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Décisions

CJCE, 6e ch., 13 janvier 2005, n° C-38/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume de Belgique ; Royaume d'Espagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Borg Barthet

Avocat général :

M. Poiares Maduro.

Juges :

MM. Puissochet, von Bahr

CJCE n° C-38/03

13 janvier 2005

LA COUR (sixième chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

- en définissant les critères techniques auxquels les chaises roulantes doivent répondre afin de pouvoir être remboursées par la sécurité sociale, de sorte que soient exclues de la liste des chaises roulantes remboursables des chaises roulantes munies d'un marquage CE, mais qui ne répondent pas aux critères relatifs, notamment, au diamètre des roues avant et arrière, au recouvrement et au rembourrage du siège et du dossier, aux dimensions des méplats et des croisillons, aux appuis-tête et/ou aux repose-pied ainsi qu'aux repose-jambe;

- en définissant des critères plus généraux auxquels l'assortiment de l'opérateur économique doit répondre pour être admis sur la liste des chaises roulantes remboursables, à savoir les conditions particulières pour les voiturettes sans moyen de propulsion personnelle, ainsi que les conditions particulières pour les voiturettes à propulsion personnelle selon lesquelles ces voiturettes doivent être disponibles en un nombre minimal de largeurs de siège;

- en fixant une actualisation trop rigide de la liste des appareils admis au système de remboursement,

Le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

2 Par un mémoire en intervention, à l'appui des conclusions du Royaume de Belgique, le Royaume d'Espagne demande à la Cour de rejeter le recours de la Commission comme non fondé.

Le cadre juridique

3 Aux termes de l'article 28, paragraphe 8, point 19, de l'annexe de l'arrêté royal, du 14 septembre 1984, établissant la nomenclature des prestations de santé en matière d'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, tel que modifié par l'arrêté royal du 31 août 1998 (Moniteur belge du 9 septembre 1998, p. 28981, ci-après l'"arrêté royal"), la liste des appareils admis au remboursement est dressée en tenant compte notamment des critères minimaux de fabrication spécifiés à l'article 28, paragraphe 8, point 18, de la même annexe. Parmi ces critères figure notamment le diamètre des roues avant et arrière.

4 L'annexe de l'arrêté royal définit ensuite, au même article 28, des critères plus généraux auxquels l'assortiment de l'opérateur économique doit répondre pour être admis au remboursement, notamment la condition selon laquelle certains modèles de voiturettes doivent être disponibles en plusieurs largeurs de siège.

5 Enfin, l'article 28, paragraphe 8, point 19, de ladite annexe prévoit que la liste des appareils qui sont admis au remboursement est actualisée tous les six mois, les 1er juillet et 1er janvier de chaque année et qu'une demande complète doit être introduite avant respectivement les 15 mars et 15 septembre de l'année pour entrer en considération pour la liste mise à jour à ces dates respectives.

La procédure précontentieuse

6 Considérant que les critères auxquels les chaises roulantes devaient répondre en vertu de l'arrêté royal pour être admises au système de remboursement de la sécurité sociale créaient des obstacles injustifiés à l'importation desdits produits contraires notamment à l'article 28 CE, la Commission a engagé la procédure en manquement. Après avoir mis le Royaume de Belgique en demeure de présenter ses observations, elle a, le 8 novembre 2000, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. À la lumière des informations fournies par les autorités belges, selon lesquelles la réglementation nationale avait été modifiée à certains égards, la Commission a, tout en renonçant à plusieurs griefs énoncés dans son avis motivé, introduit le présent recours.

Sur le recours

Sur la recevabilité des conclusions de la requête en intervention du Royaume d'Espagne

7 Aux termes de l'article 40 du statut de la Cour de justice, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties.

8 Il convient de constater à cet égard que les conclusions du Royaume d'Espagne tendent à ce que la Cour rejette le recours introduit par la Commission. Or, le Royaume de Belgique n'a pas conclu au rejet du recours de la Commission.

9 Dans ces conditions, il convient de constater que les conclusions de la requête en intervention du Royaume d'Espagne sont irrecevables.

Sur le fond

10 La Commission fait valoir, tout d'abord, dans le cadre de son premier grief, que les critères techniques exigés par l'arrêté royal pourraient constituer un élément dissuasif de la vente aux consommateurs en Belgique de chaises roulantes munies d'un marquage CE, conformément à la directive 93-42-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (JO L 169, p. 1), lesquelles chaises devraient pouvoir être mises librement sur le marché dans tous les États membres. La Commission estime dès lors que ces critères techniques constituent une entrave à la libre circulation des marchandises au sens de l'article 28 CE.

11 Par son deuxième grief, la Commission fait ensuite valoir que, en excluant du système de remboursement les chaises roulantes fabriquées par des opérateurs économiques qui ne proposent pas une gamme suffisamment étendue de largeurs de siège, l'arrêté royal constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative contraire à l'article 28 CE.

12 Enfin, la Commission soutient, par son troisième grief, que la procédure visant à inscrire sur une liste les dispositifs médicaux dont l'achat est remboursé par la sécurité sociale constitue une entrave à la libre circulation des marchandises. La Commission précise que la liste des chaises roulantes admises au remboursement est actualisée tous les six mois et que le délai entre le dépôt du dossier et l'admission de l'entreprise peut être de trois à neuf mois. La Commission considère que, dès lors que toutes les chaises roulantes portant le marquage CE devraient être admises sur la liste des matériels remboursables, le contrôle préalable à la mise à jour de ladite liste, qui devrait porter uniquement sur la validité du marquage CE, ne devrait pas excéder trois mois.

13 Le Royaume de Belgique ne conclut pas au rejet du recours mais indique qu'il envisage d'adopter une nouvelle réglementation qui répond entièrement aux griefs invoqués par la Commission.

14 À titre liminaire, il convient de rappeler que les mesures prises par les États membres en matière de sécurité sociale, qui peuvent avoir une incidence sur la commercialisation des produits médicaux et influencer indirectement les possibilités d'importation de ces produits, sont soumises aux règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises (arrêt du 28 avril 1998, Decker, C-120-95, Rec. p. I-1831, point 24).

15 Par conséquent, le fait que l'arrêté royal relève du domaine de la sécurité sociale n'est pas de nature à exclure l'application de l'article 28 CE.

16 En ce qui concerne les premier et deuxième griefs, il convient d'indiquer que l'arrêté royal a pour effet d'exclure du remboursement par la sécurité sociale les chaises roulantes qui, tout en respectant les conditions pour pouvoir circuler librement conformément à la directive 93-42, ne répondent pas aux critères techniques prévus par cet arrêté ou, même si elles sont conformes à ces critères, sont fabriquées par un opérateur économique qui ne propose pas une gamme suffisamment étendue de chaises roulantes.

17 Si l'arrêté royal ne constitue pas un obstacle absolu à la commercialisation de ces chaises roulantes, il est clair que l'exclusion d'une marchandise d'une liste des marchandises dont l'achat est remboursé par la sécurité sociale affecte d'une manière négative l'accès de cette marchandise au marché national concerné.

18 Il convient dès lors de constater que les dispositions de l'arrêté royal qui ont été mises en cause par la Commission dans le cadre des premiers et deuxièmes griefs doivent être qualifiées d'entraves à la libre circulation des marchandises.

19 S'agissant du troisième grief, il y a lieu de rappeler qu'une réglementation nationale qui soumet la commercialisation des marchandises à une procédure d'autorisation préalable restreint la libre circulation de ces marchandises (voir, notamment, arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390-99, Rec. p. I-607, point 43). Il en va de même d'une procédure visant à inscrire sur une liste les marchandises dont l'achat est remboursé par la sécurité sociale.

20 Quant à la possibilité de justifier ces entraves à la libre circulation des marchandises, il y a lieu de rappeler qu'il appartient aux autorités nationales compétentes de démontrer, d'une part, que leur réglementation est nécessaire pour réaliser un ou plusieurs objectifs mentionnés à l'article 30 CE ou des exigences impératives et, d'autre part, que ladite réglementation est conforme au principe de proportionnalité (arrêt du 5 février 2004, Commission/Italie, C-270-02, non encore publié au Recueil, point 22).

21 En l'occurrence, le gouvernement belge n'a invoqué aucun argument devant la Cour visant à démontrer que ces entraves à la libre circulation des marchandises seraient justifiées par les motifs mentionnés à l'article 30 CE ou par des exigences impératives.

22 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer le recours introduit par la Commission comme fondé.

23 Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que:

- en définissant les critères techniques auxquels les chaises roulantes doivent répondre afin de pouvoir être remboursées par la sécurité sociale, de sorte que soient exclues de la liste des chaises roulantes remboursables des chaises roulantes munies d'un marquage CE, mais qui ne répondent pas aux critères relatifs, notamment, au diamètre des roues avant et arrière, au recouvrement et au rembourrage du siège et du dossier, aux dimensions des méplats et des croisillons, aux appuis-tête et/ou aux repose-pied ainsi qu'aux repose-jambe;

- en définissant des critères plus généraux auxquels l'assortiment de l'opérateur économique doit répondre pour être admis sur la liste des chaises roulantes remboursables, à savoir les conditions particulières pour les voiturettes sans moyen de propulsion personnelle, ainsi que les conditions particulières pour les voiturettes à propulsion personnelle selon lesquelles ces voiturettes doivent être disponibles en un nombre minimal de largeurs de siège;

- en fixant une actualisation trop rigide de la liste des appareils admis au système de remboursement,

Le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

Sur les dépens

24 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Belgique et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. Le Royaume d'Espagne supporte, conformément à l'article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

Déclare et arrête:

1) - En définissant les critères techniques auxquels les chaises roulantes doivent répondre afin de pouvoir être remboursées par la sécurité sociale, de sorte que soient exclues de la liste des chaises roulantes remboursables des chaises roulantes munies d'un marquage CE, mais qui ne répondent pas aux critères relatifs, notamment, au diamètre des roues avant et arrière, au recouvrement et au rembourrage du siège et du dossier, aux dimensions des méplats et des croisillons, aux appuis-tête et/ou aux repose-pied ainsi qu'aux repose-jambe;

- en définissant des critères plus généraux auxquels l'assortiment de l'opérateur économique doit répondre pour être admis sur la liste des chaises roulantes remboursables, à savoir les conditions particulières pour les voiturettes sans moyen de propulsion personnelle, ainsi que les conditions particulières pour les voiturettes à propulsion personnelle selon lesquelles ces voiturettes doivent être disponibles en un nombre minimal de largeurs de siège;

- en fixant une actualisation trop rigide de la liste des appareils admis au système de remboursement,

Le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

2) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens.

3) Le Royaume d'Espagne supporte ses propres dépens.