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Décisions

CJCE, 1re ch., 14 juillet 2005, n° C-114/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

M. Léger.

Juges :

Mme Colneric, MM. Cunha Rodrigues, Ilešic, Levits

CJCE n° C-114/04

14 juillet 2005

LA COUR (première chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n'ayant pas accordé aux importateurs parallèles de délai raisonnable en vue de liquider leurs stocks dans le cas de retrait d'une autorisation de mise sur le marché (ci-après une "AMM") visant un produit de référence phytopharmaceutique, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

Le cadre juridique national

2 Conformément à l'article 11, paragraphe 1, de la loi sur la protection des plantes (Pflanzenschutzgesetz, ci-après le "PflSchG"), les produits phytopharmaceutiques ne peuvent être mis sur le marché ou importés, dans la composition prévue pour la vente à l'utilisateur, que s'ils sont autorisés par la Biologische Bundesanstalt (office fédéral de biologie, ci-après la "BBA").

3 Conformément à l'article 16 bis, paragraphe 1, point 1, du PflSchG, l'AMM peut être retirée à la demande du titulaire.

4 Le retrait de l'AMM de référence a pour conséquence que les produits faisant l'objet d'importations parallèles ne peuvent plus être mis sur le marché.

La procédure précontentieuse

5 Les importateurs parallèles importaient depuis des années en Allemagne des produits phytopharmaceutiques en provenance de France. L'origine et la composition de ces produits, autorisés en France, étaient identiques à celles du produit de référence du titulaire de l'AMM en Allemagne. Par lettre du 6 novembre 2001, ce dernier a demandé le retrait de l'AMM des produits phytopharmaceutiques de référence en Allemagne à compter du 28 février 2002. L'AMM en cause était valable jusqu'au 31 décembre 2004. Les importateurs parallèles ont adressé à la BBA une demande visant à leur accorder une période suffisamment longue pour liquider les stocks en tenant compte des différentes étapes de la distribution. Le 19 février 2002, se fondant sur l'article 16 bis, paragraphe 1, point 1, du PflSchG, la BBA a retiré l'AMM sans leur avoir accordé ce délai.

6 À cet égard, la Commission, d'une part, a considéré que le retrait de l'AMM de référence entraînait directement l'interdiction de mettre sur le marché le produit qui avait fait l'objet d'une importation parallèle, sans que l'importateur ait la possibilité d'épuiser ses stocks. Selon la Commission, il s'agissait, dans ce cas, d'une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation, contraire à l'article 28 CE.

7 La Commission, d'autre part, a estimé que le retrait d'une AMM qui a pour effet une restriction à la libre circulation des marchandises ne pouvait être justifié par des motifs de protection, sur le marché, d'intérêts stratégiques du titulaire de l'AMM du produit de référence.

8 Enfin, selon elle, la protection de la santé publique pouvait être garantie par des mesures moins restrictives.

9 Pour ces raisons, après avoir mis le Gouvernement allemand en demeure de présenter ses observations et ayant estimé insuffisante la réponse de ce dernier, la Commission lui a adressé le 19 décembre 2002 un avis motivé.

10 Le Gouvernement allemand a répondu à cet avis motivé le 30 avril 2003. Dans sa réponse, il a maintenu sa position, soutenant que la réglementation prévue par le PflSchG était justifiée en tant que mesure destinée à protéger la santé des personnes et qu'elle était compatible avec le principe de proportionnalité.

11 Dans ces conditions, la Commission a considéré qu'il y avait lieu de saisir la Cour conformément à l'article 226 CE.

12 Par lettre du 15 décembre 2003, la République fédérale d'Allemagne a annoncé à la Commission une proposition de modification du PflSchG. Cette proposition devait comporter une réglementation relative aux importations parallèles de produits phytopharmaceutiques qui tiendrait compte de la jurisprudence de la Cour, y compris une réglementation sur les délais de liquidation des produits phytopharmaceutiques ayant fait l'objet d'importations parallèles en cas de retrait de l'AMM de référence à la demande de son titulaire.

Sur le recours

Argumentation des parties

13 La Commission fait valoir que le retrait de l'AMM de référence sans l'octroi aux importateurs parallèles d'un délai de liquidation de leurs stocks existants a pour conséquence que les produits ayant fait l'objet d'importations parallèles ne peuvent plus être commercialisés. La disparition automatique de la possibilité d'écouler le stock équivaudrait, selon la jurisprudence de la Cour sur les importations parallèles de médicaments, à une restriction quantitative à l'importation (arrêts du 10 septembre 2002, Ferring, C-172-00, Rec. p. I-6891, point 33, et du 8 mai 2003, Paranova Läkemedel e.a., C-15-01, Rec. p. I-4175, point 22).

14 La Commission estime que seule la protection de la santé publique peut justifier cette restriction à la libre circulation des marchandises dans la mesure où elle respecte le principe de proportionnalité. Or, la République fédérale d'Allemagne n'aurait pas fait valoir, et encore moins prouvé, que le maintien, sur le marché allemand, du produit phytopharmaceutique en cause constitue réellement un danger pour la santé des personnes.

15 En réponse à l'argument invoqué par le Gouvernement allemand quant à la nécessité d'assurer la surveillance des produits importés pour des raisons de protection de la santé, la Commission estime que, pour atteindre cet objectif, il est possible d'envisager des mesures qui restreignent moins la libre circulation des marchandises.

16 À cet égard, elle évoque, premièrement, la possibilité d'une coopération entre l'État membre d'importation et les autorités de l'État membre d'exportation où le produit de référence est encore autorisé, ces autorités disposant de tous les documents et données nécessaires.

17 Deuxièmement, la Commission fait valoir que, si cette coopération ne suffit pas, l'État membre d'importation peut, le cas échéant, obtenir les informations utiles auprès de l'importateur parallèle ou bien transférer l'obligation de surveillance du produit, qui incombait au titulaire de l'autorisation, à l'importateur parallèle pour la durée du délai de liquidation.

18 La République fédérale d'Allemagne conteste le grief énoncé par la Commission et indique, à titre liminaire, que, sans préjudice de cette position juridique, un projet de loi visant la modification du PflSchG est actuellement en préparation et que, au terme de cette procédure, la question du délai de liquidation des stocks sera réglée.

19 S'agissant du grief énoncé par la Commission, le Gouvernement allemand estime que les deux solutions prétendument moins rigoureuses proposées par la Commission ne peuvent être retenues. Compte tenu de la situation juridique allemande actuelle, elles ne présenteraient pas les mêmes garanties de protection de la santé des personnes sans pour autant entraver les échanges intracommunautaires dans une moindre mesure.

20 En effet, la coopération avec les autorités de l'État membre dont provient le produit importé parallèlement ne serait pas aussi efficace pour atteindre l'objectif de protection de la santé des personnes. Une coopération avec d'autres États membres supposerait que le produit de référence y soit également autorisé. Ceci ne serait pas nécessairement toujours le cas. De surcroît, le droit communautaire prévoirait que la mise en circulation des produits phytopharmaceutiques doit être autorisée par les autorités nationales en raison des différences qui existent entre les plantes cultivées dans les différents pays, le climat, la géographie ainsi qu'entre les méthodes de culture qui y sont utilisées. Il en résulterait que, pour un produit donné, les observations susceptibles d'être faites dans un État membre ne seraient pas systématiquement pertinentes dans un autre État membre.

21 Quant au transfert de l'obligation de surveillance du produit à l'importateur parallèle fait par l'État membre d'importation, il n'entraînerait pas moins de restriction du point de vue de la libre circulation des marchandises que la situation juridique actuelle. En effet, l'importateur parallèle serait obligé de faire une déclaration auprès de l'autorité sur tous les produits phytopharmaceutiques d'importation parallèle. Cette obligation alourdirait, ainsi, à des fins préventives, les formalités administratives d'ordre général qui pèseraient sur les importateurs parallèles, alors que l'AMM de référence ne serait retirée à la demande de son titulaire que dans des cas exceptionnels.

Appréciation de la Cour

22 Selon une jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai imparti dans l'avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 16 janvier 2003, Commission/Royaume-Uni, C-63-02, Rec. p. I-821, point 11). Or, il est constant que la République fédérale d'Allemagne n'avait pas pris, avant l'expiration du délai de deux mois fixé dans l'avis motivé, de mesures pour la modification du PflSchG.

23 La Cour a eu l'occasion de se prononcer sur la cessation de la validité d'une autorisation d'importation parallèle consécutive au retrait de l'AMM de référence dans le domaine des médicaments (arrêts précités Ferring et Paranova Läkemedel e.a.).

24 À cet égard, il y a lieu d'observer, premièrement, que la commercialisation des médicaments et des produits phytopharmaceutiques met en jeu des intérêts comparables.

25 En effet, ces deux types de produits peuvent avoir des effets nocifs sur la santé des personnes invoquée comme justification par le Gouvernement allemand. Pour cette raison, les dispositions régissant l'autorisation de leur commercialisation doivent assurer un niveau élevé de protection de la santé des personnes. À cet égard, les quatrième et neuvième considérants de la directive 91-414-CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L 230, p. 1), énoncent respectivement que "leur utilisation peut entraîner des risques et dangers pour l'homme, [...] notamment s'ils sont mis sur le marché sans avoir été examinés et autorisés" et que "les dispositions régissant l'autorisation doivent assurer un niveau élevé de protection, qui doit notamment éviter l'autorisation de produits phytopharmaceutiques dont les risques pour la santé [...] n'ont pas fait l'objet de recherches appropriées".

26 Par ailleurs, les effets du retrait de l'AMM de référence sont en l'espèce les mêmes pour les importateurs parallèles que ceux qui ont été identifiés dans la jurisprudence relative aux importations parallèles de médicaments (arrêt Ferring, précité, point 25). Dans les deux cas, les importateurs parallèles perdent la faculté de commercialiser les produits en cause.

27 Deuxièmement, la question du droit en cause est la même dans le cas d'espèce et dans la jurisprudence relative aux importations parallèles de médicaments. En effet, les dispositions relatives à la procédure de délivrance d'une AMM ne s'appliquent pas aux importations parallèles et la légalité des mesures nationales restreignant les importations parallèles doit être examinée à l'aune des articles 28 CE et suivants.

28 C'est donc à la lumière du raisonnement développé en matière de médicaments (arrêts précités Ferring et Paranova Läkemedel e.a.) qu'il convient d'examiner le manquement reproché.

29 À cet égard, il convient de rappeler que la cessation de la validité d'une autorisation d'importation parallèle consécutive au retrait de l'AMM de référence constitue une restriction à la libre circulation des marchandises contraire à l'article 28 CE. Toutefois, une telle restriction peut, conformément aux dispositions de l'article 30 CE, être justifiée par des raisons tenant à la protection de la santé (arrêt Paranova Läkemedel e.a., précité, points 22 et 23).

30 Le principe de proportionnalité, qui est le fondement de la dernière phrase de l'article 30 CE, exige que la faculté des États membres d'interdire les importations des produits en cause en provenance d'autres États membres soit limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de protection de la santé légitimement poursuivis (arrêt du 14 juillet 1983, Sandoz, 174-82, Rec. p. 2445, point 18). En effet, une réglementation ou une pratique nationale ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue audit article 30 CE lorsque la santé et la vie des personnes peuvent être protégées de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires (arrêts précités Ferring, point 34, et Paranova Läkemedel e.a., point 24).

31 Dans une situation telle que celle qui fait l'objet du manquement reproché, il y a lieu, tout d'abord, de relever que le retrait d'une AMM de référence n'implique pas en soi que le produit phytopharmaceutique soit mis en cause en ce qui concerne sa qualité, son efficacité et son innocuité. À cet égard, il convient de constater que ce produit continue à être légalement commercialisé dans l'État membre d'exportation sous le couvert de l'AMM délivrée dans cet État (voir, en ce sens, arrêts précités Ferring, point 36, et Paranova Läkemedel e.a., point 26).

32 Ensuite, il y a lieu de constater que, si les autorités compétentes de l'État membre d'importation peuvent, voire doivent, adopter les mesures nécessaires aux fins du contrôle de la qualité, de l'efficacité et de l'innocuité du produit phytopharmaceutique, il n'apparaît pas que cet objectif ne puisse pas être atteint par d'autres mesures moins restrictives pour l'importation des produits phytopharmaceutiques que la cessation automatique de la validité de l'autorisation d'importation parallèle à la suite du retrait de l'AMM de référence (voir, en ce sens, arrêts précités Ferring, point 37, et Paranova Läkemedel e.a., point 27).

33 À cet égard, il convient de rappeler que la surveillance relative aux produits phytopharmaceutiques importés parallèlement peut être assurée par la voie d'une collaboration avec les autorités nationales de l'État membre dans lequel le produit de référence est encore commercialisé sur la base d'une AMM en cours de validité, dans le cas d'espèce avec les autorités françaises. En effet, ces autorités disposent des documents et des données produits par le fabricant ou par d'autres sociétés de son groupe (voir, en ce sens, arrêts précités Ferring, point 38, et Paranova Läkemedel e.a., point 28).

34 Même si, dans certains cas particuliers, les observations réalisées dans un État membre peuvent ne pas valoir toujours pour un autre, en raison des différences qui pourraient exister notamment entre les plantes cultivées dans les différents pays, le climat et la géographie, il n'en reste pas moins que les renseignements fournis par les autorités de surveillance de l'État membre dans lequel le produit de référence est toujours autorisé sont généralement suffisants pour alerter sur d'éventuels problèmes de protection de la santé. Si des indices laissaient penser que ces renseignements sont exceptionnellement insuffisants, ou si le produit de référence n'était pas autorisé dans l'État membre d'exportation, les autorités du pays d'importation seraient libres de rechercher des informations supplémentaires par voie de demandes à l'importateur parallèle (voir, en ce sens, arrêts précités Ferring, point 38, et Paranova Läkemedel e.a., point 28).

35 Il en découle que les arguments avancés par le Gouvernement allemand quant à l'impossibilité de prendre des mesures moins restrictives que les mesures législatives existantes doivent être écartés.

36 Eu égard à ce qui précède, une réglementation nationale selon laquelle le retrait de l'AMM d'un produit phytopharmaceutique de référence à la demande de son titulaire implique que l'autorisation d'importation parallèle de ce produit cesse automatiquement d'être valide ne respecte pas les exigences découlant de l'article 28 CE.

37 Par conséquent, il convient de constater que, en n'ayant pas accordé aux importateurs parallèles de délai raisonnable en vue de liquider leurs stocks dans le cas d'un retrait d'une AMM visant un produit de référence phytopharmaceutique, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

Sur les dépens

38 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre)

déclare et arrête:

1) En n'ayant pas accordé aux importateurs parallèles de délai raisonnable en vue de liquider leurs stocks dans le cas d'un retrait d'une autorisation de mise sur le marché visant un produit de référence phytopharmaceutique, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

2) La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.