non rendus et non exécutés est-elle, en tout état de cause, compatible avec les articles 30, 52 ainsi que 59 du traité CEE?"
Les quatre premières questions sont communes aux trois litiges au principal. Les deux dernières ne concernent que le litige entre l'entreprise Ponente SpA et la société CO.GE.SE.MA.
14 Pour un plus ample exposé des faits des trois litiges au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
15 Il convient de relever à titre liminaire que le Gouvernement italien soulève la question de savoir si les conditions d'application de l'article 177, deuxième alinéa, du traité sont remplies en l'occurrence, du fait que les questions préjudicielles ont été soulevées dans le cadre de procédures sommaires qui se déroulent sans procédure contradictoire. La Cour pourrait ainsi être amenée à rendre une décision d'interprétation peu adéquate en raison de la présentation éventuellement erronée des faits.
16 Il y a lieu d'observer à cet égard qu'il n'est pas contesté que le président du Tribunale di Genova exerce une fonction juridictionnelle au sens de l'article 177 du traité et qu'il a considéré qu'une interprétation du droit communautaire lui était nécessaire pour rendre son jugement. Or, ainsi que la Cour l'a dit dans l'arrêt du 28 juin 1978, Simmenthal (70-77, Rec. p. 1453, points 10 et 11), si l'article 177 ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure au cours de laquelle le juge national formule une question préjudicielle, il peut, le cas échéant, s'avérer de l'intérêt d'une bonne justice que la question préjudicielle ne soit posée qu'à la suite d'un débat contradictoire, mais il appartient à la seule juridiction nationale d'apprécier cette nécessité (voir également arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199-82, Rec. p. 3611, point 8).
Sur les deux premières questions
17 Par ses deux premières questions, la juridiction nationale demande si un régime d'inspections qui comporte l'application aux marchandises importées, déjà munies d'un certificat sanitaire établi par les autorités de l'État membre d'expédition conformément aux règles communautaires, de contrôles sanitaires obligatoires, systématiques et permanents, non pas à la frontière, mais dans la commune de transit ou de destination des marchandises, et oblige les opérateurs économiques concernés au paiement d'un droit en contrepartie, est compatible avec les directives 64-433, 89-662 et 90-425, susmentionnées.
18 Il convient de relever à titre liminaire que les faits des litiges au principal remontent à une période antérieure au 1er juillet 1992, date d'expiration du délai de transposition des directives 89-662 et 90-425. Par ailleurs, comme le fait observer à juste titre la Commission, l'objet de la directive 90-425 est sans rapport avec la circulation des viandes fraîches. Il en résulte que seule l'interprétation de la directive 64-433 (ci-après "directive") est pertinente pour la solution des litiges au principal.
19 Fondée sur les articles 43 et 100 du traité CEE, cette directive, telle que modifiée en dernier lieu par la directive 83-90-CEE du Conseil, du 7 février 1983 (JO L 59, p. 10), a pour objectif d'éliminer, par le rapprochement des dispositions des États membres, les disparités qui existent en matière de prescriptions sanitaires dans le domaine des viandes fraîches et risquent de freiner les échanges intracommunautaires dans ce domaine (troisième et quatrième considérants).
20 Ce rapprochement des dispositions vise en particulier à rendre uniformes les conditions sanitaires des viandes non seulement dans les abattoirs et les ateliers de découpe du pays expéditeur mais également en matière d'entreposage et de transport de viandes. A cet effet, la directive a instauré un système d'agrément, par les autorités compétentes des États membres, des abattoirs, des ateliers de découpe et des établissements frigorifiques répondant aux conditions sanitaires fixées par la directive (cinquième considérant, article 3, paragraphe 1, sous A, a), g), h), sous B, a), c), sous C, et annexe I, chapitres I, II, III, XIV).
21 Les contrôles sanitaires ainsi effectués dans le pays expéditeur conformément aux dispositions détaillées de la directive donnent lieu à la délivrance d'un certificat de salubrité, établi par un vétérinaire officiel de ce pays, qui constitue le moyen le plus approprié de fournir aux autorités compétentes du pays destinataire l'assurance que la marchandise en question répond aux exigences de la directive, et qui doit accompagner l'envoi de viandes jusqu'au lieu de destination (sixième considérant, article 3, paragraphe 1, sous A, f), annexe I, chapitre XII et annexe II).
22 Le cinquième considérant de la directive 83-90, évoque en outre la nécessité d'instaurer des mesures de contrôle communautaires pour garantir l'application uniforme dans tous les États membres des normes de la directive et de veiller à ce que la procédure de tels contrôles soit fixée selon une procédure communautaire.
23 Ainsi, l'article 10, paragraphe 1, de la directive, tel que modifié par la directive 83-90, prévoit que le pays destinataire peut vérifier que tout envoi de viandes fraîches est accompagné du certificat de salubrité requis.
24 Ce n'est qu'en cas de présomption grave d'irrégularités que, selon le paragraphe 2 de la disposition en question, le pays destinataire peut, d'une manière non discriminatoire, procéder à des inspections pour vérifier le respect des exigences de la directive, lesquelles inspections, conformément au paragraphe 3, ne doivent toutefois pas provoquer des retards exagérés dans l'acheminement et la mise sur le marché des marchandises ou susceptibles d'en affecter la qualité. Le même paragraphe stipule que ces vérifications ou inspections ont lieu normalement au lieu de destination des marchandises ou à tout autre endroit approprié, à condition que le choix de cet endroit cause à l'acheminement des marchandises le moins d'inconvénients possible.
25 Dans ses arrêts du 15 décembre 1976, Simmenthal (35-76, Rec. p. 1871), et du 6 octobre 1983, Delhaize (2 à 4-82, Rec. p. 2973), la Cour avait déjà reconnu, avant l'entrée en vigueur de la modification apportée à l'article 10 par la directive 83-90, que seuls des contrôles sporadiques étaient admissibles, à condition de ne pas être multipliés au point de constituer une restriction déguisée dans le commerce entre États membres. Selon ces mêmes arrêts, la directive a mis en place un système de contrôles sanitaires harmonisé, fondé sur l'équivalence des garanties sanitaires exigées dans l'ensemble des États membres, qui assure simultanément la protection de la santé et l'égalité de traitement des produits. Ce système a pour objet de déplacer les contrôles sanitaires vers l'État membre expéditeur.
26 Il convient de conclure, dès lors, que ce système complet, détaillé et harmonisé de contrôles sanitaires des viandes fraîches, fondé sur l'équivalence des garanties sanitaires au niveau communautaire, se substitue à tout autre système de contrôles existant à l'intérieur du pays destinataire, quel que soit l'endroit où ceux-ci pourraient être effectués.
27 Il y a donc lieu de répondre aux deux premières questions de la juridiction nationale que la directive 64-433, telle que modifiée par la directive 83-90, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à un régime national d'inspections qui comporte l'application aux marchandises importées, déjà munies d'un certificat sanitaire établi par les autorités de l'État membre d'expédition conformément aux règles communautaires, de contrôles sanitaires obligatoires, systématiques et permanents, non pas à la frontière, mais dans la commune de transit ou de destination des marchandises, et oblige les opérateurs économiques concernés au paiement d'un droit en contrepartie.
Sur la troisième question
28 Cette question n'a été posée à la Cour que pour le cas où une réglementation nationale comme celle en cause dans les litiges au principal ne relèverait pas de la directive 64-433. Vu la réponse qui a été donnée aux deux premières questions, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.
Sur la quatrième question
29 Par cette question, la juridiction nationale demande en substance si la charge pécuniaire imposée à l'importateur concerné à titre de droit d'inspection sanitaire, dans le cadre d'une réglementation telle que celle en cause dans les procédures au principal, est justifiée en tant que contrepartie de services rendus.
30 Il y a lieu de relever, en premier lieu, que, dans la mesure où les contrôles systématiques, obligatoires et permanents en question ne sont pas autorisés en vertu du système harmonisé instauré par la directive, les charges pécuniaires imposées en contrepartie de tels contrôles ne peuvent pas être considérées comme compatibles avec les règles communautaires.
31 Il en va également ainsi pour les droits perçus à l'occasion des vérifications et inspections sanitaires permises par la directive. En effet, dans de tels cas, l'activité de l'administration nationale est exercée dans l'intérêt général et ne saurait être considérée comme un service rendu à l'importateur. Dès lors, les frais occasionnés par de tels contrôles doivent être supportés par la collectivité publique qui bénéficie, dans son ensemble, de la libre circulation des marchandises communautaires (voir arrêts du 5 février 1976, Bresciani, 87-75, Rec. p. 129, et du 25 janvier 1977, Bauhuis, 46-76, Rec. p. 5). La perception de tels droits auprès des importateurs constitue donc une entrave à cette libre circulation, interdite par le traité.
32 Il convient donc de répondre à cette question que la charge pécuniaire imposée à l'importateur concerné à titre de droit d'inspection sanitaire, dans le cadre d'une réglementation nationale telle que celle en cause dans les procédures au principal, n'est pas justifiée en tant que contrepartie de services rendus.
Sur les cinquième et sixième questions
33 Par ses deux dernières questions, soulevées dans le cadre du litige opposant l'entreprise Ponente SpA à la société CO.GE.SE.MA. (affaire C-318-91), la juridiction nationale vise en substance à savoir si l'interdiction faite, par la réglementation d'une commune d'un État membre, à un importateur de viandes fraîches, d'assurer par ses propres moyens sur le territoire de la commune en question le transport et la livraison de ses marchandises, à moins qu'il ne verse à une entreprise locale le montant correspondant aux services que celle-ci rend dans le cadre d'une concession exclusive en matière de manutention dans l'abattoir communal, de transport et de livraison des marchandises en question, est contraire aux articles 30, 52 et 59 du traité et si ces dispositions ont effet direct.
34 Il convient de préciser à titre liminaire que ces questions ne portent pas sur la légalité de la concession exclusive, en tant que telle, accordée à une entreprise locale dans le secteur considéré.
35 Il y a lieu de rappeler ensuite que l'article 30 du traité prohibe les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toute mesure d'effet équivalent entre États membres. Selon une jurisprudence constante, pour tomber sous l'interdiction de cette disposition, il suffit que les mesures en question soient susceptibles d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, les importations entre États membres. L'interdiction ainsi énoncée vise donc tout type d'entrave qui risque d'avoir un effet préjudiciable sur la libre circulation des marchandises, fût-il indirect ou potentiel.
36 Constitue une telle entrave aux importations le fait qu'une réglementation communale d'un État membre oblige les opérateurs important dans la commune des viandes fraîches, de passer par l'abattoir communal pour confier le transport et la livraison de leurs marchandises au lieu de destination finale à une entreprise locale, bénéficiaire d'une concession exclusive en matière d'exécution des travaux considérés, et permet aux opérateurs concernés d'effectuer eux-mêmes le transport et la livraison de leurs marchandises moyennant le paiement d'un certain montant à l'entreprise concessionnaire.
37 Cette conclusion n'est pas infirmée par la considération que la mesure en cause est limitée au territoire d'une commune d'un État membre. Ainsi que la Cour l'a dit dans son arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad (C-1-90 et C-176-90, Rec. p. I-4179, point 24), lorsqu'elle a un champ d'application territorial limité parce qu'elle ne s'applique que sur une partie du territoire national, une mesure étatique ne saurait échapper à la qualification de mesure discriminatoire ou protectrice au sens des règles relatives à la libre circulation des marchandises, au prétexte qu'elle affecte aussi bien l'écoulement des produits provenant des autres parties du territoire national que celui des produits importés des autres États membres.
38 De même, il est indifférent que la mesure considérée soit, en principe, indistinctement applicable aux produits nationaux et importés, dès lors qu'elle a pour effet de rendre plus onéreuses et plus difficiles les importations de marchandises en provenance d'autres États membres (voir arrêts du 25 juillet 1991, Aragonesa, précité, et du 10 décembre 1991, Merci, C-179-90, Rec. p. 5889).
39 Il convient enfin d'ajouter que l'article 30 du traité a effet direct et engendre dans le chef des particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder (arrêt du 8 novembre 1979, Denkavit, 251-78, Rec. p. 3369).
40 Pour ce qui est de l'article 52 du traité, il consacre la liberté des ressortissants d'un État membre, y compris les entreprises qui y sont installées, de s'établir sur le territoire d'un autre État membre, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants.
41 Il convient d'observer que, dans l'espèce au principal, le litige oppose une entreprise italienne, importatrice de viandes fraîches en provenance d'autres États membres, à une autre entreprise italienne, titulaire au niveau local d'une concession exclusive portant sur le transport et la livraison des marchandises en question. Il n'y a donc aucun élément qui sorte en l'occurrence du cadre purement national de manière à ce que l'article 52 puisse être utilement invoqué. Dès lors, l'interprétation de cette disposition n'est pas pertinente pour la solution du litige au principal.
42 Les mêmes considérations valent pour l'article 59 du traité, qui consacre la libre prestation des services par les ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.
43 En effet, les requérantes au principal ne sont pas des entreprises qui, établies dans d'autres États membres, entendraient pouvoir prester, sur le territoire de la commune considérée, des services de transport. De même, elles ne prétendent pas recourir, en tant que destinataires, aux services d'un transporteur d'un autre État membre. L'interprétation de l'article 59 n'est donc pas non plus pertinente pour la solution du litige au principal.
44 Il y a donc lieu de répondre aux deux dernières questions que l'article 30 du traité s'oppose à l'interdiction faite par la réglementation d'une commune d'un État membre, à un opérateur important dans la commune des viandes fraîches, d'assurer par ses propres moyens sur le territoire de la commune en question le transport et la livraison de ses marchandises, à moins qu'il ne verse à une entreprise locale le montant correspondant aux services que celle-ci rend dans le cadre d'une concession exclusive en matière de manutention dans l'abattoir communal, de transport et de livraison des marchandises en question. L'article 30 du traité a effet direct et engendre dans le chef des particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.
Sur les dépens
45 Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le président du Tribunale di Genova, par des ordonnances du 21 octobre et du 25 novembre 1991, dit pour droit:
1) La directive 64-433-CEE du Conseil, du 26 juin 1964, relative à des problèmes sanitaires en matière d'échanges intracommunautaires de viandes fraîches, telle que modifiée par la directive 83-90-CEE du Conseil, du 7 février 1983, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à un régime national d'inspections qui comporte l'application aux marchandises importées, déjà munies d'un certificat sanitaire établi par les autorités de l'État membre d'expédition conformément aux règles communautaires, de contrôles sanitaires obligatoires, systématiques et permanents, non pas à la frontière, mais dans la commune de transit ou de destination des marchandises, et oblige les opérateurs économiques concernés au paiement d'un droit en contrepartie.
2) La charge pécuniaire imposée à l'importateur concerné à titre de droit d'inspection sanitaire, dans le cadre d'une réglementation nationale telle que celle en cause dans les procédures au principal, n'est pas justifiée en tant que contrepartie de services rendus.
3) L'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à l'interdiction faite par la réglementation d'une commune d'un État membre, à un opérateur important dans la commune des viandes fraîches, d'assurer par ses propres moyens sur le territoire de la commune en question le transport et la livraison de ses marchandises, à moins qu'il ne verse à une entreprise locale le montant correspondant aux services que celle-ci rend dans le cadre d'une concession exclusive en matière de manutention dans l'abattoir communal, de transport et de livraison des marchandises en question. L'article 30 du traité a effet direct et engendre dans le chef des particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.